Chana Orloff 1888 – 1968

Deux musées de Paris rendent hommage à la sculptrice Chana Orloff : le Musée Zadkine et le Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (mahJ).
Chana Orloff. Sculpter l’époque “. Musée Zadkine, 100 bis, rue d’Assas, 75006 Paris. Du 15 novembre 2023 au 31 mars 2024.
« L’enfant Didi », itinéraire d’une œuvre spoliée de Chana Orloff, 1921-2023. Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme. Hôtel de Saint-Aignan. 71, rue du Temple, 75003 Paris. Du 19 novembre 2023 au 29 septembre 2024.
On peut aussi visiter sur demande l’atelier qu’elle a occupé de 1926 à 1968 et qui a été construit près du Parc Montsouris par l’architecte Auguste Perret au 7, bis villa Seurat. 75014-Paris.
Chana Orloff est une sculptrice de nationalité française et israélienne. Elle est née en 1888 à Tasré-Constantinovska (qui se trouve aujourd’hui en Ukraine). Sa famille rejoint en 1906 la Palestine, alors sous domination ottomane, en 1906 après le saccage et l’incendie de leur maison lors d’un pogrom. Elle est couturière à Tel Aviv. Elle arrive à Paris en 1910 pour étudier la mode. Elle travaille pour la maison de couture Paquin. Elle côtoie les artistes de Montparnasse : Amedeo Modigliani, Chaïm Soutine, Jules Pascin, Ossip Zadkine, Marc Chagall… Elle commence à pratiquer la sculpture. Elle est admise à l’Ecole des arts décoratifs et fréquente l’Académie Vassilieff. Elle trouve sa propre voie et ne suit pas les mouvements qui dominent l’époque comme le cubisme. En octobre 1916, elle épouse Ary Justman (1888-1919), un poète polonais qu’elle a rencontré en 1914. Comme Guillaume Apollinaire, il meurt lors de l’épidémie de grippe de 1919. De cette union naît en 1918 un fils, Élie, surnommé Didi, qui est frappé par la poliomyélite. Elle fait face avec énergie à tous ces malheurs. Son atelier se trouve alors 68 rue d’Assas. Des amis proches, comme Marc et Bella Chagall, lui commande des œuvres. Elle devient célèbre et réalise de nombreux portraits de personnalités parisiennes. Elle utilise le bois, le plâtre (pour des tirages en bronze) ou le ciment. Elle est nommée chevalier de la Légion d’honneur en 1925 et obtient la nationalité française ainsi que son fils en 1926. Elle prend part à la grande exposition des Maîtres de l’art indépendant au Petit Palais à Paris en 1937. La guerre éclate et Chana Orloff, qui est juive, échappe de peu à la rafle du Vel d’Hiv (17 juillet 1942). Elle se réfugie à Grenoble en zone libre, puis en Suisse avec son fils. Quand elle revient à Paris en 1945, elle retrouve son atelier saccagé, ses sculptures décapitées. 145 pièces ont disparues. Après la Guerre, elle partage sa vie entre la France et Israël et réalise plusieurs monuments pour l’état hébreu. Elle meurt à Tel Aviv le 16 décembre 1968.

Torse 1912. Ciment. Paris, Ateliers-Musée Chana Orloff.

Le Musée Zadkine lui consacre une exposition qui permet de parcourir son œuvre et de la comparer avec celle d’Ossip Zadkine. On voit d’abord les portraits qui l’ont rendue célèbre. Ce sont des têtes, mais aussi des sculptures en pied, souvent d’enfants, de femmes en mouvement ou enceintes. Les animaux occupent aussi une place importante dans son travail : poissons, oiseaux et chiens. Après la guerre, ses sculptures sont marquées par la Shoah et la douleur.

Grande baigneuse accroupie. 1925. Bronze. Paris, Ateliers-Musée Chana Orloff.

Á Paris, une rue du XIX ème arrondissement porte son nom et une statue d’elle Mon fils marin (1924) se trouve, depuis novembre 2018, sur la place des Droits-de-l’Enfant, dans le XIV ème arrondissement.

Le 7 octobre 2023, trois membres de la famille de Chana Orloff – Avshalom Haran, Evyatar et Lilach Lea Kipnis – qui vivaient au kibboutz Be’eri, dans le sud d’Israël, ont été tués par les terroristes du Hamas. Sept autres membres de sa famille – Shoshan Haran (67 ans) ; Adi, sa fille (38 ans) ; Tal Shoham, son gendre (38 ans) ; Naveh (8 ans) et Yahel Neri (3 ans), ses petits-enfants ; Sharon 52 ans et Noam Avigdori (12 ans), sa belle-sœur et sa nièce – sont toujours retenus en otage à l’heure actuelle. Ramenons-les à la maison !

Place des Droits-de-l’Enfant. 75014-Paris. Mon fils marin (Chana Orloff) (1924).

Pablo Picasso – Guillaume Apollinaire

Nous avons vu en deux temps l’exposition Picasso Dessiner à l’infini (18 octobre 2023 – 15 janvier 2024) au Centre Pompidou. Elle célèbre les cinquante ans de la mort du peintre espagnol et présente près de mille œuvres (carnets, dessins et gravures). On se perd parfois dans le parcours proposé qui est non linéaire et bouscule la chronologie.

Plan de l’exposition.

