Vera Molnár – Percy Bysshe Shelley

Jeudi 14 mars visite de l’exposition Vera Molnár Parler à l’oeil au Centre Pompidou. Elle est visible du 28 février au 26 août 2024.

Identiques mais différents. 2010. Diptyque. Paris, Centre Pompidou.

Vera Molnár, artiste française d’origine hongroise, est née Veronica Gács à Budapest le 5 janvier 1924. En 1947, elle s’installe à Paris avec son mari François Molnár (1922-1993). Elle est morte il y a peu à Paris, le 7 décembre 2023, dans la chambre de sa maison de retraite du 14e arrondissement.

Elle s’inscrit dans le courant de l’abstraction géométrique. Informaticienne avant l’heure, elle met en place dès 1959 un mode de production qu’elle nomme “Machine imaginaire”, protocole d’élaboration des formes à partir de contraintes mathématiques simples, mais riche d’infinis possibles . En 1961, elle cofonde le Groupe de recherche d’art visuel avec notamment son mari et le plasticien François Morellet (1926-2016). Elle devient en 1968 la première artiste en France à produire des dessins par ordinateur. Elle travaillait à la fin de sa vie à des vitraux pour l’abbaye de Lérins, sur l’île Saint-Honorat, en face de Cannes (Alpes-Maritimes)

Elle a été reconnue tardivement. Elle rappelait avec humour la phrase du peintre français, d’origine russe, Serge Poliakoff (1900-1969) : “La vie d’un peintre, c’est très simple, il n’y a que les soixante premières années qui sont dures.” Malevitch et Mondrian l’ont toujours fascinée. Elle admirait Le Corbusier et Fernand Léger.

Icône. 1964. Paris, Centre Pompidou.

Une de ses oeuvres exposées s’appelle OTTWW 1984-2010 (fil noir, clous. Paris, centre Pompidou). Elle a attiré mon attention. Le carton dit ceci : ” Conçue pour un Festival du vent à Caen, cette installation s’inspire d’un poème fameux du poète romantique anglais Percy Bysshe Shelly, Ode to the West Wind (1820), auquel Vera Molnár est attachée. Résultant d’un algorithme créé par l’artiste, les formes angulaires sont issues d’une figure mathématique reprenant la lettre W. Elles se déploient sur le mur à l’aide d’un fil de coton continu passant de clous en clous, comme les feuilles emportées par le souffle du vent évoquées par le poète. “

OTTWW. 1981-2010. Fil noir, clous. Paris, Centre Pompidou.

J’ai relu ce poème qui se trouve dans l‘Anthologie bilingue de la poésie anglaise (Bibliothèque de la Pléiade, NRF, 2005). La plupart des poèmes de Shelley qui y figurent ont été publiées dans une très belle édition en 2006 : Poèmes. Imprimerie Nationale Éditions, collection La Salamandre. Les traductions sont de Robert Ellrodt.

Percy Bysshe Shelley (Alfred Clint)

Ode au vent d’ouest (Percy Bysshe Shelley)

I

Ô Vent d’ouest sauvage, âme et souffle de l’automne,
Toi qui, par ton invisible présence, chasses
Les feuilles mortes, fantômes fuyant un enchanteur,

Jaunes et noires et pâles, et rouges de fièvre,
Multitudes frappées de pestilence ! Ô toi
Qui transportes jusqu’à leur sombre lit d’hiver

Les semences aillées qui, froides, y reposent,
Chacune comme un mort en sa tombe, attendant
Que ta Sœur azurée de Printemps sonne enfin

Son clairon sur la terre qui rêve, et menant
Les troupeaux des bourgeons délicats paître l’air,
Remplisse plaine et monts de couleurs et d’odeurs

Vivantes, sauvage Esprit, qui te meus en tous lieux,
Qui détruis et préserves, entends ! Ô entends-moi !

II

Toi dont le flux dans les hauteurs du ciel arrache
Les nuages, comme les feuilles sèches de la Terre,
Aux branches mêlées du Ciel et de l’Océan,

Messagers de la pluie et l’éclair, tu déploies
Á la surface bleue de ta houle aérienne,
Tels les cheveux brillants soulevés sur la tête

De quelque Ménade farouche, du bord obscur
De l’horizon jusqu’à la hauteur du zénith,
Les tresses de la tempête proche. Toi, chant funèbre

De l’an qui meurt, et sur lequel la nuit qui tombe
Se referme comme le vaste dôme d’un sépulcre,
Surplombé par toute la puissance assemblée

De tes vapeurs, dense atmosphère d’où jailliront
La pluie noire et le feu et la grêle, entends-moi !

