Robert Desnos

Robert Desnos chez lui, 19 rue Mazarine, Paris VI. 1942.

Le grand poète et résistant Robert Desnos est toujours d’actualité. Seghers vient de publier quatre-vingt-six textes inédits sous le titre Poèmes de minuit, inédits 1936-1940 . Il ont été écrits essentiellement en 1936 et 1937. Le poète passe alors sa journée à créer des émissions et des slogans publicitaires pour Radio Luxembourg et le Poste parisien. La nuit, il se fixe une règle : ne pas dormir avant d’avoir rédigé un poème. Il les reprend en 1940, en intègre certains dans Fortunes (Gallimard, 1942) et Etat de veille (Pour mes amis – Robert J. Godet, 1943). Les quatre-vingt-six autres sont restés ignorés jusqu’à la vente aux enchères, à l’Hôtel Drouot, en ­octobre 2020, de la bibliothèque de Geneviève et Jean-Paul Kahn, un couple de collectionneurs. Les quatre cahiers de Robert Desnos ont été achetés pour 13 000 euros par un autre bibliophile, Jacques Letertre.

https://www.hotelslitteraires.fr/2021/08/06/quatre-cahiers-de-123-poemes-autographes-de-robert-desnos-dont-85-inedits-par-jacques-letertre/

Quatre cahiers de poèmes autographes inédits de Desnos, 1940. Société des Hôtels Littéraires.

A l’époque où il recopie ces poèmes, Robert Desnos rejoint le quotidien Aujourd’hui, créé par Henri Jeanson en juin 1940. Le premier numéro paraît le 10 septembre 1940. En novembre 1940, les autorités allemandes somment le directeur d’Aujourd’hui de prendre publiquement position contre les Juifs et en faveur de la politique de collaboration. Henri Jeanson démissionne et le journaliste Georges Suarez lui succède. Il sera fusillé en novembre 1944. Desnos reste à son poste. Il collecte des renseignements jusqu’en 1944 pour le réseau de résistance Agir. Dénoncé, il est arrêté par la Gestapo le 22 février 1944. Il connaît la prison de Fresnes, puis le camp de Compiègne. Il est déporté le 27 avril 1944 à Auschwitz, Buchenwald, Flossenbürg, Flöha, puis Theresienstadt (Tchécoslovaquie). Il survit aux marches de la mort, mais meurt du typhus le 8 juin 1945. Il n’avait pas 45 ans.

Trois poèmes de ce recueil :

19/04/1936

Ange blanc
Le plafond n’intercepte pas le ciel
Il le remplace
Seulement le plafond c’est plus sûr que le ciel qui n’est rien
Et je ne souhaite le ciel à aucun homme
tandis que je souhaite à chacun de mes amis
Je souhaite à tous les hommes
un plafond au-dessus de leur lit.

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29/03/1936

Bois brûlé
Bois brisé
Le printemps sent l’incendie
J’abolis toutes les armes fanées
Je pose mon pied sur aujourd’hui
Tout m’est joie jusqu’au simple fait de respirer
De sentir l’air pénétrer dans mes poumons
Tout m’est joie même de m’indigner
Contre l’injustice la sottise la méchanceté
Tout m’est joie
Et surtout de savoir que j’ai raison
Et d’avoir de l’affection
Pour d’autres hommes.

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08/02/1936

Gaieté si chèrement gagnée
Amitiés trahies
Paysages enfuis
Pavés brisés à coups de talons
Pluies d’orages
Mais je te tiens gaieté à la gorge
Et si tu meurs ce sera de rire
La chanson molle
S’étire au long des avenues.
J’imagine une pelouse d’herbe tendre
isolée au milieu d’une forêt
Couché sur cette pelouse
Sur le dos
Rire aux anges
Aux anges je vous demande un peu
En regardant passer dans le ciel bleu
les jolis nuages blancs


Lettre adressée à Youki, le 15 juillet 1944, depuis le camp de Flöha.

Mon Amour,

Notre souffrance serait intolérable si nous ne pouvions la considérer comme une maladie passagère et sentimentale. Nos retrouvailles embelliront notre vie pour au moins trente ans.
De mon côté, je prends une bonne gorgée de jeunesse, je reviendrai rempli d’amour et de forces ! Pendant le travail un anniversaire, mon anniversaire fut l’occasion d’une longue pensée pour toi. Cette lettre parviendra-t-elle à temps pour ton anniversaire ? J’aurais voulu t’offrir 100 000 cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous. En mon absence achète toujours les fleurs, je te les rembourserai. Le reste, je te le promets pour plus tard.

Mais avant toute chose bois une bouteille de bon vin et pense à moi. J’espère que nos amis ne te laisseront pas seule ce jour. Je les remercie de leur dévouement et de leur courage. J’ai reçu il y a une huitaine de jours un paquet de J.-L. Barrault. Embrasse-le ainsi que Madeleine Renaud, ce paquet me prouve que ma lettre est arrivée. Je n’ai pas reçu de réponse, je l’attends chaque jour. Embrasse toute la famille, Lucienne, Tante Juliette, Georges. Si tu rencontres le frère de Passeur, adresse-lui toutes mes amitiés et demande-lui s’il ne connaît personne qui puisse te venir en aide. Que deviennent mes livres à l’impression ? J’ai beaucoup d’idées de poèmes et de romans. Je regrette de n’avoir ni la liberté ni le temps de les écrire. Tu peux cependant dire à Gallimard que dans les trois mois qui suivront mon retour, il recevra le manuscrit d’un roman d’amour d’un genre tout nouveau.

Je termine cette lettre pour aujourd’hui.

Aujourd’hui 15 juillet, je reçois quatre lettres, de Barrault, de Julia, du Dr Benêt et de Daniel. Remercie-les et excuse-moi de ne pas répondre. Je n’ai droit qu’à une lettre par mois. Toujours rien de ta main, mais ils me donnent des nouvelles de toi ; ce sera pour la prochaine fois. J’espère que cette lettre est notre vie à venir. Mon amour, je t’embrasse aussi tendrement que l’honorabilité l’admet dans une lettre qui passera par la censure. Mille baisers. As-tu reçu le coffret que j’ai envoyé à l’hôtel de Compiègne ?

Robert

Robert Desnos

Je viens de terminer la biographie de Robert Desnos par Anne Egger (Fayard, 1 166 p., 42 €)

Biographie à l’américaine : 1 166 pages. Il n’ y manque aucun détail. J’apprécie la minutie du travail, le soin apporté à l’étude des sources, la somme des témoignages réunis. Il manque peut-être une réflexion synthétique qui nous aurait permis de saisir plus profondément la personnalité complexe du poète.

On ne peut qu’admirer la trajectoire de ce magnifique créateur qui a marqué l’entre-deux-guerres. Il est au centre des expériences surréalistes en 1922 avec les « sommeils hypnotiques », mais ce n’est pas une lubie pour lui. Il s’intéressera aussi aux rêves des auditeurs à la radio, et même à ceux de ses compagnons d’infortune en camp de concentration.

C’est un amoureux de Paris comme Baudelaire, Apollinaire ou Nerval.

Robert Desnos a exercé toutes sortes de métiers : commis dans une droguerie, gérant d’immeubles, secrétaire d’un écrivain, dessinateur, scénariste, auteur de chansons, de réclames radiophoniques, et surtout journaliste pour la presse et pour la radio.

Il n’a pas fait d’études supérieures puisqu’il acquitté l’école Turgot dès 16 ans (1916). Il s’est pourtant forgé en autodidacte une grande culture : littérature, théâtre, cinéma, musique classique ou populaire, aviation, sciences.

