Isaac Babel 1894 – 1940

Isaac Babel. 1930.

Isaac Babel est né le 30 juin 1894 (13 juillet dans le calendrier grégorien) à Odessa, dans le quartier populaire de la Moldavanka.

Il soutient la révolution de Février 1917, puis la révolution d’Octobre, et s’engage dans l’Armée rouge en 1920.

Cavalerie rouge (1926) raconte sa participation comme correspondant de guerre, à la campagne de Pologne dans la Première Armée de cavalerie de Boudienny en 1920, en pleine guerre civile.

Récits d’Odessa, (écrits en 1927, publiés en 1931) est un recueil de nouvelles qui décrivent avec ironie les petites gens, les bas-fonds et la pègre juive d’Odessa.

Flaubert et Maupassant sont les auteurs qui le marqueront le plus et ils auront une influence très forte sur son style littéraire.

Le 15 mai 1939, il est arrêté dans sa datcha. Il est interrogé et torturé dans la prison Soukhanovka. Il est accusé d’activités anti-soviétiques, d’espionnage, de trotskisme et d’avoir préparé un complot terroriste. Le 26 janvier 1940, il est condamné. Il nie toutes les accusations portées contre lui. Il est fusillé dans la nuit du 27 janvier. il avait 45 ans.

Souvenirs de Konstantin Paoustovski. 1964. Notre contemporain n°4. (Isaac Babel, Oeuvres complètes. Le Bruit du temps. 2011. Traduction Sophie Benech. Pages 1282-1284.)

«La langue et le style! Je prends un petit rien, une anecdote, une histoire qui traîne sur la place du marché, et j’en fais une chose à laquelle moi-même, je n’arrive plus à m’arracher. Ça joue, c’est rond comme un galet. Ça tient par la cohésion de ses particules. Et la force de cette cohésion est telle que même la foudre ne saurait la briser. On le lira, ce récit. Et on s’en souviendra. On rira en le lisant, pas du tout parce qu’il est drôle, mais parce qu’on a toujours envie de rire quand on se trouve devant une réussite humaine. Je me permets de parler de réussite parce qu’il n’y a personne à part nous, ici. Tant que je serai en vie, ne racontez notre conversation à personne. Donnez-moi votre parole. Je n’ai bien sûr aucun mérite au fait que, on ne sait trop comment, le démon ou l’ange de l’art, appelez-le comme vous voudrez, a pris possession de moi, le fils d’un petit courtier de rien du tout. Et je lui obéis comme un esclave, comme une bête de somme. Je lui ai vendu mon âme, et je dois écrire de la façon la meilleure qui soit. C’est mon bonheur et c’est ma croix. Je crois que c’est quand-même une croix. Mais si vous me l’enlevez, avec elle, c’est tout mon sang qui s’écoulera de mes veines, de mon cœur, et je ne vaudrais pas plus que ce mégot mâchonné. (…)
Je travaille comme une bête de somme. Mais je ne me plains pas. J’ai choisi moi-même ce travail de forçat. Je suis comme un galérien à jamais enchaîné à sa rame, et qu’il aime, cette rame. Avec tous ses petits détails, avec chacune des fibres les plus ténues du bois poli par ses paumes. Des années de contact avec la peau humaine donnent au bois le plus grossier une teinte noble et le rendent semblable à l’ivoire. Il en va de même pour nos mots, pour la langue russe. Il faut appliquer dessus une paume tiède, et elle se transforme en un trésor vivant.
Mais prenons les choses dans l’ordre. Quand je note un récit pour la première fois, mon manuscrit a une allure épouvantable, affreuse. C’est un assemblage de plusieurs fragments plus ou moins réussis, reliés entre eux par des liens grammaticaux terriblement ennuyeux, ce qu’on appelle des «ponts», des genres de ficelles sales. Vous pouvez lire la première variante de «Lioubka le cosaque», vous verrez bien que c’est un charabia mou et sans ressort, une accumulation maladroite de mots. Et c’est là que commence le travail. C’est là sa source. J’examine chaque phrase l’une après l’autre, pas une fois, mais plusieurs fois. Je commence par débarrasser la phrase des mots inutiles. Il faut un œil acéré, parce qu’une langue est fort habile à dissimuler ses scories, les répétitions, les synonymes, ou tout simplement les absurdités, et elle essaie tout le temps de nous berner. Une fois ce travail terminé, je tape mon manuscrit à la machine (on voit mieux le texte). Puis je laisse reposer deux ou trois jours, si j’en ai la patience, et je vérifie de nouveau les phrases une par une, les mots un par un. Et je trouve obligatoirement encore une certaine quantité de chiendent et d’orties que j’avais oubliés. Je travaille ainsi, en retapant chaque fois le texte, jusqu’à ce que, même à l’examen le plus férocement tatillon, je ne puisse plus trouver un seul grain de saleté. Mais ce n’est pas encore tout. Attendez un peu! Une fois que je me suis débarrassé des scories, je vérifie la fraîcheur et l’exactitude de toutes les images, comparaisons et métaphores. Si on n’a pas une image exacte, mieux vaut n’es prendre aucune. Autant que le substantif se retrouve seul, dans toute sa simplicité. Une comparaison doit être exacte comme une règle logarithmique, et naturelle comme l’odeur de l’aneth. Ah oui, j’oubliais: avant de se débarrasser des scories, je découpe le texte en phrases légères. Davantage de points! J’aimerais inscrire cette règle dans le code officiel des écrivains. Dans chaque phrase, une pensée, une image, pas davantage. Aussi n’ayez pas peur des points. J’écris peut-être avec des phrases trop courtes. En partie parce que je souffre d’asthme chronique. Je ne peux pas parler longtemps. Je n’ai pas assez de souffle pour ça. Plus les phrases sont longues, plus je m’essouffle. Je m’efforce d’extirper de mon manuscrit les participes et les gérondifs, je ne laisse que le strict nécessaire. Les participes rendent le discours anguleux, volumineux, et détruisent la mélodie de la langue. Ils grincent, on dirait des tanks qui roulent sur des tas de caillasses avec leurs chenilles. Mettre trois participes dans une même phrase, c’est tuer la langue. (…) Les alinéas et la ponctuation doivent être utilisés de façon correcte, mais du point de vue d’une plus grande efficacité du texte sur le lecteur, et non d’après un catéchisme mort. L’alinéa, surtout, est une chose magnifique. Il permet de changer tranquillement le rythme et souvent, comme la lueur d’un éclair, il nous révèle un spectacle familier sous un jour complètement inattendu. (…) Et le plus important, c’est de ne pas tuer le texte au cours de ce travail de forçat. Sinon, tout le boulot est fichu, cela va se transformer en Dieu sait quoi! Là, il faut avancer comme sur une corde raide.»