Mon attention a été retenue par le thème du cirque dans son œuvre et par son amitié avec les poètes de son temps (Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Pierre Reverdy, Paul Éluard)

En 1905, les oeuvres de Picasso se peuplent de saltimbanques. Le cirque Médrano installe alors son chapiteau près de son atelier du Bateau-Lavoir à Montmartre. Le peintre n’insiste pas sur les feux de la rampe, mais sur l’envers du décor : la pauvreté, la marginalité, l’existence errante et solitaire. Les prouesses acrobatiques, les moments de gaieté passés pendant le spectacle l’intéressent peu.

L’Acrobate à la boule. Bateau-lavoir, début 1905. Moscou, Musée Pouchkine.
Famille de saltimbanques. Printemps-automne 1905. Washington, National Gallery.

Il suit les poètes : Baudelaire, Verlaine et Apollinaire qu’il rencontre à la fin de 1904 et qui devient un ami essentiel. Le poème Crépuscule est significatif.

Crépuscule (Guillaume Apollinaire)

A Mademoiselle Marie Laurencin

Frôlée par les ombres des morts
Sur l’herbe où le jour s’exténue
L’arlequine s’est mise nue
Et dans l’étang mire son corps

Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l’on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D’astres pâles comme du lait

Sur les tréteaux l’arlequin blême
Salue d’abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs

Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales

L’aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d’un air triste
Grandir l’arlequin trismégiste

Alcools, 1913.

Portrait d’Apollinaire. Frontispice d’Alcools. Paris, Mercure de France, 1913. Paris, BnF.

Le texte évoque une arlequine « frolée par les ombres des morts », un charlatan « crépusculaire », un arlequin « blême » et un aveugle qui « berce un bel enfant ». On est entre deux mondes. Les saltimbanques sont des passeurs vers l’au-delà.

Ce thème du cirque réapparaît dans l’oeuvre du peintre quand il retourne au cirque Médrano avec son fils Paulo (1921-1975) vers 1930. Il est saisi par le spectacle lui-même. Le corps humain devient extravagant. L’acrobate est un homme-caoutchouc. Picasso est fasciné par les équilibristes. Ses tableaux sont le reflet d’une grande émotion personnelle.

L’Acrobate. Paris, 18 janvier 1930. Paris, Musée Picasso.
Acrobate bleu. Paris, novembre 1929. Paris, Musée Picasso.

Regarder Picasso à l’infini !

Trésors en noir et blanc : Dürer, Rembrandt, Goya, Toulouse-Lautrec

Du 12 septembre 2023 au 14 janvier 2024, on peut voir au Petit Palais (Musée des Beaux-arts de la Ville de Paris) l’ exposition Trésors en noir et blanc Dürer, Rembrandt, Goya, Toulouse-Lautrec.
Le musée expose une partie de son cabinet d’arts graphiques. Les commissaires ont choisi environ 200 feuilles des grands maîtres : Dürer, Rembrandt, Callot, Goya, Toulouse-Lautrec… L’estampe est très présente dans les collections du Musée. Elle est le reflet des goûts de ses donateurs, les frères Dutuit, Auguste (1812-1902) et Eugène ( 1807-1886) et du conservateur Henry Lapauze (1867-1925), à l’origine du musée de l’Estampe moderne.
L’exposition permet de découvrir un panorama qui va du XVe au XXe siècle.

La première partie de l’exposition présente une sélection des plus belles feuilles de la collection Dutuit qui en comprend 12 000, signées des plus grands peintres-graveurs. Ces œuvres ont été rassemblées sous l’impulsion d’Eugène Dutuit et se caractérisent par leur qualité et leur rareté. Ainsi, La Pièce aux cent Florins de Rembrandt est exceptionnelle par sa taille (près de 50 centimètres de large) et par son histoire. Elle a appartenu à Dominique-Vivant Denon, le premier directeur du Louvre. Parmi les 45 artistes présentés, quatre d’entre eux ont été choisis pour illustrer le goût d’Eugène Dutuit qui fut aussi historien d’art : Dürer, Rembrandt, Callot et Goya. Il a publié en 1881-1888 le Manuel de l’amateur d’estampes et en 1883 L’Oeuvre complet de Rembrandt.
Henry Lapauze, lui, a ouvert les collections à la création contemporaine. En 1908, un musée de l’Estampe moderne est inauguré au sein du Petit Palais. Pour le constituer, il obtient de nombreux dons de marchands et de collectionneurs comme Henri Béraldi qui offre au 100 portraits d’hommes d’État, de savants ou d’artistes. Plusieurs sont présentés dans l’exposition. Des artistes et de familles d’artistes (Félix Buhot, Félix Bracquemond, Jules Chéret, Théophile Alexandre Steinlein, Henri de Toulouse-Lautrec…) font de même. Ces artistes ont marqué l’histoire de l’estampe et représentent la gravure contemporaine, essentiellement parisienne, des premières années du XXe siècle. Enfin, une sélection des dernières acquisitions, dont des estampes d’Auguste Renoir, Anders Zorn et Odilon Redon, montre la politique actuelle d’achat du musée.

J’ai remarqué deux des quatre eaux-fortes de la série Les Bohémiens de Jacques Callot (1592-1635). Cette suite de quatre pièces met en scène, à travers de multiples détails pittoresques la vie d’une famille de Bohémiens. Le graveur lorrain avait lui-même expérimenté cette vie errante. Il avait suivi une troupe alors qu’il se rendait en Italie. Cette épisode picaresque a particulièrement séduit la génération romantique, qui s’est emparée de la figure de Callot. Baudelaire a écrit un poème inspiré de cette suite dans Les Fleurs du mal .

