Federico García Lorca

La vocation poétique de Federico García Lorca est assez tardive. Elle ne commence vraiment que lorsqu’il abandonne l’étude régulière de la composition musicale à la mort de son professeur de musique Antonio Segura en mai 1916. Néanmoins, il jouera de la guitare et du piano avec grand talent toute sa vie. Il ne faut pas oublier que Manuel de Falla dira de lui qu’il aurait pu être encore plus grand musicien que poète. Il commence par des textes en prose (Impressions et paysages – Impresiones y paisajes, recueil publié à compte d’auteur à Grenade au début d’avril 1918). En 1916-1917, il a participé avec un groupe d’étudiants à quatre excursions universitaires sous la direction du professeur de littérature et d’art de l’université de Grenade, Martín Domínguez Berrueta. Il découvre la Castille et rencontre Antonio Machado à Baeza et Miguel de Unamuno à Salamanque. Son Livre de poèmes est publié à Madrid le 15 juin 1921 grâce à l’aide de son ami, l’éditeur Gabriel Maroto. Ses soixante-huit pièces ont été écrites de 1918 à 1920. On y reconnaît l’influence du romantisme et du symbolisme. Il est encore loin des courants d’avant-garde européens. Le livre est dédicacé à son frère Francisco (Paquito ou Paco, 1902-1976) de quatre ans son cadet qui sera diplomate, puis professeur d’université aux États-Unis.

Granada. Première statue du poète dans sa ville de Grenade (Antonio Corredor). 2010. Avenida de la Constitución.

Lluvia
Enero de 1919
Granada

La lluvia tiene un vago secreto de ternura,
algo de soñolencia resignada y amable,
una música humilde se despierta con ella
que hace vibrar el alma dormida del paisaje.

Es un besar azul que recibe la Tierra,
el mito primitivo que vuelve a realizarse.
El contacto ya frío de cielo y tierra viejos
con una mansedumbre de atardecer constante.

Es la aurora del fruto. La que nos trae las flores
y nos unge de espíritu santo de los mares.
La que derrama vida sobre las sementeras
y en el alma tristeza de lo que no se sabe.

La nostalgia terrible de una vida perdida,
el fatal sentimiento de haber nacido tarde,
o la ilusión inquieta de un mañana imposible
con la inquietud cercana del color de la carne.

El amor se despierta en el gris de su ritmo,
nuestro cielo interior tiene un triunfo de sangre,
pero nuestro optimismo se convierte en tristeza
al contemplar las gotas muertas en los cristales.

Y son las gotas: ojos de infinito que miran
al infinito blanco que les sirvió de madre.

Cada gota de lluvia tiembla en el cristal turbio
y le dejan divinas heridas de diamante.
Son poetas del agua que han visto y que meditan
lo que la muchedumbre de los ríos no sabe.

¡Oh lluvia silenciosa, sin tormentas ni vientos,
lluvia mansa y serena de esquila y luz suave,
lluvia buena y pacifica que eres la verdadera,
la que llorosa y triste sobre las cosas caes!

¡Oh lluvia franciscana que llevas a tus gotas
almas de fuentes claras y humildes manantiales!
Cuando sobre los campos desciendes lentamente
las rosas de mi pecho con tus sonidos abres.

El canto primitivo que dices al silencio
y la historia sonora que cuentas al ramaje
los comenta llorando mi corazón desierto
en un negro y profundo pentágrama sin clave.

Mi alma tiene tristeza de la lluvia serena,
tristeza resignada de cosa irrealizable,
tengo en el horizonte un lucero encendido
y el corazón me impide que corra a contemplarte.

¡Oh lluvia silenciosa que los árboles aman
y eres sobre el piano dulzura emocionante;
das al alma las mismas nieblas y resonancias
que pones en el alma dormida del paisaje!

Libro de poemas, 1921.

Pluie

La pluie a comme un vague secret de tendresse,
Plein de résignation, de somnolence aimable.
Discrète, une musique avec elle s’éveille
Qui fait vibrer l’âme lente du paysage.

C’est un baiser d’azur que la Terre reçoit,
Le mythe primitif accompli de nouveau,
Le contact d’une terre et d’un ciel déjà froids
Dans la douceur d’un soir qui n’en finit jamais.

C’est l’aurore du fruit, la porteuse de fleurs,
La purification du Saint-Esprit des mers.
C’est elle qui répand la vie sur les semailles
Et dans nos cœurs le sentiment de l’inconnu.

La nostalgie terrible d’une vie perdue,
Le sentiment fatal d’être arrivé trop tard,
L’espérance inquiète d’un futur impossible,
Et l’inquiétude, sœur des douleurs de la chair.

Elle éveille l’amour dans le gris de ses rythmes.
Notre ciel intérieur s’empourpre de triomphe;
Mais bientôt nos espoirs en tristesse se changent
Á contempler sur les carreaux ses gouttes mortes.

Ses gouttes sont les yeux de l’infini qui voient
Le blanc de l’infini qui leur donna naissance.

Chaque goutte de pluie en tremblant sur la vitre
Y fait, divine, une blessure de diamant,
Poétesse de l’eau qui a vu et médite
Ce qu’ignore la foule des ruisseaux et des fleuves

Sans orages ni vents, ô pluie silencieuse,
Douceur sereine de sonnaille et de lumière,
Pacifique bonté, la seule véritable,
Qui, amoureuse et triste, sur toute chose tombes,

Ô pluie franciscaine où chaque goutte porte
Une âme claire de fontaine et d’humble source,
Quand lentement sur la campagne tu descends,
Les roses de mon cœur à ta musique s’ouvrent.

Le psaume primitif que tu dis au silence,
Le conte mélodieux que tu dis aux ramées,
Mon cœur dans son désert le répète en pleurant
Sur les cinq lignes noires d’une portée sans clé.

J’ai la tristesse en moi de la pluie sereine,
Tristesse résignée de l’irréalisable.
Je vois à l’horizon une étoile allumée
mais mon cœur m’interdit de courir pour la voir.

