(En réponse au compte Facebook de Marie Paule et Raymond Farina)
On oublie souvent l’humour d’Antonio Machado, sa “socarronería” On l’évoque le plus souvent seulement comme un saint laïc. On oublie ainsi l’homme qu’il était.
Las moscas (Antonio Machado )
Vosotras, las familiares, inevitables golosas, vosotras, moscas vulgares, me evocáis todas las cosas.
¡Oh, viejas moscas voraces, como abejas en abril, viejas moscas pertinaces sobre mi calva infantil!
¡Moscas del primer hastío en el salón familiar, las claras tardes de estío en que yo empecé a soñar!
Y en la aborrecida escuela, raudas moscas divertidas, perseguidas por amor de lo que vuela,
– que todo es volar -, sonoras rebotando en los cristales en los días otoñales… Moscas de todas las horas,
de infancia y adolescencia, de mi juventud dorada; de esta segunda inocencia, que da en no creer en nada,
de siempre… Moscas vulgares, que de puro familiares no tendréis digno cantor: yo sé que os habéis posado
sobre el juguete encantado, sobre el librote cerrado, sobre la carta de amor, sobre los párpados yertos de los muertos.
Inevitables golosas, que ni labráis como abejas, ni brilláis cual mariposas; pequeñitas, revoltosas, vosotras, amigas viejas, me evocáis todas las cosas.
Humorismos, Fantasías, Apuntes… (1899-1907)
Les mouches
Mouches familières, inévitables et goulues, mouches vulgaires, vous évoquez pour moi toutes choses.
Oh ! vieilles mouches voraces comme abeilles en avril, vieilles mouches tenaces sur mon crâne chauve d’enfant !
Mouches du premier vague à l’âme dans le salon familial, en ces claires soirées d’été quand je commençais à rêver !
Et à l’école détestée, mouches folâtres et rapides, poursuivies par amour de ce qui vole,
— car tout n’est que vol — bruyantes, rebondissant sur les vitres, les jours d’automne… Mouches de toutes les heures,
d’enfance et d’adolescence, de ma jeunesse dorée, de cette seconde innocence qui se targue de ne croire en rien,
de toujours… Mouches vulgaires, si familières que nul ne saura dignement vous chanter : je sais, vous vous êtes posées
sur le jouet enchanté, sur le bouquin fermé, sur la lettre d’amour, sur les paupières glacées des morts.
Inévitables et goulues, non pas diligentes comme les abeilles, ni, comme les papillons, brillantes ; petites, espiègles, vous, mes vieilles amies, évoquez pour moi toutes choses.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésiesde la guerre. 2004. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.
Un article de El País du 21 novembre 2024 nous apprend qu’une donation privée a permis de faire réapparaître 1 131 négatifs, parmi eux de nombreuses photographies de Federico García Lorca, Rafael Alberti, Jorge Guillén, Luis Cernuda, Manuel Altolaguirre, Vicente Aleixandre, Pedro Salinas, Gabriel Miró ou Juan Ramón Jiménez. Elles sont inédites.
Leur auteur : Juan Guerrero Ruiz. Né à Murcie en 1893, il fait des études de droit à Grenade, puis à Madrid. Il se rend dans la capitale en mai 1913 pour rencontrer Juan Ramón Jiménez, poète qu’il admire profondément. Il est considéré comme le protecteur de la génération de 1927. Il a fait preuve toute sa vie d’une grande activité de promotion de la culture.En 1923, il crée en 1923 dans sa ville natale le supplément littéraire PáginaLiteraria et en 1927, en collaboration avec Jorge Guillén, la revue Verso y Prosa. C’est dans celle-ci que Federico García Lorca publie le premier Romancero gitano en 1928 avec cette dédicace : “A Juan Guerrero, cónsul general de la poesía”. Dans ses archives figurent de nombreuses photos du poète de Grenade, seul ou accompagné des autres membres de la génération de 1927. Juan Guerrero traduit et fait connaître en Espagne James Joyce, D. H. Lawrence, Valery Larbaud. Il joue souvent le rôle de secrétaire particulier de Juan Ramón Jiménez. Il sauve ainsi de la destruction de nombreux manuscrits et papiers personnels que le poète de Moguer, partie en exil, avait laissé dans son appartement de Madrid, pillé et saccagé par des militants phalangistes à la fin de la Guerre civile. Il meurt d’un cancer à Madrid en 1955.
