Ramón Chao (1935-2018)

Murió el 20 de mayo de 2018 en Barcelona, Ramón Chao, padre de Antoine y Manu Chao. Fue un gran periodista en Radio France Internationale. Recuerdo también sus magníficos artículos en la revista Triunfo que leí hasta que desapareció…Sit tibi terra levis.

Ramón Chao

Mémoire des luttes, 26 mai 2018

                                            Mon ami, mon frère Ramon Chao

Le 20 mai dernier, à l’âge de 82 ans et loin de son Villalba (Lugo) natal, s’est éteint mon ami, mon frère Ramon Chao, Galicien, rebelle, pianiste, écrivain, journaliste, séducteur, volubile, aventurier et, plus que tout, un homme d’une trempe peu commune.

Outre notre anti-franquisme, nous avions en commun la caractéristique d’être des «Galiciens de Paris», identité très singulière, et, en tant que journalistes, les seuls Espagnols qui ont dirigé de prestigieux médias français: Radio France internationale (RFI) pour lui et Le Monde diplomatique pour moi.
Ramon ne fut pas seulement un immense écrivain, infatigable et obsessionnel, qui remettait sa prose vingt fois sur le métier – lisez Le Lac de Côme–, mais aussi un journaliste exquis comme on n’en fait plus, et un intervieweur hors pair comme l’attestent ses livres exceptionnels avec deux monstres de la littérature : Juan Carlos Onetti et Alejo Carpentier. Il est inouï – et à la limite du crime éditorial – que son livre d’entretiens avec Jorge Luis Borges n’ait pas été publié.

En cinquante ans d’amitié et de complicité nous avons écrit plusieurs livres à quatre mains – parmi lesquels le Guide du Paris rebelle et l’Abécédaire partiel et partial de la mondialisation. Dans divers journaux, dont Triunfo et La Voz de Galicia, nous avons publié des chroniques entrelacées, c’est-à-dire des textes écrits par lui et signés de moi, ou vice versa. Au point que beaucoup de gens nous confondaient.

Un jour, au Mexique, je fus invité à donner une conférence. Ramon me remplaça et personne ne s’en aperçut. Une autre fois, à Bilbao, nous fîmes une conférence ensemble et, avant de commencer, les présentateurs attribuèrent ma biographie à Ramon, et la sienne à moi. Evidemment, nous ne fîmes pas de démenti… Cela nous fit rire. Un nombre incalculable de fois, j’ai été présenté comme « le père de Manu Chao» et Ramon comme «le directeur du Monde diplomatique». Notre règle était de ne jamais rectifier.

Alors que Ramon vient tout juste de nous quitter, une dame m’écrit pour me présenter ses condoléances pour «la mort de mon père, auteur de ce livre indispensable Fidel Castro, biographie à deux voix». Tout ceci me préoccupe. Par ce que j’ai en mémoire une célèbre nouvelle d’Edgar Poe, «William Wilson», dans laquelle deux amis se ressemblent tellement et s’identifient à ce point l’un à l’autre que le jour où l’un décède, celui qui reste se rend soudain compte que ce n’est pas l’autre qui est mort. C’est lui.

                                                                                                       Ignacio Ramonet

Ignacio Ramonet.

Hegel, Philosophie de l’esprit (1817)

Georg Wilhelm Friedrich Hegel (Jakob Schlesinger) 1831.

«C’est dans les mots que nous pensons. Nous n’avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité et par suite nous les marquons d’une forme externe, mais d’une forme qui contient aussi le caractère de l’activité interne la plus haute. C’est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l’externe et l’interne sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c’est une tentative insensée. Et il est également absurde de considérer comme un désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu’il y a de plus haut, c’est l’ineffable. Mais c’est là une opinion superficielle et sans fondement; car, en réalité, l’ineffable, c’est la pensée obscure, la pensée à l’état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu’elle trouve le mot. Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie.»

Robert Walser (1878-1956)

Robert Walser à Berlin.