Il devient l’ami de personnalités très diverses : Henri Jeanson, Armand Salacrou, Paul Deharme, Jean-Louis Barrault, Théodore Fraenkel (son légataire universel), Paul Éluard, Jacques Prévert, André Masson, Georges Malkine, Darius Milhaud, Arthur Honegger, Ernest Hemingway, John Dos Passos, Federico García Lorca, Pablo Neruda, Alejo Carpentier, Miguel Ángel Asturias.

Il refuse tout embrigadement : “Je me refuse à accepter des mots d’ordre”, dit-il en 1929.

Il reste comme rédacteur littéraire au journal Aujourd’hui, crée par Henri Jeanson en 1940, même quand le collaborateur Georges Suarez en prend la direction. Cela lui permet de transmettre des informations précieuses au réseau Agir dont il fera partie dès 1942. Il aide à la confection de fausses pièces d’identité. Il publie ses poèmes dans les revues clandestines ( Poésie 42, L’honneur des poètes, Confluences, Poésie 44 entre autres )

Il aide ses amis en difficulté. Il réussit ainsi à faire hospitaliser Antonin Artaud à Rodez, alors qu’il se mourait à l’asile de Ville-Evrard. Il héberge le jeune Alain Brieux qui veut échapper au STO.

Arrêté le 22 février 1944, il meurt au camp de Terezin, en Tchécoslovaquie le 8 juin 1945.

“Ce qui importe ce n’est pas ce qui reste, c’est ce qu’on est” (Robert Desnos).

Robert Desnos (Félix Labisse) 1943.

On peut écouter Les Nuits de France Culture par Mathieu Bénézet, programme diffusé le 07/09/2007 (1h16).

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/la-nuit-revee-de-bernard-chambaz-511-surpris-par-la-nuit-reconnaissances-a-robert-desnos

ou La Prophétie de Robert Desnos (France Inter) par Stéphanie Duncan (54′) .

https://www.franceinter.fr/personnes/anne-egger

Feu sur les collabos Pétain et Laval !

Maréchal Ducono (Robert Desnos)

Maréchal Ducono se page avec méfiance,
Il rêve à la rebiffe et il crie au charron
Car il se sent déjà loquedu et marron
Pour avoir arnaqué le populo de France.

S’il peut en écraser, s’étant rempli la panse,
En tant que maréchal à maousse ration,
Peut-il être à la bonne, ayant dans le croupion
Le pronostic des fumerons perdant patience ?

À la péter les vieux et les mignards calenchent,
Les durs bossent à cran et se brossent le manche :
Maréchal Ducono continue à pioncer.

C’est tarte, je t’écoute, à quatre-vingt-six berges,
De se savoir vomi comme fiotte et faux derge
Mais tant pis pour son fade, il aurait dû clamser.

Messages, n°11, 1944. Á la caille. Messages n°11, 1944.

Petrus d’Aubervilliers (Robert Desnos)

Parce qu’il est bourré d’aubert et de bectanse
L’auverpin mal lavé, le baveux des pourris
Croit-il encor farcir ses boudins par trop rances
Avec le sang des gars qu’on fusille à Paris ?

Pas vu ? Pas pris ! Mais il est vu, donc il est frit,
Le premier bec de gaz servira de potence.
Sans préventive, sans curieux et sans jury
Au demi-sel qui nous a fait payer la danse.

Si sa cravate est blanche elle sera de corde.
Qu’il ait des roustons noirs ou bien qu’il se les morde,
Il lui faudra fourguer son blaze au grand pégal.

Il en bouffe, il en croque, il nous vend, il nous donne
Et, à la Kleberstrasse, il attend qu’on le sonne
Mais nous le sonnerons, nous, sans code pénal.

À la caille. Messages n°11, 1944.

Ce coeur qui haïssait la guerre (Robert Desnos)

Ce coeur qui haïssait la guerre voilà qu’il bat pour le combat et la bataille !
Ce coeur qui ne battait qu’au rythme des marées, à celui des saisons, à celui des heures du jour et de la nuit,
Voilà qu’il se gonfle et qu’il envoie dans les veines un sang brûlant de salpêtre et de haine.
Et qu’il mène un tel bruit dans la cervelle que les oreilles en sifflent
Et qu’il n’est pas possible que ce bruit ne se répande pas dans la ville et la campagne
Comme le son d’une cloche appelant à l’émeute et au combat.
Écoutez, je l’entends qui me revient renvoyé par les échos.
Mais non, c’est le bruit d’autres coeurs, de millions d’autres coeurs battant comme le mien à travers la France.
Ils battent au même rythme pour la même besogne tous ces coeurs,
Leur bruit est celui de la mer à l’assaut des falaises
Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d’ordre :
Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !
Pourtant ce coeur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons,
Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères
Et des millions de Francais se préparent dans l’ombre à la besogne que l’aube proche leur imposera.
Car ces coeurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme même des saisons et des marées, du jour et de la nuit.

Poème signé Pierre Andier, choisi dans l’oeuvre de Desnos pour figurer au mémorial des Martyrs de la déportation dans l’île de la Cité.

L’Honneur des poètes, 14 juillet 1943. Anthologie de la résistance préparée par Paul Éluard et Pierre Seghers. éditions de Minuit. Repris dans Destinée arbitraire, Paris, Gallimard, 1975.

Robert Desnos – Yvonne George

Portrait de Robert Desnos à la maison d’arrêt de Fresnes où il fut incacéré le 23 février 1944 (C215 – Christian Guemy)

Robert Desnos entend pour la première fois la chanteuse belge Yvonne George (de son vrai nom Yvonne Deknop) un soir d’ octobre 1924 chez Fisher (21 rue d’Antin), un club parisien huppé .

Théodore Fraenkel, Biographie de Robert Desnos. Critique n°3-4, août-septembre 1946.

« Desnos dont l’amour a orienté toute la vie, eut incroyablement peu d’aventures féminines. Il fut aimé, il fut même fiancé quelques mois. Mais l’amour de Desnos pour Yvonne George, puis pour Youki, est de ceux qui entreront dans la légende. Á cause, sans doute, de tous les poèmes qui en sont embrasés, mais aussi à cause de ce que fut cet amour dans la réalité. Desnos avait environ vingt-cinq ans, lorsqu’il connut Yvonne George ; la merveilleuse chanteuse réaliste se faisait alors entendre à l’Olympia ; on trouve encore les disques de quelques-unes de ses chansons, qui nous émouvaient alors : Valparaiso, Les Cloches de Nantes, Pars… Elle habitait généralement à Neuilly un rez-de-chaussée au fond d’un jardin ; une décoration recherchée voisinait sans gêne aucune avec un abandon fatigué. Elle y recevait des gens du monde, des gens de lettres. L’amour de Desnos pour elle fut violent, douloureux inlassablement attentif. Il ne fut jamais partagé. Pendant une dizaine d’années, il ne vécut que pour elle, lui rendant des services périlleux. Il en fut ainsi presque jusqu’à la mort d’Yvonne George, survenue dans un sanatorium. C’est à elle que se rapporte la dédicace anonyme de La Liberté ou l’Amour. »