Juan Guerrero a gardé pendant des années dans une grande boîte orange des négatifs et des photographies de sa famille, de ses amis et de ses voyages en Espagne. Certains sont datés, d’autres non. Ils couvrent une longue période qui va de 1927 à 1953. 567 négatifs représentent des paysages ou des villes des différentes régions d’Espagne. 113 images concernent sa famille. Pour le reste, il s’agit de photographies de personnages célèbres : écrivains, peintres, sculpteurs, hommes politiques.
Guadalupe Ríos les a reçus dans les années 60 des mains de la veuve de Juan Guerrero, Ginesa Aroca García. Elle vient de les léguer au Musée Ramón Gaya de Murcie. Elle a reçu les conseils et l’aide du critique d’art et historien Juan Manuel Bonet qui a dirigé dans le passé l’IVAM (Instituto Valenciano de Arte Moderno) et ensuite le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía de Madrid.
Una donación privada saca a la luz en Murcia cientos de fotos inéditas de la generación del 27
El Museo Gaya recibe el archivo de Juan Guerrero, con 1.131 negativos de retratos de Lorca, Alberti, Guillén, Cernuda o Juan Ramón Jiménez.
Juan Guerrero Ruiz. Vida literaria y epistolario inédito. Murcia, Academia Alfonso X el Sabio, 1986.
Juan Ramón de viva voz. Ínsula, 1961.
Juan Ramón de viva voz. Volumen I. (1913 – 1931) Juan Ramón de viva voz. Volumen II (1932 – 1936). Pre-textos/Museo Ramón Gaya, 1998 y 1999.
DVD. El deseo y la realidad. Imágenes y palabras de los poetas del 27, 2009. Documentaire de l’ Institut Cervantes et de la maison de production Ojomóvil.
Je remercie Marie Paule et Raymond Farina qui publient jour après jour sur Facebook des textes qui font du bien : aujourd’hui le poème Oda a la bicicleta de Pablo Neruda.
Il m’a rappelé Balada de la bicicleta con alas de Rafael Alberti qui figurait dans le temps dans les manuels scolaires d’espagnol.
Balada de la bicicleta con Alas (Rafael Alberti)
1
A los cincuenta años, hoy, tengo una bicicleta. Muchos tienen un yate y muchos más un automóvil y hay muchos que también tienen ya un avión. Pero yo, a mis cincuenta años justos, tengo sólo una bicicleta. He escrito y publicado innumerables versos. Casi todos hablan del mar y también de los bosques, los ángeles y las llanuras. He cantado las guerras justificadas, la paz y las revoluciones. Ahora soy nada más que un desterrado. Y a miles de kilómetros de mi hermoso país, con una pipa curva entre los labios, un cuadernillo de hojas blancas y un lápiz corro en mi bicicleta por los bosques urbanos, por los caminos ruidosos y calles asfaltadas y me detengo siempre junto a un río, a ver cómo se acuesta la tarde y con la noche se le pierden al agua las primeras estrellas.
2
Es morada mi bicicleta y alegre y plateada como cualquiera otra. Mas cuando gira el sol en sus ruedas veloces, de cada uno de sus radios llueven chispas y entonces es como un antílope, como un macho cabrío, largo de llamas blancas, o un novillo de fuego que embistiera los azules del día.
3
¿Qué nombre le pondría hoy, en esta mañana, después que me ha traído, que me ha dejado sin decírmelo apenas al pie de estas orillas de bambúes y sauces y la miro dormida, abrazada de yerbas dulcemente, sobre un tronco caído? … Cabra feliz de las pendientes. Eral de las cañadas. Niña escapada de la aurora. Luna perdida. Gabriel arcángel. La llamaré con este frágil nombre. Porque son sus dos alas blancas las que me llevan, Anunciándome el aire de todos los caminos.