Philippe Lançon dans sa chronique de Charlie Hebdo (Dans le jacuzzi des ondes)  cite cette semaine une partie de ce texte de  l’écrivain suisse de langue allemande, Robert Walser:

«A côté de mon engagement proprement dit, je peins, comme tu le fais ou pourrais le faire en poésie, d’après nature. Je sors à l’air libre, je me remplis les yeux du divin spectacle de la nature, je rapporte à la maison quelque impression profonde, ou un projet de tableau ou de canevas, afin de mener à bien ma réflexion en chambre, en sorte que ma peinture est moins une peinture d’après nature qu’une peinture après nature. La nature, mon cher frère, est grande d’une façon tellement mystérieuse et tellement inépuisable qu’au moment même où l’on s’en réjouit, on en souffre déjà ; mais je m’aperçois qu’il faut bien se résoudre à ce qu’il n’y ait peut-être aucun bonheur au monde où il n’entre quelques atomes de douleur, bref, je veux te dire et me dire par là, simplement, que je mène un dur combat. Des mélodies se marient aux couleurs que l’on voit dans toute la nature environnante. Et viennent encore s’y ajouter nos pensées.

En outre, tu voudras bien garder à l’esprit que tout varie sans cesse, à chaque heure du jour, matin, midi et soir, et que l’air en soi est déjà quelque chose de très singulier, d’étrange, de fluide, qui baigne toutes choses, qui revêt n’importe quel objet d’une foule d’aspects déconcertants, et qui métamorphose les formes comme par enchantement. Imagine à présent le pinceau et la palette, toute la lenteur de l’outil, du labeur artisanal grâce auxquels le peintre impétueux, impatient, est censé happer les mille beautés singulières, vagues, éparpillées ici et là et qui souvent ne font qu’effleurer le regard, afin de les enfermer dans quelque chose de solide, de durable, de les recréer en images vivantes, fulgurantes, jaillissant avec puissance du plus profond de l’âme du tableau : alors tu comprendras ce combat, alors tu comprendras qu’il y ait tremblement!

Ah, s’il suffisait de l’amour que nous ressentons, s’il suffisait de la joie, de l’idée satisfaite, séduisante, et d’une simple aspiration, s’il suffisait de désirer ardemment, de bon cœur, s’il suffisait d’une pure et béate contemplation. Laisse-moi t’embrasser, et porte-toi bien. Une chose est sûre : à l’un et à l’autre, à toi, le poète à tant qu’à moi, le peintre, il nous faut de la patience, du courage, de la force et de la persévérance. Vingt fois, trente fois encore, porte-toi bien, garde-toi des rages de dents, reste à peu près solvable et écris-moi une lettre si longue qu’il me faudra toute une nuit pour la lire.»

Lettre d’un peintre à un poète in Vie de poète, 1917.

Robert Walser est né le 15 avril 1878, à Bienne (Suisse) dans le canton de Berne. Il est mort le 25 décembre 1956 à Herisau (Suisse).

Il vient d’une famille de 8 enfants. Il quitte l’école à 14 ans et le domicile familial à 17. Il exerce toutes sortes de métiers. Il publie ses premiers poèmes à 20 ans en 1898 et commence une vie nomade. À Berlin, il écrit, entre 1906 et 1909, trois romans Les Enfants Tanner (1907), Le Commis (1908), et L’Institut Benjamenta (1909) que remarquent Franz Kafka, Robert Musil et Walter Benjamin, mais n’ont pas de succès public. Il loge à Berlin chez son frère, le peintre Karl Walser. Il se replie ensuite sur ce qu’il nomme ses” petites proses “, textes destinés à des journaux ou des revues. Il en écrira plus de mille. De ce maître de la forme brève, Stefan Zweig disait qu’il était ” un original du genre le plus profond et le plus étrange “. Il fuit Berlin en 1913 et se réfugie à Bienne. Il souffre de dépression et a besoin de calme et de sérénité pour écrire. Il s’installe à Berne en 1921. En 1929, Robert Walser entre dans la clinique psychiatrique de la Waldau, à Berne. Il cesse d’écrire en 1933, après avoir été transféré contre son gré dans la clinique psychiatrique d’Herisau dans le demi-canton des Appenzell Rhodes-Extérieures où il séjournera jusqu’au jour de Noël 1956. Il quitte alors la clinique pour sa promenade quotidienne dans la neige. Il marche jusqu’à l’épuisement et la mort. Son dernier roman, Le Brigand, écrit 1925, ne sera publié qu’ en 1972 à titre posthume .

Il se qualifiait de poète et de ” vagabond vagabondant “. Il voyageait à pied, aimait muser et musarder, vivre et amasser impressions et sensations dont il tirait ensuite un texte. Il avait choisi de se faire petit (“La sensibilité rend petit “). Il écrivait au crayon effaçable afin de laisser un minimum de traces sur des supports divers: papiers d’emballage, feuilles de calendrier, enveloppes… Son écriture était si minuscule qu’elle était quasiment illisible. Il faudra plus de vingt ans de décryptage pour pouvoir publier ces textes.

