Fernando Pessoa

Nous avons vu hier un film soporifique de Víctor Iriarte : Dos madres (titre original : Sobre todo la noche). 2023. 1h50. Scénario : Isa Campo, Andrea Queralt, Víctor Iriarte. Interprètes : Lola Dueñas, Ana Torrent, Manuel Egozkue.

Résumé : Véra (Lola Dueñas) a été séparée de son bébé le jour de l’accouchement. Elle pense qu’il est vivant et a tout essayé pour le retrouver. Son dossier a disparu. Elle se heurte au silence de l’administration. Elle bascule alors dans l’illégalité pour obtenir les informations qu’elle recherche. Elle retrouve la trace de son fils, Egoz (Manuel Egozkue), désormais jeune adulte, adopté par Cora (Ana Torrent), elle aussi victime du système.

Le premier long métrage de Víctor Iriarte (né en 1976) a une grande ambition, politique et esthétique. Il rate son coup. Il veut mêler le thriller d’espionnage, le roman épistolaire et le carnet de voyage. Ses maniérismes occultent le propos politique annoncé d’emblée.

L’Espagne a retrouvé la démocratie, mais n’a pas soldé l’ héritage de la dictature. Sous le régime franquiste, près de 300 000 nourrissons, déclarés mort-nés, ont été subtilisés aux mères espagnoles pour faire l’objet d’un commerce (chiffres avancés par les associations). Ces pratiques étaient justifiées alors par les théories délirantes du psychiatre Antonio Vallejo-Nájera (1889-1960), un proche du dictateur. Avec la complicité des institutions médicale et religieuse, ce trafic d’enfants a perduré après la mort de Franco, jusque dans les années 1980, pour des raisons lucratives. « Nous avions déjà exposé dans d’autres travaux l’idée des relations intimes entre le marxisme et l’infériorité mentale… La vérification de nos hypothèses à une transcendance politico-sociale énorme, car, si comme nous le pensons, les militants marxistes sont de préférence des psychopathes antisociaux, la ségrégation totale de ces sujets dès l’enfance pourrait libérer la société d’une plaie si terrible. » (Antonio Vallejo-Nájera).

On peut voir le documentaire Els nens perduts del franquisme (Los niños perdidos del franquismo) (2002) de Montserrat Armengou y Ricard Belis.

https://www.youtube.com/watch?v=zA3M-k-ckis

https://www.youtube.com/watch?v=YuJNElQkzIY

L’« association nationale des victimes d’adoptions illégales » — Anadir — , fondée par Juan Luis Moreno et Antonio Barroso, défend les intérêts des victimes.

https://www.lepoint.fr/monde/en-espagne-le-long-combat-des-bebes-voles-du-franquisme-06-10-2022-2492696_24.php

D’autre part, selon la Asociación para la Recuperación de la Memoria Histórica (ARMH), 114 000 personnes, victimes de la répression franquiste, sont encore portées disparues.

Je retiens de ce film un fado et le titre original qui fait référence à un beau poème de Álvaro de Campos, un des 70 hétéronymes créés par Fernado Pessoa.

Portrait de Fernando Pessoa (Julio Pomar). 1983. Centro de Arte Moderna de Brito.

Sim, é claro,
O Universo é negro, sobretudo de noite.
Mas eu sou como toda a gente,
Não tenha eu dores de dentes nem calos e as outras dores passam.
Com as outras dores fazem-se versos.
Com as que doem, grita-se.

A constituição íntima da poesia
Ajuda muito…
(Como analgésico serve para as dores da alma, que são fracas…)
Deixem-me dormir.

3 juillet 1930

Álvaro de Campos – Livro de Versos. Fernando Pessoa. (Edição crítica. Introdução, transcrição, organização e notas de Teresa Rita Lopes.) Lisboa: Estampa, 1993.

(Fernando Pessoa)

Oui, c’est évident,
L’Univers est noir, surtout la nuit.
Mais moi je suis comme tout le monde.
Pourvu que je n’aie ni mal aux dents ni cor aux pieds, les autres douleurs passent.
Avec les autres douleurs on fait des vers.
Avec celles qui font mal, on crie.

L’intime constitution de la poésie
Est une aide énorme…
(Elle sert d’analgésique pour les douleurs de l’âme, qui sont faibles…)
laissez-moi dormir.

Álvaro de Campos, Derniers poèmes. Traduction Patrick Quillier en collaboration avec Maria Antónia Câmara Manuel. Christian Bourgois Éditeur, 2001.

Aurora Picornell 1912 – 1937

Le 5 janvier 1937, les fascistes ont fusillé Aurora Picornell (1912-1937) au cimetière de Son Coletes, près de Manacor (Mallorca) avec ses camarades du groupe “ Les Rouges du Molinar ” ( Les Roges de Molinar : Catalina Flaquer, ses deux filles, Antònia Pascual Flaquer et Maria Pascual Flaquer, Belarmina González Rodríguez ). Elles étaient communistes et vivaient dans le quartier de El Molinar à Palma de Mallorca (Îles Baléares), qui était à l’époque un quartier d’ouvriers et de pêcheurs. Aujourd’hui, la zone où elles habitaient n’existe plus.

Le Président actuel du Parlement des Îles Baléares, Gabriel Le Senne, membre de l’Opus Dei et du parti fasciste Vox, allié au parti Populaire (droite conservatrice), s’est permis le 19 juin 2024 de déchirer dans l’hémicycle la photographie de cette figure républicaine. Il a aussi expulsé deux députées du Parti Socialiste Ouvrier espagnol (PSOE), Mercedes Garrido et Pilar Costa. Vox et le Parti Populaire veulent supprimer la Ley de Memoria Democrática dans cette communauté autonome. La menace de l’extrême-droite est toujours là, bien présente …

Aurora Picornell aurait dit à ses boureaux de la Phalange :

“Podéis matar a hombres, a mujeres, a niños como el mío que todavía no ha nacido. ¿Pero, y las ideas? ¿Con qué balas mataréis las ideas?”.

“Podeu matar homes, dones, nins com el meu que encara no ha nat. Però, i les idees? Amb quines bales matareu les idees?”

Les membres de la famille de Gabriel Le Senne faisaient partie des partis conservateurs de l’île et se sont amplement enrichis pendant la longue dictature franquiste (1939-1975)

L’histoire dit que dans la nuit du 5 au 6 janvier 1937 un fasciste est entré dans un bar du quartier El Molinar et a montré à ceux qui étaient présents un soutien-gorge taché de sang. “Mirad, mirad, son los sostenes de Aurora”. (« Regardez, regardez, c’est le soutien-gorge d’Aurora. ») C’est ainsi que les habitants du quartier ont appris l’exécution de cette dirigeante du Parti communiste d’Espagne (PCE) à Mallorque. 85 ans plus tard, en octobre 2022, les restes d’Aurora ont été identifiés. Ils ont été trouvés dans la fosse commune n°3 du cimetière Son Coletes de Manacor. L’ADN de son frère, Ignasi Picornell, lui aussi assassiné et dont le corps a été retrouvé en 2016 dans la fosse commune de Porreres, a permis son identification ainsi que celle de son père Gabriel Ignasi Picornell.