Tu mets sur le piano une douceur troublante,
Ô pluie silencieuse, ô toi qu’aiment les arbres.
Tu donnes à mon cœur les vagues résonances
Qui vibrent dans l’âme lente du paysage.

Livre de poèmes. Oeuvres complètes. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. 1981. Traduction André Belamich.

Première édition de Libro de Poemas. 1921

Après Pablo Neruda et Federico García Lorca, un troisième poème sur le thème de la pluie en cette période de canicule et de sécheresse, celui de Jorge Luis Borges. https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/12/09/jorge-luis-borges-11/

Pablo Neruda

Pablo Neruda (Ricardo Reyes), 1919.

Pablo Neruda est né le 12 juillet 1904 à Parral (province de Linares, région du Maule). Il perd sa mère qui meurt de tuberculose le 14 septembre 1904. Son père, José del Carmen Reyes Morales (1872-1938), employé des chemins de fer chiliens, déménage en 1905 avec son fils à Temuco, petite ville de la province de Cautín, region d’ Araucanie. Il se remarie en 1906 avec Trinidad Candia Marverde, la « mamadre » (1869-1938).

Le premier apprentissage du poète c’est la nature de l’Araucanie. La pluie est omniprésente. Elle peut être dangereuse mais a aussi un grand pouvoir poétique.

«Mi infancia son zapatos mojados, troncos rotos
caídos en la selva, devorados por lianas
y escarabajos, dulces días sobre la avena,
y la barba dorada de mi padre saliendo
hacia la majestad de los ferrocarriles. »
(Canto general, 1950)

«J’eus pour enfance des souliers mouillés, des troncs brisés
tombés dans la forêt, dévorés par les lianes
et les scarabées, j’eus des journées douces sur l’avoine
et la barbe dorée de mon père partant
pour la majesté des chemins de fer. »
(Chant général, 1977. Traduction de Claude Couffon)

Il l’évoque aussi dans ce poème sur l’Île de Pâques.

XIV El gran océano

VII. La lluvia (Rapa Nui)

No, que la reina no reconozca
tu rostro, es más dulce
así, amor mío, lejos de las efigies, el peso
de tu cabellera en mis manos, recuerdas
el árbol de Mangareva cuyas flores caían
sobre tu pelo? Estos dedos no se parecen
a los pétalos blancos: míralos, son como raíces,
son como tallos de piedra sobre los que resbala
el lagarto. No temas, esperemos que caiga la lluvia, desnudos,
la lluvia, la misma que cae sobre Manu Tara.

Pero así como el agua endurece sus rasgos en la piedra,
sobre nosotros cae llevándonos suavemente
hacia la oscuridad, más abajo del agujero
de Ranu Raraku. Por eso
que no te divise el pescador ni el cántaro. Sepulta
tus pechos de quemadura gemela en mi boca,
y que tu cabellera sea una pequeña noche mía,
una oscuridad cuyo perfume mojado me cubre.

De noche sueño que tú y yo somos dos plantas
que se elevaron juntas, con raíces enredadas,
y que tú conoces la tierra y la lluvia como mi boca,
porque de tierra y de lluvia estamos hechos. A veces
pienso que con la muerte dormiremos abajo,
en la profundidad de los pies de la efigie, mirando
el Océano que nos trajo a construir y a amar.

Mis manos no eran férreas cuando te conocieron, las aguas
de otro mar las pasaban como a una red; ahora
agua y piedras sostienen semillas y secretos.

Ámame dormida y desnuda, que en la orilla
eres como la isla: tu amor confuso, tu amor
asombrado, escondido en la cavidad de los sueños,
es como el movimiento del mar que nos rodea.

Y cuando yo también vaya durmiéndome en tu amor, desnudo,
deja mi mano entre tus pechos para que palpite
al mismo tiempo que tus pezones mojados en la lluvia.

Canto general, 1950.

XIV. Le grand océan

VII . La pluie (Rapa Nui)

Non, que la reine n’identifie pas
ton visage il est plus doux
ainsi, mon amour, loin des effigies, le poids
de ta chevelure dans mes mains, te souviens-tu
de l’arbre de Mangareva, avec ses fleurs tombant
sur tes cheveux ? Ces doigts que tu vois ne ressemblent pas
aux blancs pétales : regarde-les ils sont pareils à des racines,
pareils à des tiges de pierre sur lesquelles le lézard glisse.
Ne t’effraie pas, attendons nus que la pluie tombe,
la pluie, la même pluie qui tombe sur Manu Tara.

Mais l’eau, de même qu’elle durcit ses traits sur la pierre,
tombe sur nous et tout doucement nous entraîne
vers la nuit, plus bas que la fosse
de Ranu Raraku : il ne faut pas
que le pêcheur ou que la jarre t’aperçoivent. Enfouis
tes seins de brûlures jumelles dans ma bouche
et que ta chevelure soit pour moi nuit miniature,
obscurité me recouvrant de son parfum mouillé.

La nuit je rêve que nous sommes toi et moi
deux plantes qui, leurs racines mêlées, grandirent ensemble,
et que tu connais la terre et la pluie comme ma bouche,
puisque nous sommes faits de terre et pluie. Il m’arrive
de penser que la mort venue nous dormirons
dans la profondeur des pieds de l’image, regardant
l’Océan qui nous a poussés à construire, à aimer.

Mes mains quand elle te connurent n’étaient pas
de fer. Les eaux
d’une autre mer les traversaient comme un filet ; et maintenant
eau et pierres soutiennent graines et secrets.

Aime-moi nue et endormie, car sur la rive
tu es pareille à l’île : ton amour confus,
surpris, ton amour caché dans le creux des rêves,
ressemble au mouvement marin qui nous entoure.

Et lorsque je m’endormirai, nu, à mon tour,
dans ton amour,
laisse ma main entre tes seins : qu’elle palpite
en même temps que leurs bourgeons mouillés de pluie.

Chant général. Éditions Gallimard, 1977. Traduction : Claude Couffon. NRF Poésie/Gallimard n°182.

