Julien Duvivier – Damia

Vu hier soir sur Arte le film La Tête d’un homme ( 1933 ) de Julien Duvivier, d’après le roman de Georges Simenon publié en 1931. C’est la troisième adaptation cinématographique d’un roman de cet auteur après La Nuit du carrefour ( 1932 ) de Jean Renoir et Le Chien jaune ( 1932 ) de Jean Tarride. Le film a un peu vieilli, mais on y voit la patte de Julien Duvivier qui est un bon metteur en scène.

( Distribution: Harry Baur. Valéry Inkijinoff. Alexandre Rignault. Gaston Jacquet. Gina Manès. Missia. Line Noro. Damia. )

https://www.arte.tv/fr/videos/092952-000-A/la-tete-d-un-homme/

Le film évoque le quartier de Montparnasse dans les années 30. La Brasserie La Coupôle du roman devient L’Éden dans le film. On sent dans ce film la noirceur et le pessimisme caractéristiques des films de ce metteur en scène. On trouve très souvent des portraits de femmes particulièrement cyniques. Jean Radek, l’ancien étudiant en médecine, tuberculeux et sans ressources, est inspiré du personnage de Raskolnikov dans Crime et Châtiment de Dostoïevski.
Le jeu des acteurs est encore marqué par certains tics du cinéma muet.

Jean Renoir a dit au sujet de Duvivier : « Si j’étais architecte et devais construire un monument du cinéma, je placerais une statue de Duvivier au-dessus de l’entrée. Ce grand technicien, ce rigoriste, était un poète. » Ingmar Bergman et Orson Welles admiraient aussi Duvivier.

Georges Simenon n’avait pas l’air très content de l’adaptation de ses romans à l’écran à cette époque même si Julien Duvivier était un de ses amis.

« Un petit secret pour ceux qui ne sont pas au courant. Moi-même, à ce moment-là, nouveau venu dans le cinéma, j’ai été surpris quand j’ai vu, alors que mon coupable montait l’escalier de son hôtel meublé, une porte large ouverte et, couché sur un lit miteux, Damia, qui devait devenir une de mes grandes amies, qui chantait une chanson. Qu’est-ce qu’une chanson venait faire dans ce film, qui n’avait rien de folâtre ni de sentimental ? Je me le suis demandé jusqu’à ce qu’un initié me renseigne. En dehors de ce qu’il touchait du producteur, le metteur en scène recevait un pourcentage, chaque fois que le film était projeté, de la SACEM, qui s’occupait surtout des musiciens et des chanteurs. » ( Point-virgule, Dictée du 17 août 1977 )

Pendant cinq ans, Simenon n’accorda aucun droit cinématographique sur ses œuvres.

Damia.

J’ai été ému cependant par l’apparition de la grande chanteuse Damia ( 1889-1978 ), la tragédienne de la chanson, qui apparaît en chanteuse camée, égrenant une « complainte » désespérée.

Complainte. (Paroles: Julien Duvivier. Musique: Jacques Dallin.)

Pour connaître un jour l’étreinte
Qui rive éternellement
J’ai tout quitté, tout, sans crainte
Et suis partie follement
Mais j’ai cherché le visage
De l’amour que j’ai rêvé
Sur chaque être de passage
Et je ne l’ai pas trouvé

Et traînant
Âprement
L’épouvante d’être seule
Dans la foule
Qui me roule
Seule comme en un linceul
Poursuivant
Le néant
D’amours sans lendemains
Sans caresses
Sans tendresse
J’ai vécu mon destin
Et la nuit
M’envahit
Tout est brume
Tout est gris

Un jour, berçant ma chimère
Je connus, lorsque tu vins
Que mon bonheur sur la Terre
Tu le tenais dans tes mains
Mais sans comprendre ma fièvre
La détresse de mes cris
Je n’aperçus sur tes lèvres
Qu’un sourire de mépris

Et vivant
Âprement
L’épouvante de te voir
Dans la houle
De la foule
Fuir avec mon seul espoir
Poursuivant
Le néant
D’amours sans lendemains
Sans caresses
Sans tendresse
J’ai repris mon destin
Et la nuit
M’envahit
Tout est brume
Tout est gris

https://www.youtube.com/watch?v=P48sUr3cGRs

Damia était admirée par des écrivains comme Jean Cocteau ou Robert Desnos. Plus tard, des cinéastes comme Jean Eustache, Aki Kaurismäki ou Claude Chabrol ont refait entendre ses chansons. Un jardin porte son nom à paris dans le XI ème arrondissement.

Je me souviens particulièrement du rôle des chansons dans les films de Jean Eustache ( La Maman et la Putain. 1973 ). Il ne les utilise pas comme un fond sonore. Elles sont étroitement liées à l’action. Ce metteur en scène connaissait par coeur les chansons populaires de Charles Trénet ( Douce France ), Édith Piaf ( Les amants de Paris ), Fréhel ( La chanson des fortifs ), Damia ( Un souvenir ) , Lucienne Delyle ( Mon Amant de Saint-Jean ).

Jardin Damia. Paris XI.

Georg Trakl 1887 – 1914

Georg Trakl (Max von Esterles 1870-1947) 1913.

Grodek

Le soir, les forêts automnales résonnent
D’armes de mort, les plaines dorées,
Les lacs bleus, sur lesquels le soleil
Plus lugubre roule, et la nuit enveloppe
Des guerriers mourants, la plainte sauvage
De leur bouches brisées.
Mais en silence s’amasse sur les pâtures du val
Nuée rouge qu’habite un dieu en courroux
Le sang versé, froid lunaire ;
Toutes les routes débouchent dans la pourriture noire.
Sous les rameaux dorés de la nuit et les étoiles
Chancelle l’ombre de la sœur à travers le bois muet
Pour saluer les esprits des héros, les faces qui saignent ;
Et doucement vibrent dans les roseaux les flûtes sombres de l’automne.
Ô deuil plus fier ! Autels d’airain !
La flamme brûlante de l’esprit, une douleur puissante la nourrit aujourd’hui,
Les descendants inengendrés.