Les Bohémiens en marche : l’avant-garde (Jacques Callot). 1627-28. Eau-forte.
Les Bohémiens en marche : l’arrière-garde ou le départ (Jacques Callot). 1627-28. Eau-forte.
La halte des Bohémiens : les diseurs de bonne aventure (Jacques Callot). 1627-28. Eau-forte.
La halte des Bohémiens : les apprêts du festin (Jacques Callot). 1627-28. Eau-forte.

XIII – Bohémiens en Voyage

La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s’est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures.

Les Fleurs du Mal. Spleen et idéal. 1857.

Bohémiens en voyage est le seul sonnet régulier des Fleurs du Mal.
Baudelaire porte un regard ambigu sur les bohémiens dans les deux quatrains. Ils sont rapprochés des animaux, mais cette image s’oppose au mysticisme que confère le poète à cette “tribu prophétique”. Il les comprend. Ils partagent avec lui le tourment, l’inquiétude, la mélancolie, une même envie de fuir la société.
Les Bohémiens vont vers les ténèbres comme le poète en proie au spleen.

Éloge de l’abstraction

Éloge de l’abstraction. Les peintres de l’Académie des beaux-arts dans les collections de la Fondation Gandur pour l’Art.

Pavillon Comtesse de Caen de l’Académie des beaux-arts (Palais de l’Institut de France, 27 quai de Conti, Paris VI). Du 12 octobre au 26 novembre 2023. Du mardi au dimanche de 11 heures à 18 heures. Fermeture de 13 heures 30 à 14 heures. Entrée libre et gratuite.

Les grandes expositions ne manquent cet automne à Paris : Nicolas de Staël – magnifique -, Vincent Van Gogh – ses derniers mois à Auvers-sur-Oise -, Mark Rothko – impressionnante rétrospective du 18 octobre 2023 au 2 avril 2024 à la Fondation Louis Vuitton – . Trois peintres qui se sont suicidés. Elles procurent beaucoup de plaisir, mais il est parfois un peu gâché par la foule qui s’y presse. D’autres expositions, dans des lieux moins fréquentés, permettent de voir ou de revoir les oeuvres de peintres qui ont été sur le devant de la scène artistique dans le Paris de l’après-guerre.

L’Académie des Beaux-Arts présente 25 tableaux de 7 artistes, tous anciens membres de l’Académie des beaux-arts : Jean Bertholle (1909-1996), Chu Teh-Chun 1926-2014), Olivier Debré (1920-1999), Hans Hartung (1904-1989), Georges Mathieu (1921-2012), Antoni Tàpies (1923-2012), Zao Wou-Ki (1920-2013). Elles proviennent de la Fondation Gandur pour l’Art. Parmi ces 7 peintres, mes préférés sont : Hartung, Tàpies et Zao Wou-Ki. Georges Mathieu est le mieux representé avec huit tableaux. C’est celui qui me convainc le moins.

T 1973-E12 (Hans Hartung). 1973.
Porta Vermella n°LXXV (Antoni Tàpies). 1958.
30-10-61 (Zao Wou-Ki). 1961.

Nous avons pu voir à Paris ces dernières années de belles expositions sur l’abstraction lyrique : L’Envolée lyrique – Paris 1945-1956 du 26 avril au 6 août 2006 au Musée du Luxembourg ; Zao Wou-ki. L’espace est silence du 1 juin 2018 au 6 janvier 2019 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris ; la Donation Zao Wou-Ki au Musée d’Art Moderne de Paris du 14 avril au 01 décembre 2023.

Emmanuel Levinas

Photo : España 164 B (Christer Strömholm 1918-2002), 1958-1959. Collection Marin Karmitz.

Nous avons vu samedi 30 septembre l’exposition Corps à corps, histoire(s) de la photographie (6 septembre 2023 – 25 mars 2024) au centre Pompidou.

Commissaire de l’exposition : Julie Jones, conservatrice au Cabinet de la Photographie du musée national d’Art moderne — centre Pompidou.

Cette exposition regroupe deux collections photographiques : celle du Musée national d’art moderne et celle du collectionneur français Marin Karmitz.

La collection de photographies du centre Pompidou est devenue l’une des plus importantes au monde. Elle compte plus de 40 000 tirages et 60 000 négatifs. Elle est constituée de grands fonds historiques (Man Ray, Brassaï, Constantin Brancusi, Dora Maar). On peut y trouver de nombreux ensembles des principaux photographes du XX ème siècle et une série importante d’oeuvres contemporaines.

Marin Karmitz, metteur en scène, producteur, distributeur de cinéma a constitué une collection photographique qui montre son intérêt pour la représentation du monde et de ceux qui l’habitent. Il possède 1500 tirages. Il s’agit de grandes figures de l’avant-garde, comme Stanisław Ignacy Witkiewicz (1885-1939), dont Marin Karmitz a récemment donné un ensemble d’œuvres important au centre Pompidou, jusqu’à des figures actuelles, comme SMITH.

On trouve dans cette exposition 515 photographies et documents, réalisés par quelque 120 photographes historiques et contemporains. Elle n’est pas organisée selon les catégories d’étude classiques (le portrait, l’autoportrait, le nu ou la photographie dite humaniste), mais présente sept chapitres : 1) Les premiers visages 2) Automatisme ? 3) Fulgurances 4) Fragments 5) En soi 6) Intérieurs 7) Spectres.

Des artistes très divers comme Paul Strand, Henri Cartier-Bresson, Brassaï, Roman Vishniac, William Klein, Robert Frank, W. Eugene Smith, Lisette Model, Susan Meiselas, Annette Messager, Zanele Muholi, SMITH… sont représentés. On peut découvrir des correspondances entre eux, des obsessions communes.