Léo Ferré

Léo Ferré.

Années 70. 1971, je crois (22 novembre, peut-être). Un concert à la Maison de la Mutualité avec des amis. Jeunesse. Innocence. Naïveté. L’effervescence des années d’étudiant. Le gauchisme dans les facs et dans les rues. L’ébullition dans cette salle où même Léo Ferré est contesté par des anarchistes (?).

J’ai écouté souvent cette chanson mystérieuse de Ferré, seul ou avec d’autres. La Mémoire et la mer est parue sur le volume 1 de l’album Amour Anarchie en 1970 (5’29’’). Cet album (titre original complet: Amour Anarchie Ferré 70) est sorti en deux volumes successifs en mai et novembre 1970, puis en double album en décembre de la même année.

Ce texte fait appel à des images complexes et à des éléments personnels de la vie du chanteur.

Ferré se sert de l’univers maritime pour établir des parallèles entre la vie portuaire et insulaire et ses propres souvenirs. Ceux-ci apparaissent comme des réminiscences chimériques de sa vie. La mer est omniprésente dans le texte, comme une déchirure.

La chanson fait allusion au Fort du Guesclin que Léo Ferré a acheté en 1959. Il y réside jusqu’en 1968. Le Fort est construit sur un îlot, l’île du Guesclin, accessible à marée basse, à Saint-Coulomb en Ille-et-Vilaine, entre Saint-Malo et Cancale. Laissé à l’abandon à la suite d’un partage de biens difficile, il fut racheté en 1996 aux héritiers de Léo Ferré (Madeleine Rabereau, la deuxième femme de Léo Ferré, sa fille, Annie Butor, et sa troisième et dernière femme, Marie-Christine Diaz). par la famille allemande Porcher qui avait fait fortune dans l’industrie pharmaceutique. Le fils Serge a restauré la bâtisse et entretient depuis cette résidence.

Le texte et la musique sont de Léo Ferré, les arrangements et la direction musicale de Jean-Michel Defaye.

La mémoire et la mer

La marée, je l’ai dans le coeur
Qui me remonte comme un signe
Je meurs de ma petite soeur, de mon enfance et de mon cygne
Un bateau, ça dépend comment

On l’arrime au port de justesse
Il pleure de mon firmament
Des années lumières et j’en laisse
Je suis le fantôme jersey
Celui qui vient les soirs de frime
Te lancer la brume en baiser
Et te ramasser dans ses rimes
Comme le trémail de juillet
Où luisait le loup solitaire
Celui que je voyais briller
Aux doigts du sable de la terre

Rappelle-toi ce chien de mer
Que nous libérions sur parole
Et qui gueule dans le désert
Des goémons de nécropole
Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle

Quand il pleure de ces temps-là
Le froid tout gris qui nous appelle
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l’écume
Cette bave des chevaux ras
Au ras des rocs qui se consument
Ô l’ange des plaisirs perdus
Ô rumeurs d’une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu’un chagrin de ma solitude

Et le diable des soirs conquis
Avec ses pâleurs de rescousse
Et le squale des paradis
Dans le milieu mouillé de mousse
Reviens fille verte des fjords
Reviens violon des violonades
Dans le port fanfare les cors
Pour le retour des camarades
Ô parfum rare des salants
Dans le poivre feu des gerçures
Quand j’allais, géométrisant,
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désordre de ton cul
Poissé dans des draps d’aube fine
Je voyais un vitrail de plus,
Et toi fille verte, mon spleen

Les coquillages figurant
Sous les sunlights cassés liquides
Jouent de la castagnette tant
Qu’on dirait l’Espagne livide
Dieux des granits, ayez pitié
De leur vocation de parure
Quand le couteau vient s’immiscer
Dans leur castagnette figure
Et je voyais ce qu’on pressent
Quand on pressent l’entrevoyure
Entre les persiennes du sang
Et que les globules figurent
Une mathématique bleue,
Dans cette mer jamais étale
D’où me remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles

Cette rumeur qui vient de là
Sous l’arc copain où je m’aveugle
Ces mains qui me font du fla-fla
Ces mains ruminantes qui meuglent
Cette rumeur me suit longtemps
Comme un mendiant sous l’anathème
Comme l’ombre qui perd son temps
À dessiner mon théorème
Et sur mon maquillage roux
S’en vient battre comme une porte
Cette rumeur qui va debout
Dans la rue, aux musiques mortes
C’est fini, la mer, c’est fini
Sur la plage, le sable bêle
Comme des moutons d’infini…
Quand la mer bergère m’appelle

Paris. Maison de la Mutualité (Victor Lesage) 1930

Interpétation de Léo Ferré au Théâtre des Champs-Élysées (1984):

https://www.youtube.com/watch?v=uGbSYohHcio

Interpétation de Bernard Lavilliers (Dvd de Bernard Lavilliers chante Ferré) (2008):

https://www.youtube.com/watch?v=uXAbkyIngyc

Inerprétation de Catherine Ribeiro. Vivre libre (1995):

https://www.youtube.com/watch?v=udIO5QVTSBk

Fort du Guesclin. Île du Guesclin (Ille-et-Vilaine)

Herman Melville – Moby Dick

Herman Melville.