III

Toi qui sus éveiller de ses rêves d’été
La Méditerranée lisse et bleue, assoupie
Dans les calmes remous de ses flots cristallins,

Près d’une île de ponce dans la baie de Baïes,
Et vis dans leur sommeil palais et tours antiques
Trembler dans la lumière plus vive de la vague,

Tout tapissés de mousse et de fleurs azurées,
Si douces que les sens à les peindre défaillent !
Toi pour qui l’Atlantique aux flots étales s’ouvre,
Découvrant des abîmes, au plus profond desquels
Les floraisons des mers et les bois ruisselants,
Feuillage sans sève de l’Océan, reconnaissent

Ta voix, et deviennent soudain gris de frayeur,
Et frémissent et se dépouillent, oh, entends-moi !

IV

Si j’étais feuille morte que tu puisses porter,
Nuage assez rapide pour voler avec toi,
Ou vague palpitant sous ta puissance, soumis

Par ta force à la même impulsion et à peine
Moins libre que toi, l’Irréductible ; si j’étais
Au moins ce que jeune je fus, et pouvais être

Ton compagnon en tes errances dans le Ciel
Comme au temps où dépasser ton vol éthéré
Semblait à peine un rêve, je n’aurais avec toi,

Ainsi lutté en t’invoquant dans ma détresse.
Oh ! ainsi qu’une vague, une feuille, un nuage,
Emporte-moi ! Sur les épines de la vie

Je tombe et saigne ! Le lourd fardeau du temps m’enchaîne,
Trop pareil à toi-même : indompté, prompt et fier.

V

Fais donc de moi ta lyre comme l’est la forêt.
Qu’importe si mes feuilles tombent comme les siennes !
Le tumulte harmonieux de tes puissants accords

Tirera de nous deux un son grave, automnal,
Doux même en sa tristesse. Deviens, âme farouche,
Mon âme ! Deviens moi-même, ô toi l’impétueux !

Disperse à travers l’univers mes pensées mortes,
Ces feuilles flétries, pour que renaisse la vie,
Et par la seule incantation de ce poème

Propage comme à partir d’un âtre inextinguible,
Cendres et étincelles, mes mots parmi les hommes
Par ma bouche, pour la Terre non encore éveillée,

Sois la trompette d’une prophétie. Ô vent !
Si vient l’Hiver, le Printemps peut-il être loin ?

Poèmes. Imprimerie Nationale Éditions. Collection La Salamandre. 2006. Traduction Robert Ellrodt.

Ode to the West Wind

I

O wild West Wind, thou breath of Autumn’s being,
Thou, from whose unseen presence the leaves dead
Are driven, like ghosts from an enchanter fleeing,

Yellow, and black, and pale, and hectic red,
Pestilence-stricken multitudes: O thou,
Who chariotest to their dark wintry bed

The winged seeds, where they lie cold and low,
Each like a corpse within its grave, until
Thine azure sister of the Spring shall blow

Her clarion o’er the dreaming earth, and fill
(Driving sweet buds like flocks to feed in air)
With living hues and odours plain and hill:

Wild Spirit, which art moving everywhere;
Destroyer and preserver; hear, O hear!

II

Thou on whose stream, ‘mid the steep sky’s commotion,
Loose clouds like Earth’s decaying leaves are shed,
Shook from the tangled boughs of Heaven and Ocean,

Angels of rain and lightning: there are spread
On the blue surface of thine aery surge,
Like the bright hair uplifted from the head

Of some fierce Maenad, even from the dim verge
Of the horizon to the zenith’s height,
The locks of the approaching storm. Thou Dirge

Of the dying year, to which this closing night
Will be the dome of a vast sepulchre,
Vaulted with all thy congregated might

Of vapours, from whose solid atmosphere
Black rain, and fire, and hail will burst: O hear!

III

Thou who didst waken from his summer dreams
The blue Mediterranean, where he lay,
Lulled by the coil of his crystalline streams,

Beside a pumice isle in Baiae’s bay,
And saw in sleep old palaces and towers
Quivering within the wave’s intenser day,

All overgrown with azure moss and flowers
So sweet, the sense faints picturing them! Thou
For whose path the Atlantic’s level powers

Cleave themselves into chasms, while far below
The sea-blooms and the oozy woods which wear
The sapless foliage of the ocean, know

Thy voice, and suddenly grow grey with fear,
And tremble and despoil themselves: O hear!