Emmanuel Levinas 1905-1995.

La première partie m’a surtout intéressé. Une citation d’Emmanuel Levinas a attiré mon attention : « Il y a dans le visage une pauvreté essentielle. La preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps le visage est ce qui nous interdit de tuer. »

J’ai recherché le passage. Il est tiré d’ Éthique et infini. (Entretiens diffusés sur France Culture en février-mars 1981. Dialogues Avec Philippe Nemo). 7 Le visage. Paris, Librairie Arthème Fayard, collection « L’Espace intérieur »1982. Pages 89-92. Biblio essais n°4018, 1984.

« Je ne sais si l’on peut parler de “phénoménologie” du visage, puisque la phénoménologie décrit ce qui apparaît. De même, je me demande si l’on peut parler d’un regard tourné vers le visage, car le regard est connaissance, perception. Je pense plutôt que l’accès au visage est d’emblée éthique. C’est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux ! Quand on observe la couleur des yeux, on n’est pas en relation sociale avec autrui. La relation avec le visage peut certes être dominée par la perception, mais ce qui est spécifiquement visage, c’est ce qui ne s’y réduit pas.

Il y a d’abord la droiture même du visage, son expression droite, sans défense. La peau du visage est celle qui reste la plus nue, la plus dénuée. La plus nue, bien que d’une nudité décente. La plus dénuée aussi : il y a dans le visage une pauvreté essentielle. La preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps le visage est ce qui nous interdit de tuer. (…)

Le visage est signification, et signification sans contexte. Je veux dire qu’autrui, dans la rectitude de son visage, n’est pas un personnage dans un contexte. D’ordinaire, on est un « personnage » : on est professeur à la Sorbonne, vice-président du conseil d’État, fils d’untel, tout ce qui est dans le passeport, la manière de se vêtir, de se présenter. Et toute signification, au sens habituel du terme, est relative à un tel contexte : le sens de quelque chose tient dans sa relation à autre chose. Ici, au contraire, le visage est sens à lui seul. Toi, c’est toi. En ce sens, on peut dire que le visage n’est pas « vu ». Il est ce qui ne peut devenir un contenu, que votre pensée embrasserait ; il est l’incontenable, il vous mène au-delà. C’est en cela que la signification du visage le fait sortir de l’être en tant que corrélatif d’un savoir. Au contraire, la vision est recherche d’une adéquation ; elle est ce qui par excellence absorbe l’être. Mais la relation au visage est d’emblée éthique. Le visage est ce qu’on ne peut tuer, ou du moins ce dont le sens consiste à dire : « tu ne tueras point ». Le meurtre, il est vrai, est un fait banal : on peut tuer autrui ; l’exigence éthique n’est pas une nécessité ontologique. L’interdiction de tuer ne rend pas le meurtre impossible, même si l’autorité de l’interdit se maintient dans la mauvaise conscience du mal accompli – malignité du mal. Elle apparaît aussi dans les écitures, auxquelles l’humanité de l’homme est exposée autant qu’elle est engagée dans le monde. Mais à vrai dire l’apparition, dans l’être, de ces « étrangetés éthiques » – humanité de l’homme – est une rupture de l’être. Elle est signifiante, même si l’être se renoue et se reprend. »

Nicolas de Staël 1914 – 1955

Du 15 septembre 2023 – 21 janvier 2024, exposition Nicolas de Staël au Musée d’art Moderne de Paris, 11 avenue du Président Wilson, 75 016 – Paris. Métro : Alma-Marceau. Ligne 9.

Commissaires de l’exposition : la conservatrice Charlotte Barat-Mabille et l’historien d’art Pierre Wat. Marie du Bouchet, petite-fille du peintre, qui coordonne le comité Nicolas de Staël créé en 2005 pour veiller sur l’oeuvre de l’artiste, en est la conseillère scientifique.

Les expositions de Nicolas de Staël et de Manet dans les années 80 m’ont fait vraiment aimer la peinture, en autodidacte.

Nicolas de Staël. Paris. Galeries Nationales de Grand Palais. 22 mai-24 août 1981.

Manet : 1832-1883. Paris, Grand Palais, 22 Avril-1 Août 1983.

L’exposition du Musée d’art Moderne de Paris réunit environ 200 oeuvres. 70 n’ont quasiment jamais été montrées en France.

L’accrochage des toiles suit un ordre chronologique : Le voyage d’un peintre 1934-1947 ; Rue Gauguet 1948-1949 ; Condensation 1950 ; Fragmentation 1951 ; Un an dans le paysage 1952 ; Le spectacle du monde 1952-1953 ; L’atelier du sud 1953 ; Lumières 1953 ; Sicile 1953-1954 ; Sur la route 1954 ; Antibes 1954-1955 .

J’ai apprécié particulièrement la présence de nombreux dessins, les petits formats, les paysages de Sicile, les natures mortes et les toiles que je n’avais jamais vues.

La Route. Ménerbes, 1954. Collection privée.