Ahu Tongariki est le plus grand « ahu » (plateforme cérémonielle) de Rapa Nui – Ile de Pâques. Quinze moaï se trouvent là, dont le plus lourd existant (86 tonnes). Le site se trouve au bord de la baie d’Hotuiti, dans la partie orientale de l’île.

Miguel Hernández

J’avais déjà publié ce poème sur ce blog le 30 octobre 2018, mais sans la traduction en français.

Madrid, Parque del Oeste. Monumento a Miguel Hernández. 1985 (Arquitecto : Enrique Domínguez Uceta. Escultor : Miguel Ángel López Calleja)

Canción última

Pintada, no vacía:
pintada está mi casa
del color de las grandes
pasiones y desgracias.

Regresará del llanto
adonde fue llevada
con su desierta mesa
con su ruinosa cama.

Florecerán los besos
sobre las almohadas.
Y en torno de los cuerpos
elevará la sábana
su intensa enredadera
nocturna, perfumada.

El odio se amortigua
detrás de la ventana.

Será la garra suave.

Dejadme la esperanza.

El hombre acecha. 1938-39.

Dernière chanson

Ma maison est peinte, et non vide ;
Elle est peinte
de la couleur des grandes passions
et des grands malheurs.

Elle fuira les pleurs
là où on voulut la laisser,
elle reviendra avec sa table nue,
ma maison au lit de misère.

Fleuriront les baisers
sur les oreillers.
Et autour des corps
le drap soulèvera
son profond liseron
nocturne et parfumé.

La haine s’estompe
derrière la fenêtre.

La poigne sera douce.

Laissez-moi l’espérance.

Traduction de Jacinto Luis Guereña.

La Tour Magne

Nîmes, La Tour Magne.

La Tour Magne est un monument gallo-romain situé à Nîmes (Gard). Haute de 18 m à la fin du III  ème siècle, puis de 36 m de haut à l’époque romaine, elle ne mesure plus aujourd’hui que 32,50 m. Elle domine les jardins de la Fontaine sur le mont Cavalier. À l’époque romaine, par sa structure intégrée à l’enceinte, elle pouvait jouer un rôle défensif et celui d’une tour de guet ou à signaux.

La Tour Magne a été rendue célèbre par le distique holorime de Marc Monnier (1829-1885), souvent attribué à Victor Hugo :

Gall, amant de la reine, alla, tour magnanime,

Galamment de l’arène à la tour Magne, à Nîmes.

Couverture de la Revue “l’esprit nouveau” consacrée à Apollinaire. 1924.

Au début de la première guerre mondiale, Guillaume Apollinaire (Guillaume Albert Vladimir, Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky) veut s’engager. Le conseil de révision ajourne sa demande car il n’a pas la nationalité française. Il est apatride. Un ami, Siégler-Pascal, lui présente Louise de Coligny-Châtillon (1881-1963) le dimanche 27 septembre 1914, lors d’un déjeuner au restaurant Bouttau dans le vieux Nice. Elle sera Lou dans Calligrammes. Elle le rejette. Il tente de nouveau une démarche pour s’engager. Positive cette fois. Il rejoint la caserne du 38e d’artillerie de campagne située route d’Uzès à Nîmes le 6 décembre 1914. Il y reste jusqu’à Pâques 1915. Du 7 au 16 décembre, Louise vient le voir. Guillaume fait le mur pour la rejoindre. Ils deviennent amants dans une chambre de l’hôtel du Midi, square de la Couronne. Ils rompent en 1915, mais continuent d’entretenir une correspondance presque quotidienne jusqu’au 18 janvier 1916. On conserve 220 lettres d’Apollinaire à Lou et 76 poèmes. Ces derniers sont regroupés pour la première fois à Genève en 1947 sous le titre Ombre de mon amour et en 1955 sous le titre Poèmes à Lou.

Un extrait mentionne la Tour Magne :

VII (Guillaume Apollinaire)

Mon Lou la nuit descend tu es à moi je t’aime
Les cyprès ont noirci le ciel a fait de même
Les trompettes chantaient ta beauté mon bonheur
De t’aimer pour toujours ton cœur près de mon cœur
Je suis revenu doucement à la caserne
Les écuries sentaient bon la luzerne
Les croupes des chevaux évoquaient ta force et ta grâce
D’alezane dorée ô ma belle jument de race
La tour Magne tournait sur sa colline laurée
Et dansait lentement lentement s’obombrait
Tandis que des amants descendaient de la colline
La tour dansait lentement comme une sarrasine
Le vent souffle pourtant il ne fait pas du tout froid
Je te verrai dans deux jours et suis heureux comme un roi
Et j’aime de t’y aimer cette Nîmes la Romaine
Où les soldats français remplacent l’armée prétorienne
Beaucoup de vieux soldats qu’on n’a pu habiller
Ils vont comme des bœufs tanguent comme des mariniers
Je pense à tes cheveux qui sont mon or et ma gloire
Ils sont toute ma lumière dans la nuit noire
Et tes yeux sont les fenêtres d’où je veux regarder
La vie et ses bonheurs la mort qui vient aider
Les soldats las les femmes tristes et les enfants malades
Des soldats mangent près d’ici de l’ail dans la salade
L’un a une chemise quadrillée de bleu comme une carte
Je t’adore mon Lou et sans te voir je te regarde
Ça sent l’ail et le vin et aussi l’iodoforme
Je t’adore mon Lou embrasse-moi avant que je ne dorme
Le ciel est plein d’étoiles qui sont les soldats
Morts ils bivouaquent là-haut comme ils bivouaquaient là-bas
Et j’irai conducteur un jour lointain t’y conduire
Lou que de jours de bonheur avant que ce jour ne vienne luire
Aime-moi mon Lou je t’adore Bonsoir
Je t’adore je t’aime adieu mon Lou ma gloire

Nîmes, le 29 décembre 1914.

Poèmes à Lou.

Franscisco de Zurbarán – Paul Valéry

Montpeller. Musée Fabre.

Le tableau Sainte Agathe de Francisco de Zurbarán (1598-1664) n’est pas visible au Musée Fabre de Montpellier. Pourquoi ? Personne n’a su nous répondre.