Septembre-octobre 1914.

Crépuscule et déclin suivi de Sébastien en rêve. NRF. Poésie/Gallimard. 1972. Traduction: Marc Petit et Jean-Claude Schneider.

Grodek

Am Abend tönen die herbstlichen Wälder
Von tödlichen Waffen, die goldnen Ebenen
Und blauen Seen, darüber die Sonne
Düstrer hinrollt; umfängt die Nacht
Sterbende Krieger, die wilde Klage
Ihrer zerbrochenen Münder.
Doch stille sammelt im Weidengrund
Rotes Gewölk, darin ein zürnender Gott wohnt
Das vergoßne Blut sich, mondne Kühle;
Alle Straßen münden in schwarze Verwesung.
Unter goldnem Gezweig der Nacht und Sternen
Es schwankt der Schwester Schatten durch den schweigenden Hain,
Zu grüßen die Geister der Helden, die blutenden Häupter;
Und leise tönen im Rohr die dunkeln Flöten des Herbstes.
O stolzere Trauer! ihr ehernen Altäre
Die heiße Flamme des Geistes nährt heute ein gewaltiger Schmerz,
Die ungebornen Enkel.

Le poète Georg Trakl est né le 3 février 1887 à Salzbourg (Autriche-Hongrie, aujourd’hui en Autriche). C’est le plus grand des poètes expressionnistes. Il est le contemporain de Rainer Maria Rilke (1875-1926) et de Hugo von Hoffmansthal (1874-1929).

Ce poème est le dernier qu’il ait écrit. Il figure avec Lamentation, dans la dernière lettre adressée de Cracovie, le 27 octobre 1914, à son ami Ludwig von Ficker (1880-1967) qui dirige Der Brenner, revue qu’il a fondée en 1910. La bataille de Grodek, en Galicie, (6-11 septembre 1914) se solde par une défaite autrichienne devant les Russes. Trakl, qui s’est engagé comme pharmacien militaire en 1910, soigne les blessés. Le 7 octobre, il fait une tentative de suicide.
«Je suis en observation à l’hôpital militaire de Cracovie pour troubles mentaux. Ma santé est en péril et je sombre très souvent dans une tristesse indicible.»
«Je me sens presque déjà de l’autre côté du monde.»
Il lit aussi ce poème à son ami lorsque celui-ci qui vient lui rendre visite à l’hôpital les 24 et 25 octobre. Cette dénonciation de la guerre est son véritable testament lyrique. Ces images de souffrance et de folie meurtrière sont pour lui la confirmation définitive, la manifestation réelle de ses visions apocalyptiques.
Il meurt le 3 novembre 1914 à Cracovie (Autriche-Hongrie, aujourd’hui en Pologne), d’une paralysie cardiaque due à l’absorption de cocaïne.

William Butler Yeats 1865 – 1939

Portrait de W. B. Yeats. 1908. (John Singer Sargent). Collection privée.

Le poète et dramaturge irlandais William Butler Yeats est né le 13 juin 1865 à Sandymount (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, aujourd’hui comté de Dublin en Irlande). C’est le fils de l’avocat et peintre John Butler Yeats (1839–1922). Il est à l’origine du renouveau de la littérature irlandaise (Irish Literary Revival ou Renouveau de la Littérature Irlandaise), mais aussi engagé dans la lutte nationaliste. Il est sénateur de l’État libre d’Irlande (Seanad Éireann) de 1922 à 1928. Il reçoit le Prix Nobel de Littérature en 1923. Il quitte la politique en 1930 et se retire dans le sud de la France. Il meurt le 28 janvier 1939 à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes).

L’île sur le Lac, à Innisfree

Que je me lève et je parte, que je parte pour Innisfree,
Que je me bâtisse là une hutte, faite d’argile et de joncs.
J’aurai neuf rangées de haricots, j’aurai une ruche
Et dans ma clairière je vivrai seul, devenu le bruit des abeilles.

Et là j’aurai quelque paix car goutte à goutte la paix retombe
Des brumes du matin sur l’herbe où le grillon chante,
Et là minuit n’est qu’une lueur et midi est un rayon rouge
Et d’ailes de passereaux déborde le ciel du soir.

Que je me lève et je parte, car nuit et jour
J’entends clapoter l’eau paisible contre la rive.
Vais-je sur la grand route ou le pavé incolore,
Je l’entends dans l’âme du cœur.

Quarante-cinq poèmes, suivi de La Résurrection. Hermann, 1989 pour la traduction française de Yves Bonnefoy . 1993 NRF. Poésie/ Gallimard, Paris, p. 39.

The lake isle of Innisfree

I will arise and go now, and go to Innisfree,
And a small cabin build there, of clay and wattles made :
Nine bean-rows will I have there, a hive for the honeybee,
And live alone in the bee-loud glade.

And I shall have some peace there, for peace comes dropping slow,
Dropping from the veils of the morning to where the cricket sings ;
There midnight’s all a glimmer, and noon a purple glow,
And evening full of the linnet’s wings.

I will arise and go now, for always night and day
I hear lake water lapping with low sounds by the shore;
While I stand on the roadway, or on the pavements grey,
I hear it in the deep heart’s core.

1888. publié dans le National Observer le 13 décembre 1890.

The Countess Kathleen and Various Legends and Lyrics. 1892.

Ce poème en trois quatrains a été composé en 1888. Il évoque l’une des îles inhabitées du lac Lough Gill (Loch Gile en gaélique), dans le comté de Sligo, au nord-ouest de la République d’Irlande, un endroit où Yeats passait ses vacances quand il était enfant.