Nicolas de Staël est un exilé, un nomade, un voyageur : Russie, Belgique, France, Espagne, Maroc, Algérie, États-Unis, Italie (Sicile). Il écrit en mai 1953 : « Tous les départs sont merveilleux pour le travail ». Il est à la recherche d’un ailleurs. La lumière du sud a eu une grande influence sur sa peinture. C’est une évidence. Je regrette seulement que les organisateurs n’aient pas insisté sur le rôle de ses deux voyages en Espagne ( juin-octobre 1935 et octobre 1954 )

J’ai relu pour l’occasion les deux petits recueils de correspondance publiés en 2011 par son fils, Gustave de Staël et la maison d’édition marocaine de Tanger, Khbar Bladna. (Lettres d’Espagne juin-octobre 1935 et Lettres d’Espagne octobre 1954). On retrouve ces textes dans Lettres 1926-1955. Le Bruit du temps. 2014.

1935. Itinéraire.

Juin : En Catalogne, voyage à bicyclette et sac à dos, avec un ami, Benoist Gibsoul. Il découvre l’art religieux médiéval catalan, les gitans. Il fait des croquis. Á Vich, il s’enthousiasme pour l’ ensemble sculptural roman ( première moitié du XII ème siècle ) : La descente de la croix de l’église Santa Eulàlia d’Erill la Vall au Musée épiscopal. ” Divin pays – cette Catalogne, des fresques du X, XI, XII, un art religieux immense. Je donne tout Michel-Ange pour le calvaire du musée de Vich. ” ( Á Georges de Vlamynck, juin 1935 ). Manresa. Ascension du Montserrat, Cervera ( églises et Ayuntamiento ) Lérida ( Castillo de Gardany )

Quelques semaines aux Baléares où il fait des aquarelles.

Fin juin : Monzón, Barbastro ( cathédrale ), Huesca, Triste, Jaca ( fresques ) .

Début juillet : Pampelune où il assiste aux Fêtes de San Fermín. Bilbao. Castro-Urdiales ( Nuestra Señora de la Anunciación ). Santander. Suances. ” Un ciel immense. Les nuages esquissent quatre fantastiques chevaux qui se cabrent sur la mer. Le sable et c’est tout ( Á Madame Fricero, juillet 1935 ). Santillana del Mar (églises, cloîtres, Collégiale de Santa Juliana). Peintures préhistoriques des grottes d’Altamira. ” Extraordinairement beaux de dessin et de couleur. La pierre épouse parfois la forme du taureau. (…) Je me suis couché par terre pour mieux voir. ” ( Á Georges de Vlamynck, 5 août 1935 ). Á partir de Bilbao, un autre ami, Emmanuel d’Hooghvorst, l’accompagne.

Mi-juillet : Burgos. Valladolid, Ávila. Segovia. El Escorial. Madrid. Visite du Musée du Prado. ” splendeurs des splendeurs. ”

Début août : Tolède. Oeuvres du Greco. Monastère royal de Santa María de Guadalupe ( XIV – XV èmes siècles – panneaux décoratifs de Zurbarán dans la sacristie )

Fin août : Andalousie. Cordoue, Séville, usines de céramique.

Début septembre : Cadix, les sierras, Arcos de la Frontera, Zahara de la Sierra, Ronda. Il dessine des chevaux, des taureaux, des animaux. Malaga, Grenade (l’Alhambra). Il apprécie beaucoup l’art islamique. ” Grenade, nous avons passé toute la journée dans l’Alhambra, Dieu que c’est beau, on a envie de s’y installer. Le jour où nous arriverons en architecture et en décoration à ces proportions, à cette mesure, je serai bien content. ” ( Á Madame Fricero, 18 septembre (?) 1935 )

Murcie, Cartaghène.

Mi-septembre : Alicante, Valence. Monastère Santa María de Poblet. Tarragone. Manresa.

Á Barcelone, il découvre mieux l’art catalan médiéval ( fresques romanes du Musée National d’Art de Catalogne – MNAC ), les peintres du Modernisme ( Ramón Casas, Santiago Rusiñol ), les artistes contemporains ( Pablo Picasso, Isidre Nonell, Ricard Casals, Joaquim Mir, Manolo Hugué )

Octobre : Vich et retour en France.

” J’aime le peuple, l’ouvrier, le mendiant. Quelle misère et quels gens sympathiques. ” ( Á Emmanuel Fricero, septembre 1935 )

Du 18 au 31 octobre 1954. Itinéraire.

Mi-octobre : départ de Grimaud (Var). Il voyage avec un ami, le poète Pierre Lecuire, dans une 4 CV à toit ouvrant.

Barcelone, Alicante, Valence. Il dessine une série de routes, de cyclistes, de paysages montagneux.

Il rejoint Grenade, visite l’Alhambra, fait des croquis. Il assiste à un concert de flamenco dans les grottes du Sacromonte. Il dessine l’orchestre, la chanteuse, les danseurs.

Il visite Séville et Cadix. Il achète des objets traditionnels pour composer des natures mortes. Il parcourt les villages des sierras.

Á Tolède, il voit L’enterrement du comte d’Orgaz du Greco (Église Santo Tomé)

Madrid. Dernière étape. Il a besoin de revoir la peinture espagnole. Au Musée du Prado, il admire particulièrement les Vélasquez, mais aussi certains tableaux de Goya, du Greco, de Rubens…