Sainte Agathe. Vers 1634. Montpellier, Musée Fabre.

Cette huile sur toile (129 x 61 cm ) a été réalisée vers 1634. Elle a été achetée par la ville de Montpellier en 1852 pour 1 540 francs lors de la vente d’une série de dix tableaux du maréchal Soult, duc de Dalmatie. Ces oeuvres provenaient des couvents de Séville et étaient gardées à l’Alcazar pendant l’invasion française.

On trouve la version la plus connue de l’histoire de Sainte Agathe dans La Légende dorée de Jacques de Voragine, (Sainte Agathe, vierge et martyre), rédigée en latin entre 1261 et 1266. Le dominicain et archevêque de Gênes raconte la vie d’environ 150 saints ou groupes de saints, saintes et martyrs chrétiens.

Les Espagnols à Montpellier. 13 œuvres du musée Fabre : description, acquisition, attribution. Flore Delatouche. Université Paul Valéry-Montpellier III. Juin 2006.

« Agathe vivait dans une famille noble de Catane (Sicile), au pied de l’Etna, sous le règne du troisième consulat de l’empereur Dèce et ses persécutions contre les chrétiens. Le gouverneur romain de Sicile, Quintien, qui avait remarqué sa beauté et son rang, désira la prendre pour femme. Il ne supporta pas d’être éconduit par la jeune femme qui souhaitait garder sa virginité et consacrer son existence à honorer Dieu. Non autorisé par la loi romaine à exécuter une vierge, il l’envoya dans la maison close d’Aphrodisie, qui eut pour mission de lui faire accepter ce mariage, mais dont elle sortit sans séquelle physique, sexuellement intacte. Le consul Quintien entreprit de lui faire endurer quelques tortures, pour mener à bien sa vengeance, décida de la jeter au cachot et de lui faire écraser puis arracher les seins à la tenaille, tourments qu’elle vit avec joie comme un combat pour l’accession au Paradis et à la palme du martyre. De retour dans sa prison, la jeune sicilienne fut visitée par saint Pierre qui guérit ses plaies miraculeusement. Elle est ensuite roulée nue sur des tessons de pots cassés et des charbons ardents, calvaire interrompu par un important tremblement de terre. Ramenée dans son cachot, elle y mourut dans un grand cri. Un an plus tard, une éruption de l’Etna menaça Catane ; les habitants déposèrent sur le chemin du flot de lave le voile qui recouvrait la tombe de la sainte et permirent ainsi de dévier la coulée magmatique et de sauver leur ville.
Fêtée le 5 février, Agathe est la protectrice de la Sicile, de Catane, de Palerme et de l’île de Malte. Elle est la patronne des femmes atteintes d’un cancer de la poitrine et amputées d’un sein, des fondeurs de cloches, des bijoutiers, des nourrices (symbole de celle qui peur apporter la subsistance aux plus faibles et démunis). On la prie contre des catastrophes naturelles : les éruptions volcaniques, la foudre, les incendies et tremblements de terre. Elle est en général représentée avec ses seins arrachés posés sur un plateau et des tenailles, quelquefois un bâtiment en flammes ; elle peut également porter la palme des martyres (elle est alors la figure de la vierge victorieuse), ou encore une torche, un bâton enflammé, ou encore son voile avec lequel elle essaie d’éteindre un feu, dans le thème de la sainte protectrice ignifuge. Ses reliques reposent dans une chapelle qui lui est dédiée dans la cathédrale de sa ville natale.
Sur un fond neutre noir, le jeu de clair-obscur détache, avec une diagonale lumineuse partant du haut à droite vers le centre, sainte Agathe qui se tient debout, légèrement penchée vers l’avant, et regarde le spectateur. Seuls les mains, le cou et le visage ressortent des amas de tissus dont elle est vêtue. Sa douceur est mise en contraste avec les étoffes imposantes et largement plissées qui inondent la toile et absorbent l’espace, revêtant sa sérénité sanctifiée. La qualité chromatique, très variée, va de la blancheur de la peau à la robe couleur mûre, au corsage bleu-vert canard, aux « manches citrines » et au manteau vermillon éclatant, jusqu’aux joues rosées de la sainte. La chevelure n’avait pas été peinte ainsi dans une première version, tel que l’ a révélé le passage aux rayons X. Un collier de fines perles orne le cou d’Agathe, symbole sans doute d’une féminité bafouée – rappelée durement par le plateau qu’offre à notre regard la jeune femme avec le malheureux trophée de ses deux seins mutilés, l’offrande modeste et digne de sa féminité sanctifiée pour avoir été sacrifiée. On pourrait penser qu’elle nous présente sa poitrine déchiquetée sur un plateau tout en la protégeant timidement et humblement de la main droite, comme pour rappeler assez pudiquement le caractère généralement tabou de ces deux morceaux charnels estropiés. Outre sa grande tranquillité, la jeune femme semble exprimer un message de haute sainteté. Les yeux de la sainte directement tournés vers l’observateur du tableau. Il s’agit d’un inter-regard qui permet la discussion de la figure peinte avec l’observateur de la toile. Cette représentation propose une intertextualité au message de cette œuvre : au-delà de la démonstration de sainte martyrisée, se dégage la sérénité tout à fait exemplaire de la sainte, le moment éternel après le supplice des martyres, celui où ne reste que le calme. Le regard de sainte Agathe n’exprime ni peur ni souffrance ; son martyre l’a délivrée et fait passer au-delà des préoccupations charnelles, dans une attitude emplie de grâce et de délicatesse. Peut-être peut-on y distinguer une fine touche de mélancolie pour avoir vu sa vie écourtée ou son amour pour sa foi malmené ; mais la richesse sage et dévote prime.

Portrait de Paul Valéry (Raoul Dufy). Paris, Centre Georges Pompidou.