4
Yo sé que tiene alas. Que por las noches sueña en alta voz la brisa de plata de sus ruedas. Yo sé que tiene alas. Que canta cuando vuela dormida, abriendo al sueño una celeste senda. Yo sé que tiene alas. Que volando me lleva por prados que no acaban y mares que no empiezan. Yo sé que tiene alas. Que el día que ella quiera, los cielos de la ida ya nunca tendrán vuelta.
Ballade de la bicyclette ailée
1 À cinquante ans, aujourd’hui, j’ai ma bicyclette. Beaucoup ont un yacht et beaucoup plus encore ont une automobile ; il en est même beaucoup qui ont déjà un avion. mais moi, à cinquante ans tout juste, je n’ai qu’une bicyclette. J’ai écrit et j’ai publié des vers sans nombre. Presque tous parlent de la mer et aussi des bois, des anges, des plaines. J’ai chanté les guerres justifiées, la paix et les révolutions. et maintenant je ne suis plus qu’un exilé. À des milliers de kilomètres de mon beau pays, avec ma pipe courbe aux lèvres, un petit bloc de feuillets blancs et un crayon, je cours à bicyclette dans les bois urbains, dans les chemins bruyants et les rues goudronnées, et je m’arrête toujours près d’une rivière voir comment se couche le soir, comment avec la nuit se perdent dans les eaux les premières étoiles.
2 Elle est violette ma bicyclette, joyeuse aussi et argentée comme toutes les autres. mais quand le soleil tourne dans ses roues rapides, chacun de ses rayons laisse pleuvoir des étincelles, et alors elle ressemble à une antilope ou à un bouc, un long bouc tout de flammes blanches, ou un taurillon de feu fonçant droit sur les bleus du jour.
3 Quel nom lui donner ce matin maintenant qu’elle m’a conduit et qu’elle m’a laissé presque sans me le dire au pied de cette rive de saules et de bambous, tandis que je la regarde endormie, doucement caressée par l’herbe, sur un tronc tombé ? Courlis des bois. Étoile filante des fées. Toile d’araignée embrasés des sylphes. Rose double du vent. Marguerite bicorne des prairies. Heureuse chèvre des versants. Jeune taureau des gorges. Fillette échappée de l’aurore. Lune perdue. Archange Gabriel. Je vais l’appeler de ce nom fragile. Car ce sont ses deux ailes blanches qui me portent, en m’annonçant au vent de tous les chemins.
4 Je sais qu’elle a des ailes. Et que chaque nuit rêve à haute voix la brise argentée de ses roues. Je sais qu’elle a des ailes. Qu’elle chante en volant, dormeuse ouvrant au rêve un céleste sentier. Je sais qu’elle a des ailes. Et que son vol m’emporte parmi des prés sans fin et des mers sans rivages. Je sais qu’elle a des ailes. Et qu’au jour de son choix les cieux de notre aller n’auront plus de retour.
Il faut relire la lettre que Federico García Lorca envoie à son jeune ami colombien Jorge Zalamea (1905-1969) à l’automne de 1928. Il lui dédie le Poème de la solea (Poema del cante jondo, 1931). Jorge Zalamea est un écrivain et diplomate colombien, traducteur de Saint-John Perse en espagnol. À partir de 1928, il passe une période en Espagne et fait la connaissance des poètes de la Génération de 1927. La correspondance que Federico lui adresse (cinq lettres et un fragment de lettre) est exceptionnellement révélatrice. Elle a été publiée primitivement dans la Revista de las Indias, Bogotá, 1937. n°5. Le premier Romancero gitano a été publié à la fin du mois de juillet 1928 et a obtenu rapidement un grand succès en Espagne, puis dans le monde hispanique. Au début août, García Lorca revient à Grenade. Mais, ses amis Salvador Dalí et Luis Buñuel critiquent vertement ce recueil. Rapidement, García Lorca s’éloigne de cette thématique traditionnelle et populaire. Il se tourne vers le pôle opposé (Odes et Poèmes en prose). Il traverse alors aussi grave une grande crise sentimentale (rupture avec le sculpteur Emilio Aladrén, 1906-1944) qu’il ne surmontera qu’un an plus tard en partant aux États-Unis et à Cuba.