IV

If I were a dead leaf thou mightest bear;
If I were a swift cloud to fly with thee;
A wave to pant beneath thy power, and share

The impulse of thy strength, only less free
Than thou, O uncontrollable! If even
I were as in my boyhood, and could be

The comrade of thy wanderings over Heaven,
As then, when to outstrip thy skiey speed
Scarce seemed a vision; I would ne’er have striven

As thus with thee in prayer in my sore need.
Oh! lift me as a wave, a leaf, a cloud!
I fall upon the thorns of life! I bleed!

A heavy weight of hours has chained and bowed
One too like thee: tameless, and swift, and proud.

V

Make me thy lyre, even as the forest is:
What if my leaves are falling like its own!
The tumult of thy mighty harmonies

Will take from both a deep, autumnal tone,
Sweet though in sadness. Be thou, Spirit fierce,
My spirit! Be thou me, impetuous one!

Drive my dead thoughts over the universe
Like withered leaves to quicken a new birth!
And, by the incantation of this verse,

Scatter, as from an unextinguished hearth
Ashes and sparks, my words among mankind!
Be through my lips to unawakened Earth

The trumpet of a prophecy! O Wind,
If Winter comes, can Spring be far behind?

Ode écrite à Florence fin 1819. Publiée avec The Sensitive, The Cloud, To a Skylark dans Prometheus Unbound, with Other Poems. Août 1820.

Isabel Quintanilla 1938 – 2017

Isabel Quintanilla chez elle (Calle Menorca, Madrid) en 1973. Elle peint le tableau Gran interior.

El realismo íntimo de Isabel Quintanilla.

On peut voir cette exposition du 27 février au 2 juin 2024 au Musée National Thyssen-Bornemisza de Madrid. Ouverture du mardi au dimanche. Accès gratuit de 21h à 23 h. Commissaire de l’exposition : Leticia de Cos Martín.

Musée National Thyssen-Bornemisza de Madrid.

Pour la première fois depuis sa création en 1992, le musée madrilène consacre une exposition monographique à une artiste espagnole, Isabel Quintanilla, représentante d’une peinture figurative. Elle regroupe une centaine d’oeuvres qui couvrent l’ensemble de sa carrière. Ces tableaux et dessins n’ont jamais été vus en Espagne puisqu’ils se trouvent essentiellement dans des musées et des collections privées en Allemagne où ce peintre a rencontré un véritable succès dans les années 1970 et 1980 alors qu’en Espagne elle restait méconnue. Elle fait partie d’un groupe de peintres et sculpteurs réalistes qui se sont retrouvés dans les années 1950 à Madrid (Antonio López García 1936, Julio López Hernández 1930-2018, Francisco López Hernández 1932-2017). On les surnomme los realistas madrileños. Mais des femmes peintres comme María Moreno (1933-2020), épouse d’Antonio López, Amalia Avia (1930-2011), Esperanza Parada ( 1928- 2011) faisaient aussi partie de ce groupe. En Février -Mai 2016, l’ exposition Realistas de Madrid au Musée National Thyssen-Bornemisza a permis de les faire mieux connaître.

La technique et la maîtrise d’Isabel Quintanilla ont été acquises durant sa formation et toute une vie de travail. Á partir de 11 ans, elle suit des cours d’art plastique. Á 15 ans, elle entre à l’École Supérieure des Beaux-Arts dont elle sort diplômée en 1959. Elle s’est aussi consacrée à l’enseignement. Elle épouse le sculpteur Francisco López Hernández en 1960.

Granadas. 1970.

Isabel Quintanilla peint ses objets personnels, les pièces de ses différents domiciles et ateliers. Le travail sur la lumière est remarquable. La peinture était sa vie et sa vie était la peinture. « Las soledades me emocionan profundamente, ese teléfono solitario, ese sitio donde se trajina y de repente se ha quedado mudo. Eso me emociona tanto que lo quiero intentar pintar. », disait-elle à la fin de sa vie. Elle ne peignait pas plus de 3 ou 4 tableaux par an.

La sandía. 1995. Colection privée.