Le poète Paul Valéry fut admiratif de cette œuvre qu’il vit à ses vingt ans. Il écrivit Sainte Alexandrine en 1891 et prénomma sa fille Agathe. Le poème a beau porter une autre dénomination, Mme Valéry confirma que le poète n’avait eu aucun doute et qu’il pensait bien à la sainte Agathe exposée au Musée Fabre, lorsqu’il créa cette prose poétique.

Sainte Alexandrine

Quel sommeil n’accorde à nos ténèbres intimes de telles apparitions ?
Une rose ! c’est la première lueur parue sur l’ombre adorable.
Elle se figure doucement en cette martyre silencieuse, penchée.
Puis un vif manteau fuit par derrière – l’étoffe baigne dans l’obscurité pour laisser très beau le geste idéal.
Car, issues des folles manches citrines, les mains pieuses conservent le plat d’argent où pâlissent les seins coupés par le bourreau – les seins inutiles qui se fanent.
Et regarde la courbe de ce corps que les robes allongent, des minces cheveux noirs à la pointe délicieuse du pied, il désigne mollement l’absence de tous fruits à la poitrine.
Mais la joie du supplice est dans ce commencement de la pureté : perdre les plus dangereux ornements de l’incarnation, – les seins, les doux seins, faits à l’image de la terre.

Sur quelques peintures, 1891.

En 1592, le cardinal Gabriel Paleotti recommanda vivement le culte de sept saintes martyres. A cause de la grande pudeur de l’époque, Agathe fut peu représentée au Siècle d’Or. Les Mercédaires et les Hospitaliers en demandèrent toutefois quelques représentations, car Agathe symbolise les vertus indéniables du don de sa vie pour la défense de sa foi et de l’offrande de la subsistance aux plus faibles, en tant que patronne des nourrices. Pour les protestants, le culte aux saint était une superstition païenne, en réponse de quoi l’Église chercha à renouveler les images pieuses. Les catacombes resurgirent tout à fait à propos à cette époque, dévoilant les dévots morts pour leur religion, regroupés dans ces cimetières d’anciens chrétiens persécutés. Les portraits des martyrs, « luttant sous nos yeux, que nous voyions couler leur sang », illustrèrent l’abnégation de la vie des fidèles pour leur foi, « transfigurant la souffrance et la métamorphosant en allégresse », comme sainte Agathe. »

Si le Sainte Agathe de Francisco de Zurbarán n’est pas visible actuellement au Musée Fabre de Montpellier. On peut admirer, en revanche L’ Ange Gabriel (huile sur toile, 145 x 60 cm ). La dévotion aux anges faisait partie des cultes nouveaux qui pouvaient exalter la foi des fidèles de la période post-tridentine.

L’ Archange Gabriel, vers 1631-32. Montpellier, Musée Fabre.

Fina García Marruz

Cintio Vitier – Fina García Marruz. 1997 (Consuelo Bautista).

Fina García Marruz (Josefina García-Marruz Badía), poétesse et essayiste cubaine, est décédée à 99 ans le 27 juin 2022 à La Havane. Elle était née dans cette même ville le 28 avril 1923. Elle faisait partie du groupe de poètes de la mythique revue Orígenes (40 numéros de 1944 à 1956), créée et dirigée par José Lezama Lima qui a réinventé le baroque dans la littérature contemporaine de langue espagnole.

Cette génération (Gastón Baquero, 1914-1997, Eliseo Diego, son beau-frère, 1920-1994, Cintio Vitier, son mari, 1921-2009) a été marquée par des écrivains espagnols tels que Juan Ramón Jiménez, Federico García Lorca et María Zambrano.

Une partie de ces écrivains cubains se sont opposés au régime de Fidel Castro. Elle et son mari s’en sont accommodés plus ou moins.

L’œuvre de Fina García Marruz est marquée par une spiritualité catholique, associée à un ton quotidien et intime.

Elle a fait des études supérieures et obtenu son doctorat en sciences sociales à l’université de La Havane en 1961. À partir de 1962, elle est chercheuse littéraire à la Bibliothèque nationale José-Martí de Cuba. Puis, de 1977 à 1987, elle travaille au Centro de Estudios Martianos. Elle est membre de l’équipe chargée de l’édition critique des Œuvres complètes du poète et père de l’indépendance de l’île au XIX siècle.

Elle a reçu notamment le prix national de littérature en 1990, le prix chilien Pablo Neruda de poésie ibéro-américaine en 2007, le prix Reina Sofía de poésie ibéro-américaine en 2011, le prix Ciudad de Granada Federico García Lorca la même année.

Principales œuvres :

Poésie
Las miradas perdidas. 1944-1950. Ucar García, La Havane, 1951.
Visitaciones. Unión Nacional de Escritores y Artistas de Cuba, La Habana, 1970.
Viaje a Nicaragua (avec Cintio Vitier). Letras Cubanas, La Habana, 1987.
Créditos de Charlot. Ediciones Vigía de la Casa del Escritor, Matanzas, 1990.
Habana del centro. La Havane, 1997.
El instante raro. Pre-Textos, Valence, 2010.

Essais

La familia de “Orígenes”. La Havane, 1997.

Darío, Martí y lo germinal americano. Ediciones Unión. La Havane, 2001.

Juana Borrero y otros ensayos, 14 textos. La isla infinita, 2011.

Ama la superficie casta y triste

Sé el que eres (Píndaro)

Ama la superficie casta y triste.
Lo profundo es lo que se manifiesta.
La playa lila, el traje aquel, la fiesta
pobre y dichosa de lo que ahora existe

Sé el que eres, que es ser el que tú eras,
al ayer, no al mañana, el tiempo insiste,
sé sabiendo que cuando nada seas
de ti se ha de quedar lo que quisiste.

No mira Dios al que tú sabes que eres
– la luz es ilusión, también locura –
sino la imagen tuya que prefieres,

que lo que amas torna valedera,
y puesto que es así, sólo procura
que tu máscara sea verdadera.