Moby-Dick or The Whale. 1851

«Call me Ishmael. Some years ago–never mind how long precisely –having little or no money in my purse, and nothing particular to interest me on shore, I thought I would sail about a little and see the watery part of the world. It is a way I have of driving off the spleen, and regulating the circulation. Whenever I find myself growing grim about the mouth; whenever it is a damp, drizzly November in my soul; whenever I find myself involuntarily pausing before coffin warehouses, and bringing up the rear of every funeral I meet; and especially whenever my hypos get such an upper hand of me, that it requires a strong moral principle to prevent me from deliberately stepping into the street, and methodically knocking people’s hats off–then, I account it high time to get to sea as soon as I can.
This is my substitute for pistol and ball. With a philosophical flourish Cato throws himself upon his sword; I quietly take to the ship.»

Moby Dick. Gallimard. 1941. Traduction Lucien Jacques, Joan Smith et Jean Giono.

«Je m’appelle Ishmaël. Mettons. Il y a quelques années sans préciser davantage, n’ayant plus d’argent ou presque et rien de particulier à faire à terre, l’envie me prit de naviguer encore un peu et de revoir le monde de l’eau. C’est ma façon à moi de chasser le cafard et de me purger le sang. Quand je me sens des plis amers autour de la bouche, quand mon âme est un bruineux et dégoulinant novembre, quand je me surprends arrêté devant une boutique de pompes funèbres ou suivant chaque enterrement que je rencontre, et surtout lorsque mon cafard prend tellement le dessus que je dois me tenir à quatre pour ne pas, délibérément, descendre dans la rue pour y envoyer dinguer les chapeaux des gens, je comprends alors qu’il est grand temps de prendre le large. Ça remplace pour moi le suicide. Avec un grand geste le philosophe Caton se jette sur son épée, moi, tout bonnement, je prends le bateau.»

Moby Dick. Garnier-Flammarion.1970 Traduction de Henriette Guex-Rolle, Garnier-Flammarion.

«Appelez-moi Ismaël. Voici quelques années – peu importe combien – le porte-monnaie vide ou presque, rien ne me retenant à terre, je songeai à naviguer un peu et à voir l’étendue liquide du globe. C’est une méthode à moi pour secouer la mélancolie et rajeunir le sang. Quand je sens s’abaisser le coin de mes lèvres, quand s’installe en mon âme le crachin d’un humide novembre, quand je me surprends à faire halte devant l’échoppe du fabricant de cercueils et à emboîter le pas à tout enterrement que je croise, et, plus particulièrement, lorsque mon hypocondrie me tient si fortement que je dois faire appel à tout mon sens moral pour me retenir de me ruer délibérément dans la rue, afin d’arracher systématiquement à tout un chacun son chapeau… alors, j’estime qu’il est grand temps pour moi de prendre la mer. Cela me tient lieu de balle et de pistolet. Caton se lance contre son épée avec un panache philosophique, moi, je m’embarque tranquillement. Il n’y a là rien de surprenant. S’ils en étaient conscients, presque tous les hommes ont, une fois ou l’autre, nourri, à leur manière, envers l’Océan, des sentiments pareils aux miens.»

Félix Fénéon 1861 – 1944

Sur l’émail d’un fond rythmique de mesures et d’angles, de tons et de teintes, portrait de M. Félix Fénéon en 1890, Opus 2171, (Paul Signac) Museum of Modern Art, New York.

Paris, Musée de l’Orangerie. Exposition Félix Fénéon. Les temps nouveaux, de Seurat à Matisse du 16 octobre 2019 au 27 janvier 2020.

Félix Fénéon fut un des acteurs majeurs de la scène artistique à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle. Le musée de l’Orangerie célèbre cette personnalité hors du commun et assez méconnue. L’exposition réunit un ensemble de peintures et de dessins de Seurat, Signac, Degas, Bonnard, Modigliani, Matisse, Derain, Severini, Balla, des pièces africaines et océaniennes ainsi que des documents et des archives.

Une autre exposition au musée du Quai Branly-Jacques Chirac avait évoqué, du 28 mai au 29 septembre 2019, l’enquête de Félix Fénéon sur les “arts lointains“, publiée en 1920 interrogeant le statut des sculptures et objets d’art primitif.

Félix Fénéon sut concilier sa carrière de fonctionnaire – de 1881 à 1894, il fut employé au ministère de la Guerre – , son engagement artistique et ses convictions anarchistes.

Il fut chroniqueur, rédacteur à La Revue Blanche (de janvier 1894 à 1903), critique d’art, galeriste (à la galerie Bernheim-Jeune), éditeur – il publia Les Illuminations de Rimbaud -. C’était aussi un collectionneur exceptionnel qui réunit un nombre important de chefs d’œuvre comprenant un ensemble unique de sculptures africaines et océaniennes. Il fit connaître le néo-impressionnisme (Seurat, Signac et Maximilien Luce), défendit le fauvisme, le futurisme, Matisse. Sa collection fut mise en vente publique en 1941 et en 1947.