On retient particulièrement le tableau Homenaje a mi madre (1971 Munich, Pinakothek der Moderne) qui représente la machine à coudre de sa mère couturière. Cette activité permit à sa famille de subsister dans les très difficiles conditions de l’après-guerre civile. En effet, son père, José Antonio Quintanilla, ingénieur des mines et commandant de l’armée républicaine, est décédé en 1941 dans la prison de Valdenoceda (Burgos), suite aux mauvais traitements. Cette ancienne usine de farine fut utilisée de 1938 à 1943 par les franquistes. 1600 prisonniers républicains y étaient entassés alors que la capacité maximum était de 300 personnes. Les associations très actives depuis la “loi sur la mémoire historique”, votée le 31 octobre 2007, ont recensé 152 morts dues à la rudesse du climat, aux maladies et à la sous-alimentation. “Ana Faucha, madre de uno de los presos del penal, viajó desde Andalucía hasta Valdenoceda para ver a su hijo por última vez. Tras negarle la entrada en repetidas ocasiones, aparecería muerta una mañana en los alrededores de la cárcel con el paquete de comida entre las manos y cubierta de nieve.​ Ana Faucha se convertiría en símbolo de las madres de los presos políticos.” Marcos Ana, Decidme cómo es un árbol. Memoria de la prisión y la vida. Barcelona, Umbriel. 2007.

Homenaje a mi madre. 1971. Munich,Pinakothek der Moderne.

https://www.youtube.com/watch?v=lw-xwLJ0mjQ

Patrick Deville – Missak Manouchian

Léon Trotsky.
Malcolm Lowry.

Je lis ces jours-ci avec intérêt Viva de Patrick Deville (Éditions du Seuil, 2014. Points Seuil n°4146, 2015). Mon ami P. me l’a conseillé. Les personnages centraux sont Léon Trotsky et Malcolm Lowry, deux personnages qui ont à première vue peu de choses en commun. Le livre est construit en une trentaine de courts tableaux. Tout se passe dans le Mexique des années 30, si riche culturellement et historiquement…

On présente les livres de Patrick Deville comme des “romans d’aventures sans fiction”. En quatrième de couverture, une phrase du grand Pierre Michon : “Je relis Viva si savant, si écrit, si rapide. Chaque phrase est flèche.”

Pages 221-222 de l’édition en Points Seuil : ” Enfermé ce soir dans cette chambre, je reprends une dernière fois les carnets et les chronologies emmêlés de toutes ces pelotes. Nous sommes le 21 février 2014. C’est aujourd’hui le soixante-dixième anniversaire de l’Affiche rouge, des vingt-deux résistants étrangers fusillés par les nazis au Mont-Valérien le 21 février 1944. C’est aujourd’hui le quatre-vingtième anniversaire de l’assassinat de Sandino à Managua le 21 février 1934… On écrit toujours contre l’amnésie générale et la sienne propre…”

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2023/06/19/missak-manouchian/

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/02/21/laffiche-rouge/

Je vais lire d’autres livres de Pierre Deville.

Du 13 février au 12 mai 2024, le Jeu de Paume rend hommage à Tina Modotti (1896-1942) à travers une grande exposition, la plus importante jamais consacrée à Paris à cette photographe et activiste politique d’origine italienne.

https://www.connaissancedesarts.com/arts-expositions/photographie/exposition-photo-a-paris-la-photographie-revolutionnaire-de-tina-modotti-11189445/

Sombrero, Marteau et Faucille (Tina Modotti) 1927.

Darío Villalba 1939 – 2018

La Espera blanca, 1993.

Le Monde de ce jour indique que la Galerie Poggi qui se trouve maintenant dans de nouveaux locaux face au Centre Pompidou (135 rue Saint-Martin, Paris IV) présente jusqu’au 27 janvier de grands formats de Darío Villalba, peintre et photographe espagnol, peu connu en France. Ce fils de diplomate, a vécu aux États-Unis, en Allemagne, en France, en Grèce. Sa famille l’a toujours aidé même lorsqu’il a pratiqué le patinage artistique, sport qui n’existait pas dans l’Espagne franquiste d’alors. Il a participé aux Jeux Olympiques de Cortina d’Ampezzo en 1956. Il fut Prix National des Arts Plastiques en 1983 et membre de la Real Academia de Bellas Artes de San Francisco en 2002.

“Decía que pintaba cuando hacía fotografía y que hacía fotografía cuando pintaba.” Sa série la plus connue est celle des “Encapsulados”. Il s’agit d’une sorte de cocons qui contiennent des images de marginaux ( prisonniers, malades mentaux, sans-abris, personnes âgées ) qui semblent flotter dans un monde parallèle. Andy Warhol a essayé de l’enrôler dans le pop art ( pop soul) ce que Villalba a refusé. Des artistes espagnols, bien différents de lui, comme Luis Gordillo ou Eduardo Arroyo, l’ont appuyé et ont souligné son importance.