Lettre de Federico García Lorca à Jorge Zalamea [Grenade, automne 1928]
gallo
Mon cher Jorge :
Enfin j’ai reçu ta lettre. Je t’en avais écrit une, que j’ai déchirée. Tu as dû passer un mauvais été. Heureusement voici qu’on entre dans l’automne qui me rend la vie. Moi aussi j’ai été très malheureux. Très. Il faut avoir la somme de joie que Dieu m’a donnée pour ne pas succomber sous la foule de conflits qui m’ont assailli dernièrement. Mais Dieu ne m’abandonne jamais. J’ai beaucoup travaillé et je continue. Après avoir construit mes Odes, où je mets tant d’ardeur, je boucle ce cycle de poésie pour faire autre chose ensuite. En ce moment, j’écris une poésie à S’OUVRIR LES VEINES, une poésie ÉVADÉE de la réalité, empreinte d’une émotion où se reflète mon amour – et ma dérision – des choses. Amour de la mort. Amour. Mon coeur. C’est ainsi. Toute la journée j’ai une activité poétique d’usine. Après quoi je me jette dans l’humain, dans l’andalou pur, dans la bacchanale de chair et de rire. L’Andalousie est incroyable. Orient sans venin. Occident sans action. Chaque jour m’apporte de nouvelles surprises. La belle chair du Sud te remercie après que tu l’as piétinée. Malgré tout, je ne suis pas bien, je ne suis pas heureux. Aujourd’hui il fait à Grenade un jour gris de PREMIERE QUALITÉ. De la propriété de San Vicente (ma mère s’appelle Vicenta) où j’habite, parmi des figuiers magnifiques et d’immenses noyers vigoureux, je vois le plus beau panorama de montagnes d’Europe pour la transparence de l’air. Comme tu le vois, mon cher ami, je t’écris sur le papier de gallo, parce que nous allons relancer la revue ; nous sommes en train de composer le troisième numéro. Je crois qu’il sera très bien. Au revoir, cher Jorge. Reçois une affectueuse accolade de FEDERICO
Sois joyeux ! C’est une nécessité, un devoir que d’être joyeux. Je te le dis, moi qui traverse une des périodes les plus tristes et les plus pénibles de ma vie. Écris-moi.
Carta de Federico García Lorca a Jorge Zalamea
[Granada, septiembre 1928]
gallo
Mi querido Jorge:
Por fin he recibido tu carta. Ya te había escrito una y la he roto. Has debido pasar un mal verano. Ya afortunadamente entra el otoño, que me da la vida. Yo también lo he pasado muy mal. Muy mal. Se necesita tener la cantidad de alegría que Dios me ha dado para no sucumbir ante la cantidad de conflictos que me han asaltado últimamente. Pero Dios no me abandona nunca. He trabajado mucho y estoy trabajando. Después de construir mis Odas, en las que tengo tanta ilusión, cierro este ciclo de poesía para hacer otra cosa. Ahora hago una poesía de abrirse las venas, una poesía evadida ya de la realidad con una emoción donde se refleja todo mi amor por las cosas y mi guasa por las cosas. Amor de morir y burla de morir. Amor. Mi corazón. Así es. Todo el día tengo una actividad poética de fábrica. Y luego me lanzo a lo del hombre, a lo del andaluz puro, a la bacanal de carne y de risa. Andalucía es increíble. Oriente sin veneno, Occidente sin acción. Todos los días llevo sorpresas nuevas. La bella carne del Sur te da las gracias después de haberla pisoteado. A pesar de todo, yo no estoy bien, ni soy feliz. Hoy hace un día gris en Granada de primeracalidad. Desde la Huerta de San Vicente (mi madre se llama Vicenta) donde vivo, entre magníficas higueras y nogales corpulentos, veo el panorama de sierras más bello (por el aire) de Europa. Como ves, mi querido amigo, te escribo en el papel de gallo, porque ahora hemos reanudado la revista y estamos componiendo el tercer número. Creo que será precioso. Adiós, Jorge. Recibe un abrazo cariñoso de
Federico
¡Que estés alegre! Hay necesidad de ser alegre, el deber de ser alegre. Te lo digo yo, que estoy pasando uno de los momentos más tristes y desagradables de mi vida. Escríbeme.