Entre février et novembre 1906, Félix Fénéon anima une rubrique dans le quotidien Le Matin intitulée Nouvelles en trois lignes. Il s’agissait de dépêches sous forme de brèves qui n’excèdaient pas trois lignes. Cette contrainte conférait à ces faits-divers, ou plutôt à ces «histoires», poésie et humour noir. En 1948, après la mort de l’auteur, elles furent réunies en volume par Jean Paulhan chez Gallimard et célébrées par les surréalistes. Elles ont été rééditées en poche par Libretto en 2019.

En voici quelques exemples:

« À Méréville, un chasseur d’Étampes a, croyant à du gibier, tué un mioche et, du même coup de fusil, blessé le père.»

« C’est au cochonnet que l’apoplexie terrassa, à 70 ans, M. André, de Levallois: sa boule roulait encore qu’il n’était déjà plus.»

« Mme Fournier, M. Voisin, M. Septeuil, de Sucy, Tripleval, Septeuil, se sont pendus: neurasthénie, cancer, chômage.»

« Le feu, 126, boulevard Voltaire. Un caporal fut blessé. Deux lieutenants reçurent sur la tête, l’un une poutre, l’autre un pompier.»

«Rattrapé par un tramway qui venait de le lancer à dix mètres, l’herboriste Jean Désille, de Vannes, a été coupé en deux.»

«Le professeur de natation Renard, dont les élèves tritonnaient en Marne, à Charenton, s’est mis à l’eau lui-même: il s’est noyé.»

« – La fourche en l’air, les Masson rentraient à Marainvillier (Meurthe-et-Moselle) ; le tonnerre tua l’homme et presque la femme. »

« – Explosion de gaz chez le Bordelais Larrieu; Iui fut blessé; les cheveux de sa belle-mère flambèrent. Le plafond creva. »

« – A peine humée sa prise, A. Chevrel éternua, et tombant du char de foin qu’il ramenait de Perven-chères (Orne), expira.»

« – Onofrias Scarcello tua-t-il quelqu’un à Charmes (Haute-Marne) le 5 juin? Quoi qu’il en soit, on l’a arrêté en gare de Dijon.»

« Le sombre rôdeur aperçu par le mécanicien Gicquel près de la gare d’Herblay, est retrouvé: Jules Mesnard, ramasseur d’escargots. »

« Avec un couteau à fromage, le banlieusard marseillais Coste a tué sa sœur qui, comme lui épicière, lui faisait de la concurrence.»

«Le Dunkerquois Scheid a tiré trois fois sur sa femme. Comme il la manquait toujours, il visa sa belle-mère: le coup porta.»

«Jugeant sa fille (19 ans) trop peu austère, l’horloger stéphanois Jallat l’a tuée. Il est vrai qu’il lui reste onze autres enfants.»

«Avec une fourche à quatre dents, le laboureur David, de Courtemaux (Loiret), a tué sa femme qu’il croyait, bien à tort, infidèle.»

«Le mendiant septuagénaire Verniot, de Clichy, est mort de faim. Sa paillasse recelait 2000F. Mais il ne faut pas généraliser.»

«Emilienne Moreau, de la Plaine-Saint-Denis, s’était jetée à l’eau. Hier elle sauta du quatrième étage. Elle vit encore, mais elle avisera.»

«À Marseille, le Napolitain Sosio Merello a tué sa femme : elle ne voulait pas faire commerce de ses agréments. (Havas.)»

«La couturière Adolphine Julien, 35 ans, a vitriolé son amant fugitif, l’étudiant Barthuel. Deux passants furent éclaboussés.»

http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article155192

Félix Fénéon.

Marcel Proust

Journées de lecture. Texte extrait de Pastiches et mélanges.

(Le texte a paru en préface à la traduction par Proust du livre de John Ruskin : Sésame et les lys; troisième édition, Paris, Société du Mercure de France, 1906.)