Le poète a raconté la génèse de ce texte: «Mon père m’avait lu un passage du Walden de Thoreau et j’eus alors l’idée de vivre un jour dans une chaumière sur une petite île du nom d’Innisfree.» Il a expliqué qu’il voulait vivre dans cette île comme le faisait Henry David Thoreau (1817-1862) dont l’œuvre majeure, Walden ou la Vie dans les bois (1854), est une réflexion sur l’économie, la nature et la vie simple menée à l’écart de la société, écrite lors d’une retraite de deux années dans une cabane en bois, bâtie de ses mains, au bord de l’étang de Walden à quelques kilomètres de Concord (Massachussets).

Le poème est venu à Yeats alors qu’il marchait dans Fleet Street, à Londres. Il avait le mal du pays et a entendu un léger bruit d’eau venant d’une fontaine dans laquelle dansait une boule de bois. Cela lui a rappelé l’eau du lac.

Lough Gill et Innisfree.

Federico García Lorca

Federico García Lorca.

Éste es el prólogo

Dejaría en este libro
toda mi alma.
Este libro que ha visto
conmigo los paisajes
y vivido horas santas.

¡Qué pena de los libros
que nos llenan las manos
de rosas y de estrellas
y lentamente pasan!

¡Qué tristeza tan honda
es mirar los retablos
de dolores y penas
que un corazón levanta!

Ver pasar los espectros
de vidas que se borran,
ver al hombre desnudo
en Pegaso sin alas,

ver la vida y la muerte,
la síntesis del mundo,
que en espacios profundos
se miran y se abrazan.

Un libro de poesías
es el otoño muerto:
los versos son las hojas
negras en tierras blancas.

Y la voz que los lee
es el soplo del viento
que los hunde en los pechos,
-entrañables distancias-.

El poeta es un árbol
con frutos de tristeza
y con hojas marchitas
de llorar lo que ama.

El poeta es el médium
de la Naturaleza
que explica su grandeza
por medio de palabras.

El poeta comprende
todo lo incomprensible,
y a cosas que se odian,
él, amigas las llama.

Sabe que los senderos
son todos imposibles,
y por eso de noche
va por ellos en calma.

En los libros de versos,
entre rosas de sangre,
van desfilando las tristes
y eternas caravanas

que hicieron al poeta
cuando llora en las tardes,
rodeado y ceñido
por sus propios fantasmas.

Poesía es amargura,
miel celeste que mana
de un panal invisible
que fabrican las almas.

Poesía es lo imposible
hecho posible. Arpa
que tiene en vez de cuerdas
corazones y llamas.

Poesía es la vida
que cruzamos con ansia
esperando al que lleva
sin rumbo nuestra barca.

Libros dulces de versos
son los astros que pasan
por el silencio mudo
al reino de la Nada,
escribiendo en el cielo
sus estrofas de plata.

¡Oh, qué penas tan hondas
y nunca remediadas,
las voces dolorosas
que los poetas cantan!

Dejaría en el libro
este toda mi alma…

Asquerosa (luego Valderrubio) , 7 de agosto de 1918.
Otros poemas sueltos.

Il s’agit du premier manifeste poétique de Federico García Lorca. Il l’a rédigé en 1918 et se considère écrivain et poète depuis peu. En 1944, Antonio Gallego Morell a publié ce texte dans la revue La Estafeta Literaria (n.º 16). Federico l’ avait écrit sur un exemplaire des Poesías Completas d’Antonio Machado (Ediciones de la Residencia de Estudiantes) qu’il avair remis à Antonio Gallego Burín (1895-1961), son ami d’alors. Celui-ci sera maire de Grenade et gouverneur civil de la province sous le franquisme. Cette version du texte est celle des Oeuvres complètes, publiées par Aguilar en 1968. Une autre version, légèrement différente, se trouve dans les archives de la famille du poète. Celui-ci avait l’habitude de recopier plusieurs fois ses poèmes.

Federico García Lorca ne portait pas dans son coeur la bourgeoisie rance de sa ville.

«Diálogo con García Lorca». 10 de junio de 1936. Diario El Sol. Encuentro entre el periodista , pintor, dibujante y caricaturista catalán Luis Bagaría i Bou (1882-1940). y Federico García Lorca.

“¿Tú crees que fue un momento acertado devolver las llaves de tu tierra granadina?

Fue un momento malísimo aunque digan lo contrario en las escuelas. Se perdieron una civilización admirable, una poesía, una astronomía, una arquitectura y una delicadeza únicas en el mundo para dar paso a una ciudad pobre, acobardada; a una “tierra del chavico”, donde se agita actualmente la peor burguesía de España.”

José Emilio Pacheco

Sculpture en bronze de José Emilio Pacheco. Tlalnepantla de Baz. Centro Municipal de la Cultura y las Artes. (Cecilia Vélez Zamudio)

Quatre poèmes de José Emilio Pacheco, décédé le dimanche 26 janvier 2014, à Mexico, à l’âge de 74 ans. Il avait reçu le prix Cervantes en 2009.

Presencia

¿Qué va a quedar de mí cuando me muera
sino esta llave ilesa de agonía,
estas pocas palabras con que el día,
dejó cenizas de su sombra fiera?

¿Qué va a quedar de mí cuando me hiera
esa daga final ? Acaso mía
será la noche fúnebre y vacía
que vuelva a ser de pronto primavera.

No quedará el trabajo, ni la pena
de creer y de amar. El tiempo abierto,
semejante a los mares y al desierto,

ha de borrar de la confusa arena
todo lo que me salva o encadena.
Más si alguien vive yo estaré despierto.

Los elementos de la noche, 1963-64.

Niños y adultos

A los diez años creía
que la tierra era de los adultos.
Podían hacer el amor, fumar, beber a su antojo,
ir a donde quisieran.
Sobre todo, aplastarnos con su poder indomable.

Ahora sé por larga experiencia el lugar común:
en realidad no hay adultos,
sólo niños envejecidos.