Les poèmes Á la mystérieuse sont publiés dans La Révolution surréaliste (n° 7. 15 juin 1926) et repris dans Corps et biens en1930. Ces sept poèmes ont un thème unique : l’amour malheureux. Antonin Artaud écrit à Jean Paulhan : « « Je sors bouleversé d’une lecture des derniers poèmes de Desnos. Les poèmes d’amour sont ce que j’ai entendu de plus entièrement émouvant, de plus décisif en ce genre depuis des années et des années. Pas une âme qui ne se sente touchée jusque dans ses cordes les plus profondes, pas un esprit qui ne se sente ému et exalté et ne se sente confronté avec lui-même. Ce sentiment d’un amour impossible creuse le monde dans ses fondements et le force à sortir de lui-même, et on dirait qu’il lui donne la vie. Cette douleur d’un désir insatisfait ramasse toute l’idée de l’amour avec ses limites et ses fibres, et la confronte avec l’absolu de l’Espace et du Temps, et de telle manière que l’être entier s’y sente défini et intéressé. C’est aussi beau que ce que vous pouvez connaître de plus beau dans le genre, Baudelaire ou Ronsard. Et il n’est pas jusqu’à un besoin d’abstraction qui ne se sente satisfait par ces poèmes où la vie de tous les jours, où n’importe quel détail de la vie journalière prend de l’espace, et une solennité inconnue. Et il lui a fallu deux ans de piétinements et de silence pour en arriver tout de même à cela. » (17 avril 1926)

Robert Desnos ne suit pas les surréalistes qui adhèrent au Parti Communiste Français en 1927. Il publie La Liberté ou l’amour ! (Éditions du Sagittaire) qui se réfère davantage à la révolution française qu’à la révolution russe. En exergue : « Á la révolution, Á l’amour, Á celle qui les incarne ». Le récit tourne autour de Corsaire Sanglot, transposition de l’auteur, et de Louise Lame, son amante, femme fatale. Le 5 mai 1928, l’éditeur est condamné à supprimer certains passages érotiques ou anticléricaux.

Dans les 24 poèmes des Ténèbres datés dans Corps et biens de 1927, Desnos poursuit l’évocation de « la mystérieuse ». Le poème Infinitif contient, en acrostiche, au début et à la fin des douze vers du poème les noms d’Yvonne George et de Robert Desnos.

Journal d’une apparition ( 1 octobre 1927 – la fin février) est publié dans La Révolution surréaliste (n°9-10. 1 octobre 1927). Desnos y consigne les visites nocturnes que lui rend celle qu’il reconnaît et qu’il désigne ainsi : ***.

Le 22 avril 1930, Desnos reçoit ce télégramme de Gênes : « Yvonne morte pendant la nuit. » Elle est incinérée à Paris le 26 avril au crématorium du Père-Lachaise. Desnos note dans son agenda à la date du 26 avril : ” On a brûlé Yvonne cet après-midi 4h3/4 -6h1/4.” Elle avait 35 ans.

Yvonne George (Man Ray). Vers 1927.

Nous irons à Valparaiso. 3 décembre 1926.

https://www.youtube.com/watch?v=X3njSfLn8M8

Les Cloches de Nantes. 10 juin 1928.

https://www.youtube.com/watch?v=UvTjSkKxnuE

À la Mystérieuse (l926)

J’ai tant rêvé de toi

J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m’est chère ?
J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués, en étreignant ton ombre, à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.
Ô balances sentimentales.
J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps sans doute que je m’éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l’amour et toi, la seule qui compte aujourd’hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venu.
J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie.

Corps et biens, 1930. NRF/Gallimard.

Les Ténèbres 1927

II. Infinitif

Y mourir ô belle flammèche y mourir
voir les nuages fondre comme la neige et l’écho
origines du soleil et du blanc pauvres comme Job
ne pas mourir encore et voir durer l’ombre
naître avec le feu et ne pas mourir
étreindre et embrasser amour fugace le ciel mat
gagner les hauteurs abandonner le bord
et qui sait découvrir ce que j’aime
omettre de transmettre mon nom aux années
rire aux heures orageuses dormir au pied d’un pin
grâce aux étoiles semblables à un numéro
et mourir ce que j’aime au bord des flammes.

Corps et biens, 1930. NRF/Gallimard.

Le Monde, 14 août 1998. Robert Desnos et la place de l’Étoile (Pierre Philippe). https://www.lemonde.fr/archives/article/1998/08/14/robert-desnos-et-la-place-de-l-etoile_3668700_1819218.html

Alejo Carpentier – Robert Desnos

Alejo Carpentier

De 1928 à 1939, l’écrivain cubain Alejo Carpentier vit en France et Robert Desnos est un de ses meilleurs amis.

Le 21 février 1928, Robert Desnos part à Cuba. Il a réussi à se faire engager comme représentant de La Razón, un journal argentin, au Congrès de la presse latine, qui se tient à La Havane. Il arrive le 6 mars et rencontre Miguel Ángel Asturias, Corpus Barga entre autres. Il se rend compte de l’énergie incroyable que dégage cette ville. Lors de son séjour (du 5 au 16 mars 1928), il découvre la musique cubaine, les ” sons ”, la rumba et fréquente les jeunes révolutionnaires cubains qu’il fera connaître en France à son retour.

Le 16 mars 1928, Il ramène clandestinement avec lui, sur le paquebot Espagne, Alejo Carpentier qui fuit la dictature du général Gerardo Machado. Le futur romancier du Siècle des Lumières avait été incarcéré pendant sept mois pour avoir signé el Manifiesto Minorista, publié le 6 mai 1927, et se trouvait en liberté conditionnelle. Á Paris, ils travailleront ensemble dans les années 30 pour la radio et se verront presque tous les jours.

Paul Deharme ( 1898-1934 ) fonde en 1932 et dirige les studios Foniric, un service de production radiophonique, qui fournit notamment à Radio-Paris et Radio Luxembourg des campagnes publicitaires et des programmes de radio très élaborés, sponsorisés par des marques. Il organise un laboratoire de recherche au sein de Foniric et fait appel à des artistes divers ( Robert Desnos, Armand Salacrou, Jacques Prévert, Léon-Paul Fargue Alejo Carpentier, Antonin Artaud, Kurt Weill ). Foniric comme son nom l’indique associe le phonique et l’onirique, le son et le rêve. C’est l’idée que se fait Deharme de la TSF : faire rêver l’auditeur.

Le 3 novembre 1933, Radio-Paris à 20h15, Radio-Luxembourg et cinq postes régionaux à 21 heures, diffusent La Grande Complainte de Fantômas, suite dramatique en douze tableaux de Robert Desnos sur une mélodie de Kurt Weill, direction dramatique d’Antonin Artaud, direction musicale d’Alejo Carpentier. Il s’agit de faire de la publicité pour Si c’était Fantômas ?, un grand roman d’aventures inédites de Marcel Allain, publié en feuilleton à partir du 3 novembre dans Le Petit Journal.

Alejo Carpentier publie régulièrement dans son pays des articles sur l’Europe dans le Diario de la Marina et dans des revues comme La gaceta musical, Social ou Carteles. Le 19 mai 1939, il quitte l’Europe depuis Rotterdam. Il s’installera à Caracas jusqu’à la révolution cubaine (1959)

Après la mort du typhus du poète résistant à Terezín le 8 juin 1945, le romancier cubain a souvent rappelé la mémoire de son ami.

Autoportrait (Robert Desnos).