“Como todos los años, al iniciarse el otoño, la gente del Mediterráneo sabe que un día se abrirán las compuertas del cielo, comenzará a llover con una fuerza inaudita y se llevará por delante todo lo que encuentre a su paso. La furia de la riada buscará el mismo camino hasta el mar que había seguido durante miles de años sin hallar otros obstáculos que los de la propia naturaleza. Pero a lo largo del tiempo los cauces que eran de su exclusiva propiedad se fueron cegando debido a que el desarrollo económico le disputó su territorio, hasta el punto que en la servidumbre de paso del agua se han levantado pueblos, fábricas, autopistas e interpuesto millones de automóviles. Se trata de un desafío entre los hombres y la naturaleza. Está claro que contra la naturaleza no se puede. La tierra, el aire, el fuego y el agua son los cuatro elementos, que según Aristóteles, conforman la materia que te salva o te mata de forma irracional, pero también a veces según uno se comporte con ella. La tierra que te da de comer con sus frutos, puede aplastarte con un terremoto; el aire con esa brisa tan agradable que respiras puede convertirse en un huracán devastador, el fuego que arde en la chimenea es capaz de incendiar los bosques y el agua que bebes puede llevarse por delante tu vida con todos tus enseres. Los científicos habían advertido con suficiente antelación de la tragedia que se avecinaba alrededor de Valencia y no se equivocaron; sin duda algunos políticos no han estado a la altura de este cataclismo, pero si algún miserable trata de sacar partido de esta desgracia echando la culpa al adversario será como uno más que aprovecha el caos para realizar un pillaje en un supermercado. En medio de la desolación es el momento de la solidaridad y del arrojo ante el infortunio. Con muchas lágrimas los muertos serán enterrados, con el tiempo esta tragedia de Valencia será olvidada, y por nuestra parte seguiremos jugando a desafiar a la naturaleza, como siempre, sin haber aprendido nada.” (El País, 3 novembre 2024)
Je viens de lire sur le blog de Pierre Assouline, La République des Livres, la traduction récente que Line Amsellem vient de publier chez Allia du plus célèbre poème des Sonnets de l’amour obscur.
Tengo miedo a perder la maravilla de tus ojos de estatua y el acento que de noche me pone en la mejilla la solitaria rosa de tu aliento.
Tengo pena de ser en esta orilla tronco sin ramas, y lo que más siento es no tener la flor, pulpa o arcilla, para el gusano de mi sufrimiento.
Si tú eres el tesoro oculto mío, si eres mi cruz y mi dolor mojado, si soy el perro de tu señorío,
no me dejes perder lo que he ganado y decora las aguas de tu río con hojas de mi otoño enajenado.
Sonetos del amor oscuro. Publié dans la revue Cancionero. Valladolid. 1943.
Sonnet de la douce plainte
J’ai la crainte de perdre le prodige de tes yeux de statue, et cette touche que me met sur la joue pendant la nuit la solitaire rose de ton souffle.
Je suis triste d’être sur cette rive un tronc sans branche, et plus encor me coûte de n’avoir pas la fleur, pulpe ou argile, pour le ver rongeur par lequel je souffre.
Si tu es mon bien caché, mon trésor, si tu es ma croix, ma douleur mouillée, et si je suis le chien de ta couronne,
fais que je garde ce que j’ai gagné et de ta rivière les eaux décore de feuilles de mon automne emporté.
Sonnets de l’amour obscur. Traduction Line Amselem. Éditions Allia, 2024.
il est intéressant de la comparer avec celles d’André Belamich et d’Yves Véquaud.
Line Amsellem, agrégée d’espagnol, maître de conférences à l’université polytechnique Hauts-de-France, a publié chez Allia d’autres traductions de Federico García Lorca.
