Mars. La mer me manque… Penser à la mer… Voir la mer…
Deux poèmes de Jorge Luis Borges. Merci à Lorenzo Oliván.
El mar
Antes que el sueño (o el terror) tejiera mitologías y cosmogonías, antes que el tiempo se acuñara en días, el mar, el siempre mar, ya estaba y era. ¿Quién es el mar? ¿Quién es aquel violento y antiguo ser que roe los pilares de la tierra y es uno y muchos mares y abismo y resplandor y azar y viento? Quien lo mira lo ve por vez primera, siempre. Con el asombro que las cosas elementales dejan, las hermosas tardes, la luna, el fuego de una hoguera. ¿Quién es el mar, quién soy? Lo sabré el día ulterior que sucede a la agonía.
El otro, el mismo. 1964
La mer
Avant que le rêve (ou la terreur), n’ait tissé mythologies et cosmogonies, avant que le temps n’ait produit les jours, la mer, la mer éternelle, était là et avait été. Qui est la mer ? Quel est cet être violent et ancien qui ronge les piliers soutenant la terre, cette mer une et multiple qui est abîme et gloire et hasard et grand vent ? Qui la regarde la voit pour la première fois, toujours. Avec le saisissement que donnent les choses élémentaires, les belles fins de journées, la lune, un feu de joie. Qui est la mer, qui suis-je ? Je le saurai le jour qui succédera à mon agonie.
L’autre, le même, 1964. Traduction Jean Pierre Bernès et Nestor Ibarra.
El mar
El mar. El joven mar. El mar de Ulises y el de aquel otro Ulises que la gente del Islam apodó famosamente Es-Sindibad del Mar. El mar de grises olas de Erico el Rojo, alto en su proa. y el de aquel caballero que escribía A la vez la epopeya y la elegía de su patria, en la ciénaga de Goa. El mar de Trafalgar. El que Inglaterra cantó a lo largo de su larga historia, el arduo mar que ensangrentó de gloria en el diario ejercicio de la guerra. El incesante mar que en la serena mañana surca la infinita arena.
El oro de los tigres. 1972.
La mer
La mer. La jeune mer. La mer d’Ulysse, Celle de cet autre Ulysse que ceux D’Islam ont surnommé d’un nom fameux : Sindibad de la mer. La mer aux grises Vagues d’Erik le Rouge, haut sur sa proue, Et de ce chevalier qui a chanté Á la fois l’élégie et l’épopée De sa patrie, à Goa et ses boues. La mer de Trafalgar, que l’Angleterre A célébrée au long de son histoire, La dure mer ensanglantée de gloire Jour après jour, dans l’œuvre de la guerre. Au matin calme, la mer intarissable, Et ses sillons dans l’infini du sable.
J’ai relu un poème de Jorge Luis Borges, Cambridge, qui se trouve dans le recueil Elogio de la sombra.
Les trois derniers vers trouvés par hasard sur Twitter m’ont frappé.
Cambridge
Nueva Inglaterra y la mañana.
Doblo por Craigie.
Pienso (yo lo he pensado)
que el nombre Craigie es escocés
y que la palabra crag es de origen celta.
Pienso (ya lo he pensado)
que en este invierno están los antiguos inviernos
de quienes dejaron escrito
que el camino esta prefijado
y que ya somos del Amor o del Fuego.
La nieve y la mañana y los muros rojos
pueden ser formas de la dicha,
pero yo vengo de otras ciudades
donde los colores son pálidos
y en las que una mujer, al caer la tarde,
regará las plantas del patio.
Alzo los ojos y los pierdo en el ubicuo azul.
Más allá están los árboles de Longfellow
y el dormido río incesante.
Nadie en las calles, pero no es un domingo.
No es un lunes,
el día que nos depara la ilusión de empezar.
No es un martes,
el día que preside el planeta rojo.
No es un miércoles,
el día de aquel dios de los laberintos
que en el Norte fue Odin.
No es jueves,
el día que ya se resigna al domingo.
No es un viernes,
el día regido por la divinidad que en las selvas
entreteje los cuerpos de los amantes.
No es un sábado.
No está en el tiempo sucesivo
sino en los reinos espectrales de la memoria.
Como en los sueños
detrás de las altas puertas no hay nada,
ni siquiera el vacío.
Como en los sueños,
detrás del rostro que nos mira no hay nadie.