Le Monde, 26/01/1979

Portrait de Robert Desnos (Alejo Carpentier)

Lorsqu’il m’arrive d’évoquer le groupe d’écrivains, de peintres, de musiciens qui s’assemblaient chaque fin d’après-midi autour d’une très longue table – toujours la même – au café des Deux Magots, j’en demeure tout ébloui. De 1930 à 1934, on pouvait rencontrer là, liés par une amitié inébranlable qui valait bien mieux qu’un ” esprit d’école “, des hommes tels que Roger Vitrac, Michel Leiris, Georges Bataille, Georges Ribemont-Dessaignes, Pierre et Jacques Prévert, Antonin Artaud – aussi fidèle au rendez-vous que les autres, – Raymond Queneau, André Masson, Balthus, Robert Desnos. Côté musique : Edgar Varèse et son jeune disciple André Jolivet. Côté cinéma-théâtre : Jean-Louis Barrault, Etienne Decroux, Gaston Modot, Sylvia Bataille, Luis Bunuel. Comme visiteurs occasionnels : Léon-Paul Fargue et Saint-Exupéry, toujours bien accueillis. Et, à une table attenante à la nôtre, l’équipe du Grand Jeu :

René Daumal, Gilbert-Lecomte, le peintre Sima…
S’il n’y eut jamais parmi nous un ” esprit d’école “, il y régnait, par contre, un ” esprit de génération “, nourri des mêmes ferveurs, marqué par les mêmes antipathies, qui transformait tout naturellement les initiatives particulières en un travail collectif, et cela uniquement pour des raisons d’âge, de fidélité à certaines idées, à certaines prises de position vis-à-vis des événements de l’époque. Tous, nous collaborions aux revues Bifur, Documents, Iman – dont j’assurais la publication à Paris, en langue espagnole.

D’autre part, des projets qui exigeaient un travail d’équipe sortaient de nos réunions quotidiennes : un opéra pour Varèse, dont j’écrivis le livret avec Artaud, Desnos et Ribemont ; un Pantoum des pantoums, sorte de mystère lyrique, conçu par Gilbert-Lecomte sur des poèmes de René Ghil, dont la participation orchestrale devait être de Ribemont-Dessaignes et de moi-même. Enfin l’esprit de notre groupe se manifesta encore lors des représentations de Numance, monté par Jean-Louis Barrault en 1937, grâce au soutien financier de Desnos, avec des décors et des costumes d’André Masson, sur une musique que j’avais écrite.

Et quand Desnos fit son entrée à la radio, grâce au remarquable pionnier des mass media que fut Paul Deharme, il y entraîna aussitôt ses amis. Ce qui nous valut, très vite, des réalisations telles que La Grande Complainte de Fantômas (Artaud-Desnos-Kurt Weill) dont j’assurai la mise en ondes ; Salut au monde, inspiré de Walt Whitman (Desnos, Jean-Louis Barrault) ; Histoire de baleines (Desnos-Prévert), etc. (1).

Plusieurs Robert Desnos en Robert Desnos
Il est extrêmement difficile de fixer des souvenirs, lorsqu’on parle de Robert Desnos, car sa personnalité présentait des côtés si divers, si contradictoires en apparence, que tout effort d’assemblage, par les moyens de la mémoire, ne nous donne jamais qu’une image fuyante qui est plutôt le reflet d’un curieux caractère que la réalité profonde d’un homme qui mena une expérience poétique à ses possibilités extrêmes. Car il y avait plusieurs Robert Desnos en Robert Desnos, tous tellement nécessaires à ses raisons d’exister que seule une somme, à peu près impossible à établir, étant donnée sa complexité, nous donnerait un portrait véridique de celui qui, pourtant, était notre camarade de tous les jours.

Très secret, souvent distant, souvent replié sur son monde intérieur, sur la constante disponibilité créatrice de son génie, il sortait tout à coup de ses longs silences, passant brusquement à une sorte d’éclatement de lui-même qui se traduisait en de fulgurants monologues, rythmés, scandés, qu’il pouvait déclamer à tue-tête, en marchant au long d’une rue, surtout la nuit. Et quand il revenait de cette sorte de délire lucide, on retrouvait le charme d’un ami gouailleur, insouciant, porté à la blague, à la mystification, à la ” mise en boîte ” de n’importe qui, sachant jongler avec les mots d’une façon déroutante. Il avait le sens de l’éloge qui pouvait vous être le plus encourageant, comme il avait le génie de l’engueulade efficace, du scandale à froid, de la phrase terrible qui allait droit au but.
Fier d’avoir grandi dans le quartier de Saint-Merri, il empruntait volontiers un parler populaire, faubourien, qui contrastait curieusement avec ses habitudes de correction vestimentaire – correction poussée jusqu’au souci de porter des costumes du meilleur style ” deuil en vingt-quatre heures “, chaque fois qu’il avait à déplorer la mort d’un parent.

Anarchiste en apparence, il était néanmoins d’une rigidité à toute épreuve en ce qui concernait certains engagements idéologiques ou politiques qu’il tenait pour nécessaires ; appartenant à la génération de ceux qui criaient : ” Famille, je vous hais ! “, il adorait son père, mandataire aux Halles, et jamais il ne manquait le déjeuner familial du dimanche ; auteur de La Liberté ou l’Amour !, il fut d’une incroyable fidélité aux femmes qu’il aima ; désordonné et fantasque durant les heures de la nuit, il s’imposait, de jour, une discipline ponctuelle et presque tatillonne aux studios de la rue Bayard, où nous avons travaillé ensemble pendant six années (de 1933 à 1939).

Le monde hispanique
Mais, parmi les aspects les moins connus de Robert Desnos, il y en a un qu’ignorent de nombreux écrivains qui se sont penchés sur sa vie et sur son œuvre : ses relations avec le monde hispanique, et surtout latino-américain, à la suite de l’étonnant voyage qu’il fit à Cuba en 1928, au cours duquel il me détourna du projet de m’établir au Mexique – car l’atmosphère politique de La Havane m’était devenue irrespirable – pour m’amener à Paris, où je devais rester onze ans.

A partir de ce moment sa maison fut, en quelque sorte, un foyer permanent d’activités ayant un rapport avec les événements de l’Amérique latine et de l’Espagne : on y conspira contre le dictateur Machado ; on y rédigea des tracts et des manifestes ; on y vit défiler, selon les époques et les jours, Cesar Vallejo, Miguel Angel Asturias, Nicolas Guillen, Cardoza y Aragon, Neruda, Arturo Uslar Pietri, le compositeur Silvestre Revueltas, avec qui il commença à écrire une cantate en éloge de la nationalisation des pétroles mexicains. Il fit les esquisses d’un livret d’opérette, L’Etoile de La Havane, pour le compositeur cubain Eliseo Grenet… Puis, après deux voyages en Espagne, ce fut – on l’ignore trop – son amitié avec Federico Garcia Lorca. Et lorsque le poète de Noces de sang fut abattu par les fascistes et que la guerre civile se déchaîna, il y eut chez lui des réunions presque quotidiennes d’hommes tels que José Bergamin, Rafael Alberti, Joan Miro, Miguel Hernandez – qui devait mourir dans les geôles de Franco – et de tant d’autres qui se trouvent encore parmi nous, toujours fidèles à leurs idées d’alors.

Robert Desnos, poète essentiellement français, par l’œuvre et par le caractère, fut néanmoins un des esprits les plus universels d’entre les deux guerres. Puisse-t-il servir d’exemple à certains de nos contemporains trop souvent limités, en leurs vues du monde, par leur incapacité de regarder au-delà des frontières factices qu’ils se sont inutilement créées !…

Robert était un poète aimé de tous, par le fait même que, en véritable homme de son temps, sans cesser pour cela d’être foncièrement français, il se sentait espagnol à Madrid, cubain à La Havane, péruvien avec Vallejo – discutant même, en toute connaissance de causes, des faiblesses et des bévues de l’ american way of life avec son ami Hemingway, qui, bien des années plus tard, en 1945, me parlait avec admiration de l’auteur de Corps et Biens (” Je suis certain qu’il est dans la résistance “, me disait-il…) alors que nous ignorions, tous deux, qu’il venait de mourir des suites de sa captivité dans un camp de concentration allemand.