Fosse commune n°3 du cimetière Son Coletes de Manacor. 2022. Catalina Flaquer, Aurora Picornell, les soeurs Antonia i María Pascual Flaquer et Belarmina González.

Aurora Picornell est née le 1 octobre 1912 à Palma dans une famille communiste de sept enfants (Aurora est la sixième). Á 16 ans, elle publie La mujer, ¿es superior al hombre? Estudio dividido en tres meditaciones. Á 18 ans, elle milite dans la Lliga Laica de Mallorca. L’année suivante, elle fonde le syndicat des couturières (Sindicato de Sastrería y similares). Elle est la vice-présidente d’une direction paritaire. Elle devient membre du Secours rouge international et responsable régionale du Parti Communiste d’Espagne (PCE). Elle participe à des meetings et écrit dans la presse. Elle organise el Día de la Mujer Trabajadora à Mallorca le 8 mars 1934. Bien que membre d’un petit parti, elle est très connue pour son activisme dans tout l’archipel. On l’appelle déjà la Heroica Aurora Picornell ou bien La Pasionaria de Mallorca. Au début des années 30, la participation des femmes dans la vie politique est encore chose peu fréquente bien qu’en Espagne les femmes aient obtenu le droit de vote le 1 octobre 1931 grâce à la Seconde République.

Aurora est arrêtée avec ses camarades le 19 juillet 1936, peu après le coup d’état franquiste. Elle est incarcérée d’abord à la prison provinciale, puis à la prison pour femmes de Mallorca (edificio Ca’n Salas). Elle est ensuite emmenée par un groupe de phalangistes dans l’ancien couvent de Montuïri et fusillée sans aucun jugement la veille du jour des Rois (le 5 janvier 1937), après avoir été torturée et probablement violée.

Elle est devenue l’exemple de ce que fut la répression franquiste à Mallorca pendant la Guerre Civile. Entre 1936 et 1942, 2300 personnes furent assassineés dans l’île par les putschistes.

La famille Picornell Femenias en a particulièrement souffert. Son père (Gabriel Ignasi) qui était menuisier et deux de ses frères (Gabriel et Ignasi) ont été fusillés. Le plus jeune, Joan, a pu fuir en France après la guerre, mais il fut déporté à Dachau et mourut peu après la libération du camp de concentration. En 1932, Aurora s’était mariée à Valence avec Heriberto Quiñones, membre de l’Internationale Communiste et dirigeant du PCE. Ils ont eu une fille, Octubrina Roja Quiñones Picornell (1934-1969). Heriberto Quiñones a été exécuté à Madrid le 2 octobre 1942. il est mort assis sur une chaise car les tortures qu’on lui avait infligées lui avaient fait perdre l’usage de ses quatre membres.

C’est un groupe dirigé par le Marquis Alfonso de Zayas y de Bobadilla (1896-1970), chef provincial de la Phalange, qui est responsable de l’arrestation et de la mort d’Aurora. Le Gouverneur civil des Baléares, Mateu Torres Bestard (1891-1969), proche du général Franco, a favorisé cette répression.

Totes les Aurores (2023). Documentaire d’IB3 Televisió, Quindrop Produccions (Pedro de Echave). 75 minutes.

https://www.youtube.com/watch?v=fUvZO4018GA

Georges Bernanos.

Il faut relire Les Grands Cimetières sous la lune de Georges Bernanos (Plon, 1938).

« Pour moi, j’appelle Terreur tout régime où les citoyens, soustraits à la protection de la loi, n’attendent plus la vie ou la mort que du bon plaisir de la police d’Etat. J’appelle le régime de la Terreur le régime des Suspects. C’est ce Régime que j’ai vu fonctionner huit mois. Ou, plus exactement, il m’a fallu dix mois pour m’ en découvrir, rouage après rouage, le fonctionnement. Je le dis, je l’affirme. Je n’exige nullement qu’on me croie sur parole. Je sais que tout se saura un jour – demain, après-demain, qu’importe ? Mgr l’ Évêque de Palma par exemple en sait autant que moi. J’ai toujours pensé que Notre Saint-Père le Pape, torturé, dit-on, par le problème de la guerre civile espagnole, aurait grand intérêt à questionner ce dignitaire sous la foi du serment. »

« Exécutions

J’ai vu là-bas, à Majorque, passer sur la Rambla des camions chargés d’hommes. Ils roulaient avec un bruit de tonnerre, au ras des terrasses multicolores, lavées de frais, toutes ruisselantes, avec leur gai murmure de fête foraine. Les camions étaient gris de la poussière des routes, gris aussi les hommes assis quatre par quatre, les casquettes grises posées de travers et leurs mains allongées sur les pantalons de coutil, bien sagement. On les raflait chaque soir dans les hameaux perdus, à l’heure où ils reviennent des champs ; ils partaient pour le dernier voyage, la chemise collée aux épaules par la sueur, les bras encore pleins du travail de la journée, laissant la soupe servie sur la table et une femme qui arrive trop tard au seuil du jardin, tout essoufflée, avec le petit balluchon serré dans la serviette neuve : « Adios ! recuerdos ! » (adieu ! Je pense à toi!) »

Bibliographie

David Ginard i Féron (professeur d’histoire à l’université des Îles Baléares), Aurora Picornell (1912-1937) : de la història al símbol, Palma, Edicions Documenta Balear, 2016.

Josep Quetglas, Aurora Picornell. Escrits 1930-1936. Pins del Vallès, Associació d’Idees, 2012.

Geneviève Halévy (Mme Bizet-Mme Straus)

Geneviève Halévy (Nadar) 1887.

Geneviève Halévy (Mme Bizet-Mme Straus) est née à Paris le 26 février 1849.

Elle est la fille de Flomental Halévy (1799-1862), auteur de plusieurs opéras aujourd’hui oubliés (La Juive-1835). Par son père, elle est la nièce de Léon Halévy (1802-1883) et la cousine germaine du librettiste Ludovic Halévy (1834-1906), auteur avec Henri Meilhac (1830-1897) de nombreux opéras bouffes, mis en musique par Offenbach. Au cours du Second Empire, Meilhac et Halévy ont écrit le livret de Carmen, d’après la nouvelle de Mérimée.

Georges Bizet (Etienne Carjat), 1875.