Cuando el tiempo ya es ido

Cuando el tiempo ya es ido, uno retorna
como a la casa de la infancia, a algunos
días, rostros, sucesos que supieron
recorrer el camino de nuestro corazón.
Vuelven de nuevo los cansados pasos
cada vez más sencillos y más lentos,
al mismo día, el mismo amigo, el mismo
viejo sol. Y queremos contar la maravilla
ciega para los otros, a nuestros ojos clara,
en donde la memoria ha detenido
como un pintor, un gesto de la mano,
una sonrisa, un modo breve de saludar.
Pues poco a poco el mundo se vuelve impenetrable,
los ojos no comprenden, la mano ya no toca
el alimento innombrable, lo real.

Yo quiero ver

Yo quiero ver la tarde conocida,
el parque aquel que vimos tantas veces.
Yo quiero oír la música ya oída
en la sala nocturna que me mece
el tiempo más veraz. Oh qué futuro
en ti brilla más fiel y esplendoroso,
qué posibilidades en tu hojoso
jardín caído, infancia, falso muro.
¡Sustancia venidera de la oscura
tarde que fue! ¡Oh instante, astro velado!
Te quiero, ayer, mas sin nostalgia impura,
no por amor al polvo de mi vida,
sino porque tan sólo tú, pasado,
me entrarás en la luz desconocida.

Habana del Centro, 1997.

 

Fernando Aramburu – Vicente Aleixandre

Fernando Aramburu, retratado en Hannover, donde reside.

Vicente Aleixandre (1898-1984) est un grand poète de la génération de 1927. Á cause de sa santé, il sortait peu de sa maison de Madrid (Velintonia, 3, aujourd’hui, Vicente Aleixandre), situé près de la Cité Universitaire. Il a obtenu le Prix Nobel de littérature en 1977. La Asociación de Amigos de Vicente Aleixandre (Velintonia 3) essaie depuis plus de 25 ans de sauver cet endroit de la destruction et de créer une Maison de la Poésie.

Fernando Aramburu, l’auteur de Patria (Tusquets 2016, publié en français sous le même titre chez Actes Sud en 2018, traduit par Claude Bleton),  a publié le 21 juin dernier un article dans le journal El País s’étonnant du peu d’intérêt de la mairie de Madrid et du gouvernement de la Communauté de protéger ce lieu hautement symbolique du la littérature espagnole du XX ème siècle.

El País, 21/06/2022

Casa rota (Fernando Aramburu)

A finales de los setenta, de paso por Madrid, tuve el propósito de presentarme en casa de Vicente Aleixandre, en Velintonia 3. La calle lleva hoy, por una decisión controvertida, su nombre. Sabido es que la casa fue durante muchos años lugar de reunión de poetas y que a ella acudían asimismo escritores noveles, deseosos de conocer en persona al maestro. Por los días de mi tentativa, Aleixandre ya había recibido el Premio Nobel de Literatura. Estaba el hombre muy solicitado y un problema grave de la vista, sobre el que me puso al corriente otro poeta, Rafael Morales, truncó la visita. Aleixandre murió un día invernal de 1984. Quedan sus obras para disfrute de quienes tengan la disposición sensible de activar una experiencia poética de primera magnitud. Y queda la casa entre cuyas paredes sonó alguna vez la voz de Federico García Lorca, de Miguel Hernández, de Luis Cernuda, de tantos otros que dejaron huella en la historia de la literatura española.

Hace unos años visité la casa. Alejandro Sanz, presidente de la Asociación de Amigos de Vicente Aleixandre, me facilitó el acceso. Encontré paredes desconchadas, suelos levantados, cuartos vacíos, polvo y grietas. Sentí una mezcla de vergüenza y pena que ha ido derivando hacia la resignación conforme veo alejarse la posibilidad de convertir el sitio en una Casa de la Poesía, con indudable provecho cultural para los ciudadanos.

El asunto es arduo. Los herederos buscan su beneficio crematístico. Las sucesivas administraciones no han querido o podido costear una solución adecuada. El Consejo de Gobierno de la Comunidad de Madrid ha declarado la casa como bien de interés patrimonial, y no de interés cultural, lo que supondría una protección mayor. No seré yo quien se sorprenda si el inigualable santuario de la poesía, hoy en venta, acaba convertido en una tasca.

Casa de Vicente Aleixandre. Madrid, Calle de Velintonia 3 (Julián Rojas).

Dante Alighieri

Dante, 1879. (Jean-Paul Aubé 1837-1916) . Plâtre, modèle du monument en bronze érigé en 1882 dans le square Michel-Foucault de la place Marcelin-Berthelot, devant le Collège de France à Paris.

Au milieu du chemin de notre vie
je me retrouvai par un forêt obscure
car la voie droite était perdue.

Ah dire ce qu’elle était est chose dure
cette forêt féroce et âpre et forte
qui ranime la peur dans la pensée !

Elle est si amère que mort l’est à peine plus ;
mais pour parler du bien que j’y trouvai,
je dirai des autres choses que j’y ai vues.

Je ne sais pas bien redire comment j’y entrai,
tant j’étais plein de sommeil en ce point
où j’abandonnai la voie vraie.

Mais quand je fus venu au pied d’une colline
où finissait cette vallée
qui m’avait pénétré le cœur de peur,

Je regardai en haut et je vis ses épaules
vêtues déjà par les rayons de la planète
qui mène chacun droit par tous sentiers.

Alors la peur se tint un peu tranquille,
qui dans le lac du cœur m’avait duré
la nuit que je passai si plein de peine.

Et comme celui qui hors d’haleine,
sorti de la mer au rivage,
se retourne vers l’eau périlleuse et regarde,

Ainsi mon âme, qui fuyait encore,
se retourna pour regarder le pas
qui ne laissa jamais personne en vie.

La Divine comédie: L’Enfer, Chant I. Flammarion, 1985. Traduction Jacqueline Risset.

Nel mezzo del commin di nostra vita
mi retrovai per una selva oscura
chè la diritta vía era smarrita

Ahi quanto a dir qual era è cosa dura
esta selva selvaggia e aspra e forte
che nel pensier rinova la paura!

Tant’è amara che poco è più morte;
ma per trattar del ben ch’i’ vi trovai,
dirò de l’altre cose ch’i’ v’ho scorte.