(1) Réalisations malheureusement perdues, car elles étaient enregistrées avec les moyens de l’époque, sur disques d’une vie limitée à quelques mois, dont l’enduit cellulosique se détachait au bout d’un certain nombre d’auditions.

Robert Desnos – Federico García Lorca

Robert Desnos (Man Ray) vers 1925.

Sources

1) Chronologie Federico García Lorca (Oeuvres complètes I, Bibliothèque de La Pléiade, NRF Gallimard, 1981. Édition établie par André Belamich.) Septembre-octobre 1935.

2) Chronologie Desnos Oeuvres. Édition établie par Marie-Claire Dumas. Quarto Gallimard. 1999.

En septembre 1932, Robert Desnos fait un premier séjour avec sa compagne, Youki (Lucie Badoud 1903-1966), en Espagne.
Il y séjourne à nouveau du 20 octobre au 15 novembre 1935, toujours avec Youki.
Federico García Lorca collabore à la revue Cheval vert pour la Poésie, fondée en octobre 1935 par Pablo Neruda, et se lie d’une vive amitié avec Robert Desnos par l’intermédiaire du poète chilien. Cette rencontre n’a été mentionnée jusqu’à présent que par Alejo Carpentier.
Le 21 janvier 1937, à la Maison de la Culture (Salle Poissonnière, 8 rue du Faubourg Poissonnière, Paris), Pablo Neruda et César Vallejo rendent hommage à Federico García Lorca, assassiné le 18 août 1936 par les Franquistes. Jean Cassou et Robert Desnos prennent aussi la parole
Robert Desnos présente le 18 juillet 1937 le gala qui clôt le Deuxième Congrès international des écrivains pour la défense de la culture qui s’est tenu successivement à Valence, Barcelone, Madrid et Paris.
Le 7 novembre 1937 reprenant le cri de lutte des républicains espagnols « No pasarán ! Pasaremos nosotros », Desnos écrit un chant en l’honneur des Républicains ainsi qu’une cantate pour la mort de García Lorca. « Savez-vous la nouvelle ? García Lorca va mourir ».

No pasarán (Robert Desnos)

Nuits, Jours et nuits sombres !
Feu, Sang et décombres !
Sang clair des libres Espagnols !
Oui pour l’Espagne et la liberté
Un sang pur coule sur notre sol
Pour l’humanité
No ! No pasarán !

Feu, rougis la forge
Ceux qui nous égorgent
Par ce fer nous crèv’rons leur cœur
Ceux qui ont mis le feu aux maisons
Ceux qui ont tué nos frères, nos sœurs
Jamais ne nous vaincront
No ! No pasarán !

Qui traîne des chaînes ?
Qui sème la haine ?
Le fascisme et tous ses banquiers
Ils ont de l’or, ils ont des canons
Mais nous luttons pour le monde entier
Nous les briserons
No ! No pasarán !

Il nous faut des armes
C’est un cri d’alarme
Il faut des ball’s et des fusils
Aux lueurs du feu, aux sons du tocsin
Nous combattons avec nos outils
Tous ces assassins !
No ! No pasarán !

Par toute la terre
Viennent des volontaires
Pour lutter à côté de nous !
Gloire aux amis qui nous ont rejoints
Au sanglant et glorieux rendez-vous
Ils tendent le poing
No ! No pasarán !

Morts des barricades
Morts nos camarades
Le jour vient, vous serez vengés
Le jour se lève au feu des combats
Dans la mort des soudards insurgés
Nous sonnons leur glas
No ! No pasarán !

Que le jour se lève
Sur ce mauvais rêve
Pour les hommes de l’univers
Pour les travaux de paix et d’amour
Nous peinerons été comme hiver
Ah ! Vienne ce jour
Si pasaremos !

Les Voix intérieures, Éditions du petit Véhicule. Nantes, 1987.

Savez-vous la nouvelle ?
García Lorca va mourir (Robert Desnos)

FEMME Savez-vous la nouvelle ?

CHOEUR DE FEMMES Après le soir vient la nuit
L’eau chante à la fontaine
La lune se baigne au puits.

FEMME Savez-vous la nouvelle ?

CHOEUR DE FEMMES L’amour la nuit l’air le vent
Jours, nuits et c’est la vie
La danse au tambour au mois d’août.

FEMME Savez-vous la nouvelle ?

CHOEUR DE FEMMES Le linge est blanc sous nos doigts
Viens donc avec les filles
Aimer et chanter et danser.

FEMME Savez-vous la nouvelle ?

CHOEUR DE FEMMES L’été l’hiver l’eau le vin
Viens, viens voici la danse
Les fruits et l’amour dans les bois.

FEMME Savez-vous la nouvelle ?
García Lorca va mourir

CHOEUR DE FEMMES Ah Ah Ah Ah Ah Ah Ah

L’annonce aux hommes

CHOEUR Les champs sont gorgés de soleil
Les fleuves sont secs
La terre les a bus
Les moissons dorment dans les greniers
Qu’il fera bon rêver tout l’été
En buvant le vin des outres

SOLO Alerte !
La rouge moisson des libertés s’apprête
Alerte !
Demain, cette nuit, aujourd’hui
Alerte !
García Lorca est déjà mort.

CHOEUR L’usine ce soir au soleil
Est comme un château
Dormir loin du travail
Sous le ciel car nous sommes très las
Qu’il fera bon rêver tout l’été
en buvant le vin des outres.

SOLO Alerte !
La rouge moisson des libertés s’apprête
Alerte !
Demain, cette nuit, aujourd’hui
Alerte !
García Lorca est déjà mort.

CHOEUR La mer elle chante et ses flots
Sont pleins de reflets
D’éclairs des grands poissons
Les courants porteront nos bateaux
Parmi les vents plus chauds et calmes
Au-dessus des fonds propices.

CHOEUR Alerte !
La rouge moisson des libertés s’apprête
Alerte !
Demain, cette nuit, aujourd’hui
Alerte !
García Lorca est déjà mort.

CHOEUR Qui est-ce García Lorca ?
Nous ne le connaissons pas
Qui est-ce García Lorca ?

SOLO C’est vous-mêmes.

Les Voix intérieures, Éditions du petit Véhicule. Nantes, 1987.

Grenade. Monument en l’honneur de Federico García Lorca ( Juan Antonio Corredor). 2010. Avenida de la Constitución.

Robert Desnos

Portrait de Robert Desnos (Ernest Pignon-Ernest), 2008.

Biographie de Robert Desnos dans le Maitron. Notice DESNOS Robert, Pierre [Pseudonymes dans la clandestinité : VALENTIN ; Valentin GUILLOIS ; CANCALE ; Lucien GALLOIS ; Pierre ANDIER] par Renaud Poulain-Argiolas, version mise en ligne le 3 décembre 2020, dernière modification le 6 décembre 2020.

https://maitron.fr/spip.php?article234637

(…) Tu diras au revoir pour moi à la petite fille du pont
à la petite fille qui chante de si jolies chansons
à mon ami de toujours que j’ai négligé
à ma première maîtresse
à ceux qui connurent celle que tu sais
à mes vrais amis et tu les reconnaîtras aisément
à mon épée de verre
à ma sirène de cire
à mes monstres à mon lit
Quant à toi que j’aime plus que tout au monde
Je ne te dis pas encore au revoir
Je te reverrai.
Mais j’ai peur de n’avoir plus longtemps à te voir. (…)

Siramour. Paru dans la revue Commerce, été 1931. Fortunes, Éditions Gallimard. 1942.