Elle épouse en juin le compositeur Georges Bizet (1838-1875), élève de son père. Celui-ci avec L’Arlésienne ( 1872) Carmen (1875) n’a pas eu un grand succès Il n’est reconnu qu’après sa mort. Geneviève se fera peindre en habits de deuil par Jules-Élie Delaunay (1828-1891). Le tableau de 1876 est au Musée d’Orsay.

En 1881, elle fait la connaissance de l’avocat des Rothschild, Émile Straus (1844-1929). La rumeur le présente comme le fils illégitime de James de Rothschild. Elle se remarie avec lui en 1886.

Jacques Bizet vers 6 ans (Jules-Élie Delaunay). Musée des beaux-arts de Nantes.

Son fils, Jacques Bizet (1872-1922) est un ami d’enfance de Marcel Proust et son condisciple au lycée Condorcet. Marcel Proust est d’abord amoureux de ce « beau et vigoureux garçon ». Celui-ci ne répond pas à une lettre enflammée du futur écrivain, mais reste bon ami avec son camarade.

Geneviève Straus est jeune, belle, pleine d’esprit. C’est une femme à la mode. Elle tient un salon très fréquenté, reçoit tous les dimanches de nombreux artistes (des écrivains, des compositeurs, des peintres, des acteurs : Guy de Maupassant, Paul Bourget, Robert de Montesquiou, Alexandre Dumas fils, José-Maria de Heredia, Léon Blum, Edgar Degas, Jean-Louis Forain, Jacques -Emile Blanche, Charles Gounod, Jules Massenet, Gabriel Fauré, Lucien Guitry, Réjane ) et ses relations aristocratiques du faubourg Saint-Germain. Dans les premières années, elle encourage ses hôtes à réciter un poème ou à jouer au piano. Par la suite, la conversation devient beaucoup plus légère et exclut les conversations sérieuses.

Grâce à son amitié avec Jacques Bizet, Marcel Proust est introduit dès 1889 dans le salon de Mme Straus. Il n’a que 18 ans. Ce sera pour lui une véritable école. Il y vient régulièrement et voue à cette femme une grande admiration. Une véritable amitié amoureuse se noue. On conserve une importante correspondance de l’écrivain avec madame Straus. Elle va de 1888 à 1919. Il avoue lui-même avoir emprunté certains de ses traits d’esprit et ses “souliers rouges” pour composer la duchesse de Guermantes. Il observe ainsi des personnages qui deviendront ceux d’ À la recherche du temps perdu.

Ce salon est ardemment dreyfusard, comme Mme Straus, d’origine juive par son père et sa mère. Sous l’autorité de Joseph Reinach, il devient le point de ralliement des partisans de Dreyfus. C’est là que s’organise la première pétition de L’Aurore, à l’instigation d’Émile Straus, de Porto-Riche, d’Hervieu et de Halévy. Jacques Bizet et Marcel Proust signent la pétition du journal L’Aurore. Mais le déclin du salon de Mme Straus s’amorce alors. Les anti-dreyfusards et de nombreux aristocrates désertent la maison

Dès le début des années 1890, elle a développé une dépendance au Véronal et à la morphine. À partir de 1910, elle tombe dans la neurasthénie et s’isole.

Jacques Bizet se suicide le 3 novembre 1922. Marcel Proust meurt le 18 novembre 1922 et Madame Straus le 22 décembre 1926.

Musée Marcel Proust – Maison de tante Léonie. Illiers-Combray (Eure-et-Loir). Il a réouvert le 18 mai 2024.

Georges Dudach – Jacques Decour – Louis Aragon

Charlotte Delbo et Georges Dudach (à droite), très probablement lors de leurs retrouvailles en gare de Pau (Pyrénées-Atlantiques) en novembre 1941.

Le poème Art poétique d’Aragon fut publié à Neuchâtel (Suisse) le 16 août 1942 dans l’hebdomadaire Curieux que l’on pouvait recevoir légalement en zone libre. Le poète rend hommage à ses amis résistants, Georges Politzer, Jacques Decour, Jacques Solomon et Georges Dudach, fusillés par les nazis en mai 1942.

Georges Dudach, mari de Charlotte Delbo, était l’adjoint de Jacques Decour, professeur agrégé d’allemand, critique et romancier. Après la création du Front national, ce dernier fut chargé du regroupement de tous les écrivains résistants de zone occupée dans le Comité national des Écrivains. Après L’Université libre et La Pensée libre, il projetait la publication d’une nouvelle revue, Les Lettres françaises, qu’il ne verra pas paraître.

Mandaté par le Parti Communiste, Georges Dudach assura la liaison de Paris avec divers intellectuels, et en particulier avec Louis Aragon et Elsa Triolet. Georges Dudach fut fusillé comme otage au Mont-Valérien le 23 mai 1942 en même temps que Georges Politzer, Jacques Solomon, André Pican et Jean-Claude Bauer. Jacques Decour le fut à son tour au même endroit avec Arthur Dallidet et Félix Cadras le 30 mai 1942. Il avait subi 3 mois d’interrogatoires et de tortures.

https://maitron.fr/spip.php?article21760.

Notice DECOUR Jacques [DECOURDEMANCHE Daniel, dit] par Nicole Racine, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 11 juillet 2022.

Jacques Decour (1910-1942). Détail d’une photo prise au lycée Rollin (aujourd’hui Lycée Jacques-Decour) , vers 1937.

Art poétique (Louis Aragon)

Pour mes amis morts en Mai
Et pour eux seuls désormais

Que mes rimes aient le charme
Qu’ont les larmes sur les armes

Et pour que tous les vivants
Qui changent avec le vent

S’y aiguise au nom des morts
L’arme blanche du remords

Mots mariés mots meurtris
Rimes où le crime crie

Elles font au fond du drame
Le double bruit d’eau des rames

Banales comme la pluie
Comme une vitre qui luit

Comme un miroir au passage
La fleur qui meurt au corsage

L’enfant qui joue au cerceau
La lune dans le ruisseau

Le vétiver dans l’armoire
Un parfum dans la mémoire

Rimes rimes où je sens
La rouge chaleur du sang

Rappelez-vous que nous sommes
Féroces comme des hommes

Et quand notre cœur faiblit
Réveillez-vous de l’oubli

Rallumez la lampe éteinte
Que les verres vides tintent

Je chante toujours parmi
Les morts en Mai mes amis

16 août 1942 (Hebdomadaire Curieux, Neuchâtel)

En étrange pays dans mon pays lui-même, 1945. (En Français dans le texte, 15 septembre 1943)

Charlotte Delbo

Après avoir lu les poèmes de Primo Levi, je suis revenu à ceux de Charlotte Delbo. Les Éditions de Minuit ont rassemblé en mars 2024 pour la première fois ses poèmes complets, suivis de dix inédits et d’un entretien avec Claude Prévost (La Nouvelle Critique, juin 1965, numéro 167)

http://leseditionsdeminuit.fr/livre-Pri%C3%A8re_aux_vivants_pour_leur_pardonner_d_%C3%AAtre_vivants-3432-1-1-0-1.html

Dans Mesure de nos jours (1971) Charlotte Delbo écrit : « Les poètes voient au-delà des choses. » Elle est née le 10 août 1913 à Vigneux-sur-Seine (Essonne). Elle est morte le 1er mars 1985 à Paris.