Ces jours-ci, nous avons vu au musée Carmen Thyssen de Málaga une belle exposition, Fieramente humanos. Retratos de santidad barroca. On y trouve des oeuvres des grands artistes du baroque méditerranéen (Ribera, Cano, Murillo, Giordano, Velázquez, Ribalta, Martínez Montañés, Juan de Mena), mais aussi trois oeuvres contemporaines (Equipo Crónica, Darío Villalba, Antonio Saura). Ce choix, a posteriori, me paraît judicieux étant donné l’influence qu’a eue l’art baroque sur ces artistes espagnols. L’oeuvre de Darío Villalba, peintre original, catholique et homosexuel mérite d’être davantage reconnue.

Místico (Darío Villalba) 1974. Colección de Arte ABANCA.

Francisco de Aldana

En novembre dernier, la collection Letras Hispánicas de Cátedra a publié Poesía de los siglos XVI y XVII. Le professeur Pedro Ruiz Pérez est responsable de cette édition de 1064 pages et de l’introduction (100 pages quand même). On remarque la présence de Francisco de Aldana dont l’importance a été reconnue par Quevedo, Cervantes ou Luis Cernuda (Tres poetas metafísicos, 1946).

On pense qu’Aldana est né à Naples en 1537. Il a suivi la carrière des armes comme son père et son frère. Il n’aimait pas ce métier. Il est pourtant mort au combat le 4 août 1578 lors de la bataille d’Alcazarquivir. Il avait été envoyé par Felipe II pour aider son neveu, le roi du Portugal, Sebastián I, dans sa tentative de conquête du Maroc.

Son frère Cosme a publié son oeuvre poétique en deux parties : Milan, 1589 et Madrid, 1591.

Le travail du professeur Ruiz Pérez est excellent. On regrettera neanmoins l’erreur dans le titre du poème Reconocimiento de la vanidad del mundo qui devient Reconocimiento de la variedad del mundo.

Reconocimiento de la vanidad del mundo

En fin, en fin, tras tanto andar muriendo,
tras tanto varïar vida y destino,
tras tanto, de uno en otro desatino,
pensar todo apretar, nada cogiendo;

tras tanto acá y allá yendo y viniendo,
cual sin aliento inútil peregrino,
¡oh, Dios!, tras tanto error del buen camino,
yo mismo de mí mal ministro siendo,

hallo, en fin, que ser muerto en la memoria
del mundo es lo mejor que en él se asconde,
pues es la paga dél muerte y olvido,

y en un rincón vivir con la vitoria
de sí, puesto el querer tan sólo adonde
es premio el mismo Dios de lo servido.

Francisco de Aldana.

Guillaume Apollinaire – Pablo Picasso

Málaga. Patio principal du Palacio de los Condes de Buenavista. Vers 1530-1540.

Visite du Musée Picasso de Málaga hier. Il est installé depuis 2003 dans le Palacio de los Condes de Benavista (Calle San Agustín,8). 3 parties : Diálogos con Picasso. Colección 2020-2023 + El eco de Picasso + Las múltiples caras de la obra tardía de Picasso. On y fait allusion au poème d’Apollinaire Les saisons. On peut lire la première strophe en espagnol et en anglais, pas en français.

Retrato de Paulo con gorro blanco. París, 14 de abril de 1973. Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso.
Publié dans La grande revue, novembre 1917. Repris dans Calligrammes, 1918.
Retrato de mujer con sombrero de borlas y blusa estampada. Mougins, 1962. Málaga, Museo Picasso.

Colita 1940 – 2023

Colita ( de son vrai nom Isabel Steva Hernández) (Vicens Giménez)

J’ai vu ces derniers temps à Paris deux très riches expositions de photographies : Corps à corps Histoire(s) de la photographie (Centre Pompidou 6 septembre 2023 – 25 mars 2024) et Noir & blanc : une esthétique de la photographie (BnF 17 octobre 2023 – 21 janvier 2024). Les photographes espagnols y sont très peu représentés. C’est dommage, selon moi.

La photographe catalane Colita (de son vrai nom Isabel Steva Hernández) est décédée le 31 décembre 2023 à 83 ans. C’était une référence du photojournalisme à Barcelone.

Elle est née le 24 août 1940 dans une famille bourgeoise du quartier de l’Eixample (Ensanche). Son père lui offre un appareil photo quand elle a douze ans. Après une scolarité dans une école de religieuses, ses parents l’inscrivent dans un cours de secrétariat. Elle refuse de se marier et part en 1957 à Paris suivre un cours de langue et de civilisation française à la Sorbonne. Ses parents viennent la chercher en 1958 car elle refuse de rentrer.