L’Épitaphe

J’ai vécu dans ces temps et depuis mille années
Je suis mort. Je vivais, non déchu mais traqué.
Toute noblesse humaine étant emprisonnée
J’étais libre parmi les esclaves masqués.

J’ai vécu dans ces temps et pourtant j’étais libre.
Je regardais le fleuve et la terre et le ciel.
Tourner autour de moi, garder leur équilibre
Et les saisons fournir leurs oiseaux et leur miel.

Vous qui vivez qu’avez-vous fait de ces fortunes ?
Regrettez-vous les temps où je me débattais ?
Avez-vous cultivé pour des moissons communes ?
Avez-vous enrichi la ville où j’habitais ?

Vivants, ne craignez rien de moi, car je suis mort.
Rien ne survit de mon esprit ni de mon corps.

Contrée. 1944.

1987.

Robert Desnos – Théodore Fraenkel – Jean Carrive

Fin du confinement léger. Je peux aller dans le Quartier Latin après une visite médicale à Paris. Á la librairie Compagnie, j’achète L’Étoile de Mer. Jean Carrive, André Breton, Robert Desnos, Pierre Picon et Simone Kahn. 1923. Une correspondance surréaliste. J’avais dans ma bibliothèque Théodore Fraenkel. L’ami de Robert Desnos. Lettres et documents inédits (1917-1952). Premier mai: je lis ou relis les deux petits recueils.

L’Étoile de Mer

Après avoir publié un bulletin ronéoté, le Bonjour de Robert Desnos, l’Association des Amis de Robert Desnos publie chaque année depuis 1996 un cahier Robert Desnos, L’Étoile de Mer, dirigé par Thomas Simonnet.
Ces cahiers, offerts et destinés aux membres de l’association, peuvent également être commandés au siège au prix de 10 euros le numéro. Attention, certains numéros sont épuisés.

Numéro 1 : Robert Desnos et Paris (1996).
Numéro 2 : Robert Desnos et les enfants (1997).
Numéro 3 : Robert Desnos et la scène (1998).
Numéro 4 : Youki et Robert Desnos (1999).
Numéro 5 : Robert Desnos, journaliste à Aujourd’hui (2000).
Numéro 6 : Robert Desnos et les Étoiles (2001).
Numéro 7 : Desnos / Hugo (2002).
Numéro 8 : Desnos / Breton, archives de la rue Fontaine, nouvelles acquisitions de la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet (2004).
Numéro 9 : Desnos et Barral, autour du film La belle saison est proche (2005).
Numéro 10 : Théodore Fraenkel, l’ami de Robert Desnos. Lettres et documents inédits, 1917-1952 (2006).

En 2008, L’Étoile de Mer a ouvert une nouvelle série :
Numéro 1 : Desnos et les Milhaud (2008).
Numéro 2 : La Liberté ou l’amour ! et ses traductions (2010).
Numéro 3 : Robert Desnos / Annie Le Brun « De l’érotisme » (2011).
Numéro 4 : Robert Desnos et ses fantômes (2012).
Numéro 5 : Robert Desnos, Images (2014).
Numéro 6: Robert Desnos et la guerre (2015).

En 2016-2017, exceptionnellement, la revue L’Etoile de Mer cède le pas à une très belle parution aux éditions des Cendres, Pour Denise. L’ouvrage rassemble deux poèmes de Robert Desnos, adressés à ” Denise aux yeux clairs dont les regards m’émeuvent”.
Derrière ces deux poèmes se cache une femme hors du commun et pourtant bien peu connue: Denise Naville, traductrice de Hölderlin, Clausewitz et Celan, entre autres…
Une personnalité hors normes à redécouvrir au fil des mots du poète, dans un ouvrage précieux.

Éditions des Cendres 8 rue des Cendriers 75020 PARIS tél : 01 43 49 31 80 editionsdescendres@gmail.com
Numéro 7 : Robert Desnos, Poétique et mathématiques (2018).
Numéro 8 : Robert Desnos et A à Zèbre (2019).
Numéro 9 : Jean Carrive, André Breton, Robert Desnos, Pierre Picon et Simon Kahn, 1923, Une correspondance surréaliste.

Robert Desnos et le journaliste Jesús Ortega à la terrasse des Deux Magots. 1929.
  • Robert Desnos a fait de Théodore Fraenkel dès 1932 son exécuteur testamentaire. En 1945, celui-ci va s’employer selon les volontés de son ami à aider Youki (Lucienne Badoud 1903-1966) autant qu’il le peut. http://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/02/23/theodore-fraenkel-1896-1964/
  • http://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/02/25/theodore-fraenkel-aragon/
  • Jean Carrive (1905-1963) fut un surréaliste jeune et discret. Élève au lycée Montaigne de Bordeaux, il prépare le baccalauréat et le concours général en pleine révolte adolescente. il s’intéresse à la revue Littérature dès 1922 et entreprend une correspondance avec André Breton et Robert Desnos dès février 1923. En août 1923, il échappe à la surveillance de sa famille protestante (son père est professeur d’histoire au lycée de Bordeaux et disciple de Péguy) et fait un court voyage à Paris où il voit les deux poètes surréalistes. Cette rencontre tourne court, mais Breton lui écrit le 10 septembre 1930: “Nous avons le temps de nous reconnaître.” En 1924, il figure dans le Manifeste du surréalisme parmi les dix-neuf adeptes qui “ont fait acte de SURRÉALISME ABSOLU”. Sa signature figure au bas de plusieurs déclarations du groupe. Il n’a jamais été publié dans Littérature ou la Révolution surréaliste. André Breton l’exclut en 1929. Jean Carrive est dès le lycée ami avec Pierre Picon (né le 31 décembre 1906), frère de Gaëtan Picon (1915-1976). Il lui fait partager sa passion de la littérature. Ils envoient des poèmes surréalistes à Robert Desnos, mais ils ne sont pas publiés (Destinée des algues et Pont des virgules). Pierre Picon sera reçu premier à l’agrégation de philosophie en 1930 et enseignera au Lycée Charles et Adrien Dupuy du Puy-en-Velay.

Jean Carrive part poursuivre ses études en Allemagne. Il se passionne pour Rainer Maria Rilke, après avoir épousé Charlotte Behrendt à Breslau en 1934. Il mène ses travaux de traduction (Rilke, Kafka, les théologiens germanophones) avec cette jeune femme, fille d’architecte allemande d’origine juive. ils ont amis avec Pierre Klossowski et son frère Balthus, Monny de Boully et Pierre Leiris. Après la guerre, Charlotte devient professeur de langue et littérature allemandes à l’Université de Bordeaux. Pierre Klossowski prononce l’oraison funèbre de Jean Carrive le 21 janvier 1963.

http://www.ajpn.org/personne-Jean-Carrive-7778.html

Poème de Jean Carrive, copié de la main de Robert Desnos et conservé dans les archives d’André Breton. Destiné à Littérature, n°11-12, il n’a pas été retenu.

Robert Desnos

Robert Desnos.

Aujourd’hui je me suis promené…

Aujourd’hui je me suis promené avec mon camarade,
Même s’il est mort,
Je me suis promené avec mon camarade.

Qu’ils étaient beaux les arbres en fleurs,
Les marronniers qui neigeaient le jour de sa mort.
Avec mon camarade je me suis promené.

Jadis mes parents
Allaient seuls aux enterrements
Et je me sentais petit enfant.

Maintenant je connais pas mal de morts,
J’ai vu beaucoup de croque-morts
Mais je n’approche pas de leur bord.