Anverso sin reverso,
moneda de una sola cara, las cosas.
Esas miserias son los bienes
que el precipitado tiempo nos deja.
Somos nuestra memoria,
somos ese quimérico museo de formas inconstantes,
ese montón de espejos rotos.
Elogio de la sombra, 1969.
Jorge Luis Borges vouait une profonde admiration à Paul-Jean Toulet (1867-1920) et aux Contrerimes, « recueil paru dans les années vingt, qui l’enchantait et qu’il plaçait, avec certitude et constance au pinacle de la poésie française. » (Jean Pierre Bernés, Jorge Luis Borges : La vie commence…, Paris, Le Cherche Midi, 2010, pp. 48-49)
« Il y a aussi un poète français que j’aime beaucoup et je crois qu’il est presque oublié en France ou qu’on ne fait que l’étudier, par exemple, dans les histoires de la littérature, ce qui est une façon d’avoir disparu ou d’être mort, non, d’appartenir à l’histoire de la littérature. Et c’est un poète du Sud de la France, Toulet, […] moi, je savais beaucoup de ses Contrerimes par cœur […] » (Jorge Luis Borges, DVD 1, 1ère partie, entretien avec Jean-José Marchand)
Il pouvait réciter par coeur la première des Romances sans musique,
En Arles.
Dans Arle, où sont les Aliscans, Quand l’ombre est rouge, sous les roses, Et clair le temps
Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd;
Et que se taisent les colombes:
Parle tout bas, si c’est d’amour,
Au bord des tombes.
La cople 53 était la préférée de Jorge Luis Borges.
LIII
Voici que j’ai touché les confins de mon âge.
Tandis que mes désirs sèchent sous le ciel nu,
Le temps passe et m’emporte à l’abyme inconnu,
Comme un grand fleuve noir, où s’engourdit la nage.
Coples. Les Contrerimes. NRF Poésie/Gallimard. 1979. Page 140.
L’influence de William Faulkner sur la plupart des grands écrivains latinoaméricains du XXème siècle (Juan Rulfo, Juan Carlos Onetti, Gabriel García Márquez, Guillermo Cabrera Infante, Ernesto Sabato) est indéniable. Ainsi, Jorge Luis Borges a traduit en 1941 Les palmiers sauvages de Faulkner et Un Barbare en Asie d’Henri Michaux pour compléter ses revenus. Le grand argentin avait une conception personnelle de la traduction, mais ce livre, publié aux États-Unis en 1939, a paru en Argentine (Editorial Sudamericana), plus tôt qu’en France.
Incipit:
LES PALMIERS SAUVAGES «Le coup retentit de nouveau, à la fois discret et impérieux, tandis que le docteur descendait, précédé par le cône de lumière de sa lampe de poche découpant devant lui l’escalier teinté en brun puis le vestibule de la même couleur fait de planches assemblées à tenons et mortaises. C’était un modeste bungalow au bord de la mer, avec un étage cependant, éclairé par des lampes à huile, ou plutôt par une lampe à huile que sa femme avait montée au premier après le dîner. Et avec cela le docteur portait une chemise de nuit, et non un pyjama, pour la même raison qu’il fumait une pipe à laquelle il ne s’était jamais habitué et savait fort bien qu’il ne s’habituerait jamais, alternant celle-ci avec le cigare que ses clients lui offraient parfois entre deux dimanches, où il fumait alors les trois cigares qu’il pensait pouvoir s’offrir, bien qu’il fût propriétaire du bungalow, de celui d’à côté et d’un autre, avec électricité et murs plâtrés, dans la petite ville à quatre milles de là. Car il avait maintenant quarante-huit ans et il avait eu seize, puis dix-huit, puis vingt ans en un temps où son père lui disait (et il le croyait) que les cigarettes et les pyjamas, c’était fait pour les gandins et les femmes.»
William Faulkner Si je t’oublie, Jérusalem (Les palmiers sauvages) traduit de l’anglais par Maurice-Edgar Coindreau (1952), révisée par François Pitavy. Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade 2000; réédition Collection « L’Imaginaire », 2001.