Io non so ben ridir com’i’ v’intrai,
tant’era pien di sonno a quel punto
che la verace via abbandonai.

Ma poi ch’i’ fui al piè d’un colle giunto,
là dove terminava quella valle
che m’avea di paura il cor compunto,

guardai in alto, e vidi le sue spalle
vestite già de’ raggi del pianeta
che mena dritto altrui per ogne calle.

Allor fu la paura un poco queta
che nel lago del cor m’era durata
la notte ch’i’ passai con tanta pieta.

E come quei che con lena affannata
uscito fuor del pelago a la riva
si volge a l’acqua perigliosa e guata,

così l’animo mio, ch’ancor fuggiva,
si volse a retro a rimirar lo passo
che non lasciò già mai persona viva.

Divina Commedia, 1321. Inferno.

(déjà publié sur ce blog le 11 juillet 2019. Merci à M.L. Weekend poetry. https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/07/11/dante-alighieri/

Le séjour de Dante à Paris est rempli de mystère. Dans La Divine Comédie, quelques passages évoquent des personnes ou des lieux qu’il aurait fréquentés. Selon les historiens, il est probable qu’il s’est rendu à Paris entre août 1313 et juin 1314, probablement pour y étudier la philosophie naturelle et la théologie. D’où la relation avec la Sorbonne et la présence de la statue de Dante par Jean-Paul Aubé, dans le square Michel Foucault, juste devant le Collège de France.

Jean-Paul Aubé (1837-1916) avait fait le voyage d’Italie en 1866. Il représente Dante repoussant du pied droit la tête d’un damné figurant les forces du mal, personnifié par la tête de Bocca degli Abati, le traître de la bataille de Montaperti (1260), en Toscane. Le poète est représenté avec ses attributs traditionnels : le grand manteau, le chaperon tombant et la couronne de laurier.

La Ville de Paris achète à l’artiste ce modèle en plâtre, le 14 juin 1879, et fait réaliser par le fondeur H. Molz une statue en bronze, placée en 1882, place Marcelin-Berthelot. La statue est aussi présentée aux Expositions universelles de Vienne, en 1882, et de Paris, en 1889 et 1900. Le modèle en plâtre se trouve au Petit Palais (Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris).

Antonio Buero Vallejo – Miguel Hernández

(Merci à José Ramón Seco)

Antonio Buero Vallejo ( 1916-2000)

El País, 28 de marzo de 1982

El dramaturgo Buero Vallejo recuerda a su compañero de cárcel (Carmen Santamaría)

El 28 de marzo de 1942 moría en el Reformatorio de Adultos de Alicante el poeta Miguel Hernández. Había sido detenido por la policía portuguesa cuando intentaba refugiarse en el país vecino, y entregado a las autoridades españolas. Juzgado y condenado a muerte, Miguel pasó por varios centros penitenciarios hasta desembocar en el de su patria chica, donde la enfermedad acabaría con su peregrinación. Fue enterrado en el nicho número 1.009 de la ciudad de Alicante. Durante su estancia en la prisión de Conde de Toreno, en Madrid, Miguel Hernández tuvo una amistad singular, la del entonces pintor Antonio Buero Vallejo, a quien debemos el dibujo más conocido del poeta. Buero Vallejo recuerda en esta entrevista aquella relación entre rejas cuando se cumplen cuarenta años de la desaparición de su compañero Miguel Hernández.

“Yo conocí a Miguel en el último año de la guerra”, declara Buero Vallejo. “Le conocí en Benicasim; yo estaba en unas oficinas de trabajos diversos, y él había sido conducido al hospital. No tenia ninguna herida, pero estaba muy fatigado y necesitaba reponerse. Durante los veinte o treinta días que permaneció allí nos vimos poco, nada más que en las comidas, porque nos sentábamos a la misma mesa. Fue una relación superficial. Terminada la guerra, yo ingresé en la prisión de Conde de Toreno, y tiempo después llegó él. Me di a reconocer, me recordó enseguida y, entonces sí, entablamos una buena amistad que duró todo el tiempo que estuvimos juntos. Yo estaba ya en la galería de condenados a muerte, y él, como también fue condenado, vino a parar a la misma galería.

Pregunta. ¿Cómo se desarrolló su amistad? ¿Qué hacían ustedes cuando estaban juntos?

Respuesta. Hablábamos mucho; hablábamos sobre la tensa situación que vivíamos, hablábamos sobre los temas que para el hombre con inquietudes culturales son tan esenciales como el comer. Hablábamos de la poesía del 27, de la que él era como el benjamín, de la literatura en general, de su propia literatura. Yo entonces no me dedicaba todavía a escribir, pero hacía retratos, y ambos nos sabíamos artistas. Paseábamos por el palio de la cárcel, y él me recitó muchas de sus poesías, probablemente algunas concebidas en las noches de cárcel, porque él era muy mental, muy reflexivo, y tengo la impresión de que elaboraba sus poemas casi por completo de forma memorística antes de pasarlas al papel. Repasábamos juntos nuestro francés; a él le habían mandado las Cartas de Mme. de Sevigné, y durante bastantes días estuvimos leyéndolas juntos, corrigiéndonos mutuamente.

P. ¿Cómo era y se comportaba Miguel Hernández, el hombre, en aquel período?

R. El era un hombre de exterior abierto, expansivo, rotundo, amigo del chiste, de risa fácil. Era un introvertido profundo que a veces se quedaba ensimismado, distraido y un tanto melancólico, pero de forma espontánea pasaba a la broma, al pitorreo, al canturreo. Cantaba lo mismo cancioncillas ingenuas y vulgares que canciones de guerra que tenían letra suya.