Robert Walser mort dans la neige le jour de Noël 1956.

La vida en crisis (1934) (María Zambrano)

María Zambrano, de joven, en el ponte Vecchio de Florencia.

“No parece demasiado necesario justificar que creamos estar viviendo en crisis; es ya un lugar común de nuestros días, y como tantos lugares comunes nos hace correr el peligro de que resbalemos sobre él, sin adentrarnos. Mas, si sucede así será tanto como resbalar sobre nuestra propia vida. Y lo grave es que tal cosa: resbalar sobre la propia vida, sin adentrarse en ella, puede ocurrir con suma facilidad. Por eso es necesario que intentemos desentrañar lo que hay dentro de esta realidad a que aludimos al decir crisis. Es necesario. Y sin embargo, no podemos atrevernos a definirla de veras. Sólo nos cabe hacer eso que no resulta fácil confesar que se hace, por el indebido uso de una palabra, que fue en otro tiempo humilde y expresiva como tantas otras. La actividad humana denominada meditación, de humilde expresión que no significa resultado alguno, sino sencillamente una actividad, una actitud casi, muy pegada a la vida de todos los días, pues la meditación no es sino la preocupación un poco domada, que corre sin revolverse por un cierto cauce; una preocupación que se ha fundido con nuestra mente, incrustada en nuestras horas. Y tan pegada a la vida diaria que como ella no tiene término fijo de antemano, que no va a concluir en ninguna obra ni resultado y que sólo se va a justificar modificándose a sí misma,haciéndose paso a paso más transparente, alcanzando mayor claridad. Algo, en fin, parecido a una confesión. Buscamos saber lo que vivimos; como se ha dicho poéticamente «vigilar el sueño».

Vivir en crisis es vivir en inquietud. Mas toda vida se vive en inquietud. Ninguna vida mientras pasa alcanza la quietud y el sosiego por mucho que lo anhele. No será la inquietud simplemente lo que caracterice el vivir en crisis sino, en todo caso, una inquietud determinada, o una inquietud excesiva, más allá o en el límite de lo soportable.

Así parece ser. Si repasamos los títulos de las revistas literarias jóvenes y aun de los libros de Poemas, o de Ensayos de los años que van de 1915 a 1930, la palabra «inquietud» o «inquietudes» es la que con mayor frecuencia aparece. Y sabido es lo delator que resulta el que una palabra sea usada con preferencia en la expresión literaria y más todavía, en la expresión literaria balbuciente.”

María Zambrano Hacia un saber sobre el alma, Alianza Literaria. Madrid 2004.

Des filles en noir (Jean Paul Civeyrac)

J’ai vu en DVD cette semaine: Des filles en noir (2010). 85 min. Réal. et Sc: Jean Paul Civeyrac. Collaboration à la réalisation et Production: Lola Gans. Dir. Photo: Hichame Alaouie. Int: Élise Lhomeau, Léa Tissier, Élise Caron, Isabelle Sadoyan, Roger Jendly, Thierry Paret, Yuliya Zimina, Simone Tompowsky.

Jusqu’à il y a peu, je ne connaissais que de nom Jean Paul Civeyrac. J’ai vu récemment son dernier film, Mes Provinciales en salle. Cela m’a incité à voir ses films précédents.