Wild Palms
«The knocking sounded again, at once discreet and peremptory, while the doctor was descending the stairs, the flashlight’s beam lancing on before him down the brown-stained stairwell and into the brown-stained tongue-and-groove box of the lower hall. Itwas a beach cottage, even though of two stories, and lighted by oil lamps—or an oil lamp, which his wife had carried up stairs with them after supper. And the doctor wore a nightshirt too, not pajamas, for the same reason that he smoked the pipe which he had never learned and knew that he would never learn to like, between the occasional cigar which clients gave him in the intervals of Sundays on which he smoked the three cigars which he felt he could buy for himself even though he owned the beach cottage as well as the one next door to it and the one, the residence with electricity and plastered walls, in the village four miles away. Because he was now forty-eight years old and he had been sixteen and eighteen and twenty at the time when his father could tell him (and he believe it) that cigarettes and pajamas were for dudes and women»
William Faulkner, If I Forget Thee, Jerusalem (The Wild Palms). 1939.
C’est le roman de Faulkner où la souffrance morale et physique atteint sa plus grande intensité. “On ne se suicide pas pour un chagrin d’amour: on écrit un roman.”, disait l’auteur. “Entre le chagrin et le néant, je choisis le chagrin.” “Between grief and nothing, I will take grief.” (Cette citation du roman est reprise par Jean-Luc Godard dans Á bout de souffle. 1960)
Borges n’aimait pas beaucoup ce roman, ou plutôt cette œuvre qui mêle deux nouvelles. Le texte ne fut pas très bien reçu aux États-Unis, mais eut beaucoup de succès en Amérique Latine et une grande influence. Borges avait traduit Virginia Woolf, Herman Melville, Henri Michaux et André Gide. S’il n’était pas encore très connu internationalement, il avait déjà un grand prestige dans les milieux qui entouraient Victoria Ocampo et la revue Sur. Sa traduction prend comme point de départ la version britannique de la maison d’édition Chatto & Winduet, bien censurée ( exit les gros mots, les jurons, les scènes de sexe), et non le texte original édité par Random House. Borges privilégie la trame de l’histoire, fait peu de cas du contexte culturel, ne respecte pas non plus beaucoup la lettre du texte. Certains lecteurs ont loué la qualité de son style, d’autres ont pointé ses nombreuses erreurs (place du narrateur, utilisation des temps). Jorge Luis Borges dans son Introduction à La invención de Morel (1940) de son ami Adolfo Bioy Casares dit: «La novela característica, «psicológica», propende a ser informe. Los rusos y los discípulos de los rusos han demostrado hasta el hastío que nadie es imposible: suicidas por felicidad, asesinos por benevolencia, personas que se adoran hasta el punto de separarse para siempre, delatores por fervor o por humildad… Esa libertad plena acaba por equivaler al pleno desorden. Por otra parte, la novela «psicológica» quiere ser también novela «realista»: prefiere que olvidemos su carácter de artificio verbal y hace de toda vana precisión (o de toda lánguida vaguedad) un nuevo toque verosímil. Hay páginas, hay capítulos de Marcel Proust que son inaceptables como invenciones: a los que, sin saberlo, nos resignamos como a lo insípido y ocioso de cada día. La novela de aventuras, en cambio, no se propone como una transcripción de la realidad: es un objeto artificial que no sufre ninguna parte injustificada. El temor de incurrir en la mera variedad sucesiva del Asno de Oro, de los siete viajes de Simbad o del Quijote, le impone un riguroso argumento.»
Je rappelle la fin du roman: “- Les femmes, font chier”, fit le grand forçat.” (“Women, shit,” the tall convict said.) Le lecteur de Faulkner chez Random House était alors Saxe Commins. Il avait obligé l’auteur à changer le titre de son roman et à supprimer le dernier mot du forçat à la fin du livre. De la première à la huitième édition, le mot shit avait été supprimé et remplacé par un tiret (“Women -“) Le violent rejet des femmes par le forçat n’était donc pas explicite. Maurice Edgar Coindreau avait traduit par le bien français: “Ah! Les femmes!” dit le grand forçat.”. Á partir de l’édition Vintage de 1962, on trouve: “Women —-t” C’est seulement avec l’édition de 1990 que le mot est rétabli et en français avec la traduction de la Pléiade revue par François Pitavy en 2000: — Les femmes. Font chier ! ” fit le grand forçat
Atteint du Covid-19 et hospitalisé à l’hôpital universitaire central des Asturies à Oviedo depuis le 29 février, l’écrivain chilien Luis Sepúlveda est décédé hier 16 avril, à l’âge de 70 ans. Il est né le 4 octobre 1949 à Ovalle, au nord de Santiago. Militant communiste comme son père, il est emprisonné deux ans et demi pendant la dictature d’Augusto Pinochet. Son roman le plus célèbre était Un viejo que leía novelas de amor, publié en 1992 en français sous le titre Le Vieux qui lisait des romans d’amour (Traduction: François Maspéro) Paris, Métaillé, Collection « Bibliothèque hispano-américaine ». A partir de 1982, il s’installe en Europe et collabore à différents journaux, d’abord en Allemagne et en France . Il s’installe à Gijón (Asturies) en 1996.