«Sans doute, l’amitié, l’amitié qui a égard aux individus, est une chose frivole, et la lecture est une amitié. Mais du moins c’est une amitié sincère, et le fait qu’elle s’adresse à un mort, à un absent, lui donne quelque chose de désintéressé, de presque touchant. C’est de plus une amitié débarrassée de tout ce qui fait la laideur des autres. Comme nous ne sommes tous, nous les vivants, que des morts qui ne sont pas encore entrés en fonctions, toutes ces politesses, toutes ces salutations dans le vestibule que nous appelons déférence, gratitude, dévouement et où nous mêlons tant de mensonges, sont stériles et fatigantes. De plus, – dès les premières relations de sympathie, d’admiration, de reconnaissance, – les premières paroles que nous prononçons, les premières lettres que nous écrivons, tissent autour de nous les premiers fils d’une toile d’habitudes, d’une véritable manière d’être, dont nous ne pouvons plus nous débarrasser dans les amitiés suivantes ; sans compter que pendant ce temps-là les paroles excessives que nous avons prononcées restent comme des lettres de change que nous devons payer, ou que nous paierons plus cher encore toute notre vie des remords de les avoir laissé protester. Dans la lecture, l’amitié est soudain ramenée à sa pureté première. Avec les livres, pas d’amabilité. Ces amis-là, si nous passons la soirée avec eux, c’est vraiment que nous en avons envie. Eux, du moins, nous ne les quittons souvent qu’à regret. Et quand nous les avons quittés, aucune de ces pensées qui gâtent l’amitié : Qu’ont-ils pensé de nous ? – N’avons-nous pas manqué de tact ? – Avons-nous plu ? – et la peur d’être oublié pour tel autre. Toutes ces agitations de l’amitié expirent au seuil de cette amitié pure et calme qu’est la lecture. Pas de déférence non plus ; nous ne rions de ce que dit Molière que dans la mesure exacte où nous le trouvons drôle ; quand il nous ennuie nous n’avons pas peur d’avoir l’air ennuyé, et quand nous avons décidément assez d’être avec lui, nous le remettons à sa place aussi brusquement que s’il n’avait ni génie ni célébrité. L’atmosphère de cette pure amitié est le silence, plus pur que la parole. Car nous parlons pour les autres, mais nous nous taisons pour nous-mêmes. Aussi le silence ne porte pas, comme la parole, la trace de nos défauts, de nos grimaces. Il est pur, il est vraiment une atmosphère. Entre la pensée de l’auteur et la nôtre il n’interpose pas ces éléments irréductibles, réfractaires à la pensée, de nos égoïsmes différents. Le langage même du livre est pur (si le livre mérite ce nom), rendu transparent par la pensée de l’auteur qui en a retiré tout ce qui n’était pas elle-même jusqu’à le rendre son image fidèle, chaque phrase, au fond, ressemblant aux autres, car toutes sont dites par l’inflexion unique d’une personnalité ; de là une sorte de continuité, que les rapports de la vie et ce qu’ils mêlent à la pensée d’éléments qui lui sont étrangers excluent et qui permet très vite de suivre la ligne même de la pensée de l’auteur, les traits de sa physionomie qui se reflètent dans ce calme miroir. Nous savons nous plaire tour à tour aux traits de chacun sans avoir besoin qu’ils soient admirables, car c’est un grand plaisir pour l’esprit de distinguer ces peintures profondes et d’aimer d’une amitié sans égoïsme, sans phrases, comme en soi-même.»

Robert de Flers, Marcel Proust, Lucien Daudet (Otto Wegener) vers 1894.

Bolivia -Simón Bolívar 1783 – 1830

Lago Titicaca. Caballitos de totora.

Coup d’état militaire en Bolivie le 12 novembre 2019. La droite bourgeoise et raciste revient au pouvoir avec l’aide de l’armée et de la police. Trump, Bolsonaro sont derrière tout cela. Envie de vomir.

Je me souviens de notre voyage dans ce pays magnifique en octobre 2016.

Copacabana – Lac Titicaca – Huatajata – Tiahuanaco – La Paz – Vallée de la Lune – Tarabuco – Potosí – Sucre – Oruro – Desaguadero.

L’indépendance du pays a été obtenue en 1825, grâce aux armées de Bolívar, en hommage duquel la Bolivie prit son nom.

La Paz. Chola.

Samedi 16 octobre (10h-11h). France Culture. Simon Bolivar, encore et toujours. Concordance des Temps de Jean-Noël Jeanneney.

https://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/simon-bolivar-encore-et-toujours

Paris VIII. Cours La Reine. Statue de Simón Bolívar (Emmanuel Frémiet 1824-1910)

Un extrait du poème de Pablo Neruda, Un chant pour Bolivar, est lu par Pierre Constant (Émission “Poèmes du monde” France Culture, 10 juillet 1971).

UN CANTO PARA BOLÍVAR

Padre nuestro que estás en la tierra, en el agua, en el aire
de toda nuestra extensa latitud silenciosa,
todo lleva tu nombre, padre, en nuestra morada:
tu apellido la caña levanta a la dulzura,
el estaño bolívar tiene un fulgor bolívar,
el pájaro bolívar sobre el volcán bolívar,
la patata, el salitre, las sombras especiales,
las corrientes, las vetas de fosfórica piedra,
todo lo nuestro viene de tu vida apagada,
tu herencia fueron ríos, llanuras, campanarios,
tu herencia es el pan nuestro de cada día, padre.

Tu pequeño cadáver de capitán valiente
ha extendido en lo inmenso su metálica forma,
de pronto salen dedos tuyos entre la nieve
y el austral pescador saca a la luz de pronto
tu sonrisa, tu voz palpitando en las redes.
De qué color la rosa que junto a tu alma alcemos?
Roja será la rosa que recuerde tu paso.
Cómo serán las manos que toquen tu ceniza?
Rojas serán las manos que en tu ceniza nacen.
Y cómo es la semilla de tu corazón muerto?
Es roja la semilla de tu corazón vivo.

Por eso es hoy la ronda de manos junto a ti.
Junto a mi mano hay otra y hay otra junto a ella,
y otra más, hasta el fondo del continente oscuro.
Y otra mano que tú no conociste entonces
viene también, Bolívar, a estrechar a la tuya:
de Teruel, de Madrid, del Jarama, del Ebro,
de la cárcel, del aire, de los muertos de España
llega esta mano roja que es hija de la tuya.

Capitán, combatiente, donde una boca
grita libertad, donde un oído escucha,
donde un soldado rojo rompe una frente parda,
donde un laurel de libres brota, donde una nueva
bandera se adorna con la sangre de nuestra insigne aurora,
Bolívar, capitán, se divisa tu rostro.
Otra vez entre pólvora y humo tu espada está naciendo.
Otra vez tu bandera con sangre se ha bordado.
Los malvados atacan tu semilla de nuevo,
clavado en otra cruz está el hijo del hombre.