Issue d’une famille d’ouvriers italiens, elle adhère en 1932 aux Jeunesses communistes, puis en 1936 à l’Union des jeunes filles de France, fondée par Danielle Casanova. A l’Université ouvrière, elle rencontre en 1934 son futur mari, le militant communiste Georges Dudach, formé à Moscou. Elle l’épouse en 1936. En 1937, elle devient la secrétaire de Louis Jouvet qui l’engage après la lecture d’un article sur le théâtre qu’elle avait écrit pour Les Cahiers de la Jeunesse, dont Georges Dudach était le rédacteur en chef.

Après avoir hésité, elle part avec la troupe de l’Athénée en Amérique du Sud en mai 1941. Elle revient à Paris le 15 novembre 1941.

Elle s’engage alors dans la Résistance avec son mari. Ils vivent dans la clandestinité. Ils font partie du « groupe Politzer », chargé de la publication des Lettres françaises dont Jacques Decour est le rédacteur en chef. Charlotte Delbo est chargée de l’écoute de Radio Londres et de Radio Moscou qu’elle prend en sténo ainsi que de la dactylographie des tracts et des revues.

En février 1942, de nombreux membres de leur réseau de résistants communistes sont pris en filature. Les arrestations se multiplient à la mi-février : Georges et Maï Politzer, Danielle Casanova, Lucien Dorland, Lucienne Langlois, puis André et Germaine Pican, Jacques Decour…

Charlotte Delbo et son mari sont arrêtés le 2 mars 1942 au 93 rue de la Faisanderie (16e arrondissement de Paris) par les Brigades spéciales de la Police française. Georges Dudach est fusillé au fort du Mont-Valérien le 23 mai 1942, à l’âge de 28 ans. Charlotte Delbo est déportée à Auschwitz par le convoi du 24 janvier 1943 dit « convoi des 31000 » (230 femmes – 1446 hommes). Elle est transférée à Ravensbrück au début de l’année 1944 et libérée en avril 1945 après vingt-sept mois de déportation. Elle sera l’une des 49 rescapées du convoi des 31000.

Elle écrira des années plus tard son indispensable trilogie Auschwitz et après.

Aucun de nous ne reviendra (Éditions Gonthier 1965. Éditions de Minuit, 1970)
Une connaissance inutile ( Éditions de Minuit, 1970)
Mesure de nos jours ( Éditions de Minuit, 1971)

En 1965, elle a publié aussi Le Convoi du 24 janvier (Éditions de Minuit), une compilation de courtes biographies des 230 femmes déportées avec elle.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Convoi_des_31000#:~:text=Le%20convoi%20du%2024%20janvier,op%C3%A9ration%20%C2%AB%20Nuit%20et%20brouillard%20%C2%BB.

Il convient de consulter le Maitron, Dictionnaire biographique Mouvement ouvrier Mouvement social. Notice DUDACH Georges, Paul par Nicole Racine, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 24 janvier 2022.

https://maitron.fr/spip.php?article23192

Georges Dudach, né le 18 septembre 1914 à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), fusillé comme otage le 23 mai 1942 au Mont-Valérien.

J’ai choisi 5 poèmes publiés dans Une connaissance inutile.

Je lui disais mon jeune arbre
Il était beau comme un pin
La première fois que je le vis
Sa peau était si douce
la première fois que je l’étreignis
et toutes les autres fois
si douce
que d’y penser aujourd’hui
me fait comme lorsqu’on ne sent plus sa bouche
Je lui disais mon jeune arbre
lisse et droit
quand je le serrais contre moi
je pensais au vent
à un bouleau ou à un frêne
Quand il me serrait dans ses bras
je ne pensais plus à rien.

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Je l’appelais
mon amoureux du mois de mai
des jours qu’il était enfant
heureux tellement
je le laissais
quand personne ne voyait
être
mon amoureux du mois de mai
même en décembre
enfant et tendre
quand nous marchions enlacés
la forêt était toujours
la forêt de notre enfance
nous n’avions plus de souvenirs séparés
il embrassait mes doigts
ils avaient froid
il disait les mots que disent les amoureux du mois de mai
j’étais seul à entendre
On n’écoute pas ces mots-là
Pourquoi
On écoute le coeur qui bat
On croit pouvoir toute la vie les entendre
ces mots-là tendres
Il y a tant de mois de mai
toute la vie
à deux qui s’aiment.

Alors
ils l’ont fusillé un mois de mai

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Je l’aimais
parce qu’il était beau
c’est une raison futile

Je l’aimais
parce qu’il m’aimait
c’est une raison égoïste

Mais
c’est pour vous
que je cherche des raisons
pour moi, je n’en avais pas
Je l’aimais comme une femme aime un homme
sans mots pour le dire

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Ce point sur la carte
Cette tache noire au centre de l’Europe
cette tache rouge
cette tache de feu cette tache de suie
cette tache de sang cette tache de cendres
pour des millions
un lieu sans nom.
De tous les pays d’Europe
de tous les points de l’horizon
les trains convergeaient
vers l’in-nommé
chargés de millions d’êtres
qui étaient versés là sans savoir où c’était
versés avec leur vie
avec leurs souvenirs
avec leurs petits maux
et leur grand étonnement
avec leur regard qui interrogeait
et qui n’y a vu que du feu,
qui ont brûlé là sans savoir où ils étaient.
Aujourd’hui on sait
Depuis quelques années on sait
On sait que ce point sur la carte
c’est Auschwitz
On sait cela
Et pour le reste on croit savoir

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Yvonne Picard est morte
qui avait de si jolis seins .
Yvonne Blech est morte
qui avait les yeux en amande
et des mains qui disaient si bien .
Mounette est morte
qui avait un si joli teint
une bouche toujours gourmande
et un rire si argentin.
Aurore est morte
qui avait des yeux couleur de mauve.

Tant de beauté tant de jeunesse
tant d’ardeur tant de promesses…
Toutes un courage des temps romains.

Et Yvette aussi est morte
qui n’était ni jolie ni rien
et courageuse comme aucune autre .
Et toi Viva
et moi Charlotte
dans pas longtemps nous serons mortes
nous qui n’avons plus rien de bien.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/poeme-du-jour-avec-la-comedie-francaise/poeme-extrait-du-recueil-une-connaissance-inutile-8000028

La poésie de Charlotte Delbo. France Culture, 13 mai 2024.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-book-club/la-poesie-de-charlotte-delbo-6999158

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/04/04/charlotte-delbo-1913-1985/

https://www.lesvraisvoyageurs.com/tag/charlotte-delbo/

Lorenzo Perrone – Primo Levi

Je viens de terminer le livre de l’historien italien, Carlo Greppi : Un homme sans mots. L’histoire enfin révélée du sauveur de Primo Levi. Éditions Jean-Claude Lattès, 2024.