Il évoquait très bien les grands auteurs latinoaméricains como Cortázar ou Borges.
“Par exemple, lorsqu’il évoque Julio Cortázar. A 20 ans, Sepúlveda gagne un prix de poésie au Chili. Ça lui permet d’assister à un colloque où sont venus de grands écrivains latino-américains, dont Cortázar: «J’avais préparé un discours en son hommage. On m’a présenté comme une “jeune promesse de la littérature”. Il s’est approché et m’a dit : “Un conseil, ne te laisse jamais traiter de jeune promesse de la littérature.”» En 1979, Cortázar arrive au Nicaragua, en pleine guerre civile. Sepúlveda travaille pour le journal sandiniste Barricada, que l’autre visite : «Au moment où il entrait, il y a eu une alerte à la bombe. Cortázar m’a dit : “C’est bien toi, la jeune promesse de la littérature ?” Et il a fallu partir pour nous protéger.» Quelques années avant la mort de l’Argentin, il le croise dans un dîner à Paris: «J’espérais enfin pouvoir parler avec lui, mais il y avait trop de monde. Au milieu du repas, je vais pisser. Il entre après moi et, face à l’urinoir, me dit : “Alors, on parle ou non ?” Je suis allé chez lui avec une bouteille de Rémy Martin et une cartouche de Gitanes. On n’a plus cessé de parler.» Cortázar lui donne une préface pour un recueil de nouvelles en disant: «Ça peut être une malédiction pour toi. On risque de dire : “Les nouvelles sont nulles, mais la préface vaut le coup.”»
Luis Sepúlveda, retraite réussie (Philippe Lançon) Libération, 16/04/2020.
No recuerdo con precisión cuándo fue, pero eso ya no importa, sin embargo mantengo muy fijo en la memoria un caleidoscopio de imágenes que primero me muestran la ciudad de Colonia, el horrible esperpento gótico del Domm, la célebre catedral, luego un tranvía y en él yo mismo, maldiciendo la humedad y buscando ansiosamente la página de lectura interrumpida en una obra titulada El Libro de los seres imaginarios, para leer por enésima vez la historia del Goofus Bird, aquel ser que en cada lectura me devuelve una imagen de mí mismo y me incluye gustosamente en los bestiarios de Cortázar o de Zötl. Las siguientes imágenes perfilan otro edificio atroz, el de la radio exterior alemana, y enseguida me veo y escucho caminando por sus tétricos pasillos en los que, en las pocas oportunidades que visité la radio, me extravié inexorablemente. De pronto, me enfrento a una invención dantesca, a un artilugio llamado Pater Noster, una suerte de Banda de Moebius que transporta personas de piso en piso. Pater Noster: dos paralelepípedos en el muro, uno sube y el otro baja. En algún piso, yo, con una terrible duda, ¿qué ocurre si subo hasta la última planta y no salto fuera del agujero? ¿Descenderé cabeza abajo en medio de dramáticos esfuerzos para no romperme el cuello? Ahí estoy, frente al artilugio que no cesa de pasar, hacia abajo o hacia arriba, y de improviso, en el hueco móvil, veo pasar la figura inconfundible, serena, casi transparente de Borges.
Corro dos pisos escaleras abajo para llegar antes que el Pater Noster, toco una mano del ilustre ciego y le digo: «Borges, de un paso adelante cuando yo se lo diga». Borges tiene la mano fría y algo sudada. Huele sutilmente a cierta agua de colonia que me retrae a la infancia. No aprieto su mano, pero me convenzo de que sus huesos son frágiles. Bajamos, y entre el piso que dejamos arriba y el que insinua más abajo, Borges dice casi en un susurro: «¿Qué infernal aparato es éste?». No le pregunto cómo entró al Pater Noster. Simplemente lo acompaño a la sala de grabación donde lo esperan con inquietud y nerviosismo. Allí, tampoco digo dónde lo he encontrado, y Borges tampoco menciona el incidente. Al despedirme, Borges alza la cabeza y me veo retratado en sus ojos más aptos para ver los portentos de la imaginación que los frutos de la vanalidad. «¿Cómo se llama?» pregunta, y yo quiero inventar un nombre islandés que sea sinónimo de casualidad, pero repito una vez más el mío, tan fácilmente olvidable por todos los burócratas del mundo.