De retour à Barcelone, elle rencontre les photographes Oriol Maspons (1928-2013) et Xavier Miserachs (1937-1998). Elle se professionnalise en 1961 dans l’atelier de ce dernier, où elle travaille comme secrétaire, mais apprend aussi les techniques de laboratoire. Miserachs lui laisse faire la photographie du film Los Tarantos (1963) de Francesc Rovira-Beleta. Au cours du tournage, elle devient amie avec la chanteuse et danseuse de flamenco Carmen Amaya (1913-1963) et découvre le monde des gitans.

Sa production tourne surtout autour du monde du flamenco, du théâtre, du spectacle. Elle saisit à merveille l’ambiance de la fin des années 1970 dans sa ville ainsi que l’effervescence politique de la transition. Elle est associée au monde culturel catalan : la Discothèque Bocaccio, la Gauche Divine, la Nova Cançó. Elle photographie aussi bien la haute bourgeoisie catalane que les bidonvilles de Somorrostro ou le Barrio Chino.

Elle collabore à des publications telles que Destino, Triunfo, Interviú, Fotogramas, Telexprés, Mundo Diario.

Elle a organisé plus de 40 expositions et publié plus de 30 livres, dont Luces y sombras del flamenco (Lumen, 1975. Texte du romancier et poète José María Caballero Bonald). Ses œuvres font partie des collections des principaux musées espagnols : Museu Nacional d’Art de Catalunya (MNAC) à Barcelone, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía à Madrid.

Elle a laissé une belle galerie de portraits de célébrités : Gabriel García Márquez, Mario Vargas Llosa, Rafael Alberti, Jaime Gil de Biedma, Ana María Matute, Terenci y Ana María Moix, Joan Miró, Salvador Dalí, Orson Welles, Carmen Amaya, Antonio Gades, Joan Manuel Serrat.

Joan Manuel Serrat, 1970.
Gabriel García Márquez. Barcelone, 1969.

Elle se déclarait féministe, de gauche et athée. En 2014, elle refuse le Prix National de la Photographie, décerné par le Ministère de la culture par opposition à la politique du gouvernement du Parti Populaire dirigé par Mariano Rajoy.

Un cerdo feliz, 1987.

“En 1987, Colita fotografió a un cerdo que era feliz. “Lo tenían en la granja solo para que comiera y cubriera a las hembras, así que era verdaderamente feliz”, recuerda la fotógrafa. Su rostro tremendo y contento (el del cerdo) nos observa desde la foto en blanco y negro, una a la que Colita tiene especial cariño y que suele regalar a sus amigos para que la pongan en la cocina y les alegre el día.” (PHOTOESPAÑA 2015. El cerdo y la ‘gauche divine’. (Sergio C. Fanjul) (El País, 17 juin 2015)

Peter Doig

Paris, Musée d’Orsay.

Peter Doig est un peintre contemporain britannique, d’origine écossaise. Il est né à Édimbourg le 17 avril 1959 et a grandi dans les Caraïbes, à Trinidad. C’est un des peintres figuratifs contemporains qui m’intéressent le plus, au même titre que Marc Desgrandchamps.

On peut voir du 17 octobre 2023 au 21 janvier 2024 au Musée d’Orsay l’exposition Reflets du siècle.

https://www.musee-orsay.fr/fr/agenda/expositions/peter-doig

Two trees. 2017. New York, The Metropolitan Museum of Art.

La composition, les couleurs, la lumière de ses tableaux permettent de reconnaître rapidement sa patte. Le directeur du Musée d’Orsay, Christophe Leribault, lui a proposé de montrer onze grandes toiles récentes, réalisées durant les vingt dernières années que l’artiste a passé sur l’île de Trinidad. Elles sont accrochées autour d’une salle carrée du deuxième étage. Certains sont célèbres comme 100 Years Ago ou Two Trees.

100 Years Ago. 2000. Collection particulière.

Christophe Leribault lui a aussi demandé de mettre en regard certains œuvres du musée et d’en expliquer la raison. C’est le choix d’un artiste et non celui d’un historien de l’art. Ces oeuvres sont exposées dans les salles 57 et 60 du musée qui surplombent la Seine. Peter Doig met côte à côte Camille sur son lit de mort de Claude Monet et Crispin et Scapin d’Honoré Daumier, deux tableaux qui n’ont à première vue rien à voir.

Camille sur son lit de mort. (Claude Monet). 1879. Paris, Musée d’ Orsay.
Crispin et Scapin. (Honoré Daumier). vers 1864. Paris, Musée d’Orsay.

Il propose aussi un ensemble de cinq portraits de Pissarro, Renoir, Manet, Vallotton, Seurat.

Berthe Morisot à l’éventail. (Édouard Manet). 1872. Paris, Musée d’ Orsay.