C’est pourquoi tout aujourd’hui
Je me suis promené avec mon ami.
Il m’a trouvé un peu vieilli,

Un peu vieilli, mais il m’a dit :
Toi aussi tu viendras où je suis,
Un Dimanche ou un Samedi,

Moi, je regardais les arbres en fleurs,
La rivière passer sous le pont
Et soudain j’ai vu que j’étais seul.

Alors je suis rentré parmi les hommes.

État de veille, 1936.

Robert Desnos, arrêté par la Gestapo le 22 février 1944 au 19 rue Mazarine. Paris VI.

Robert Desnos – Céline

Robert Desnos

La Sonate au clair de lune (H. Bordeaux)
Les murs sont bons (H. Bordeaux)
Les Beaux draps (L.-F. Céline)
Oeuvres (P.-L. Courier)

” Le courrier qui, souvent, fait bien les choses, m’apporte en même temps deux volumes d’Henry Bordeaux et un livre de M. L.-F. Céline. Ainsi j’ai le choix entre la restriction et l’indigestion. C’est qu’en effet ces deux auteurs ont plus d’un point commun. Leur clientèle est, à peu près, la même et l’excès de l’un correspond aux déficiences de l’autre. Je trouve chez tous deux le besoin d’écrire pour ne pas dire grand’chose. Mais que penser de la vertu sans passion que nous propose M. Bordeaux et de la passion sans vertu que nous recommande M. Céline ? En vérité, si le premier a le souffle court, le second n’a pas de souffle du tout : il est boursouflé et voilà tout. Ses colères sentent le bistro et en cela il est, comme beaucoup d’hommes de lettres, intoxiqué par la moleskine et le zinc. Tout ici est puéril chez l’académicien comme chez son confrère et ce sera un utile sujet de méditation pour nos descendants que la coexistence de ces deux écrivains identiques, d’expression différente.
Je n’ai jamais, pour ma part, pu lire jusqu’au bout un seul de leurs livres. L’ennui, l’ennui total me force à dormir dès les premières pages. Et tous les deux représentent les éléments principaux de notre défaite par l’injustice même de leurs succès. Ah ! qu’un écrivain comme Bernanos donne des leçons à l’un de foi religieuse et à l’autre de férocité ! Mais Bernanos est un « monsieur » et il n’est pas nécessaire d’être d’accord avec lui pour l’aimer et l’admirer. Tandis que les colères de Céline évoquent les fureurs grotesques des ivrognes, tandis que la morale de M. Bordeaux ferait exalter le vice en tant qu’école de vertu. Brave homme l’un, brave gars l’autre ? Je veux bien… Mais à quoi bon… à quoi bon les lire? Je vois bien pour qui ils écrivent. Je ne vois pas pourquoi.
Mais le même courrier m’apportait en même temps l’admirable édition par M. Maurice Allem des Oeuvres complètes de Paul-Louis Courier. Cette collection de la Pléiade est un chef-d’oeuvre. Je vais faire des économies pour me la procurer. Lisible, pratique, savante sans pédanterie, c’est un des motifs d’orgueil les plus légitimes de l’édition française.
Mais aussi quel réconfort que de lire Courier (que j’ai omis de citer la semaine dernière dans une liste hâtive d’écrivains militaires dont il est précisément l’exemple le plus typique)! La phrase est directe, simple, savante, fleurie sans être ornée. Elle va droit au but comme une flèche. Elle fait appel à toutes les ressources de la langue. Comme je comprends que Stendhal ait aimé ces opuscules où quatre ou cinq pages en disent plus que les pesants volumes de M. Céline, déplorable disciple d’Honoré d’Urfé, de M. Céline qui écrit gras exactement comme on écrivait précieux au XVIIè siècle. Je voudrais que tous les Français lisent Courier. C’est une école de civisme et, pour employer un mot cher à Corneille, d’esprit républicain. Je retrouve en lui le goût de la justice et du droit qui caractérise les Français. C’est ce goût qui fait notre valeur et justifie l’existence de notre nation. Oui, nous aimons les procès mais, en conséquence, nous aimons les lois, les lois justes et nous sommes tous plus ou moins experts en lois. Au surplus, Paul-Louis Courier apprend moins à penser qu’à s’exprimer. Et cela est bien, car nous avons suffisamment de sources de pensée en France. On a dit qu’il devait ce style vif et délié à l’emploi des vers blancs, aux citations – elles sont nombreuses – dont son oeuvre est semée. Cette caractéristique, nous la retrouvons dans un style bien différent et bien admirable aussi: celui de Michelet. Mais les vers blancs de Courier semblent empruntés à une tragédie classique et ceux de Michelet à un drame romantique. Arrêtons-nous ici, cela nous entraînerait trop loin… Mais lisez Paul-Louis Courier, je vous promets de belles surprises. ”

Robert DESNOS, Aujourd’hui (Interlignes), 3 mars 1941

Sommation
L’an mille neuf cent quarante et un, le 4 mars, à la requête de M. Louis Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline, demeurant à Paris, 11, rue Marsollier (2 ème) etc.
J’ai, Lucien Poré, huissier près du Tribunal civil de la Seine, etc. (…) Que, dans le numéro dudit journal (Aujourd’hui), en date du lundi 3 mars 1941, etc. a paru un article «Interlignes», etc. Pourquoi j’ai, huissier susdit et soussigné, fait sommation… d’avoir à insérer… la réponse ci-dessous transcrite :

“Monsieur le Rédacteur en chef,
Votre collaborateur Robert Desnos est venu dans votre numéro 3 du 3 mars 1941 déposer sa petite ordure rituelle sur les « Beaux draps ». Ordure bien malhabile si je la compare à tant d’autres que mes livres ont déjà provoquées – un de mes amis détient toute une bibliothèque de ces gentillesses. Je ne m’en porte pas plus mal, au contraire, de mieux en mieux. M. Desnos me trouve ivrogne, « vautré sur moleskine et sous comptoirs », ennuyeux à bramer moins que ceci… pire que cela…Soit ! Moi je veux bien, mais pourquoi M. Desnos ne hurle-t-il pas plutôt le cri de son cœur, celui dont il crève inhibé… « Mort à Céline et vivent les Juifs ! » M. Desnos mène, il me semble, campagne philoyoutre ( et votre journal ) inlassablement depuis juin. Le moment doit être venu de brandir enfin l’oriflamme. Tout est propice. Que s’engage-t-il, s’empêtre-t-il dans ce laborieux charabia ?… Mieux encore, que ne publie-t-il, M. Desnos, sa photo grandeur nature face et profil, à la fin de tous ses articles ?
La nature signe toutes ses œuvres – « Desnos », cela ne veut rien dire.
Va-t-on demander au serpent ce qu’il pense de la mangouste ? Ses sentiments sont bien connus, naturels, irrémédiables, ceux de M. Desnos aussi. Le tout est un peu de franchise. Voici tout ce qu’il m’importait de faire savoir à vos lecteurs, réponse que je vous prie d’insérer, en même lieu et place, dans votre prochain numéro.
Veuillez agréer, je vous prie, monsieur le Rédacteur en chef, l’assurance de mes parfaits sentiments. ”
L.-F. Céline

Lui déclarant, etc.
Dont acte sous toutes réserves, etc. Le tout conformément à la loi. Coût : soixante dix-huit francs quarante centimes.