Noémie et Priscilla, deux lycéennes de Terminale de 17-18 ans, toujours vêtues de noir sans être vraiment gothiques, sont des amies très proches. Elles viennent d’un milieu modeste et habitent une petite ville de province. Le film a été tourné à Orléans, mais aussi dans l’Isère, à Voiron et Grenoble. Noémie a déjà fait une tentative de suicide. Elle vit avec sa mère. Leurs rapports sont tendus. Priscilla, elle, squatte chez sa sœur Sonia et son compagnon, Toni. Elle se sent de trop. Noémie et Priscilla sont d’accord sur tout. Le monde qui les entoure les dégoûte. Elle rejette les adultes, mais aussi les garçons qui les ont déçues. En classe, elles font un exposé sur le poète romantique allemand Heinrich von Kleist qui s’est suicidé avec la femme d’un de ses amis, Henriette Vogel, au bord du petit Wannsee, lac situé dans les environs de Berlin le 21 novembre 1821. Par provocation, Noémie annonce à la classe qu’elles ont l’intention de mettre fin à leurs jours, sans avoir consulté son amie («On va faire comme lui ce soir-même.»). Priscilla accepte néanmoins sa proposition. Mise au courant, la proviseure du lycée convoque les deux jeunes filles. Celles-ci se vengent en taguant plusieurs fois le mot FEU sur sa voiture. Après le dépôt d’une plainte, elles sont ensuite entendues par la police. La famille n’est pas un refuge. Lors d’une fête d’anniversaire, Priscilla est agressée par un oncle de Noémie, Alain, qui a trop bu. Cela accélérera leur décision d’en finir ensemble. Elles parlent au téléphone toute la nuit, s’enivrent et rient. A l’aube, Priscilla se jettera dans le vide, pas Noémie…

Ces deux jeunes filles ont la passion de l’absolu. La banalité de la vie des adultes leur paraît inacceptable. Elles ressentent une amitié fusionnelle, sans désir charnel, même si elles utilisent les mots de l’amour («Je t’aime», «On l’fait alors»).

Jean Paul Civeyrac a étudié précisément des cas de faits divers semblables depuis 1997. Ces individus cherchent dans la mort un lien qu’ils ne trouvent pas dans la vie. Les causes se trouvent dans le contexte politique et social, dans la famille, mais aussi dans la découverte d’une solitude ontologique. Il y a une débacle de toutes les institutions: La famille, l’école, la police, la psychiatrie sont niées. «Ça ne sert à rien.» «Pourquoi faire des études? Pour devenir chômeuse? Pour se faire exploiter? Pour exploiter les autres?»

Le repas d’anniversaire du grand-père est essentiel. Cela ressemble à une scène d’une pièce de Tchékhov. La grand-mère s’appelle même Sonia. Ce soir-là, Noémie se retrouve au chevet d’une moribonde, Chloé. Elle lui annonce qu’elle veut se suicider. La malade, dans un souffle, proteste contre cette décision. Noémie lui dit finalement que c’est une plaisanterie. («J’adore la vie.») Noémie ne peut pas pleurer. Elle n’ y arrivera que lors de la toute dernière scène du film, près d’un balcon . Priscilla, morte, sera toujours présente auprès d’elle.

Jean Paul Civeyrac utilise très bien les deux actrices non-professionnelles. On pense aux films de Robert Bresson. Pourtant, les deux personnages principaux sont loin d’être sympathiques. Le spectateur ne ressent pas d’empathie pour elles. Les membres des deux familles font ce qu’ils peuvent, sont plutôt bienveillants, mais désemparés.

La musique comme toujours chez ce cinéaste joue un grand rôle: Schumann, Brahms, Bach et particulièrement Le Ballet des ombres heureuses, extrait de l’opéra Orphée et Eurydice de Gluck. A la fin, Noémie, revenue à la musique, joue le solo de flûte traversière accompagnée par un orchestre à cordes.

Le film a été présenté à Cannes en 2010 à La Quinzaine des Réalisateurs.

https://www.youtube.com/watch?v=hndsR-5em68

Philip Roth

Philip Roth et sa mère 1935.

« Mais combien de temps l’homme peut-il passer à se rappeler le meilleur de l’enfance? Et s’il profitait du meilleur de la vieillesse? A moins que le meilleur de la vieillesse ne soit justement cette nostalgie du meilleur de l’enfance » La Tache (The Human Stain ) (USA:2000; France 2002).

Le romancier américain Philip Roth, né le 19 mars 1933 à Newark (New Jersey), est mort le 22 mai 2018 à Manhattan, New York.

Dès qu’un de ses livres sortait, je me précipitais pour l’acheter dans une librairie, le plus souvent à la Librairie Compagnie, 58 rue des Ecoles, Paris V. C’était fini depuis 2012. Il n’écrivait plus, ne publiait plus. Il est décédé à 85 ans.