No volví a verlo nunca más, pero el caleidoscopio ordena sus cristales y finalmente me muestra su tumba en Ginebra, donde he estado solo y en silencio, deseando fervientemente despertar, o sumirme en un sueño del que a veces me siento injustamente arrebatado. Un sueño libre de caleidoscopios, y de su irritante costumbre de deformar el presente.
De la serie de hechos inexplicables que son el universo o el tiempo, la dedicatoria de un libro no es, por cierto, el menos arcano. Se la define como un don, un regalo. Salvo en el caso de la indiferente moneda que la caridad cristiana deja caer en la palma del pobre, todo regalo verdadero es recíproco. El que da no se priva de lo que da. Dar y recibir son lo mismo.
Como todos los actos del universo, la dedicatoria de un libro es un acto mágico. También cabría definirla como el modo más grato y más sensible de pronunciar un nombre. Yo pronuncio ahora su nombre, María Kodama. Cuántas mañanas, cuántos mares, cuántos jardines del Oriente y del Occidente, cuánto Virgilio.
J.L.B
Buenos Aires, 17 de mayo de 1981.
María Kodama. Jorge Luis Borges.
Shinto
Cuando nos anonada la desdicha, durante un segundo nos salvan las aventuras ínfimas de la atención o de la memoria: el sabor de una fruta, el sabor del agua, esa cara que un sueño nos devuelve, los primeros jazmines de noviembre, el anhelo infinito de la brújula, un libro que creíamos perdido, el pulso de un hexámetro, la breve llave que nos abre una casa, el olor de una biblioteca o del sándalo, el nombre antiguo de una calle, los colores de un mapa, una etimología imprevista, la lisura de la uña limada, la fecha que buscábamos, contar las doce campanadas oscuras, un brusco dolor físico.
Ocho millones son las divinidades del Shinto
que viajan por la tierra, secretas.
Esos modestos númenes nos tocan,
nos tocan y nos dejan.
La cifra, 1981
Shinto
Quand le malheur nous accable,
voici que, l’espace d’une seconde, nous sauvent
les aventures infimes
de l’attention ou de la mémoire:
le goût d’un fruit, le goût de l’eau,
ce visage que nous rend un rêve,
les premiers jasmins de novembre,
l’attirance infinie de la boussole,
un livre que nous pensions avoir perdu,
le battement d’un hexamètre,
cette petite clef qui nous ouvre une maison,
l’odeur du santal ou d’une bibliothèque,
le nom ancien d’une rue,
la couleur d’une mappemonde,
une étymologie insolite,
le poli d’un ongle qu’on a limé,
la date que nous cherchions,
compter les douze coups de l’obscur,
une brusque douleur physique.
Huit millions, les divinités du Shinto
qui voyagent, secrètement, sur la terre.
Ces dieux modestes nous frôlent,
nous frôlent puis s’éloignent.
Les Conjurés, précédé de Le Chiffre, traduit de l’espagnol par Claude Esteban, Gallimard, 1988, p. 69.
Nostalgia del presente
En aquel preciso momento el hombre se dijo: Qué no daría yo por la dicha de estar a tu lado en Islandia bajo el gran día inmóvil y de compartir el ahora como se comparte la música o el sabor de la fruta. En aquel preciso momento el hombre estaba junto a ella en Islandia.
La cifra, 1981.
Nostalgia del presente
Á cet instant précis l’homme se dit: Que ne donnerais-je pour la joie d’être en Islande à tes côtés sous le grand jour immobile et de partager le présent comme on partage la musique ou la saveur d’un fruit. Á cet instant précis l’homme était près d’elle en Islande
Le chiffre, 1981. Traduit par Silvia Baron Supervielle.
No quedará en la noche una estrella. No quedará la noche. Moriré y conmigo la suma Del intolerable universo. Borraré las pirámides, las medallas, Los continentes y las caras. Borraré la acumulación del pasado. Haré polvo la historia, polvo el polvo. Estoy mirando el último poniente. Oigo el último pájaro. Lego la nada a nadie.