Jeu et théorie du duende, Paris, Allia, 2008,
Las Nanas infantiles, Paris, Allia, 2009. Réédité sous le titre Les Berceuses, Paris, Allia, 2018
Il me faut relire quelques poèmes d’Antonio Machado el Bueno. Il doit se promener quelque part, peut-être Parque del Oeste à Madrid, près du Paseo del Pintor Rosales. Il attend de voir Guiomar…
” He andado muchos caminos. J’ai connu beaucoup de chemins. “
Je n’aime pas trop la traduction de ce poème.
II. He andado muchos caminos
He andado muchos caminos he abierto muchas veredas ; he navegado en cien mares y atracado en cien riberas.
En todas partes he visto caravanas de tristeza, soberbios y melancólicos borrachos de sombra negra.
Y pedantones al paño que miran, callan y piensan que saben, porque no beben el vino de las tabernas.
Mala gente que camina y va apestando la tierra…
Y en todas partes he visto gentes que danzan o juegan, cuando pueden, y laboran sus cuatro palmos de tierra.
Nunca, si llegan a un sitio preguntan a dónde llegan. Cuando caminan, cabalgan a lomos de mula vieja.
Y no conocen la prisa ni aun en los días de fiesta. Donde hay vino, beben vino, donde no hay vino, agua fresca.
Son buenas gentes que viven, laboran, pasan y sueñan, y un día como tantos, descansan bajo la tierra.
Soledades, 1907.
J’ai connu beaucoup de chemins
J’ai connu beaucoup de chemins, j’ai tracé beaucoup de sentiers, navigué sur cent océans, et accosté à cent rivages.
Partout j’ai vu des caravanes de tristesse, de fiers et mélancoliques ivrognes à l’ombre noire.
et des cuistres, dans les coulisses, qui regardent, se taisent et se croient savants, car ils ne boivent pas le vin des tavernes.
Sale engeance qui va cheminant et empeste la terre…
Et partout j’ai vu des gens qui dansent ou qui jouent, quand ils le peuvent, et qui labourent leurs quatre empans de terre.
Arrivent-ils quelque part, jamais ne demandent où ils sont. Quand ils vont cheminant, ils vont sur le dos d’une vieille mule,
ils ne connaissent point la hâte, pas même quand c’est jour de fête. S’il y a du vin, ils en boivent, sinon ils boivent de l’eau fraîche.
Ce sont de braves gens qui vivent, qui travaillent, passent et rêvent, et qui un jour comme tant d’autres reposent sous la terre.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de la guerre. 1981. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.
PS. Manuel propose ” mauvaises gens ” plutôt que sale engeance qui a une connotation presque raciste. je suis d’accord avec lui… Je ne retrouve pas dans la traduction française la simplicité, la sagesse populaire qu’exprime Machado.
L’écrivain chilien Antonio Skármeta est mort mardi 15 octobre à l’âge de 83 ans. il est né le 7 novembre 1940 à Antofagasta, dans le nord du Chili. Il a étudié la philosophie à l’université du Chili, où il a travaillé des années plus tard comme professeur à la faculté de philosophie et comme metteur en scène de théâtre. Après le coup d’Etat militaire d’Augusto Pinochet en 1973, il s’est exilé en Argentine puis en Allemagne, où il a été ambassadeur du Chili dans les années 2000. Il a aussi animé un programme culturel à la télévision chilienne, El show de los libros, de 1992 à 2002. Il est surtout connu comme auteur de Ardiente paciencia (1985) (Une ardente patience, Le Seuil 1985. Traduction de François Maspero) Ce roman a été adapté au cinéma en 1994 sous le titre Le Facteur (Il postino) par Michael Radford avec Massimmo Troisi et Philippe Noiret, dans le rôle de Pablo Neruda. Skármeta avait réalisé lui-même en 1983 une première version de cette histoire. Sa pièce de théâtre, El plebiscito, a été le point de départ du film de Pablo Larraín No (2012) qui évoque la participation d’un jeune publicitaire à la campagne en faveur du « non » lors du référendum chilien de 1988. Celui-ci a marqué la fin de la dictature militaire d’Augusto Pinochet et a ouvert la voie à la transition démocratique chilienne.