” Ici la salle Vélasquez. Tellement de génie qu’il ne le montre même pas, disant tout simplement au monde je n’ai que du talent mais j’en ai sérieusement. Quelle joie ! Quelle joie ! Solide, calme, inébranlablement enraciné, peintre des peintres à égale distance des rois et des nains, à égale distance de lui-même et des autres. Maniant le miracle à chaque touche, sans hésiter en hésitant, immense de simplicité, de sobriété, sans cesse au maximum de la couleur, toutes réserves à lui, hors de lui et là sur la toile. Donne l’impression claire d’être le premier pilier inébranlable de la peinture libre, libre. Le Roi des Rois. Et tout cela fonctionne comme les nuages qui passent les uns dans les autres, avant que le ciel ne soit ciel et terre, terre. Merveilleux Jacques, absolument merveilleux, il y a exactement vingt-cinq ans que je n’avais vu ces tableaux , j’y suis allé tout droit, mais je ne les ai vus que pour la première fois aujourd’hui. Nom de Dieu. quelle histoire ! (…) Au fond je garde deux impressions majeures, les colonnes à Grenade et la salle Vélasquez ici, le reste vacille. ” ( Á Jacques Dubourg, 29 octobre 1954 )

Début novembre. Après avoir parcouru 3000 kilomètres en voiture, il prend l’avion pour Nice et rejoint son atelier d’Antibes. Ce voyage lui a donné un élan extraordinaire. De novembre 1954 à mars 1955, il peint cent quatorze tableaux en quatre mois et demi.  Dans la nuit du 16 au 17 mars 1955, il se jette du toit de l’immeuble de son atelier. Sa dernière lecture, Fictions de Borges : ” Et j’ai lu plusieurs fois Borges. Eh bien , je ne sais en quelle langue il écrit, cela arrive à ne plus avoir d’importance, c’est dommage, mais sa façon d’écrire, non pas sur le papier mais comme une fourmi microbe dans l’épaisseur même de chaque feuille, c’est étourdissant. Les superbes parasites qui creusent dans le volume des tablettes, des cartons, des in-folio d’or et de cuir ont dû le hanter pertinemment. Lorsque cela évite le particularisme c’est très grand et très simple.”

Étude de visage de femme. Jeannine. Vers 1939. Collection particulière.

Marc Desgrandchamps

Marc Desgrandchamps est né le le 31 janvier 1960 à Sallanches (Haute-Savoie). Il a vécu avec sa famille à Dôle, Annecy, Gap. Il a étudié de 1978 à 1981 à l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris ( ENSBA). Depuis 1984, il vit à Lyon. De mai à septembre 2011, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris lui a consacré une importante rétrospective. En 2016, il a commencé à travailler avec la Galerie Lelong de Paris où il expose régulièrement.

Á Dijon, le Musée des Beaux-arts, présente une intéressante exposition : Marc Desgrandchamps – Silhouettes du 12 mai au 28 août 2023. On pourra la voir aussi du 15 décembre 2023 au 31 mars 2024 au Musée d’Art Contemporain (MAC) de Marseille.

Elle inaugure de nouveaux espaces au 3 ème étage du musée, dédiés aux expositions temporaires. L’accès se fait directement depuis la cour de Bar de l’ancien Palais des Ducs et des États de Bourgogne. Cette exposition réunit 47 grandes toiles et polyptyques accompagnés de dessins, répartis en six salles et sept thématiques distinctes. Elle fait le point sur les dix dernières années de création du peintre. L’exposition Dia-logues. Estampes de Marc Desgrandschamps au musée Magnin, qui est tout proche (4 Rue des Bons Enfants – 12 mai au 24 septembre 2023), fait écho à l’exposition Silhouettes.

Philippe Dagen dans son article du Monde du 22 juin 2023 (Au Musée des beaux-arts de Dijon, le monde mental peint par Marc Desgrandchamps) affirme : ” [Sa peinture] peut être dite ” figurative “, à cette nuance près que la figuration y est constamment déstabilisée et, en un sens niée. Si un monde est représenté, c’est un monde mental. ” Les sujets de prédilection du peintre : les paysages méditerranéens, les souvenirs de voyages, les références à l’antique et à l’histoire, les couleurs bleues et vertes dominantes, la lumière du sud et les transparences, les aberrations picturales, les motifs suggestifs, les lignes d’horizon, les superpositions d’espace-temps…

Quelques références parfois : La Flagellation du Christ (1455) de Piero della Francesca, Le Déjeuner sur l’herbe (1863) d’Édouard Manet, le film Blow Up (1966) de Michelangelo Antonioni.

Le Centaure incertain. 2022. Galerie Eigen + Art Leipzig Berlin.

Desgrandchamps Temps mélangés. Court métrage de Judith Du Pasquier. Il se déroule principalement à Lyon, dans l’atelier de l’artiste, entre 2009 et 2022.

https://vimeo.com/825484654?share=copy

Sans titre. 2019. En dépôt au Musée des Beaux-arts de Caen.

Julien Gracq

Portrait de Julien Gracq (Claudine Gueniot). Vers 1970. Paris, BnF, département des Estampes et de la photographie.

On peut voir du 11 juillet au 3 septembre 2023 à la Bibliothèque nationale de France, site François Mitterrand (Galerie des donateurs), Paris XIII, l’exposition Julien Gracq, La forme d’une oeuvre. Entrée libre.

“J’ai envie d’être avec le lecteur comme avec quelqu’un à qui on pose la main sur l’épaule.” (Julien Gracq)

Présentation sur le site de la BnF : https://www.bnf.fr/fr/agenda/julien-gracq-la-forme-dune-oeuvre.