J’avais lu l’article du Monde Magazine du 31 mars 2024 : Carlo Greppi, l’écrivain turinois qui redonne vie au sauveur de Primo Levi. Dans Un homme sans mots , en librairie le 3 avril, l’historien italien Carlo Greppi raconte le parcours de Lorenzo Perrone, un maçon qui aida l’auteur de Si c’est un homme à survivre au camp d’Auschwitz.

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/03/31/carlo-greppi-l-ecrivain-turinois-qui-redonne-vie-au-sauveur-de-primo-levi_6225157_4500055.html

Primo Levi – Lorenzo Perrone.

Le 7 juin 1998, Le mémorial de Yad Vashem (Institut international pour la mémoire de la Shoah) a reconnu Lorenzo Perrone comme Juste para les nations. On comptait en tout, au 1er janvier 2022, 28 217 justes dont 766 Italiens.

Primo Levi, Si c’est un homme. Julliard, 1987. Pocket, 1990. Traduction Martine Schruoffeneger.

« …Tous les jours, pendant six mois, un ouvrier civil italien m’apportait un morceau de pain et le reste de sa ration quotidienne ; il me donna un de ses chandails rapiécés ; il écrivit pour moi une carte postale qu’il envoya en Italie et dont il me fit parvenir la réponse. Il ne demanda rien et n’accepta rien en échange, parce qu’il était bon et simple, et ne pensait pas que faire le bien dût rapporter quelque chose.

Á supposer qu’il y ait une sens à vouloir expliquer pourquoi ce fut justement moi, parmi des milliers d’autres êtres équivalents, qui pus résister à l’épreuve, je crois que c’est justement à Lorenzo que je dois d’être encore vivant aujourd’hui ; non pas tant pour son aide matérielle que pour m’avoir constamment rappelé, par sa présence, par sa façon si simple et facile d’être bon, qu’il existait encore, en dehors du nôtre, un monde juste, des choses et des êtres encore purs et intègres que ni la corruption ni la barbarie n’avaient contaminés, qui étaient demeurés étrangers à la haine et à la peur ; quelque chose d’indéfinissable, comme une lointaine possibilité de bonté, pour laquelle il valait la peine de se conserver vivant.

… Mais Lorenzo était un homme ; son humanité était pure et intacte, ce monde de négation lui était étranger. C’est à Lorenzo que je dois de ne pas avoir oublié que j’étais un homme moi aussi. »

Lorenzo Perrone est né le 11 septembre 1904 à Fossano (province de Coni). Primo Levi vivait à Turin et travaillait comme chimiste. En septembre 1943, dès les premiers temps de l’occupation de l’Italie par les Allemands, il rejoignit un groupe de partisans dans son Piémont natal. Arrêté au cours d’une rafle de la milice fasciste républicaine le 13 décembre 1943, il fut emprisonné à Aoste jusqu’au 20 janvier 1944, puis transféré au camp de Fossoli et déporté le 22 février 1944 (matricule 174 517). Après son arrivée à Auschwitz, il fut envoyé dans le camp de Buna-Monowitz dans l’usine d’I.G. Farben.

En tant que chimiste, il se vit attribuer un poste dans l’usine de caoutchouc synthétique. Affecté à un groupe chargé de la construction d’un mur, Levi fit la connaissance de celui qui deviendra son sauveur, Lorenzo Perrone. Ce dernier, originaire aussi du Piémont, appartenait à un groupe de maçons qualifiés, employés là comme ouvriers civils depuis avril 1942, par la société italienne Beotti . La rencontre entre les deux Italiens eut lieu entre le 16 et le 21 juin 1944. Levi entendit Perrone s’adresser en piémontais à un autre ouvrier. Á compter de ce jour et jusqu’à la fin du mois de décembre 1944, Perrone apporta de la nourriture à Levi chaque jour, pendant six mois. Le front se rapprochant, les ouvriers étrangers s’enfuirent ou furent renvoyés chez eux. Ce supplément de nourriture, prélevé sur la ration alimentaire de Perrone, sauva la vie de Levi. Perrone offrit aussi à Levi un chandail rapiécé qu’il porta sous son uniforme de détenu et lui permit de supporter le terrible hiver 1944-1945. Il accepta également d’envoyer des cartes postales à une amie non juive de Levi, Bianca Guidetti Serra, par l’intermédiaire duquel la mère de Levi, Esther, et sa sœur Anna Maria apprirent qu’il était encore en vie. Les deux femmes vivaient cachées en Italie et réussirent, par le biais d’une chaîne d’amis dont Perrone était le dernier maillon, à lui faire parvenir un colis alimentaire comprenant du chocolat, des biscuits, du lait en poudre ainsi que des vêtements. Perrone risqua sa vie pour sauver celle de Levi, sans rien attendre en retour, acceptant seulement que Levi fasse réparer ses chaussures abîmées dans l’atelier de cordonnerie du camp.

La dernière rencontre à Auschwitz entre les deux hommes eut lieu de nuit après un violent bombardement allié, probablement le 26 décembre 1944. La déflagration avait perforé un des tympans de Perrone et, sous le coup de l’explosion, du sable et de la terre avaient été projetés dans la soupe qu’il apportait à Levi. Perrone s’excusa que la soupe soit souillée, mais ne dit pas à Levi ce qui lui était arrivé. Il ne voulait pas que son ami se sente redevable envers lui. La conduite de Perrone rappelait à Levi qu’il existait encore, hors d’Auschwitz, un monde juste et des êtres humains généreux et intègres.

Dans un entretien posthume publié dans The Paris Review en 1995, Primo Levi disait : ” Nous ne parlions quasiment jamais. C’était un homme silencieux. Il refusait mes remerciements. Il me répondait à peine. Il haussait seulement les épaules : Prends le pain, prends le sucre. Garde le silence, tu n’as pas besoin de parler. ” Il ajoutait que Perrone avait été marqué par ce qu’il avait vu à Auschwitz et qu’après la guerre, il s’était mis à boire, avait cessé de travailler et n’avait plus envie de vivre.