Ses grands-parents faisait partie de l’immigration juive venue de Galicie polonaise vers 1900. Son grand-père se destinait au rabbinat, mais en Amérique, il devint ouvrier dans une fabrique de chapeaux. Son père, Herman Roth (1901 – 1989), était courtier en assurances, puis responsable d’une agence. Son «grand frère», Sanford (Sandy) (1927-2009), fera des études de graphisme publicitaire. Philip Roth grandit sous F.D.Roosevelt, connut une enfance heureuse, patriote et démocrate, dans son quartier de Weequahic. Il pensa devenir avocat, puis fit des études de lettres. En 1955, il partit enseigner la littérature à Chicago. Il y rencontra sa première femme Maggie Williams, un peu plus âgée que lui, divorcée, mère de deux enfants, d’un milieu ouvrier du Michigan. C’était une protestante aux longs cheveux blonds, aux yeux bleus. Cette histoire d’amour romanesque et toxique, un des épisodes clés de sa vie, va influencer toute son œuvre.

Philip Roth, ses parents et son frère Sandy, à Newark.

Honoré de Balzac

Buste d’Honoré de Balzac dans le jardin de la maison où il vécut de 1840 à 1847, 47 rue Raynouard à Passy.

Honoré de Balzac est né le 20 mai 1799 à Tours et mort à Paris le 18 août 1850 à 51 ans. C’est l’un des grands romanciers du XIXème siècle français. Son cycle romanesque « La Comédie humaine » réunit plus de quatre-vingt-dix romans et nouvelles parus de 1829 à 1855. Balzac a exercé et exerce encore une influence mondiale sur l’art romanesque.

Discours de Victor Hugo aux funérailles de Balzac , le 29 août 1850)  (Extrait) :
«Tous ses livres ne forment qu’un livre, livre vivant, lumineux, profond, où l’on voit aller et venir et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d’effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine ; livre merveilleux que le poëte a intitulé comédie et qu’il aurait pu intituler histoire, qui prend toutes les formes et tous les styles, qui dépasse Tacite et va jusqu’à Suétone, qui traverse Beaumarchais et qui va jusqu’à Rabelais ; livre qui est l’observation et qui est l’imagination ; qui prodigue le vrai, l’intime, le bourgeois, le trivial, le matériel, et qui par moments, à travers toutes les réalités brusquement et largement déchirées, laisse tout à coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique idéal.

A son insu, qu’il le veuille ou non, qu’il y consente ou non, l’auteur de cette oeuvre immense et étrange est de la forte race des écrivains révolutionnaires. Balzac va droit au but. Il saisit corps à corps la société moderne. Il arrache à tous quelque chose, aux uns l’illusion, aux autres l’espérance, à ceux-ci un cri, à ceux-là un masque. Il fouille le vice, il dissèque la passion. Il creuse et sonde l’homme, l’âme, le coeur, les entrailles, le cerveau, l’abîme que chacun a en soi. Et, par un don de sa libre et vigoureuse nature, par un privilège des intelligences de notre temps qui, ayant vu de près les révolutions, aperçoivent mieux la fin de l’humanité et comprennent mieux la Providence, Balzac se dégage souriant et serein de ces redoutables études qui produisaient la mélancolie chez Molière et la misanthropie chez Rousseau.

Voilà ce qu’il a fait parmi nous. Voilà l’oeuvre qu’il nous laissé, oeuvre haute et solide, robuste entassement d’assises de granit, monument, oeuvre du haut de laquelle resplendira désormais sa renommée. Les grands hommes font leur propre piédestal; l’avenir se charge de la statue.»

Oeuvres complètes, Politique, éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, 1985, pp.326-328

Balzac vu par Charles Baudelaire:

«Si Balzac a fait de ce genre roturier [le roman] une chose admirable, toujours curieuse et souvent sublime, c’est parce qu’il y a jeté tout son être. J’ai mainte fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur ; il m’avait toujours semblé que son principal mérite était d’être visionnaire, et visionnaire passionné. Tous ses personnages sont doués de l’ardeur vitale dont il était animé lui-même. Toutes ses fictions sont aussi colorées que les rêves. Depuis le sommet de l’aristocratie jusqu’aux bas fonds de la plèbe, tous les acteurs de sa Comédie sont plus âpres à la vie, plus actifs et rusés dans la lutte, plus patients dans le malheur, plus goulus dans la jouissance, plus angéliques dans le dévouement, que la comédie du vrai monde ne nous les montre. Bref, chacun chez Balzac, même les portières, a du génie. Toutes les âmes sont des armes chargées de volonté jusqu’à la gueule. C’est bien Balzac lui-même Et comme tous les êtres du monde extérieur s’offraient à l’oeil de son esprit avec un relief puissant et une grimace saisissante, il a fait se convulser ses figures ; il a noirci leurs ombres et illuminé leurs lumières. Son goût prodigieux du détail, qui tient à une ambition immodérée de tout voir, de tout faire voir, de tout deviner, de tout faire deviner, l’obligeait d’ailleurs à marquer avec plus de force les lignes principales, pour sauver la perspective de l’ensemble. Il me fait quelquefois penser à ces aquafortistes qui ne sont jamais contents de la morsure, et qui transforment en ravines les écorchures principales de la planche. De cette étonnante disposition naturelle sont résultées des merveilles. Mais cette disposition se définit généralement : les défauts de Balzac. Pour mieux parler, c’est justement là ses qualités.»