La BnF célèbre Julien Gracq, l’une des figures les plus marquantes de la littérature du XXe siècle, en exposant pour la première fois les manuscrits qu’il lui légua à sa mort en 2007. Témoignages émouvants de la fabrique d’une œuvre exigeante, les manuscrits littéraires de Julien Gracq sont présentés aux côtés de photographies, de gravures, d’articles et même de ses cahiers d’écolier… Une centaine de pièces – dont certaines sont commentées par des personnalités qui ont lu ou connu Gracq – permettent ainsi de (re)découvrir un écrivain à l’écart des modes, affranchi des prescriptions de l’opinion, qui refusa le prix Goncourt 1951 pour Le Rivage des Syrtes et qui n’a jamais admis pour son art que trois impératifs : la liberté, la qualité et l’intégrité.

L’exposition en bref

À sa mort en 2007, Julien Gracq a légué à la Bibliothèque nationale de France l’ensemble de ses manuscrits, depuis les copies autographes d’Au château d’Argol jusqu’aux textes encore inédits et dont quelques-uns ont depuis été publiés sous les titres Manuscrits de guerre (2011), Terres du couchant (2014), Nœuds de vie (2021) et La Maison (2023).

Ce fonds exceptionnel, qui compte environ quinze mille pages manuscrites, n’a jamais été montré jusqu’à aujourd’hui. Gracq lui-même n’était « pas partisan de faire à l’invité visiter les cuisines ». Sans doute pressentait-il malgré tout l’intérêt que l’on pouvait trouver à ses manuscrits, puisqu’il les a conservés et légués à la BnF. « Vrais restes matériels d’un écrivain », ces manuscrits témoignent de son travail en cours, tel qu’il prend forme sous sa plume. Les différents états (brouillons raturés, copies corrigées, mises au net minutieusement écrites) de romans comme Le Rivage des Syrtes (1951) ou Un balcon en forêt (1958) côtoient dans l’exposition ceux de fragments choisis et organisés parus dans les livres critiques comme Lettrines (1967) ou En lisant en écrivant (1980). On y découvre également les carnets de notes qui accompagnaient l’écrivain dans ses périples géographiques et le manuscrit de La Maison, le dernier inédit en date de Gracq, paru le 30 mars 2023.

C’est la fabrique d’une des œuvres majeures de la littérature du XXe siècle que donne à voir l’exposition de la BnF. L’exposition est conçue comme une introduction à l’œuvre de Gracq et voudrait inciter à rouvrir ses livres. Pour mettre au cœur de l’exposition la relation au lecteur, la Bibliothèque a proposé à Pierre Bergounioux, Aurélien Bellanger, Anne Quefélec, Emmanuel Ruben, Maylis de Kerangal, Pierre Jourde ainsi qu’aux successeurs de l’éditeur José Corti, Marie de Quatrebarbes et Maël Guesdon, de commenter, par écrit ou sous forme audiovisuelle, l’une des œuvres de « l’ermite de Saint-Florent-le-Vieil », illustrant ainsi ce que l’on «gagne» à marcher sur le « grand chemin » de Julien Gracq.

La pianiste Anne Quéffelec parle de Julien Gracq. Elle évoque l’amitié qui unissait son père, Henri Queffélec, et Louis Poirier. Leur rencontre sur les bancs de l’École Normale Supérieure va les mener jusqu’à Budapest, où ils passent les mois de juillet et d’août 1931. Ils sont reçus au collège Eörvös, réplique hongroise de l’ENS. C’est Henri Queffélec qui provoque la rencontre du futur Julien Gracq avec la Bretagne. En effet, il va passer huit jours chez lui, à Brest, fin septembre 1931.

https://essentiels.bnf.fr/fr/video/c511e9f6-9f03-4ffa-867f-bb1b4718d952-pianiste-anne-queffelec-nous-parle-julien-gracq

Notules (Julien Gracq) Cahiers tenus à partir de 1954, interdits de consultation jusqu’en 2027. Paris, BnF, départements des manuscrits.

Julien Gracq à la BNF : vers le point de fuite (Pierre-Edouard Peillon) (Le Monde des Livres, 16 juillet 2023)

https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/07/16/julien-gracq-a-la-bnf-vers-le-point-de-fuite_6182192_3260.html

Manuscrit d’Au château d’Argol. Paris, BnF.

Antoni Campañá – Anita Garbín Alonso

Les photos prises pendant la guerre civile espagnole par Robert Capa, Gerda Taro ou Agustí Centelles sont aujourd’hui très célèbres. On a découvert plus récemment celles d’ Antoni Campañá (1906-1989). La plus connue est : Barcelone. Milicienne sur une barricade au carrefour des Ramblas et de la Calle Hospital le 25 juillet 1936.

Barcelone. Milicienne sur une barricade au carrefour des Ramblas et de la Calle Hospital le 25 juillet 1936 (Antoni Campañá).

On connaît depuis peu son identité. Il s’agit d’Anita Garbín Alonso, une couturière anarchiste. Elle se trouve sur une barricade devant le drapeau rouge et noir des anarchistes de la CNT-FAI. On voit au fond La Casa de los Paraguas. Cette maison insolite, remodelée parJosep Vilaseca en 1883, est ornée d’ombrelles et d’un dragon. C’ est aujourd’hui une succursale bancaire. Le cliché a été souvent reproduit par les anarchistes sur des affiches, des livres, des fresques. On a même surnommé cette femme, jusque-là anonyme, “ la Madona anarquista ”.