« Les correspondances entre ces peintures m’intéressent tout autant que leurs différences. Elles rendent toutes compte d’une utilisation très singulière de la peinture – abondante et fluide, douce et vaporeuse, étudiée et directe, voilée et mystérieuse, plâtrée et rayée.

Chaque peinture nous plonge dans sa propre matérialité, et dans les mystères du sujet peint.

Finalement nous n’apprenons pas grand-chose à propos d’eux, et c’est peut-être là que réside l’intérêt de ces portraits : ils sont tout simplement fascinants, et les différences dans leurs processus de création ne compromettent en rien le dialogue qui s’engage entre eux.

Chaque portrait présente des jeux de dissimulation, à l’exception de celui de Pissarro, dont le regard perspicace assure la cohésion de l’ensemble. » (Peter Doig)

Félix Vallotton (Edouard Vuillard). vers 1900. Paris, musée d’ Orsay.

Deux autres citations de Peter Doig tirés d’Artension, Peter Doig dans l’œil, n° 128, novembre-décembre 2014 :

« La peinture, en grande majorité, est conceptuelle. Je veux dire que toute peinture résulte d’un processus mental. L’art conceptuel se contente de supprimer ce qui se rapporte au plaisir de regarder — la couleur, la beauté, toutes ces dimensions-là. »

« Regarder le monde non à travers les yeux du peintre mais à travers ceux de la peinture. »

Night Bathers. 2019. Collection particulière.

Chana Orloff 1888 – 1968

Deux musées de Paris rendent hommage à la sculptrice Chana Orloff : le Musée Zadkine et le Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (mahJ).
Chana Orloff. Sculpter l’époque “. Musée Zadkine, 100 bis, rue d’Assas, 75006 Paris. Du 15 novembre 2023 au 31 mars 2024.
« L’enfant Didi », itinéraire d’une œuvre spoliée de Chana Orloff, 1921-2023. Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme. Hôtel de Saint-Aignan. 71, rue du Temple, 75003 Paris. Du 19 novembre 2023 au 29 septembre 2024.
On peut aussi visiter sur demande l’atelier qu’elle a occupé de 1926 à 1968 et qui a été construit près du Parc Montsouris par l’architecte Auguste Perret au 7, bis villa Seurat. 75014-Paris.
Chana Orloff est une sculptrice de nationalité française et israélienne. Elle est née en 1888 à Tasré-Constantinovska (qui se trouve aujourd’hui en Ukraine). Sa famille rejoint en 1906 la Palestine, alors sous domination ottomane, en 1906 après le saccage et l’incendie de leur maison lors d’un pogrom. Elle est couturière à Tel Aviv. Elle arrive à Paris en 1910 pour étudier la mode. Elle travaille pour la maison de couture Paquin. Elle côtoie les artistes de Montparnasse : Amedeo Modigliani, Chaïm Soutine, Jules Pascin, Ossip Zadkine, Marc Chagall… Elle commence à pratiquer la sculpture. Elle est admise à l’Ecole des arts décoratifs et fréquente l’Académie Vassilieff. Elle trouve sa propre voie et ne suit pas les mouvements qui dominent l’époque comme le cubisme. En octobre 1916, elle épouse Ary Justman (1888-1919), un poète polonais qu’elle a rencontré en 1914. Comme Guillaume Apollinaire, il meurt lors de l’épidémie de grippe de 1919. De cette union naît en 1918 un fils, Élie, surnommé Didi, qui est frappé par la poliomyélite. Elle fait face avec énergie à tous ces malheurs. Son atelier se trouve alors 68 rue d’Assas. Des amis proches, comme Marc et Bella Chagall, lui commande des œuvres. Elle devient célèbre et réalise de nombreux portraits de personnalités parisiennes. Elle utilise le bois, le plâtre (pour des tirages en bronze) ou le ciment. Elle est nommée chevalier de la Légion d’honneur en 1925 et obtient la nationalité française ainsi que son fils en 1926. Elle prend part à la grande exposition des Maîtres de l’art indépendant au Petit Palais à Paris en 1937. La guerre éclate et Chana Orloff, qui est juive, échappe de peu à la rafle du Vel d’Hiv (17 juillet 1942). Elle se réfugie à Grenoble en zone libre, puis en Suisse avec son fils. Quand elle revient à Paris en 1945, elle retrouve son atelier saccagé, ses sculptures décapitées. 145 pièces ont disparues. Après la Guerre, elle partage sa vie entre la France et Israël et réalise plusieurs monuments pour l’état hébreu. Elle meurt à Tel Aviv le 16 décembre 1968.