Pero hacia la esperanza nos conduce tu sombra,
el laurel y la luz de tu ejército rojo
a través de la noche de América con tu mirada mira.
Tus ojos que vigilan más allá de los mares,
más allá de los pueblos oprimidos y heridos,
más allá de las negras ciudades incendiadas,
tu voz nace de nuevo, tu mano otra vez nace:
tu ejército defiende las banderas sagradas:
la Libertad sacude las campanas sangrientas,
y un sonido terrible de dolores precede
la aurora enrojecida por la sangre del hombre.
Libertador, un mundo de paz nació en tus brazos.
La paz, el pan, el trigo de tu sangre nacieron,
de nuestra joven sangre venida de tu sangre
saldrán paz, pan y trigo para el mundo que haremos.

Yo conocí a Bolívar una mañana larga,
en Madrid, en la boca del Quinto Regimiento,
Padre, le dije, eres o no eres o quién eres?
Y mirando el Cuartel de la Montaña, dijo:
“Despierto cada cien años cuando despierta el pueblo”.

Tercera Residencia. (1935-1945). Buenos Aires, Edición Losada, 1947.

Un chant pour Bolivar

Notre Père qui est sur la terre, sur l’eau, sur l’air
de toute notre vaste étendue silencieuse,
tout porte ton nom, père, dans notre demeure:
ton nom incite la canne à sucre à la douceur,
l’étain bolivar a un éclat bolivar,
l’oiseau bolivar sur le volcan bolivar,
la pomme de terre, le salpêtre, les ombres singulières,
les courants, les couches de pierre phosphorique,
tout ce qui est à nous vient de ta vie éteinte,
les fleuves, les plaines, les clochers furent ton héritage,
ton héritage notre pain de chaque jour, père.

Ton petit cadavre de capitaine courageux
a déployé dans l’infini sa forme métallique,
tes doigts surgissent soudain entre la neige
et le pêcheur austral tire tout à coup ton sourire à la lumière,
ta voix palpitante entre ses filets.

De quelle couleur sera la rose qu’auprès de ton âme nous élèverons?
Rouge sera la rose qui rappellera ton passage.
Comment seront les mains qui recueilleront ta cendre?
Rouges seront les mains qui naissent de ta cendre.
Et comment est la graine de ton cœur mort?
Rouge est la graine de ton cœur vivant.

Voilà pourquoi il y a aujourd’hui autour de toi une ronde de mains.
Près de ma main il y en a une autre et il y en a une autre
auprès d’elle,
et une autre encore, jusqu’au fond du continent obscur.
Et une autre main que tu ne connus pas alors
arrive aussi, Bolivar, pour étreindre la tienne:
de Teruel, de Madrid, du Jarama, de l’Èbre,
de la prison, de l’air, des morts de l’Espagne
arrive cette main rouge qui est la fille de la tienne.

Capitaine, combattant, là où une bouche
crie liberté, là où une oreille écoute,
là où un soldat rouge brise un front brun,
là où un laurier d’homme libre surgit, là où un nouveau
drapeau se pare du sang de notre insigne aurore,
Bolivar, capitaine, apparaît ton visage.
Encore une fois entre poudre et fumée ton épée est en train de naître.
Encore une fois ton drapeau s’est brodé de sang.
La perversion attaque à nouveau ta semence,
le fils de l’homme est cloué sur une autre croix.

Mais ton ombre nous conduit vers l’espérance,
le laurier et la lumière de ton armée rouge
regardent par ton regard à travers la nuit d’Amérique.
Tes yeux qui veillent au-delà des mers,
au-delà des peuples opprimés et blessés,
au-delà des noires villes incendiées,
ta voix naît à nouveau, ta main naît une fois encore:
ton armée défend les drapeaux sacrés:
la Liberté agite les cloches sanglantes,
et un son terrible de souffrances précède
l’aurore rougie par le sang de l’homme.
Libérateur, un monde de paix est né dans tes bras.
La paix, le pain, le blé naquirent de ton sang,
de notre jeune sang qui est né de ton sang
surgiront paix, pain, blé pour le monde que nous ferons.

J’ai connu Bolivar par un long matin,
à Madrid, au sein du Cinquième Régiment.
Père, lui dis-je, es-tu ou n’es-tu pas ou qui es-tu?
Et regardant le Cuartel de la Montaña, il dit:
«Je m’éveille tous les cent ans quand le peuple s’éveille.»

Résidence sur la Terre, Traduit de l’espagnol par Guy Suarès. Collection Poésie/Gallimard N° 83 (1972)

Joan Margarit Prix Cervantes 2019

Le poète catalan Joan Margarit vient d’obtenir le Prix Cervantes 2019, le Prix Nobel des langues castillanes. Avant lui, l’ont obtenu d’autres catalans comme Juan Marsé, Ana María Matute, Juan Goytisolo et Eduardo Mendoza. Mais, c’est le premier qui possède une oeuvre pleinement bilingue en catalan et en castillan. Il a déclaré au journal El País: “No voy a renunciar a las dos lenguas digan lo que digan los políticos”.

Un peu d’espoir: un gouvernement de gauche, un début de dialogue. Attendre Voir.

El mar

Com els lloms foscos d’un ramat de poltres,
les onades s’acosten, desplomant-se
amb una remor sorda però lírica
que Homer va ser el primer a saber escoltar.
Cansades de la llarga galopada,
es posen a tremolar.
Després es queixen, ronques de plaer,
com una dona als braços de l’amant.
Les onades, més tard, comencen
a abraonar-se, escumejants, com llops
que haguessin olorat alguna presa.
El ponent, arribant de rere meu,
posa medalles roges als seus lloms.
En la vora mullada de la sorra
veig les teves empremtes i, per l’aire,
passa una ombra daurada del teu cos.
Era de tu que m’avisava, doncs,
amb els seus gestos de sordmut, el mar.
Està dient que el lloc, dins meu, que ocupes
serà part de l’infern si el deixes buit.
Que al fons d’aquest amor torna a esperar-me
la desolació dels meus vint anys.