Quieren lo que no tienen:
el juguete del otro.
Sienten miedo de todo.
Obedecen siempre a alguien.
No disponen de su existencia.
Lloran por cualquier cosa.

Pero no son valientes como lo fueron a los diez años:
lo hacen de noche y en silencio y a solas.

1992-98.

La arena errante. Ediciones Era, 1999.

Memoria

No tomes muy en serio
lo que te dice la memoria.

A lo mejor no hubo esa tarde.
Quizá todo fue autoengaño.
La gran pasión
sólo existió en tu deseo.

Quién te dice que no te está contando ficciones
para alargar la prórroga del fin
y sugerir que todo esto
tuvo al menos algún sentido.

1992-98

La arena errante, Ediciones Era, 1999.

El Mañana

A los veinte años nos dijeron: “Hay
que sacrificarse por el mañana”.

Y ofrendamos la vida en el altar
del dios que nunca llega.

Me gustaría encontrarme ya al final
con los viejos maestros de aquel tiempo.

Tendrían que decirme si de verdad
todo este horror de ahora era el mañana.

Como la lluvia. 2001-2008. Era, 2009.

Livre acheté le 19 novembre 2018 à Puebla (México).

René Char – Georges Mounin

René Char et son chat. Céreste (Alpes-de-Haute-Provence), septembre 1941.

Je lis en ce moment avec intérêt la Correspondance 1943-1988 (Édition Gallimard, 2020) entre René Char et son premier exégète, Georges Mounin (de son vrai nom, Louis Leboucher 1910-1993).

À l’automne 1938, les deux hommes se rencontrent à L’Isle-sur-Sorgue (Vaucluse), ville natale du poète, où Louis Leboucher, militant communiste depuis 1934, a été nommé comme instituteur.

Les deux hommes se sentent proches pendant la guerre. Louis Leboucher a été affecté, à ce moment-là, à l’école primaire supérieure de La Tour-du-Pin (Isère) et leur échange de lettres est abondant malgré la clandestinité dans laquelle vit le résistant René Char et les dangers qu’il court. À la demande de celui-ci, il héberge le poète Gilbert Lély (1904-1985), futur éditeur et biographe du marquis de Sade, menacé par les lois antijuives. Plus tard, il cherche un abri pour la belle-mère du poète, madame Goldstein, elle aussi menacée.

À la fin de la guerre, l’ essai de Georges Mounin, Avez-vous lu Char?, paraît chez Gallimard (Collection Les Essais n°XXII) le 30 septembre 1946. Le recueil de René Char Feuillets d’Hypnos est publié chez le même éditeur le 24 mai 1946. L’oeuvre du poète de l’Isle-sur-Sorgue est reconnue dès lors à sa véritable place.

Leur amitié souffre plus tard, car Louis Leboucher reste longtemps un communiste stalinien fidèle à la ligne de Parti. De 1946 à 1958, il est professeur d’italien à l’École normale d’instituteurs d’Aix-en Provence. Il fait lire à Char Umberto Saba, dont il introduit la poésie en France, puis Eugenio Montale. Il se consacre à la linguistique à partir de 1958 et enseigne la linguistique générale et la sémiologie à l’université de Provence de 1961 à 1976.

La biographie de Georges Mounin peut être consultée dans le précieux Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social (Le Maitron) Mounin Georges, pseudonyme de Leboucher Louis, Julien. Né le 20 juin 1910 à Vieux-Rouen-sur-Bresle (Seine-Inférieure). Professeur; linguiste; membre du Parti communiste (1933-1980).

(Notice rédigé par Nicole Racine, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 30 novembre 2010.)

https://maitron.fr/spip.php?article123388

J’ai été un peu surpris par un passage de la lettre de Char à Mounin du 2 février 1945:

«Avez-vous lu L’Éternelle Revue. Il y a un admirable poème de Prévert: Complainte de Vincent, qui m’émeut beaucoup.» (page 130)

L’Éternelle Revue (1944-1945) est une revue créée dans la clandestinité par Paul Éluard. Elle sera dirigée par Louis Parrot («Une revue qui est de son temps comme on est d’un parti. Une revue qui est française comme on est universel ». 6 numéros seront publiés, dont 1 double, en 5 livraisons du n° 1 (décembre 1944) au n° 5-6 (avril 1946). Le poème de Prévert se trouve justement dans le premier numéro.

Amaury Nauroy, qui a établi l’édition de la Correspondance, précise en note: «Il n’est pas surprenant que le poème l’ait touché (ne serait-ce que ces vers: «L’enfant nue toute seule sans âge/ Regarde le pauvre Vincent/ Foudroyé par son propre orage.»

Jacques Prévert n’est plus aujourd’hui un poète à la mode. Beaucoup de ses poèmes sont un peu datés. Mais, Complainte de Vincent est un beau poème. Il évoque le séjour de quatorze mois de Van Gogh à Arles. Le peintre y arrive le 20 février 1888, après avoir passé deux ans à Paris. Il est à la recherche de chaleur, de lumière, de couleurs. Le 23 octobre, Paul Gauguin arrive à Arles. Les deux hommes vivent et peignent ensemble pendant deux mois. Le 23 décembre, sous le coup d’une violente crise, probablement signe précurseur de sa maladie, Van Gogh se tranche le lobe de l’oreille gauche. Après une seconde crise, en février 1889, il se fait volontairement interner à l’hôpital psychiatrique de Saint-Rémy-de-Provence le 8 mai 1889. Il mourra le 29 juillet 1890 à Auvers-sur-Oise (Val d’Oise).