Baudelaire, Théophile Gautier, article paru dans L’Artiste, 13 mars 1859 (Œuvres complètes, Gallimard, “Bibliothèque de La Pléiade”, t. II, 1976, p. 120

Bureau de Balzac, 47 rue Raynouard. Passy.

Henry J.-M.Levet

Henry J.-M. Levet. Novembre 1902.

Sonnets torrides
Les voyages
(triptyque)

Outwards

                                                       À Francis Jammes

L’Armand-Béhic (des Messageries Maritimes)
File quatorze nœuds sur l’Océan Indien…
Le soleil se couche en des confitures de crimes,
Dans cette mer plate comme avec la main.

– Miss Roseway, qui se rend à Adélaïde,
Vers le Sweet Home au fiancé australien,
Miss Roseway, hélas, n’a cure de mon spleen;
Sa lorgnette sur les Laquedives, au loin…

– Je vais me préparer – sans entrain! – pour la fête
De ce soir: sur le pont, lampions, danses, romances
(Je dois accompagner miss Roseway qui quête

– Fort gentiment – pour les familles des marins
Naufragés!) Oh, qu’en une valse lente, ses reins
À mon bras droit, je l’entraîne sans violence

Dans un naufrage où Dieu reconnaîtrait les siens…

Cartes postales, 1921.

Affiche publicitaire Le Grillon American Bar 20 rue Cujas Paris V (Jacques Villon) 1899

République Argentine – La Plata                                                    

                                                           À Ruben Dario

Ni les attraits des plus aimables Argentines,
Ni les courses à cheval dans la pampa,
N’ont le pouvoir de distraire de son spleen
Le Consul général de France à la Plata !

On raconte tout bas l’histoire du pauvre homme :
Sa vie fut traversée d’un fatal amour,
Et il prit la funeste manie de l’opium ;
Il occupait alors le poste à Singapoore…

– Il aime à galoper par nos plaines amères,
Il jalouse la vie sauvage du gaucho,
Puis il retourne vers son palais consulaire,
Et sa tristesse le drape comme un poncho…

Il ne s’aperçoit pas, je n’en suis que trop sûr,
Que Lolita Valdez le regarde en souriant,
Malgré sa tempe qui grisonne, et sa figure
Ravagée par les fièvres d’Extrême-Orient…

Cartes postales, 1921.

Famille Levet. Fonds Valery Larbaud. Vichy.

Valery Larbaud, Journal de 1911 : «Fargue m’avait donné une photographie manquée, sur laquelle deux vues différentes se mêlaient. Levet debout au bord d’un trottoir, à Paris ; et Levet assis sur le plancher de la chambre de sa mère, la tête appuyée sur l’épaule de sa mère assise, et la regardant (la position dans laquelle il est mort). J’avais noté la ressemblance de la mère et du fils.»

L’Express de Bénarès. A la recherche d’Henry J.-M.Levet (Frédéric Vitoux)

J’ai lu avec un certain plaisir L’Express de Bénarès. A la recherche d’Henry J.M. Levet de Frédéric Vitoux, (Fayard, 2018).

L’auteur est né en 1944. Il est académicien, journaliste au Nouvel Observateur et à Positif, biographe de Céline. Il semble avoir abandonné ces dernières années la forme romanesque pour écrire des livres d’histoire et de recherche littéraire qui ne sont pas sans rapport avec sa propre vie. Le premier roman de Frédéric Vitoux s’appelait Cartes postales comme le recueil de poèmes d’Henry J.-M. Levet.

Il a enquêté à Vichy, Montbrison, Marseille pour trouver des éléments sur la vie de ce poète méconnu que Léon-Paul Fargue et Valery Larbaud ont sauvé d’un oubli total.