Ce n’est qu’en 2018 que l’on a su qui était l’auteur de la photographie : Antoni Campañà. Son petit-fils, Toni Monné a découvert alors deux caisses rouges qui contenaient des milliers de photos de la guerre (1200 copies et 5000 négatifs) lorsqu’on allait détruire la vieille maison familiale de San Cugat del Vallès. Le photographe les a cachées jusqu’à sa mort en 1989. Pendant la dictature franquiste, Campañá était surtout connu pour ses photos artistiques, ses photos de sport, de fêtes et des clichés qui mettaient en valeur le développement touristique. Pendant la guerre, ce n’était pas un photographe engagé. Il photographiait les réfugiés qui fuyaient la répression franquiste, mais aussi les églises détruites et les religieuses assassinées. Il venait d’une famille bourgeoise, nationaliste et catholique. En 1944, Francisco Lacruz a utilisé certaines de ses photos dans son livre El alzamiento, la revolución y el terror en Barcelona 19 de julio de 1936 – 26 de enero de 1939. A ce moment-là, Campañà a décidé de cacher les autres photos prises pendant la guerre. Et il a été un peu oublié.

Anita Garbín Alonso, elle, est née à Almería, en Andalousie en 1915. Ses parents ont émigré à Barcelone en 1920. Elle a 21 ans en 1936. Elle est divorcée d’un premier mari et a une fille de trois ans, Liberty. A la fin de la Guerre Civile, avec ses cinq frères et soeurs, elle a fui en France et a vécu à Béziers. Comme beaucoup d’exilés, cette couturière n’est jamais retournée en Espagne. Elle est morte en 1977 et est enterrée dans le cimetière de la ville. Anita appartenait à une famille anarchiste, mais elle était aussi catholique. Elle allait régulièrement à l’église, allumait des cierges et priait.

Autoportrait (Antoni Campañà), 1936.

Une sélection des photos de Campañà a été exposée en 2021 au Musée national d’Art de Catalogne (MNAC) de Barcelone (La guerra infinita. Antoni Campañà. La tensión de la mirada. 1906-1989). François Gómez Garbín, neveu d’ Anita, et son épouse, Liliane Hoffman, ont visité l’exposition et ont reconnu leur tante Anita. Ils ont rencontré aussi Toni Monné.

Une autre exposition (Icônes cachées. Les images méconnues de la guerre d’Espagne) vient de commencer à Montpellier ( du 29 juin au 24 septembre 2023 au Pavillon Populaire, Esplanade Charles de Gaulle ). L’ identité de cette icone anarchiste a été révélée par les journaux espagnols ces jours-ci.

https://elpais.com/cultura/2023-06-27/la-miliciana-ya-tiene-nombre-anita-garbin-alonso-costurera-exiliada-anarquista.html?rel=buscador_noticias


Pepito Lumbreras Garbín, fils d’Anita et de José Lumbreras, un communiste espagnol, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, comme ses cousins Alain Gómez Garbín et François Gómez Garbín sont aujourd’hui retraités. Ils ont récupéré la nationalité espagnole grâce à la Loi de Mémoire Historique (Ley de Memoria Histórica) de 2007. Chez les Garbín, on ne parlait jamais de la guerre civile. La mère était anarchiste, le père communiste. Le passé était trop douloureux.

Antoni Campañà. Icônes cachées. Les images méconnues de la guerre d’Espagne 1936-1939. Montpellier, Pavillon Populaire, Esplanade Charles de Gaulle du 29 juin au 24 septembre 2023.

Pastels de Millet à Redon

Exposition Pastels de Millet à Redon.
(Commissaire : Caroline Corbeau-Parsons, Conservatrice des arts graphiques au musée d’Orsay)

Le musée d’Orsay présente du 14 mars au 02 juillet 2023 une centaine de pastels de sa collection qui est une des plus riches du monde. Le musée en conserve plus de 500.
L’exposition s’articule autour de huit sections : Sociabilités, Terre et mer, Modernités, Essence de la nature, Intérieurs, Intimités, Arcadies, Âmes et chimères.
C’est l’occasion d’admirer des œuvres magnifiques de Jean-François Millet, Edgar Degas, Édouard Manet, Mary Cassatt, Eugène Boudin, Gustave Caillebotte, Odilon Redon, Lucien Lévy-Dhurmer, Édouard Vuillard. Elles sont très fragiles et ne peuvent pas être exposées régulièrement. La dernière exposition sur ce médium au musée d’Orsay, Le mystère et l’éclat, date de 2009.

La Repasseuse (Edgar Degas). 1869.

Odilon Redon, Lettres 1923. Lettre à André Mellerio 16 août 1896.

« Je crois que l’art suggestif tient beaucoup des incitations de la matière elle-même sur l’artiste. Un artiste vraiment sensible ne trouve pas la même fiction dans des matières différentes, parce qu’il est par elles différemment impressionné. »

Jeune fille au bonnet bleu (Odilon Redon) début des années 1890

Eugène Boudin. Journal Intime. Mardi 3 décembre [1856].

« Nager en plein ciel. Arriver aux tendresses du nuage. Suspendre ces masses au fond, bien lointaines dans la brume grise ; faire éclater l’azur. Je sens tout cela venir, poindre dans mes intentions. Quelle jouissance et quel tourment ! si le fond était tranquille, peut-être n’arriverais-je pas à ces profondeurs. A-t-on fait mieux jadis ? Les Hollandais arrivaient-ils à cette poésie du nuage que je cherche ? à ces tendresses du ciel qui vont jusqu’à l’admiration, jusqu’à l’adoration : ce n’est pas exagérer. »

Plage (Eugène Boudin). 1862-70. Musée national du Luxembourg.
Plage (Eugène Boudin), vers 1862-70.

EXPOSITION PASTELS DE MILLET A REDON – Entretien avec la commissaire


https://www.youtube.com/watch?v=5-RVbgaopAE