Entre 1945 et 1952, Perrone était manifestement détruit. Après la Libération, Primo Levi resta en contact avec lui. Il lui rendait visite à Fossano. C’était désormais Levi qui essayait de sauver Perrone. L’écrivain rappellait : « Instinctivement, il avait tenté de sauver des gens, non par orgueil, ni pour la gloire, mais parce qu’il avait bon cœur et de l’empathie. Il me demanda un jour, laconiquement : Pourquoi sommes-nous en ce bas monde si ce n’est pour nous aider les uns les autres ? » Perrone lui dit aussi un jour : « On est au monde pour faire le bien, pas pour s’en vanter. »

Perrone, tuberculeux et alcoolique, mourut le 30 avril 1952 à l’hôpital de Savigliano. Il avait 47 ans. En hommage à son sauveur, Levi donna à sa fille, née le 31 octobre 1948, le nom de Lisa Lorenza et à son fils, né en juillet 1957, celui de Renzo. Lorenzo Perrone apparaît dans les récits autobiographiques de Primo Levi : Si c’est un homme et Lilith, ainsi que dans les nouvelles Les Evénements de l’été et Le Retour de Lorenzo.

Si c’est un homme fut publié le 11 octobre 1947 chez Francesco De Silva, tiré à 2500 exemplaires. Il avait été refusé par Einaudi. Cette maison d’édition reprit pourtant le titre en 1958. Le premier tirage fut de 2000 exemplaires. Dans les années 70 et 80, Si c’est un homme fut réimprimé sans interruption et devint un des livres les plus lus de l’après-guerre. Les traductions en anglais, allemand et français en ont fait dans le monde entier un témoignage essentiel de l’horreur des camps d’extermination nazis.

Le 11 avril 1987, Primo Levi se suicida en se jetant dans la cage d’escalier de l’immeuble de Turin où il avait toujours vécu et où il était né soixante-huit ans plus tôt (corso Re Umberto n° 75) . Lorenzo Perrone et Primo Levi ne sont jamais vraiment sortis d’Auschwitz.

Une plaque a été inaugurée le 25 avril 2004 à Fassone, viale delle Alpi :

Á Lorenzo Perone (1904-1952)
Le long de cette avenue, tu as souvent marché
Lorenzo Perone de Fassano
Tu étais l’enfant du Borgo Vecchio,
un muradur de peu de mots.
En 1944, dans l’usine de Buna-Werke,
aux abords du camp d’extermination d’Auschwitz,
tu as sauvé l’âme et le corps de Primo Levi
en risquant ta vie pour lui donner ton pain
et avec lui l’espoir.
Pour cela tu as été distingué en Israël par le titre de
« Juste parmi les nations ».
Tu as été un humble et généreux enfant de Fossano.

Sources :
Carlo Greppi : Un homme sans mots. L’histoire enfin révélée du sauveur de Primo Levi. Éditions Jean-Claude Lattès, 2024.

Site Yad Vashem. Institut international pour la mémoire de la Shoah.

https://www.yadvashem.org/yv/fr/expositions/justes-auschwitz/perrone.asp

Plaque à la mémoire de Lorenzo Perrone dans sa ville de Fassano.

Philippe Saint-André

Philippe Saint-André.

Sur France TV, l’ancien sélectionneur du XV de France, Philippe Saint-André, évoque son grand-père mort dans le Vercors.

https://twitter.com/franceinfo/status/1780209361446465813?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Etweet

Philippe Saint-André

Né le 2 mars 1909 à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), exécuté sommairement le 25 juillet 1944 à La Chapelle-en-Vercors (Drôme) ; instituteur ; résistant.

Philippe Saint-André était le fils de François (né en 1878) scieur et de Marguerite Saint-André (née en 1883). Il devint instituteur, nommé en 1932 à l’école primaire de la Chapelle-en-Vercors où il exerça jusqu’en 1944. Au recensement de 1936, il résidait au bourg avec ses parents ; sa mère était originaire de La Chapelle-en-Vercors.

Il s’engagea dans la Résistance, vraisemblablement dans les maquis du Vercors. Ces maquis se mirent en place à partir des premiers mois de 1943 dans tout le massif du Vercors. Le commandement allemand lança le 21 juillet 1944 une opération aéroportée contre le village de Vassieux-en-Vercors. A partir du 23 juillet, les unités allemandes commencèrent le ratissage du massif. Le 25 juillet 1944, elles occupèrent La Chapelle-en-Vercors. Dans la soirée, les Allemands rassemblèrent la population qu’ils divisèrent en trois groupes, dont l’un, celui des hommes de 17 à 40 ans (Philippe Saint-André en fit partie), servait d’otage, les autres étant enfermés dans l’école. Dans la nuit, vers 2 h du matin , les 16 hommes furent massacrés dans la cour de la ferme Albert.

Il obtint la mention mort pour la France et le statut Interné – Résistant (DIR). Il reçut à titre posthume la Médaille de la Résistance par décret du 3 juin 1960. Son nom figure sur le monument aux morts et sur les plaques commémoratives de La Chapelle-en-Vercors. L’école primaire porte aujourd’hui son nom et une plaque commémorative est apposée dans l’actuelle cantine de l’école.

Le Maitron. Dictionnaire biographique. Mouvement ouvrier. Mouvement social.

https://maitron.fr/spip.php?article184158, notice SAINT-ANDRÉ Philippe par Robert Serre, Michel Thébault, version mise en ligne le 26 août 2016, dernière modification le 19 mai 2021.

Monument de la Résistance au Pas de l’Aiguille (André M. Winter).

France TV. Diffusé le 16/04/2024 à 13h56 Disponible jusqu’au 03/01/2026.

A l’occasion du début des commémorations marquant le 80 ème anniversaire des débarquements, la rédaction nationale de France Télévisions a rendu hommage le 16 avril aux résistants du maquis du Vercors. France 2 a proposé une édition spéciale présentée par Jean-Baptiste Marteau avec Nathalie Saint-Cricq. Ils ont reçu Jean-Yves Le Naour, historien, Francis Ginsbourger, écrivain dont la famille a été cachée pendant la guerre, Philippe Saint-André, ancien sélectionneur du XV de France dont le grand-père était maquisard, et Gil Emprin, historien au musée de la Résistance de Grenoble.

https://www.france.tv/france-2/edition-speciale/5836980-les-resistants-du-vercors.html

Miguel de Unamuno

Portrait de l’écrivain et philosophe espagnol Miguel de Unamuno (Joaquín Sorolla). Vers 1912. Bilbao, Museo de Bellas Artes.

Leer, leer, leer

Leer, leer, leer, vivir la vida
que otros soñaron.
Leer, leer, leer, el alma olvida
las cosas que pasaron.

Se quedan las que quedan, las ficciones,
las flores de la pluma,
las olas, las humanas creaciones,
el poso de la espuma.

Leer, leer, leer; ¿seré lectura
mañana también yo?
¿Seré mi creador, mi criatura,
seré lo que pasó?

Cancionero. Diario poético (1928-1936)
Poemas y canciones de Hendaya (1929)

Lire, lire, lire

Lire, lire, lire, vivre la vie
que d’autres ont rêvée.
Lire, lire, lire, l’âme oublie
ce qui est arrivé.