Henri Jean-Marie Étienne Levet,  dit Henry J.-M. Levet est né à Montbrison (Loire) le 13 janvier 1874. Il est mort à Menton (Alpes-Maritimes) le 15 décembre 1906 de tuberculose. Il avait 33 ans et était fils unique.

Son grand-père, Nicolas, fut conseiller général et député de Montbrison en 1848. Son père, Georges Levet, fut, lui, maire et député de la même ville du centre de la France,  sous la III ème République.

Henry J.-M. Levet, qui avait un physique ingrat, vécut une jeunesse bohème et frivole à Montmartre. C’était un dillettante, un dandy aux cheveux teints en vert. Selon Fargue, « Il aimait les déguisements, le flegme et la tendresse.» Il fut chroniqueur au Courrier français (1895-1896) puis à La Plume. Il obtint grâce à son père une mission en Asie sur l’art khmère (1897). Il devint ensuite, par piston aussi, vice-consul de 1902 à 1906 d’abord à Manille (Philippines) , ensuite à Las Palmas (Canaries).

Il aurait écrit un seul roman intitulé L’Express de Bénarès, perdu aujourd’hui. En effet, ses parents ont détruit tous ses manuscrits et lettres, malgré la visite de Léon-Paul Fargue et de Valery  Larbaud en mars 1911.

Levet est essentiellement connu grâce à Cartes postales, un recueil de onze poèmes publié en 1921 à La Maison des amis des livres d’Adrienne Monnier. Ils étaient parus d’abord dans diverses revues entre 1900 et 1902.

Ces poèmes eurent une certaine influence sur Valery Larbaud (A. O. Barnabooth – Poésies, 1913) et sur un courant de poètes du voyage.

Frédéric Vitoux affirme : « Il a fait de sa vie une fiction. Et une partie de son œuvre est une fiction aussi. »

Notre-Dame de Paris (Gérard de Nerval)

 

Notre-Dame est bien vieille : on la verra peut-être
Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître ;
Mais, dans quelque mille ans, le Temps fera broncher
Comme un loup fait un boeuf, cette carcasse lourde,
Tordra ses nerfs de fer, et puis d’une dent sourde
Rongera tristement ses vieux os de rocher !

Bien des hommes, de tous les pays de la terre
Viendront, pour contempler cette ruine austère,
Rêveurs, et relisant le livre de Victor :
– Alors ils croiront voir la vieille basilique,
Toute ainsi qu’elle était, puissante et magnifique,
Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort !

Odelettes.

On retrouva Gérard Labrunie, dit Gérard de Nerval, un matin glacé du 26 janvier 1855, rue de la Vieille Lanterne près du Châtelet pendu  aux barreaux d’une grille qui fermait un égout pour « délier son âme dans la rue la plus noire qu’il pût trouver », selon la formule de Baudelaire. Il avait fait -18° dans la nuit.  Cette voie, aujourd’hui disparue, était parallèle au quai de Gesvres et aboutissait place du Châtelet. Le lieu de son suicide se trouverait probablement à l’emplacement du futur trou du souffleur du Théâtre de la Ville.

« Ma bonne et chère tante, dis à ton fils qu’il ne sait pas que tu es la meilleure des mères et des tantes. Quand j’aurai triomphé de tout, tu auras ta place dans mon Olympe, comme j’ai ma place dans ta maison. Ne m’attends pas ce soir, car la nuit sera noire et blanche.» a-t-il griffonné sur un papier à l’intention de sa tante, Jeanne Lamaure, qui l’hébergeait 54 rue Rambuteau .

«Arrivé sur la place de la Concorde, ma pensée était de me détruire. A plusieurs reprises, je me dirigeai vers la Seine, mais quelque chose m’empêchait d’accomplir mon dessein. Les étoiles brillaient dans le firmament. Tout à coup il me sembla qu’elles venaient de s’éteindre à la fois comme les bougies que j’avais vues à l’église. Je crus que les temps étaient accomplis, et que nous touchions à la fin du monde annoncée dans l’Acocalypse de saint Jean. Je croyais voir un soleil noir dans le ciel désert et un globe rouge de sang au-dessus des Tuileries. Je me dis: “La nuit éternelle commence, et elle va être terrible. Que va-t-il arriver quand les hommes s’apercevront qu’il n’y a plus de soleil?” » (Aurélia, 1855)

Gerard de Nerval (Félix Nadar)