Nous avons communiqué la sommation ci-dessus à notre collaborateur Robert Desnos, dont nous publions les quelques lignes suivantes :

” La réponse de M. Louis Destouches, dit « Louis-Ferdinand Céline », est trop claire pour qu’il soit nécessaire de commenter chaque phrase. Au surplus, les lecteurs n’auront qu’à se référer à mon article de lundi dernier. Je crois utile cependant de souligner la théorie originale suivant laquelle un « critique littéraire » n’a qu’une alternative : ou crier «Mort à Céline ! » ou crier : « Mort aux Juifs ! ». C’est là une formule curieuse et peu mathématique dont je tiens à laisser la responsabilité à M. Louis Destouches, dit « Louis-Ferdinand Céline ». Robert Desnos dit « Robert Desnos »

Céline

Robert Desnos pendant la Seconde Guerre Mondiale

Robert Desnos à Terezin (entre le 8 mai et le 4 juin 1945).

Robert Desnos fait  « la drôle de guerre  » comme sergent en Lorraine. Il stigmatise « les bobards de ceux qui, pour éviter la fascisation de la France, laisseraient volontiers Hitler triompher. On se demande s’ils sont fous » (Lettre du 11 janvier 1940). Il est lucide en juin 1940 et affirme déjà ce que sera son attitude pendant l’Occupation : « Il faut prendre les événements sérieusement mais pas désespérément (…). Les Allemands instituent une nouvelle règle du jeu et la jouent rigidement. Maintenant, nous allons tricher. » (Lettre à Youki du 7 juin 1940) Prisonnier, il pense à l’avenir et relativise la défaite : « Il faut mettre les choses au pire. C’est-à-dire victoire d’Hitler et garder de côté nos espoirs, sûr: puissance de l’Angleterre; possible: attitude des USA; douteux: intervention des URSS. (…) L’histoire d’un pays vivant est faite de cela [les défaites] et quant aux pertes de territoires elles sont la rançon de l’activité et de la vie (…). Non ce qui importe c’est le degré de vassalité auquel nous serons réduits et partant de combien nos libertés seront hypothéquées et notre vie sociale diminuée. En ce sens il nous faudra du courage mais je suis dès maintenant sûr d’en sortir en deux ou trois ans. » (Lettre du 3 juillet 1940)

Il est démobilisé le 22 août. Il rentre à Paris et débute comme chef des informations au quotidien Aujourd’hui, commandité par Roger Capgras. Ses rédacteurs en chef sont Henri Jeanson et Robert Perrier. L’espoir d’y maintenir une certaine liberté de parole est de courte durée. En effet,  Henri Jeanson est arrêté en novembre, ayant refusé de publier des articles favorables à la loi sur le « statut des Juifs », adoptée le 3 octobre par Vichy, ainsi qu’à l’entrevue de Montoire du 24 octobre. A partir du 3 décembre, le journal est contrôlé par les Allemands. Georges Suarez, qui sera fusillé le 9 novembre 1944 pour faits de collaboration, devient son directeur politique. En accord avec Jeanson, Desnos reste au journal comme « courriériste littéraire ». Il dispose d’un salaire fixe, d’un Ausweis professionnel qui lui permet de circuler la nuit et capte des informations recueillies au journal avant censure. Désormais, il peut « tricher » . Dans les articles qu’il publie, il n’abdique pas ses idées: « Si je n’écris pas tout ce que je pense, je pense tout ce que j’écris », écrit-il à François Mauriac le 3 janvier 1941. Dès le 14 septembre 1940, il a fustigé l’esprit de délation qui règne dans Paris par un article intitulé « J’irai le dire à la Kommandantur. » Dans sa chronique du 3 mars 1941, il n’épargne pas Les Beaux draps de Céline qui le 7 mars suivant fait insérer par sommation d’huissier une protestation dans laquelle Desnos est accusé de mener une « campagne philoyoutre » et d’être juif lui-même : « Que ne publie-t-il, M. Desnos, sa photo grandeur nature, face et profil, à la fin de tous ses articles? . » Le 16 septembre 1942, Desnos critique sans aménité la traduction des Poèmes d’Edgar Poe par Pierre Pascal, rédacteur du journal pronazi L’ Appel. Ce dernier envoie une lettre vengeresse à Suarez et à Desnos. Il traite le poète d’ « antifasciste, enjuivé, perdu de tout ». En avril 1942, Robert Desnos gifle Alain Laubreaux, journaliste fasciste et antisémite à Je suis partout, qui jouera un rôle déterminant en 1944 dans sa déportation.  En 1943, il ne publie que des critiques de disques, mais restera dans le journal jusqu’à son arrestation.

Après la « rafle du Vel d’hiv », en juillet 1942, il s’engage dans le réseau de renseignement «  Agir » , créé par Michel Hollard. Du 25 juillet 1942 au 22 février 1944, il transmet des informations recueillies au journal, fabrique de fausses pièces d’identité pour les membres du réseau et des Juifs en difficulté et cache chez lui des réfractaires au STO ou des résistants. A l’automne 1943, le réseau est menacé par l’infiltration d’agents doubles. Par l’intermédiaire de Jacques Prévert, Desnos rencontre André Verdet, membre du réseau Combat, venu de la zone Sud pour constituer un groupe d’action immédiate. Il accepte d’apporter son concours à ce groupe, tout en continuant à appartenir à Agir. En février 1944, les deux réseaux sont démantelés.

Le 22 février, un coup de téléphone l’avertit de l’arrivée imminente de la Gestapo chez lui, mais Desnos refuse de fuir de crainte qu’on emmène Youki, sa compagne, qui se droguait à l’éther. Interrogé rue des Saussaies, il est envoyé à la prison de Fresnes. Il y reste du 22 février au 20 mars. Il est ensuite transféré au camp de Compiègne. Le 27 avril, le poète fait partie d’un convoi de mille sept cents hommes, le fameux convoi dit « Pucheu », direction Auschwitz où il arrive le 30 avril au soir. Il est ensuite emmené à Buchenwald. Il y est le 14 mai et repart deux jours plus tard pour Flossenbürg. Le convoi qui ne compte plus qu’un millier d’hommes y arrive le 25 mai. Les 2 et 3 juin, un groupe de quatre-vingt-cinq hommes, dont Desnos, est acheminé vers le camp de Flöha, en Saxe. Les prisonniers fabriquent des carlingues de Messerschmitt 109. Le 14 avril 1945, le camp est évacué. Beaucoup de prisonniers meurent épuisés par les marches forcées ou sont abattus par les gardiens. Le 7-8 mai, les rescapés – dont Desnos – arrivent au camp de concentration de Terezín (Theresienstadt) en Tchécoslovaquie.

Là, les survivants sont abandonnés dans des cellules de fortune ou expédiés au Revier, l’infirmerie. Les poux pullulent, le typhus fait rage. Les SS prennent la fuite.  L’ Armée rouge et les partisans tchèques pénètrent dans le camp. Plusieurs semaines après la libération, un étudiant tchèque, Joseph Stuna consulte la liste des malades et lit: « Robert Desnos, né en 1900, nationalité française . »  Il sait qui est Desnos, car il connaît les surréalistes, a lu André Breton et Paul Éluard. Avec l’aide de l’infirmière Aléna Tesarova, qui parle bien le français, il retrouve le poète et le veille. Desnos aurait appelé ce moment son « matin le plus matinal ». Le 8 juin 1945, à 5 h 30 du matin, Robert Desnos meurt du typhus. Il avait 44 ans. Son corps sera incinéré. Ses cendres seront remises à la France et déposées dans le caveau familial au cimetière Montparnasse.

Source: Desnos, Oeuvres, Gallimard, Quarto 1999. Edition présentée et commentée par Marie-Claire Dumas.