Reste ce qui reste, les fictions,
les fleurs de la plume,
les vagues, les créations humaines,
les festons de l’écume.

Lire, lire, lire ; est-ce que je serai lecture
moi aussi demain ?
Est-ce que je serai mon créateur, ma créature,
est-ce que je serai ce qui est arrivé ?

Traduction : CF.

Miguel de Unamuno aimait lire allongé chez lui.

Miguel de Unamuno est né le 29 septembre 1864 à Bilbao. Il est mort le 31 décembre 1936 à Salamanque. Poète, romancier, dramaturge, critique littéraire, philosophe, c’est une figure marquante de la littérature espagnole du XX ème siècle.
il assiste au siège de sa ville (28 décembre 1873 – 2 mai 1874) pendant la troisième guerre carliste (1872-1876). Il évoque cet épisode dans son premier roman : Paz en la guerra (1897). Entre 1891 et 1901, il devient professeur de grec à l’université de Salamanque. Il est marxiste et militant du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol d’octobre 1894 à 1897. Il traverse ensuite une crise religieuse, s’éloigne du marxisme, mais continue longtemps encore à publier dans la presse socialiste. La perte de Cuba lui apparaît comme le symbole du déclin de l’Espagne. Cette défaite devient le point de départ de la Génération de 98. Ce mouvement de régénérescence culturelle regroupe des écrivains tels qu’Antonio Machado, Azorín, Pío Baroja, Ramón del Valle-Inclán etc. Unamuno occupe les fonctions de recteur de l’Université de Salamanque à partir de 1901, mais il est destitué de sa charge en 1914 en raison de son opposition à la monarchie. Sous la dictature du général Primo de Rivera (1923-1930), il est exilé aux Îles Canaries (Fuerteventura) en 1924. Rapidement gracié, il refuse de rentrer dans son pays. Il vit à Paris, puis à Hendaye. Il ne revient en Espagne qu’à la chute de la dictature en 1930. Il récupère son poste de recteur lors de la proclamation de la République (14 avril 1931). Il est élu député indépendant de Salamanque sur les listes républicaines et socialistes. Déçu par l’action des gouvernements républicains, il ne se représente pas en 1933. Dans un premier temps, il appuie le coup d’état franquiste du 18 juillet 1936. Il change rapidement d’avis en constatant la répression qui s’abat sur sa ville. Certains de ses proches amis sont fusillés : Casto Prieto Carrasco (1886-1936), maire de Salamanque ; Atilano Coco Martín (1902-1936), pasteur protestant ; Salvador Vila Hernández (1904-1936), son ancien élève, recteur de l’Université de Grenade.
Miguel de Unamuno essaie d’intervenir auprès des nouvelles autorités, mais ne peut rien faire.
Il livre un dernier combat contre le nouveau pouvoir lors d’une grande cérémonie franquiste (le 12 octobre, jour anniversaire de la découverte de l’Amérique, (“el día de la raza“) dans le grand amphithéâtre (“Paraninfo“) de l’Université de Salamanque. Il prononce un discours resté célèbre. Il répond au professeur Francisco Maldonado, qui attaque les nationalismes basque et catalan. Il s’en prend à l’évêque de Salamanque et au général Millán-Astray (fondateur de la légion étrangère espagnole). Il manque d’ être lynché. Il est destitué de son poste de recteur 10 jours plus tard et assigné à résidence. Il meurt peu après, à la fin de l’année 1936.
C’était un homme passionné, complexe, contradictoire.

Le passé est toujours là. Le 6 mars 2024, l’Université de Salamanque a concédé à titre posthume à son ancien recteur, en présence de trois de ses trois petits-enfants, le titre de Docteur Honoris Causa cent ans après son exil forcé. Il n’a eu que deux prédécesseurs : les deux grands mystiques espagnols, Sainte Thérèse d’Avila et Saint Jean de la Croix. Peu avant, le leader du parti d’extrême-droite Vox, Santiago Abascal, avait accusé aux États-Unis lors d’une réunion de politiciens trumpistes cet établissement d’enseignement supérieur d’être une “machine à censure, de coercition, d’endoctrinement et d’antisémitisme”. L’Université de Salamanque est une des plus anciennes du monde. Elle a été créée en 1218 (Studium Generale) et en 1252 (comme Université)

Université de Salamanque.
Plaque, 2 rue La Pérouse, 75016 – Paris.

Essais
En torno al casticismo (1895). L’Essence de l’Espagne, cinq essais traduit par Marcel Bataillon, Paris, Plon, 1923. Réédition, Paris, Gallimard, Nrf Essais, 1999.
Vida de Don Quijote y Sancho (1905). La Vie de Don Quichotte et de Sancho Pança, traduit par Jean Babelon, Paris, Albin Michel, 1959.
Del sentimiento trágico de la vida (1913) Le Sentiment tragique de la vie chez les hommes et chez les peuples, traduit par Marcel Faure-Beaulieu, Paris, Éditions de la NRF, 1917 ; réédition, Paris, Gallimard, 1937 ; réédition, Paris, Gallimard, « Folio. Essais » n° 306, 1997.
La agonía del cristianismo,(1925). L’Agonie du christianisme, traduit par Jean Cassou, Paris, F. Rieder,1925 ; réédition, Paris, Berg international, 1996 ; nouvelle traduction par Antonio Werli, Paris, RN, 2016.
Abel Sánchez : Una historia de pasión (1917). Abel Sánchez. Une histoire de passion, traduit par Emma H. Clouard, Paris, Mercure de France, 1964 ; nouvelle traduction de Maurice Gabail, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1995.
Cómo se hace una novela (1927). Comment se fait un roman, (l’auteur justifie le recours à la forme romanesque comme mode d’exposition philosophique), traduit par Bénédicte Vauthier et Michel Garcia, Paris, Éditions Allia, 2010.

Romans

Amor y pedagogía (1902). Amour et Pédagogie, traduit par Dominique Hauser, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1996.
Niebla (1914). Brouillard, traduit par Noémi Larthe, Paris, Éditions du Sagittaire, 1926 ; nouvelle traduction par Catherine Ballestero, Paris, Librairie Séguier, 1990 ; réédition de la traduction de Noémi Larthe revue par Albert Bensoussan, Rennes, Terre de Brume, 2003.

La Tía Tula (1907) version augmentée en 1921 La Tante Tula, traduit par Jeacques Bellon, Paris, Stock, 1937 ; nouvelle traduction de Dominique Hauser, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2002.

Poésie
El Cristo de Velázquez (1920). Le Christ de Velazquez, traduit par Mathilde Pomès, Éditions A. Magné, 1938 ; nouvelle traduction par Jacques Munier, Paris, Éditions La Différence, « Collection Orphée » n° 63, 1990.