Complainte de Vincent (Jacques Prévert)
À Paul Éluard
À Arles où roule le Rhône
Dans l’atroce lumière de midi
Un homme de phosphore et de sang
Pousse une obsédante plainte
Comme une femme qui fait son enfant
Et le linge devient rouge
Et l’homme s’enfuit en hurlant
Pourchassé par le soleil
Un soleil d’un jaune strident
Au bordel tout près du Rhône
L’homme arrive comme un roi mage
Avec son absurde présent
Il a le regard bleu et doux
Le vrai regard lucide et fou
De ceux qui donnent tout à la vie
De ceux qui ne sont pas jaloux
Et montre à la pauvre enfant
Son oreille couchée dans le linge
Et elle pleure sans rien comprendre
Songeant à de tristes présages
L’affreux et tendre coquillage
Où les plaintes de l’amour mort
Et les voix inhumaines de l’art
Se mêlent aux murmures de la mer
Et vont mourir sur le carrelage
Dans la chambre où l’édredon rouge
D’un rouge soudain éclatant
Mélange ce rouge si rouge
Au sang bien plus rouge encore
De Vincent à demi mort
Et sage comme l’image même
De la misère et de l’amour
L’enfant nue toute seule sans âge
Regarde le pauvre Vincent
Foudroyé par son propre orage
Qui s’écroule sur le carreau
Couché dans son plus beau tableau
Et l’orage s’en va calmé indifférent
En roulant devant lui ses grands tonneaux de sang
L’éblouissant orage du génie de Vincent
Et Vincent reste là dormant rêvant râlant
Et le soleil au-dessus du bordel
Comme une orange folle dans un désert sans nom
Le soleil sur Arles
En hurlant tourne en rond.

Paroles, 1946.

Allée dans les environs d’Arles. (Vincent Van Gogh) 1888.

Eduard Silberstein – Sigmund Freud II

Sigmund Freud à 29 ans. 1885.

J’ai pu trouver chez Gibert mercredi dernier les Lettres de jeunesse de Sigmund Freud, publiées chez Gallimard en 1990 (Traduction: Cornélius Heim). Les lettres du créateur de la psychanalyse ont été en grande partie conservées, pas celles d’Eduard Silberstein.

L’éloignement des deux amis ne se termina pas par une brouille. Pourtant, leurs relations s’espacèrent. Leurs études et leurs vies devinrent très différentes. Silberstein retourna dans la ville de Braila, en Roumanie, où il avait grandi. Il dut s’occuper du commerce de grains de son père.

Personne n’a joué un rôle plus important dans la jeunesse de Freud. Malgré le ton de la lettre à Martha Bernays, sa future femme, celui-ci a pensé toute sa vie à Silberstein avec amitié et sympathie malgré leur éloignement.

Eduard Silberstein épousa d’abord une jeune fille de Jassy, Pauline Theiler (1871-1971), qui souffrait de neurasthénie et qu’il envoya à Vienne se faire soigner par Freud. Le jour du rendez-vous (le 14 mai 1891), elle pria la domestique qui l’accompagnait de l’attendre en bas, mais au lieu de se rendre dans le cabinet de Freud, elle se jeta du troisième étage de l’immeuble. Elle mourut sur le coup et ne vit jamais Freud.

Sigmund Freud et Martha Bernays lors de leurs fiançailles. 1882.

Lettre du 7 février 1884 de Sigmund Freud à sa fiancée Martha Bernays (1861-1951). Il l’ épousera le 14 septembre 1886 à Hambourg (Correspondance 1873- 1939, nouvelle édition, Gallimard, 1979. Traduction: Anne Berman).

Passage concernant Edmund Silberstein:

« …Silberstein est revenu aujourd’hui, il m’est toujours aussi attaché. Nous nous sommes liés d’amitié à un moment où l’on ne considère pas l’amitié comme un sport ou un avantage mais où l’on a besoin d’un ami pour vivre avec lui. À dire vrai, après les heures passées sur les bancs de l’école, nous ne nous quittions pas. Ensemble, nous avons appris l’espagnol, nous avions notre mythologie à nous et nos noms secrets empruntés à un dialogue du grand Cervantès. Dans notre livre espagnol de lecture, nous avions découvert un jour un dialogue humoristico-philosophique entre deux chiens tranquillement couchés devant la porte d’un hôpital et nous nous attribuâmes leurs noms dans nos écrits et dans notre conversation, Silberstein s’appelait Berganza et moi Cipion. Combien de fois n’ai-je pas écrit ces mots: Querido Berganza! et signé: Tu fidel Cipio, perro en el Hospital de Sevilla. Nous formions ensemble une étrange société savante, l’Academia Castellana (A. C.), et avions écrit en collaboration une grande quantité d’œuvres facétieuses qui doivent se trouver dans mes vieux papiers; le soir nous partagions des repas frugaux et nous ne nous ennuyions jamais quand nous étions ensemble. Sa pensée ne s’élevait pas volontiers vers les sommets, il restait dans le domaine de l’humain, légèrement philistin . Plus tard quand il tomba malade je fus son médecin et alors il nous invita un jour , ses anciens collègues, à une soirée d’adieu à Hernals, soirée au cours de laquelle il tint à tirer lui-même la bière du tonneau pour cacher son émotion. Puis, alors que nous étions tous réunis au café et que Rosanes débitait des plaisanteries détestables dans le seul but, lui aussi, de cacher sa sentimentalité latente, je fus le premier à briser la glace en prononçant, en notre nom à tous, un discours d’adieu dans lequel je disais qu’il emportait ma jeunesse avec lui – et je ne savais pas combien cela était vrai. Dans les premiers temps, j’ai continué à lui écrire; il était fort maltraité par un père à moitié fou, ce dont il se plaignait; je tentai d’éveiller ses instincts romantiques afin qu’il déguerpît, à la recherche d’une situation plus digne de lui, à Bucarest. Dans sa jeunesse, n’avait-il pas été tout farci de poésie «peau-rouge», du Bas de Cuir de Fenimore Cooper et d’histoires de marins? L’année dernière encore, il avait un bateau sur le Danube, se faisait appeler «capitaine» et invitait tous ses amis à des promenades au cours desquelles ils remplissaient l’office de rameurs. Mais alors, tu es venue, et avec toi toutes les choses nouvelles, un nouvel ami, de nouvelles luttes, des buts nouveaux. Le fossé qui s’était creusé entre nous réapparut lorsque, de Wandseck, je lui déconseillai d’épouser une jeune fille sotte et et riche à laquelle on l’avait présenté en vue d’un mariage. Tout contact fut alors rompu. Il s’est habitué aux sacs d’écus, mais son père le tient très serré et il est décidé à se marier pour devenir indépendant et s’établir commerçant. Pour moi, tu sais ce que je suis devenu. Et maintenant nous venons de nous revoir, et il doit certainement comme moi penser à ce que la vie a fait de chacun de nous, comment elle nous a attelés et nous a fait trotter dans des directions différentes.
Tout jeune encore, il s’était épris d’Anna, son premier amour. Puis il courtisa Fanny (1) et, entre temps, il tomba amoureux de toutes les jeunes filles qu’il rencontrait; actuellement il n’en aime plus aucune. Moi, je n’avais jamais été amoureux et, maintenant, je le suis, d’une seule. Telle est l’histoire de mon ami Silberstein qui est devenu banquier parce que le droit ne lui plaisait pas. Il veut réunir aujourd’hui à Hernals tous ses anciens camarades de beuverie, mais je suis de service, et mes pensées sont aussi ailleurs que dans le passé. (…)”