P. ¿Recuerda usted algún hecho especial, alguna anécdota curiosa de aquel contacto carcelario con Miguel?

R. Hay una anécdota que da idea de cómo era este hombre por dentro; por dentro y por fuera. Cuando él entró en nuestra galería, yo comía con un compañero de expediente. Comer significaba compartir con otro u otros las cosas que mandaba la familia, quitándoselo quizá de la boca. Era una costumbre de los presos comer en república. Había mucha hambre, y el hambre era una obsesión primordial. El hambre es una piedra de toque para ver cómo es una persona. Como Miguel apenas recibía alimentos de fuera, mi compañero y yo pensamos invitarle a comer con nosotros. Yo fui a su petate y se Io propuse; él pareció aceptar, pero yo añadí: “Naturalmente, nos vamos a repartir la miseria, pero lo haremos con mucho gusto”. Me pareció un comentario lógico, pero para Miguel tuvo mas trascendencia de lo que imaginé. A la hora del rancho le esperamos, pero no apareció. Yo fui a buscarle, y entonces me dijo: “Mira, no, lo he pensado, y vosotros también estáis muy necesitados…”. Le insistí y no hubo manera de convencerle. Esto es un comportamiento insólito. Que una persona muy hambrienta, como era Miguel en aquel período, muy necesitada, dijese que no a una invitación de este tipo era insólito. Ofrecer lo poco que se tenía era normal, pero rechazarlo era de una abnegación y un desprendimiento inaudito. Era tal la sensibilidad de Miguel que no se permitía aceptar algo sabiendo que restaba: alimento a una persona que también estaba necesitada.

Miguel Hernández (Antonio Buero Vallejo). 25 janvier 1940. Madrid, cárcel del Conde de Toreno.

Luis Cernuda

Luis Cernuda.

Le 20 février dernier, j’avais publié sur ce blog le poème de Luis Cernuda 1936. Il s’agit de l’avant-dernier poème de toute son oeuvre, le dernier étant A sus paisanos ( Á ses compatriotes ). Il fait partie du recueil Desolación de la Quimera ( Désolation de la chimère ) qui regroupe des poèmes écrits entre 1956 et 1962. Cernuda a quitté l’Espagne en février 1938 et vit en exil à México depuis novembre 1952. Il enseigne à l’Université de Californie à Los Angeles et au San Francisco State College en 1961-1962 . Il récite ses poèmes en public. Á la fin d’une de ces séances, un ancien brigadiste est venu le saluer. Il commence à écrire ce poème à San Francisco en décembre 1961 et le termine en avril 1962. La Brigade Abraham Lincoln (ou XVe Brigade internationale) était constituée de volontaires des États-Unis qui avaient servi pendant la guerre civile espagnole dans les Brigades internationales.

Luis Cernuda meurt le 5 novembre 1963 à 61 ans. Il est enterré dans la section espagnole du Panteón Jardín de la ville de México.

Je conseille la lecture de la revue Europe n° 1118-1119-1120 (Juin-juillet-août 2022) Écrivains et reporters dans la guerre d’Espagne. La traduction française de ce poème y figure (pages 13-14-15).

https://www.europe-revue.net/

1936

Recuérdalo tú y recuérdalo a otros,
Cuando asqueados de la bajeza humana,
Cuando iracundos de la dureza humana:
Este hombre solo, este acto solo, esta fe sola.
Recuérdalo tú y recúerdalo a otros.

En 1961 y en ciudad extraña,
Más de un cuarto de siglo
Después. Trivial la circunstancia,
Forzado tú a pública lectura,
Por ella con aquel hombre conversaste:
Un antiguo soldado
En la Brigada Lincoln.

Veinticinco años hace, este hombre,
Sin conocer tu tierra, para él lejana
Y extraña toda, escogió ir a ella
Y en ella, si la ocasión llegaba, decidió apostar su vida,
Juzgando que la causa allá puesta al tablero
Entonces, digna era
de luchar por la fe que su vida llenaba.

Que aquella causa aparezca perdida,
Nada importa;
Que tantos otros, pretendiendo fe en ella
Sólo atendieran a ellos mismos,
Importa menos.
Lo que importa y nos basta es la fe de uno.

Por eso otra vez hoy la causa te aparece
Como en aquellos días:
Noble y tan digna de luchar por ella.
Y su fe, la fe aquella, él la ha mantenido
A tráves de los años, la derrota,
Cuando todo parece traicionarla.
Mas esa fe, te dices, es lo que sólo importa.

Gracias, Compañero, gracias
Por el ejemplo. Gracias porque me dices
que el hombre es noble.
Nada importa que tan pocos lo sean:
Uno, uno tan sólo basta
Como testigo irrefutable
de toda la nobleza humana.

Desolación de la químera. Joaquín Mortiz, México, 1962.

1936

Souviens-t’en et que d’autres s’en souviennent,
Les écoeurés de la bassesse humaine,
Les lassés de la dureté humaine :
Cet homme seul, cet acte seul, cette foi seule,
Souviens-t’en et que d’autres s’en souviennent.

En 1961, dans une ville étrangère,
Et plus d’un quart de siècle
Après. Une circonstance banale,
la contrainte pour toi d’une lecture publique,
Où tu as parlé à cet homme :
Un ancien soldat de la Brigade Lincoln.

Voici vingt-cinq ans, cet homme,
Sans connaître ta terre, lointaine pour lui,
Tout à fait étrangère, a choisi d’y aller
Et si l’occasion s’offrait, d’y engager sa vie,
Jugeant que la cause proposée sur le tableau
Était digne
De lutter pour la foi qui emplissait sa vie.

Que cette cause-là semble perdue,
Peu importe ;
Que tant d’autres, prétendant avoir foi en elle,
Ne s’occupent que d’eux-mêmes,
Aucune importance.
Seule importe et nous suffit la foi d’un seul.

C’est pourquoi la cause aujourd’hui t’apparaît
Comme elle le fit alors :
Noble et si digne de lutter pour elle.
Et sa foi, cette foi-là, il l’a maintenue
Á travers les ans, dans la défaite,
Quand tout semblait la trahir.
Car cette foi, te disais-tu, est ce qui seul importe.

Merci Compagnon, merci
De cet exemple. Merci car tu me dis
Que l’homme est noble.
Peu importe que si peu le soient :
Un seul, il suffit d’un seul
Comme témoin irréfutable
de toute la noblesse humaine.

Traduction : Laurence Breysse-Chanet.