La rosa profunda, 1975.
Le suicidaire
Aucune étoile ne restera dans la nuit Ni la nuit ne restera. Je mourrai et avec moi mourra la somme de l’intolérable univers J’effacerai les pyramides, les médailles, les continents, les visages. J’effacerai l’accumulation du passé. Je réduirai en poussière l’histoire, en poussière la poussière. Je regarde le dernier coucher de soleil. J’entends le dernier oiseau. Je lègue le néant à personne.
Traduction Roger Caillois, Treize poèmes, éd. Fata Morgana. 1978.
Retrato de Francisco de Quevedo .( Francisco Pacheco, El libro de descripción de verdaderos retratos, ilustres y memorables varones, Sevilla, 1599).
El reloj de arena ¿Qué tienes que contar, reloj molesto, en un soplo de vida desdichada que se pasa tan presto? ¿En un camino que es una jornada, breve y estrecha, de este al otro polo, siendo jornada que es un paso solo? Que, si son mis trabajos y mis penas, no alcanzaras allá, si capaz vaso fueses de las arenas, en donde el alto mar detiene el paso. Deja pasar las horas sin sentirlas, que no quiero medirlas, ni que me notifiques de esa suerte los términos forzosos de la muerte. No me hagas más guerra; déjame, y nombre de piadoso cobra, que harto tiempo me sobra para dormir debajo de la tierra.
Pero si acaso por oficio tienes
el contarme la vida,
presto descansarás, que los cuidados
mal acondicionados,
que alimenta lloroso
el corazón cuitado y lastimoso,
y la llama atrevida
que amor, ¡triste de mí!, arde en mis venas
(menos de sangre que de fuego llenas),
no sólo me apresura
la muerte, pero abréviame el camino;
pues, con pie doloroso,
mísero peregrino,
doy cercos a la negra sepultura.
Bien sé que soy aliento fugitivo;
ya sé, ya temo, ya también espero
que he de ser polvo, como tú, si muero,
y que soy vidrio, como tú, si vivo.
1611.
Francisco de Quevedo y Villegas (1580-1645) est un des maîtres de la littérature baroque espagnole. Jorge Luis Borges lui consacre un poème de El hacedor où il reprend le vers “Y su epitafio la sangrienta luna” (“Et son épitaphe la Lune ensanglantée”), tiré du sonnet Memoria inmortal de Don Pedro Girón, Duque de Osuna, muerto en la prisión. Le poète mexicain Octavio Paz le compare à Baudelaire.
A un viejo poeta (Jorge Luis Borges)
Caminas por el campo de Castilla y casi no lo ves. Un intrincado versículo de Juan es tu cuidado y apenas reparaste en la amarilla
puesta del sol. La vaga luz delira y en el confín del Este se dilata esa luna de escarnio y de escarlata que es acaso el espejo de la Ira.
Alzas los ojos y la miras. Una memoria de algo que fue tuyo empieza y se apaga. La pálida cabeza
bajas y sigues caminando triste, sin recordar el verso que escribiste: Y su epitafio la sangrienta luna.
El hacedor , 1960.
Portraits de Borges, Quevedo et Góngora (Fernando Botero). 1991. Affiche pour La jouissance littéraire de Jorge Luis Borges. La Délirante.
Ni el pormenor simbólico
de reemplazar un tres por un dos
ni esa metáfora baldía
que convoca un lapso que muere y otro que surge
ni el cumplimiento de un proceso astronómico
aturden y socavan
la altiplanicie de esta noche
y nos obligan a esperar
las doce irreparables campanadas.
La causa verdadera
es la sospecha general y borrosa
del enigma del Tiempo;
es el asombro ante el milagro
de que a despecho de infinitos azares,
de que a despecho de que somos
las gotas del río de Heráclito,
perdure algo en nosotros:
inmóvil,
algo que no encontró lo que buscaba.
Poème souvent étudié en cours. La traduction de Roger Caillois, relue aujourd’hui, me paraît bien décevante. Federico Calle Jorda dans un article de la revue En attendant Nadeau publié affirme même: “Il faut retraduire Borges”
La lluvia Bruscamente la tarde se ha aclarado Porque ya cae la lluvia minuciosa. Cae o cayó. La lluvia es una cosa que sin duda sucede en el pasado.