(1) Fanny Philipp, cousine de Sigmund Freud.

Freud se qualifie toujours de «chien de l’hôpital de Séville», alors que chez Cervantès il s’agit de l’hôpital de Valladolid. Le fragment qu’il connaissait racontait le séjour de Berganza à Séville.

La notice biographique d’Eduard Silberstein, rédigée par sa petite-fille, Rosita Braunstein Vieyra, que l’on trouve dans l’appendice du même ouvrage (pages 254-257) est aussi très intéressante pour compléter le portrait de ce personnage méconnu.

Quelques extraits:
«Je me souviens de mon grand-père, Eduard Silberstein, comme d’un homme aimable et tranquille (…). Il avait un sens aigu de l’humour.
Il avait vu le jour dans la ville roumaine de Jassy, en 1857, dans une famille de quatre enfants. Ses parents étaient des Juifs orthodoxes. Son père Osias était un banquier prospère qui envoya ses fils dans une école religieuse juive. Mon grand-père et son frère Adolf (Dolfi) se rebellèrent très tôt contre cette éducation assez stricte, qui suivait les préceptes du Talmud. Tous deux aspiraient à une éducation plus libérale.
Quand vint le temps des études universitaires, Eduard opta pour Vienne et Leipzig ou Heidelberg (je ne sais pas exactement). Il étudia le droit et la philosophie, et obtint un diplôme dans les deux disciplines. Son frère Dolfi se rendit en Allemagne où il étudia la médecine (…). [Il] exerça la médecine à Berlin jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Hitler.
Mon grand-père semble avoir été heureux à l’époque de ses études. (…)
Il parlait couramment le roumain, l’allemand, le français (…), le grec (…), l’espagnol. Il éprouva cependant de grandes difficultés à apprendre l’anglais (…).
Il tomba passionnément amoureux d’une jeune fille de Jassy, Paule (ou Pauline) Theiler. Son mariage fut malheureusement de courte durée. La jeune femme, qui souffrait d’une maladie mentale, fut traitée sans succès par un ami de mon grand-père, Sigmund Freud, et se précipita d’une fenêtre de la maison de ce dernier. Cette tragédie me fut confirmée par Anna Freud (…). Ma compréhensive et intelligente grand-mère Anna Sachs, (native de Kaunas, en Lituanie) devint sa seconde femme.
Il s’établit à Braila, qui était alors un port actif sur le Danube. Le jeune couple perdit en bas âge son premier enfant, puis naquit ma mère, sa fille unique, en 1895. Elle fut nommée Théodora (…). Eduard Silberstein était un chaud partisan de l’éducation moderne. Pour les femmes, il souhaitait «moins de broderie, plus de chimie, de mathématiques et de science» (…) [Il] adorait sa fille.
Mon grand-père prenait une part active aux affaires de la communauté juive, dont il devint un membre éminent, sans se mêler cependant des questions religieuses . Il était président de l’HIAS (Hebrew Immigrant Assistance Society), de l’Alliance Israélite Internationale, de B’nai B’rith; il faisait aussi partie des francs-maçons (la Loge de Braila portait son nom et celui du DrPeixotto). (…)
Eduard Silberstein croyait que l’avenir de ces émigrants était en Amérique. Il eut toujours des doutes sur la possibilité de fonder un État juif en Palestine. Il prévoyait des difficultés avec les Arabes, en dépit des idéaux sionistes de Herzl.
La Première Guerre mondiale fut une période difficile pour lui. (…)
Il s’impliqua dans la lutte pour les droits civiques des Juifs en Roumanie, et fut de ceux qui obtinrent pour eux la citoyenneté roumaine et le droit de vote, choses qui n’existaient pas jusqu’alors. (…)
C’était un intellectuel peu fait pour le monde des affaires. Le suicide d’un de se frères, après la perte de la fortune familiale, l’obligea à s’occuper du commerce des grains. (…)
Il était socialiste, c’est à dire qu’il était partisan des droits des travailleurs et des gens modestes. Le jour de son enterrement, les boutiques de Braila restèrent fermées. (…)
Il aimait la langue yiddish. Il correspondait avec Shalom Aleichem et je crois qu’il le rencontra à Corfou(…).
Il avait une admiration toute particulière pour saint François d’Assise. (…) Mon grand-père Silberstein était un homme modeste, instruit, aristocratique, peu doué pour la vie pratique que j’aimais beaucoup. (…) Je me rappelle son affection pour moi, les charmantes chansons qu’il composait à mon intention en espagnol, et les histoires qu’il aimait me raconter.
Il mourut à Braila en 1925.» (New York, 8 mai 1988)

Lettre de Sigmund Freud au président de la Loge B’nai B’rith de Braila :

“…Une amitié qui remonte au début de la vie ne peut jamais s’oublier. (…) -Il était foncièrement bon , il y avait aussi en lui un humour léger qui l’a sans doute aidé à supporter le poids de la vie.” (Vienne, 22 avril 1928)

Pablo Neruda

Pablo Neruda, 1952.