Contes et nouvelles
Tres novelas ejemplares y un prólogo (1920). Trois nouvelles exemplaires et un prologue, traduits par Jean Cassou et Mathilde Pomès, Paris,Éditions du Sagittaire, 1925 ; nouvelle traduction par Dominique Hauser, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1995.
Cuentos (1886-1923). Contes, traduit par Raymond Lantier, Paris, Gallimard, « Du monde entier », 1965.

Ouvrages autobiographiques
Diario intimo (1897, publié en 1970) Journal intime, traduit par Paul Drochon, Paris, Éditions du Cerf, 1989.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/12/10/miguel-de-unamuno/

On peut voir le film Lettre à Franco (Mientras dure la guerra) d’Alejandro Amenábar, sorti en 2019.

Colette Rabaté et Jean-Claude Rabaté ont publié une biographie qui fait référence : Miguel de Unamuno (1864-1936) Convencer hasta la muerte. Galaxia Gutenberg, 2019. Ils travaillent actuellement à une édition de sa correspondance en 8 volumes. Deux sont déjà parus.
Epistolario I (1880-1899). 303 lettres. ‪Salamanca, Ediciones Universidad de Salamanca, 2017‪
Epistolario II (1900-1904). 391 lettres. Salamanca, Ediciones de la Universidad de Salamanca, 2023.

  

José Roig Armengote

José Roig Armengote est né le 26 décembre 1880 à Castellón de la Plana (Espagne).

Il résidait en France depuis 1900 et avait créé, avant la première guerre mondiale, une fabrique de tricot sur machine qui employait une vingtaine d’ouvrières au 13 rue de l’Abreuvoir à Dourdan (Essonne).

Il était franc-maçon (membre de la Grande Loge de France, loge 137, domiciliée 8 rue de Puteaux, Paris XVIIe arrondissement ) et partisan de la Seconde République espagnole, proclamée le 14 avril 1931.

En septembre 1940, il demeurait à Paris au 86 rue Montorgueil (IIe arrondissement). Il participait aux actions de la Croix-Rouge depuis 1939 et faisait partie du groupe de résistance de Noël Riou. En septembre 1940, il recueillit chez lui quatre aviateurs anglais et parvint à les faire passer en zone libre. Il poursuivit son activité clandestine. Dénoncé, il fut arrêté par les autorités allemandes pour « activité au profit d’une puissance étrangère et espionnage ».

Le 4 juillet 1941, le tribunal du Gross Paris, qui siégeait 11bis rue Boissy-d’Anglas (VIIIe arrondissement), le condamna à mort. La Délégation générale pour les territoires occupés (DGTO), informée tardivement de sa condamnation, refusa d’intervenir en sa faveur puisqu’il n’était pas de nationalité française. Elle confia son sort au consulat d’Espagne. Son recours en grâce lui fut refusé.

José Roig a été fusillé le 1 août 1941 à Paris, ou plus vraisemblablement au fort d’Ivry, par les autorités allemandes. Son corps fut transféré le soir même au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine dans le carré des fusillés, division 47, ligne 2, n° 15. Il était le deuxième fusillé enterré à Ivry après Eugène Andrieux. Il fut réinhumé à Bagneux le 19 septembre 1945.

Extrait de l’affiche placardée sur les murs de Paris :
«Le nommé ROIG JOSÉ DE PARIS a été condamné à mort pour AIDE A L’ENNEMI par recrutement en faveur de l’armée de l’ex-GÉNÉRAL DE GAULLE. Il A ÉTÉ FUSILLÉ AUJOURD’HUI. Paris, le 1 août 1941. LE TRIBUNAL MILITAIRE».


Il figure parmi les premiers résistants exécutés à Paris. Pourtant, cet Espagnol de naissance ne figure pas sur la liste des martyrs d’Île-de-France auxquels tous les ans la France rend hommage au mont Valérien.

Déclaration de Denis Peschanski le 13 octobre 2023 (Université Paris I Panthéon Sorbonne) :

« Mais une grande découverte s’est faite en marge de ce travail : comme Bruno Roger-Petit, le conseiller mémoire du Président, me demandait de pouvoir retrouver des résistants étrangers afin de les décorer de la Légion d’Honneur, je me montrais circonspect, tant il en restait peu 80 ans après et convaincu qu’ils auraient déjà été honorés, sauf exception. Je pris donc mon bâton de pèlerin et j’ai interrogé les associations. Rien des deux premières. La troisième me dit : notre problème n’est pas là, c’est la reconnaissance par la mention « Mort pour la France ». Je tombe de l’armoire en constatant bientôt que des étrangers et des Français ayant fait exactement la même chose et ayant été fusillés soit comme otages, soit après jugement, n’avaient pas le même sort pour partie d’entre eux. Et je découvrais que, créée en 1915, la mention « Mort pour la France » imposait qu’on fût de nationalité française. Avec la Seconde Guerre mondiale, cela devenait compliqué, alors l’administration a jugé au cas par cas suivant les circonstances et les pressions. Toujours est-il qu’ayant fait remonter l’information, j’eus un accueil positif immédiat, aussi bien de la présidence de la République que du secrétariat d’État aux Anciens combattants. Une première étude portant sur le Mont Valérien, principal lieu d’exécution pendant la guerre, montrait qu’il y avait 185 étrangers sur les quelque 1000 fusillés par les Allemands. La proportion est déjà significative pour illustrer votre première question. Mais sur ces 185, 92 n’avaient pas la mention Mort pour la France. Ils ont obtenu la mention par décision du président le même 18 juin 2023. Et le travail continue bien entendu. »

En 2001, à l’occasion du soixantième anniversaire de sa mort, un square a été nommé en sa mémoire à Meudon (Hauts-de-Seine) où résidait son fils, José Roig, Meudonnais de longue date.

En juillet 2022, le Conseil de Paris vote pour l’apposition d’une plaque en sa mémoire située 86 rue Montorgueil.

Sources :

https://maitron.fr/spip.php?article165698 notice ROIG José par Julien Lucchini, Annie Pennetier, version mise en ligne le 2 octobre 2014, dernière modification le 12 mai 2021.

https://www.jlturbet.net/2024/03/jose-roig-aramengote-honore-ce-jour-a-paris.republicain-antifranquiste-antifasciste-il-etait-membre-de-la-grande-loge-de-france.html

Henri Farreny, Le sang des Espagnols : Mourir à Paris. Éditions Espagne au cœur, 2019.

Madrid

Madrid, 11 mars 2004 (Paul White).

Madrid. 11 mars 2004. 20 ans. 193 morts, 1858 blessés. Ni oubli ni pardon.
Madrid. 11 de marzo de 2004. Hace 20 años. 193 muertos, 1858 heridos. Ni olvido ni perdón.

Madrid. Gare d’Atocha. 12 mars 2004 (Gorka Lejarcegi).