Le titre Ardiente paciencia rappelle le poème de Rimbaud que Neruda avait évoqué lorsqu’il avait reçu le Prix Nobel de Littérature en 1971 :
” Hace hoy cien años exactos, un pobre y espléndido poeta, el más atroz de los desesperados, escribió esta profecía: A l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides Villes. (Al amanecer, armados de una ardiente paciencia entraremos en las espléndidas ciudades.)
Yo creo en esa profecía de Rimbaud, el vidente. Yo vengo de una oscura provincia, de un país separado de todos los otros por la tajante geografía. Fui el más abandonado de los poetas y mi poesía fue regional, dolorosa y lluviosa. Pero tuve siempre confianza en el hombre. No perdí jamás la esperanza. Por eso tal vez he llegado hasta aquí con mi poesía, y también con mi bandera.
En conclusión, debo decir a los hombres de buena voluntad, a los trabajadores, a los poetas, que el entero porvenir fue expresado en esa frase de Rimbaud: solo con una ardiente paciencia conquistaremos la espléndida ciudad que dará luz, justicia y dignidad a todos los hombres.
Así la poesía no habrá cantado en vano. “
Adieu ¯¯¯¯¯¯¯¯
L’automne, déjà ! – Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, – loin des gens qui meurent sur les saisons.
L’automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l’ivresse, les mille amours qui m’ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d’âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le coeur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment… J’aurais pu y mourir… L’affreuse évocation ! J’exècre la misère.
Et je redoute l’hiver parce que c’est la saison du comfort !
Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d’or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée !
Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !
Suis-je trompé ? la charité serait-elle soeur de la mort, pour moi ?
Enfin, je demanderai pardon pour m’être nourri de mensonge. Et allons.
Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?
¯¯¯¯¯¯¯¯
Oui l’heure nouvelle est au moins très-sévère.
Car je puis dire que la victoire m’est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s’effacent. Mes derniers regrets détalent, – des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. – Damnés, si je me vengeais !
Il faut être absolument moderne.
Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n’ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !… Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.
Cependant c’est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.
Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c’est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, – j’ai vu l’enfer des femmes là-bas ; – et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.
Miguel Hernández Gilabert est né le 30 octobre 1910 à Orihuela (province d’Alicante).
Il fait partie d’une famille de sept enfants, dont trois meurent en bas âge. Il passe son enfance et son adolescence entre l’école et le troupeau de chèvres de son père. Il doit abandonner ses études à 14 ans, mais passe de longs moments à la bibliothèque où il lit avec passion tous les auteurs du Siècle d’or espagnol.
Il commence par publier ses poèmes dans la presse locale et régionale dès 1929. Il se rend par deux fois à Madrid. Lors du deuxième voyage, Vicente Aleixandre et Pablo Neruda, qui obtiendront plus tard tous les deux le Prix Nobel de Littérature, deviennent ses grands amis. En 1936, il s’engage dans l’armée républicaine. Le 9 mars 1937, il épouse Josefina Manresa. Il aura deux fils. L’aîné, Manuel Ramón, né en décembre 1937, meurt à l’automne 1938. Á la fin de la guerre, il essaie de se rendre au Portugal, mais il est arrêté à la frontière par la police portugaise et remis à la Garde civile.
Le 18 janvier 1940, un Conseil de Guerre le condamne à mort l’accusant du délit d’adhésion à la rébellion dans une parodie de procès (Sumarios 21001 y 4407). La sentence est commuée en 30 ans d’emprisonnement le 9 juillet 1940. Miguel Hernández connaît les prisons de Madrid, Palencia, Ocaña, Alicante. Les conditions déplorables de détention ont raison de sa santé. Atteint de tuberculose, il meurt le 28 mars 1942 dans la prison Reformatorio de Alicante par manque de soins. Josefina Manresa et son second fils, Manuel Miguel (1939-1984) vivront ensuite à Elche dans une grande pauvreté.
Aujourd’hui l’aéroport d’ Alicante-Elche porte le nom du poète ainsi que l’Université d’Elche. Mais sa condamnation n’avait toujours pas été annulée par le Tribunal Suprême.
La famille, représentée par sa belle-fille, Lucía Izquierdo, et ses enfants a enfin obtenu la semaine dernière que le gouvernement annule ce jugement. Le ministre de Política Territorial y Memoria Democrática, Miguel Ángel Torres, a signé 29 déclarations d’annulation de jugements contre des personnes condamnées par la régime franquiste. Miguel Hernández en fait partie.