Lors d’une conférence de presse du gouvernement le 14 décembre, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a glissé une citation de Pablo Neruda: «Le printemps est inexorable.» Le monde de la culture croule sous les problèmes, mais cela ira mieux au printemps. Un peu vague, non?
De plus, cette phrase est tirée des mémoires du poète, publiées après sa mort par sa veuve, Matilde Urrutia. Le texte est une ode à la lutte des communistes et se trouve à la fin de ce livre. Bizarre, bizarre…Ce n’est pas vraiment ce que Pablo Neruda a écrit de meilleur. Son œuvre est immense, mais inégale. J’aime beaucoup certains de ses poèmes et je place très haut Residencia en la tierra comme le faisait Julio Cortázar. Pourtant, la qualité de ce texte me semble pour le moins discutable.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/02/09/julio-cortazar-1914-1984/

Los comunistas
…Han pasado unos cuantos años desde que ingresé al partido…Estoy contento…Los comunistas hacen una buena familia…Tienen el pellejo curtido y el corazón templado…Por todas partes reciben palos…Palos exclusivos para ellos…Vivan los espiritistas, los monarquitas, los aberrantes, los criminales de varios grados…Viva la filosofía con humo pero sin esqueletos…Viva el perro que ladra y que muerde, vivan los astrólogos libidinosos, viva la pornografía, viva el cinismo, viva el camarón, viva todo el mundo, menos los comunistas…Vivan los cinturones de castidad, vivan los conservadores que no se lavan los pies ideológicos desde hace quinientos años…Vivan los piojos de las poblaciones miserables, viva la fosacomún gratuita, viva el anarcocapitalismo, viva Rilke, viva André Gide con su corydoncito, viva cualquier misticismo…Todo está bien…Todos son heroicos…Todos los periódicos deben salir…Todos pueden publicarse, menos los comunistas…Todos los políticos deben entrar en Santo Domingo sin cadenas…Todos deben celebrar la muerte del sanguinario, del Trujillo, menos los que más duramente lo combatieron…Viva el carnaval, los últimos días del carnaval…Hay disfraces para todos…Disfraces de idealista cristiano, disfraces de extremo izquierda,
disfraces de damas benéficas y de matronas caritativas…Pero, cuidado, no dejen entrar a los comunistas…Cierren bien la puerta…No se vayan a equivocar…No Tienen derecho a nada…Preocupémonos de lo subjetivo, de la esencia del hombre,de la esencia de la esencia…Así estaremos todos contentos…Tenemos libertad… Qué grande es la libertad…Ellos no la respetan, no la conocen…La libertad para preocuparse de la esencia…De lo esencial de la esencia…
…Así han pasado los últimos años…Pasó el jazz, llegó el soul, naufragamos en los postulados de la pintura abstracta, nos estremeció y nos mató la guerra…En este lado todo quedaba igual… ¿O no quedaba igual?…Después de tantos discursos sobre el espíritu y de tantos palos en la cabeza, algo andaba mal…Muy mal… Los cálculos habían fallado… Los pueblos se organizaban…Seguían las guerrillas y las huelgas… Cuba y Chile se independizaban…Muchos hombres y mujeres cantaban la Internacional… Qué raro…Qué desconsolador…Ahora la cantaban en chino, en búlgaro, en español de América…Hay que tomar urgentes medidas…Hay que proscribirlo… Hay que hablar más del espíritu…Exaltar más el mundo libre… Hay que dar más palos…Hay que dar más dólares… Esto no puede continuar…Entre la libertad de Los palos y el miedo de Germán Arciniegas…Y ahora Cuba… En nuestro propio hemisferio, en la mitad de nuestra manzana, estos barbudos con la misma canción…Y para qué nos sirve Cristo?… De qué modo nos han servido los curas? … Ya no se puede confiar en nadie…Ni en los mismos curas … No ven nuestros puntos de vista… No ven cómo bajan nuestras acciones en la Bolsa…
…Mientras tanto trepan los hombres por el sistema solar…Quedan huellas de zapatos en la luna…Todo lucha por cambiar, menos los viejos sistemas…La vida de los viejos sistemas nació de inmensas telarañas medioevales…Telarañas más duras que los hierros de la maquinaria…Sin embargo, hay gente que cree en un cambio, que ha practicado el cambio, que ha hecho triunfar el cambio, que ha florecido el cambio…Caramba!…La primavera es inexorable!

Confieso que he vivido. Memorias. 1974.

“…Pendant ce temps les hommes grimpent dans l’espace…Ils laissent des traces de souliers sur la lune…Tout lutte pour changer, hormis les vieux systèmes…La vie des vieux systèmes a éclos dans les énormes toiles d’araignée du Moyen Age… Des toiles d’araignée plus résistantes que l’acier des machines…Pourtant, il existe des gens qui croient au changement, des gens qui ont pratiqué le changement, qui l’ont fait triompher, qui l’ont fait fleurir… Mince alors!… Le printemps est inexorable!”

J’avoue que j’ai vécu. Mémoires. Gallimard, 1975. Folio n°1822. Traduction de Claude Couffon.

Charles Baudelaire

Portrait gravé d’un poète français Charles Baudelaire (Felix Bracquemond), 1861.

Je trouve que l’hiver est long, long, bien trop long.

Je relis Baudelaire qui évoque un Paris réel, et puis un Paris imaginaire, féerique, onirique. Il crée son propre monde.