Quien la oye caer ha recobrado el tiempo en que la suerte venturosa le reveló una flor llamada rosa y el curioso color del colorado.
Esta lluvia que ciega los cristales alegrará en perdidos arrabales las negras uvas de una parra en cierto
patio que ya no existe. La mojada tarde me trae la voz, la voz deseada, de mi padre que vuelve y que no ha muerto. El Hacedor. 1960.
La pluie Soudain l’après-midi s’est éclairé Car voici que tombe la pluie minutieuse Tombe ou tomba. La pluie est chose Qui certainement a lieu dans le passé.
À qui l’entend tomber est rendu
Le temps où l’heureuse fortune
Lui révéla la fleur appelée rose
Et cette étrange et parfaite couleur.
Cette pluie, qui aveugle les vitres
Réjouira en des faubourgs perdus
Les grappes noires d’une treille en une
Certaine cour qui n’existe plus. Le soir
Mouillé m’apporte la voix, la voix souhaitée
De mon père, qui revient et n’est pas mort.
L’auteur et autres textes. Traduit de l’espagnol par Roger Caillois, Gallimard, 1964.
«BORGES: Un viaje es una serie de incomodidades.
BIOY: Sí, pero son incomodidades que se transforman en buenos recuerdos. No se puede pedir nada más que buenos recuerdos.
BORGES: Es cierto. Hay que pedir un buen pasado. Lo único a que puede un hombre aspirar es a un buen pasado. No: quizá también se pueda aspirar a un buen futuro. Lo que es imposible es un buen presente. El que pide un buen presente no tiene noción de la realidad.»
Jorge Luis Borges sentía una misteriosa fascinación por Islandia. Visitó el país tres veces: en 1971, 1976 y 1982. Se casó con María Kodama bajo el culto de los dioses paganos Odin y Thor y oficialmente en abril de 1986. Falleció en Ginebra dos meses más tarde el 14 de junio de 1986. Tenía 86 años.
Cita con Maria Kodama. Entrevista (Clarín, 31/07/2016)
“–En el libro usted habla del amor que Borges sentía aunque no lo decía “hasta que me lo reveló en Islandia”. ¿Qué pasó en Islandia? Y es aquí cuando María Kodama más se sonroja y se ríe. –Islandia fue el principio de una relación de amor muy especial entre él y yo. Se manifiesta en Islandia porque ir allí fue la materialización de una historia que venía de antes. –¿Hasta ese momento usted era sólo una discípula? –No, mucho mucho antes era una discípula… Pero en términos literarios estaba muy bien que fuera en Islandia.”
Lápida de Borges. Cementerio de Plainpalais, Ginebra, Suiza.
Borges está enterrado en el cementerio de Plainpalais de Ginebra. En la lápida de su tumba aparece tallada la imagen de siete guerreros que blanden sus armas. Y, debajo, una frase en anglosajón (inglés antiguo) que pertenece a un antiguo poema que conmemora la batalla de Maldon, ocurrida en el año 991, en el que un ejército sajón debió enfrentar a una horda de vikingos. La frase es AND NE FORTHEDON NA, “y que no temieran”, parte de la arenga que el líder sajón dio a sus hombres antes de la batalla: les dijo que no temieran ante la muerte, y que tuvieran coraje.
En el reverso está también tallada una frase: “Hann tekr sverðit Gram ok leggr í meðal þeira bert”, que proviene de la Völsunga saga, una serie de relatos escrita en el siglo XIII (su padre, Jorge Guillermo Borges 1874 – 1938, se la regaló en inglés cuando era un adolescente). Significa: “Él tomó la espada Gram y la colocó entre ellos desenvainada”. Es a su vez el epígrafe de un cuento de Borges, “Ulrica“, incluido en El libro de arena (1975), único relato de amor del autor y cuyo protagonista se llama Javier Otálora. Debajo hay una talla de un barco que fue tomado de una piedra vikinga. Ese barco simboliza la eternidad y el viaje final del hombre. y bajo ésta se puede ver una tercera inscripción: «De Ulrica a Javier Otárola», lo que permite interpretar esta última inscripción como una dedicatoria de María Kodama a Jorge Luis Borges. La segunda mujer del escritor argentino encargó la talla de la lápida al escultor argentino Eduardo Longato.
Lápida de Borges. Cementerio de Plainpalais, Ginebra, Suiza.