Une cérémonie officielle aura lieu le 31 octobre 2024 à Madrid en présence de la famille.
Un long processus va enfin de terminer. En effet, la famille avait obtenu préalablement, non sans difficultés, le soutien de la mairie d’Elche, de la Diputación de Alicante et de la Generalidad Valenciana. Mais une motion dans le même sens avait été rejetée le 26 septembre par la municipalité de sa ville natale, Orihuela, dirigée par le Partido Popular et Vox.
Las cárceles
I
Las cárceles se arrastran por la humedad del mundo, van por la tenebrosa vía de los juzgados: buscan a un hombre, buscan a un pueblo, lo persiguen, lo absorben, se lo tragan.
J’ai reçu hier le magnifique livre de Juan Ramón Jiménez (1881-1958), Guerra en España: Prosa y verso (1936-1954). Athenaica Ediciones. 2024. 1065 pages.
Une première édition de cet ouvrage fut élaborée et éditée par le poète Ángel Crespo (1926-1995) en 1985. Il faut rappeler qu’il s’agit du traducteur en espagnol du Livro do Desassossego de Fernando Pessoa pour Seix Barral (1984). Cette édition fut reprise par Soledad González Ródenas en 2009. Celle d’avril 2024 est encore plus complète. Elle a travaillé comme Ángel Crespo sur les archives du poète conservées à Puerto Rico.
De son vivant, Juan Ramón Jiménez avait commencé à réunir des aphorismes, des poèmes, des traductions, des articles, des conférences, des manifestes, des critiques, des lettres, des entretiens, des brouillons, des notes, des photos, des articles de journaux. Dans son idée, cet énorme collage sur la guerre et l’exil permettrait de transmettre son expérience du conflit et sa lutte incessante contre ses ennemis.
On oublie trop souvent que le Prix Nobel de Littérature 1956 fut un poète engagé aux côtés de La République, contre la Guerre et contre le Franquisme.
“Todo cambia… Las cosas y las personas, pero hay algo que es permanente: la vocación de libertad. Jamás he sido político en el mezquino sentido de simple afiliación a partidos. Me he educado con Cossío, con Giner, con aquellos grandes hombres de la Institución Libre de Enseñanza y al espíritu de los maestros le sigo siendo fiel…Lo demás, no importa…Lo esencial es vivir con decencia entre personas honradas y en un régimen de libertad.”
Pour le moment, je n’ai pu que le feuilleter. J’y ai trouvé une belle traduction du poème de Baudelaire La musique.
La Musique
La musique souvent me prend comme une mer ! Vers ma pâle étoile, Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther, Je mets à la voile ;
La poitrine en avant et les poumons gonflés Comme de la toile, J’escalade le dos des flots amoncelés Que la nuit me voile ;
Je sens vibrer en moi toutes les passions D’un vaisseau qui souffre ; Le bon vent, la tempête et ses convulsions
Sur l’immense gouffre Me bercent. D’autres fois, calme plat, grand miroir De mon désespoir !
Les Fleurs du mal. 1861.
La música
La música me coje a veces como la mar! A mi pálida estrella, bajo un techo de bruma o en una vasta atmósfera yo me hago a la vela.
El pecho adelantado y llenos los pulmones lo mismo que la lona, escalo el lomo de la ola amontonada que la noche me borra.
Siento vibrar en mí la pasión multiforme de un navío que sufre; la bonanza, la tempestad y sus convulsiones
sobre la inmensa cava me mecen. ¡ Y otra vez calma plena, ancho espejo, de mi desesperanza!
Traduction : Juan Ramón Jiménez.
Juan Ramón Jiménez a traduit tout au long de sa vie des poètes comme Ibsen, Verlaine, Moréas, Pierre Louÿs, Leopardi, Shelley, Shakespeare, Trelawny. Robert Frost, Yeats, Synge, Mallarmé, Blake, Eliot, Goethe, Baudelaire, Santayana, Ezra Pound et Edgar A. Poe, entre autres.