LXXXVI

Paysage

Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l’atelier qui chante et qui bavarde;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d’éternité.

II est doux, à travers les brumes, de voir naître
L’étoile dans l’azur, la lampe à la fenêtre
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes;
Et quand viendra l’hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d’eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l’Idylle a de plus enfantin.
L’Émeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre;
Car je serai plongé dans cette volupté
D’évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon coeur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

Les Fleurs du Mal, édition de 1861.

Vue de toits, effet de neige (Gustave Caillebotte). 1878. Paris, Musée d’Orsay.

Juan Ramón Jiménez

Juan Ramón Jiménez. Vers 1900.

L’œuvre de Juan Ramón Jiménez, prix Nobel de littérature en 1956, n’occupe pas en France la place qui devrait être la sienne. Il a pourtant profondément influencé les membres de la Génération de 1927 : Federico García Lorca, Jorge Guillén, Rafael Alberti et les d’autres.

Les éditions José Corti ont traduit certains recueils du poète dans la collection Ibériques, créée en 1988 par Bernard Sesé. Les livres les plus anciens de cette collection sont aujourd’hui difficilement trouvables.

Oeuvres de Juan Ramón Jiménez en français aux Éditions José Corti:

1980 Fleuves qui s’en vont. Traduction: Claude Couffon.
1987 Été. (Estío 1916)
1989 Espace. (Espacio 1982) Traduction: Gilbert Azam.
1990 Pierre et ciel. (Piedra y cielo 1919) Traduction: Bernard Sesé.
2000 Éternité. (Eternidades 1918)
2002 Poésie en vers. 1917-1923. Traduction: Bernard Sesé.
2005 Beauté. (Belleza 1923). Traduction: Bernard Sesé.

Chez d’autres éditeurs:
Sonnets spirituels, Aubier, 1989. Traduction: Bernard Sesé.
Platero et moi, Seghers, 1994. Traduction: Claude Couffon.
Journal d’un poète jeune marié, Libraire La Nerthe éditeur, 2008. Traduction: Victor Martinez.

Federico García Lorca, Zenobia Camprubí, Isabel García Lorca, Emilia Llanos, Juan Ramón Jiménez et Concha García Lorca . Grenade. Paseo de los Cipreses del Generalife, été 1924.

Dialogue entre Federico García Lorca et Luis Bagaría i Bou publiée par le journal El Sol le 10 juin 1936
Quelles sont les poètes que tu préfères actuellement en Espagne?
Il y a deux maîtres : Antonio Machado et Juan Ramón Jiménez. Le premier, sur le plan pur de la sérénité et de la perfection poétique, poète à la fois humain et céleste, hors de toute lutte, maître absolu de son prodigieux monde intérieur; le second, grand poète troublé par une terrible exaltation de son moi, écorché par la réalité qui l’environne, incroyablement déchiré par des riens, à l’affût du moindre bruit, véritable ennemi de son exceptionnelle et merveilleuse âme de poète »

Texte intégral:

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/03/26/luis-bagaria-i-bou-federico-garcia-lorca/

Deux exemples de la poésie de Juan Ramón:

Primavera amarilla

Abril venía, lleno
todo de flores amarillas:
amarillo el arroyo,
amarillo el vallado, la colina,
el cementerio de los niños,
el huerto aquel donde el amor vivía.

El sol unjía de amarillo el mundo,
con sus luces caídas;
¡ay, por los lirios áureos,
el agua de oro, tibia;
las amarillas mariposas
sobre las rosas amarillas!

Guirnaldas amarillas escalaban
los árboles; el día
era una gracia perfumada de oro,
en un dorado despertar de vida.
Entre los huesos de los muertos,
abría Dios sus manos amarillas.

Poemas mágicos y dolientes. 1909.

Printemps jaune

Avril venait,
plein de fleurs jaunes:
jaune le ruisseau,
jaune la haie, la colline,
le cimetière d’enfants,
et ce jardin où vivait l’amour.

Le soleil oignait de jaune le monde,
de ses lumières étalées;
Ah! Dans les iris dorés,
l’eau d’or, tiède;
les jaunes papillons
sur les roses jaunes!

Des guirlandes jaunes escaladaient
les arbres; le jour
était une grâce parfumée d’or,
dans un réveil doré de vie.
Entre les os des morts,
Dieu ouvrait ses mains jaunes.

Poèmes magiques et dolents. Traduction: Guy Lévis-Mano.

Le poème de Jorge Guillén Noche del gran estío qui se trouve dans Cántico (Cantique) répond à la vision du printemps de Juan Ramón.

Mañanas

Lecho prestado

¡Dura, seca, fatídica mañana,
que me despiertas con tu vehemencia
agria de aquel concierto de inocencia,
gala del fondo de mi soberana noche,

revuelta y hez de pena humana,
de deslumbrada y sórdida conciencia,
que tarda en tomar sitio en la paciencia
de esta grotesca farsa cotidiana!

¡Mañana, duerme más; deja que el día
se vaya acostumbrando, hora tras hora,
al pensamiento de la vida triste.

Y que despierte mi melancolía
en descansada paz -¡única aurora!-
que envuelva en lentos oros cuanto existe.

Deuxième section Amistad des Sonetos espirituales. 1914-15.

Matins

Lit emprunté

Dur, sec, fatidique matin,
qui me réveille par ta véhémence
aigre du concert d’innocence
splendeur du fond de ma nuit souveraine,

trouble remous d’humaine peine,
de conscience éblouie et sordide,
trop lente à prendre place en la patience
de cette grotesque farce quotidienne!

Ô matin, dors encore et laisse que le jour
aille s’accoutumant, au fil des heures,
à la pensée de cette vie si triste!

Et que s’éveille ma mélancolie
en paix tranquille -unique aurore! –
enveloppant dans l’or ce qui existe.

Sonnets spirituels. Traduction: Bernard Sesé.