Estació de França. Madrid: Hiperión, 1999. Edición bilingüe catalán-castellano.

El mar

Como lomos oscuros de un rebaño de potros
se aproximan las olas, desplomándose
con este rumor sordo pero lírico
que Homero fue el primero en escuchar.
Cansadas de su larga galopada,
se ponen a temblar.
Después se quejan, roncas de placer,
igual que una mujer en brazos de su amante.
Más tarde se abalanzan entre espumas,
como si fueran lobos que olfatearan la presa.
El poniente, llegando por mi espalda,
pone medallas rojas en sus lomos.
En la orilla mojada de la arena
veo tus huellas, por el aire pasa
una dorada sombra de tu cuerpo.
O sea que es de ti de quien, con gestos
de sordomudo, me está hablando el mar.
Dice que este lugar dentro de mí que ocupas
pasaría a ser parte del infierno
si tú lo abandonaras.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/05/08/joan-margarit-2/

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/03/16/joan-margarit/

Giuseppe Ungaretti 1888 – 1970

Giuseppe Ungaretti en 1917 pendant la Première Guerre mondiale.

Les fleuves

Je m’appuie à un arbre mutilé
abandonné dans cette combe
qui a la langueur
d’un cirque
avant ou après le spectacle
et je regarde
le passage paisible
des nuages sur la lune

Ce matin je me suis étendu
dans l’urne de l’eau
et comme une relique
j’ai reposé

L’Isonzo en coulant
me polissait
comme un de ses galets

J’ai ramassé
mes os
et m’en suis allé
comme un acrobate
sur l’eau

Je me suis accroupi
près de mes habits
sales de guerre
et comme un bédouin
je me suis prosterné pour recevoir
le soleil

Voici l’Isonzo
et mieux ici
je me suis reconnu
fibre docile
de l’univers

Mon supplice
c’est quand
je ne me crois pas
en harmonie

Mais ces occultes
mains
qui me pétrissent
m’offrent
la rare
félicité

J’ai repassé
les époques
de ma vie

Voici
mes fleuves

Celui-ci est le Serchio
c’est à lui qu’ont puisé
deux mille années peut-être
de mon peuple campagnard
et mon père et ma mère

Celui-ci c’est le Nil
qui m’a vu
naître et grandir
et brûler d’ingénuité
dans l’étendue de ses plaines

Celle-là est la Seine
dans ses eaux troubles
s’est refait mon mélange
et je me suis connu

Ceux-là sont mes fleuves
comptés dans l’Isonzo

Et c’est là ma nostalgie
qui dans chaque être
m’apparaît
à cette heure qu’il fait nuit
que ma vie me paraît
une corolle
de ténèbres

Cotici, 16 août 1916

Traduit de l’italien par Jean Lescure. Editions de Minuit, 1954.
«Vie d’un homme. Poésie 1914-1970» Editions Poésie/Gallimard , 1981. Pages 58-60.

I Fiumi

Mi tengo a quest’albero mutilato
Abbandonato in questa dolina
Che ha il languore
Di un circo
Prima o dopo lo spettacolo
E guardo
Il passaggio quieto
Delle nuvole sulla luna

Stamani mi sono disteso
In un’urna d’acqua
E come una reliquia
Ho riposato

L’Isonzo scorrendo
Mi levigava
Come un suo sasso

Ho tirato su
Le mie quattro ossa
E me ne sono andato
Come un acrobata
Sull’acqua

Mi sono accoccolato
Vicino ai miei panni
Sudici di guerra
E come un beduino
Mi sono chinato a ricevere
Il sole

Questo è l’Isonzo
E qui meglio
Mi sono riconosciuto
Una docile fibra
Dell’universo

Il mio supplizio
È quando
Non mi credo
In armonia

Ma quelle occulte
Mani
Che m’intridono
Mi regalano
La rara
Felicità

Ho ripassato
Le epoche
Della mia vita

Questi sono
I miei fiumi

Questo è il Serchio
Al quale hanno attinto
Duemil’anni forse
Di gente mia campagnola
E mio padre e mia madre.

Questo è il Nilo
Che mi ha visto
Nascere e crescere
E ardere d’inconsapevolezza
Nelle distese pianure

Questa è la Senna
E in quel suo torbido
Mi sono rimescolato
E mi sono conosciuto

Questi sono i miei fiumi
Contati nell’Isonzo

Questa è la mia nostalgia
Che in ognuno
Mi traspare
Ora ch’è notte
Che la mia vita mi pare
Una corolla
Di tenebre

Cotici il 16 agosto 1916

Vita d’un uomo. Tutte le poesie. Mondadori editore, Milano, 1969.

Vittorio Gassman lit Les fleuves de Giuseppe Ungaretti:

https://www.youtube.com/watch?v=T3cq7gN_IPM

César Vallejo

Madrid. Busto de César Vallejo (Miguel Baca Rossi). Parque del Oeste. Paseo del Pintor Rosales.

Los pasos lejanos

Mi padre duerme. Su semblante augusto
figura un apacible corazón;
está ahora tan dulce…
si hay algo en él de amargo, seré yo.

Hay soledad en el hogar; se reza;
y no hay noticias de los hijos hoy.
Mi padre se despierta, ausculta
la huida a Egipto, el restañante adiós.
Está ahora tan cerca;
si hay algo en él de lejos, seré yo.