Torse 1912. Ciment. Paris, Ateliers-Musée Chana Orloff.

Le Musée Zadkine lui consacre une exposition qui permet de parcourir son œuvre et de la comparer avec celle d’Ossip Zadkine. On voit d’abord les portraits qui l’ont rendue célèbre. Ce sont des têtes, mais aussi des sculptures en pied, souvent d’enfants, de femmes en mouvement ou enceintes. Les animaux occupent aussi une place importante dans son travail : poissons, oiseaux et chiens. Après la guerre, ses sculptures sont marquées par la Shoah et la douleur.

Grande baigneuse accroupie. 1925. Bronze. Paris, Ateliers-Musée Chana Orloff.

Á Paris, une rue du XIX ème arrondissement porte son nom et une statue d’elle Mon fils marin (1924) se trouve, depuis novembre 2018, sur la place des Droits-de-l’Enfant, dans le XIV ème arrondissement.

Le 7 octobre 2023, trois membres de la famille de Chana Orloff – Avshalom Haran, Evyatar et Lilach Lea Kipnis – qui vivaient au kibboutz Be’eri, dans le sud d’Israël, ont été tués par les terroristes du Hamas. Sept autres membres de sa famille – Shoshan Haran (67 ans) ; Adi, sa fille (38 ans) ; Tal Shoham, son gendre (38 ans) ; Naveh (8 ans) et Yahel Neri (3 ans), ses petits-enfants ; Sharon 52 ans et Noam Avigdori (12 ans), sa belle-sœur et sa nièce – sont toujours retenus en otage à l’heure actuelle. Ramenons-les à la maison !

Place des Droits-de-l’Enfant. 75014-Paris. Mon fils marin (Chana Orloff) (1924).

Pablo Picasso – Guillaume Apollinaire

Nous avons vu en deux temps l’exposition Picasso Dessiner à l’infini (18 octobre 2023 – 15 janvier 2024) au Centre Pompidou. Elle célèbre les cinquante ans de la mort du peintre espagnol et présente près de mille œuvres (carnets, dessins et gravures). On se perd parfois dans le parcours proposé qui est non linéaire et bouscule la chronologie.

Plan de l’exposition.

Mon attention a été retenue par le thème du cirque dans son œuvre et par son amitié avec les poètes de son temps (Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Pierre Reverdy, Paul Éluard)

En 1905, les oeuvres de Picasso se peuplent de saltimbanques. Le cirque Médrano installe alors son chapiteau près de son atelier du Bateau-Lavoir à Montmartre. Le peintre n’insiste pas sur les feux de la rampe, mais sur l’envers du décor : la pauvreté, la marginalité, l’existence errante et solitaire. Les prouesses acrobatiques, les moments de gaieté passés pendant le spectacle l’intéressent peu.

L’Acrobate à la boule. Bateau-lavoir, début 1905. Moscou, Musée Pouchkine.
Famille de saltimbanques. Printemps-automne 1905. Washington, National Gallery.

Il suit les poètes : Baudelaire, Verlaine et Apollinaire qu’il rencontre à la fin de 1904 et qui devient un ami essentiel. Le poème Crépuscule est significatif.

Crépuscule (Guillaume Apollinaire)

A Mademoiselle Marie Laurencin

Frôlée par les ombres des morts
Sur l’herbe où le jour s’exténue
L’arlequine s’est mise nue
Et dans l’étang mire son corps

Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l’on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D’astres pâles comme du lait

Sur les tréteaux l’arlequin blême
Salue d’abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs

Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales

L’aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d’un air triste
Grandir l’arlequin trismégiste

Alcools, 1913.

Portrait d’Apollinaire. Frontispice d’Alcools. Paris, Mercure de France, 1913. Paris, BnF.

Le texte évoque une arlequine « frolée par les ombres des morts », un charlatan « crépusculaire », un arlequin « blême » et un aveugle qui « berce un bel enfant ». On est entre deux mondes. Les saltimbanques sont des passeurs vers l’au-delà.

Ce thème du cirque réapparaît dans l’oeuvre du peintre quand il retourne au cirque Médrano avec son fils Paulo (1921-1975) vers 1930. Il est saisi par le spectacle lui-même. Le corps humain devient extravagant. L’acrobate est un homme-caoutchouc. Picasso est fasciné par les équilibristes. Ses tableaux sont le reflet d’une grande émotion personnelle.

L’Acrobate. Paris, 18 janvier 1930. Paris, Musée Picasso.
Acrobate bleu. Paris, novembre 1929. Paris, Musée Picasso.

Regarder Picasso à l’infini !