Y mi madre pasea allá en los huertos,
saboreando un sabor ya sin sabor.
Está ahora tan suave,
tan ala, tan salida, tan amor.

Hay soledad en el hogar sin bulla,
sin noticias, sin verde, sin niñez.
Y si hay algo quebrado en esta tarde,
y que baja y que cruje,
son dos viejos caminos blancos, curvos.
Por ellos va mi corazón a pie.

Los Heraldos Negros, 1918.

[Dante Liano (1948), écrivain guatémaltèque, utilise les quatre derniers vers de ce poème de Vallejo comme épigraphe de son roman Réquiem por Teresa, publié cette année dans la collection de poche du Fondo de Cultura económica.]

Santiago de Chuco. Maison natale de César Vallejo avant restauration.

Les pas lointains

Mon père dort. Son auguste visage
figure un cœur serein ;
il est maintenant si doux…
s’il est en lui quelque chose d’amer, ce doit être moi.

Il y a de la solitude au foyer ; on prie ;
et pas de nouvelles des enfants aujourd’hui.
Mon père s’éveille, ausculte
la fuite en Égypte, l’adieu apaisant.
Il est maintenant si proche ;
s’il est en lui quelque chose de lointain, ce doit être moi.

Et ma mère se promène là-bas dans les jardins,
savourant une saveur désormais sans saveur.
Elle est maintenant si suave,
si aile, si départ, si amour.

Il y a de la solitude au foyer sans tumulte,
sans nouvelles, sans vert, sans enfance.
Et s’il est quelque chose de brisé ce soir,
et qui descend et qui grince,
ce sont deux vieux chemins blancs, courbés.
Mon cœur les parcourt à pied.

(Traduit par Nicole Réda-Euvremer)

Guillaume Apollinaire

La Muse inspirant le poète (Marie Laurencin et Guillaume Apollinaire) (Le Douanier Rousseau) .1909. Bâle, Kunstmuseum.

Automne malade

Automne malade et adoré
Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
dans les vergers

Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
de neige et fruits mûrs.
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n’ont jamais aimé

Aux lisières lointaines,
les cerfs ont bramé

Et que j’aime ô saison, que j’aime tes rumeurs
Les fruits tombant, sans qu’on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
qu’on foule,
Un train
qui roule
La vie
s’écoule…

Alcools, 1913.

Torcy (Seine-et-Marne). L’Arche Guédon.
Annie Playden.

En évoquant cet automne malheureux qu’on délaisse et qui se meurt, le poète évoque sa propre situation, et la déception amoureuse qu’il a connue avec Annie Playden.
Celle-ci est née en Angleterre le 28 janvier 1880. Elle est morte en 1967. Elle aurait inspiré au poète entre autres Annie, La Chanson du mal-aimé et L’Émigrant de Landor Road.

En juillet 1900, Guillaume Apollinaire trouve un emploi dans une officine financière où il fait la connaissance de René Nicosia. La mère de celui-ci est le professeur de piano de Gabrielle, la fille de Élinor Hölterhoff, vicomtesse de Milhau. Celle-ci cherche un professeur de français pour Gabrielle. Madame Nicosia lui présente Apollinaire qui est engagé en mai 1901. Quand la vicomtesse de Milhau décide de faire un long séjour en Allemagne où sa famille habite, Apollinaire est du voyage, ainsi qu’Annie Playden, la gouvernante anglaise de Gabrielle. Une idylle s’ébauche entre les deux jeunes gens qui sont nés tous les deux en 1880. En août 1902, Apollinaire a terminé son contrat d’un an et il rentre à Paris. En novembre 1903, il se rend à Londres, où il loge chez son ami Faik Konica. Il essaie de revoir Annie Playden, rentrée en Angleterre. Il y retourne en mai 1904. Il se heurte au refus de la jeune fille. Peu de temps après, Annie Playden quitte l’Angleterre et s’installe aux États-Unis. Elle fut retrouvée cinquante ans plus tard par des spécialistes d’Apollinaire, devenue Mrs Postings. Elle n’avait aucune connaissance de la destinée de son soupirant, qu’elle ne connaissait que sous le nom de Wilhelm Kostrowicki et qu’on appelait «Kostro».

Témoignage d’Apollinaire
««Aubade» n’est pas un poème à part mais un intermède intercalé dans «La Chanson du mal aimé» qui datant de 1903 commémore mon premier amour à vingt ans, une Anglaise rencontrée en Allemagne, ça dura un an, nous dûmes retourner chacun chez nous, puis ne nous écrivîmes plus. Et bien des expressions de ce poème sont trop sévères et injurieuses pour une fille qui ne comprenait rien à moi et qui m’aima puis fut déconcertée d’aimer un poète, être fantasque; je l’aimais charnellement mais nos esprits étaient loin l’un de l’autre. Elle était fine et gaie cependant. J’en fus jaloux sans raison et par l’absence vivement ressentie, ma poésie qui peint bien cependant mon état d’âme, poète inconnu au milieu d’autres poètes inconnus, elle loin et ne pouvant venir à Paris. Je fus la voir deux fois à Londres, mais le mariage était impossible et tout s’arrangea par son départ à l’Amérique, mais j’en souffris beaucoup, témoin ce poème où je me croyais mal-aimé, tandis que c’était moi qui aimait mal et aussi «L’Émigrant de Landor Road» qui commémore le même amour, de même que «Cors de chasse» commémore les mêmes souvenirs déchirants que «Zone», «Le Pont Mirabeau» et «Marie» le plus déchirant de tous je crois.»

Guillaume Apollinaire, Lettre à Madeleine Pagès, 30 juillet 1915.

Lettres à Madeleine. Folio n°4428. 2006.