Jean-Noël Pancrazi

Jean-Noël Pancrazi est né en 1949 à Sétif. Il a passé les dix premières années de sa vie à Batna avec ses parents et sa sœur. Ses années d’enfance pendant la guerre d’Algérie jouent un grand rôle dans son œuvre. Il a quitté comme beaucoup son pays en 1962. (Je voulais leur dire mon amour, Gallimard, 2018)

Il est revenu en Algérie pour la première fois cinquante ans plus tard à l’occasion du festival de cinéma méditerranéen d’Annaba (anciennement Bône). Il comptait profiter de cette occasion pour revoir sa terre mais un événement étrange en a décidé autrement. Il a été expulsé de son pays natal, sans explication.

«Cela faisait plus de cinquante ans que je n’étais pas revenu en Algérie où j’étais né, d’où nous étions partis sans rien. J’avais si souvent répété que je n’y retournerais jamais. Et puis une occasion s’est présentée : un festival de cinéma méditerranéen auquel j’étais invité comme juré à Annaba, une ville de l’Est algérien, ma région d’origine. J’ai pris en décembre l’avion pour Annaba, j’ai participé au festival, je m’y suis senti bien, j’ai eu l’impression d’une fraternité nouvelle avec eux tous. Mais au moment où, le festival fini, je m’apprêtais à prendre comme convenu la route des Aurès pour revoir la ville et la maison de mon enfance, un événement est survenu, qui a tout arrêté, tout bouleversé. C’est le récit de ce retour cassé que je fais ici.» (Quatrième de couverture)
Jean-Noël Pancrazi.

Le cinéma joue un très grand rôle dans tout le récit, à la fois dans l’évocation de l’ enfance et la description du festival.

J’avais été touché par certains de ses récits:

Madame Arnoul, 1995. Prix Inter (Folio, n° 2749)
Renée Camps, 2001. (Folio n°3684)
La Montagne, 2012. Prix Méditerranée (Folio n° 6035)

L’émission Le Masque et la Plume (France Inter) a présenté le livre Jean-Noël Pancrazi le 7 janvier 2018. Les critiques littéraires n’ont pas très tendres, me semble-t-il. Arnaud Viviant était de très mauvaise foi. Michel Crépu l’a bien défendu. Olivia de Lamberterie a dit: «C’est un livre très élégant, ce qui est à la fois sa vertu et aussi, un peu, son verrou.»

https://www.franceinter.fr/emissions/le-masque-et-la-plume/le-masque-et-la-plume-07-janvier-2018

«Je voulais toucher au bout de l’escalier extérieur le sable, la terre pour me dire que c’était bien l’Algérie comme si le nom devait s’ancrer enfin, devenir solide, réel; ce n’était pas du cinéma, elle était là, dans ma main, la terre sous laquelle les morts et les anciens dormaient même s’ils ne m’entendaient pas quand je disais que j’étais là.» (page 16)

«C’était eux qui pouvaient le mieux comprendre – le même air âcre et doux des hauts plateaux que j’avais respiré, les cigognes, les blés, les sauterelles, la neige, le sirocco de juillet – ce que j’avais été, ce que je restais: un enfant qui courait sans fin, tête nue au soleil pendant des heures…» (page 21)

«Mais il restait le bruit de la bombe – ce bruit unique, concentré et large à la fois (…), l’esprit s’était arrêté, la mémoire devenait très lente, centenaire, on devenait neutre, presque insensible s’il n’y avait cette clameur après qui amenait le malheur; ce bruit qui vous habitait toute la vie, qui, même assourdi par le temps, revenait inchangé, avec son mystère, sa sécheresse de foudre même sous un ciel très bleu ou dans la nuit sans nuages…» (page 67)

«J’allais sur la terrasse, tant de douceur dans la baie et le ciel; je pourrais rester ici toute la vie…» (page 86)

Hippone (Hippo Regius) est le nom antique de la ville d’Annaba, au Nord-Est de l’Algérie. Elle devint l’une des principales cités de l’Afrique romaine. Saint Augustin (354-430) fut évêque de la ville de 395 jusqu’à sa mort en 430.

Dostoïevski – Tourgueniev

«Il y a, dans la vie de Dostoïevski, certains faits extrêmement troubles. Un, en particulier, auquel il est déjà fait allusion dans Crime et châtiment (t. II, p. 23) et qui semble avoir servi de thème à certain chapitre des Possédés, qui ne figure pas dans le livre, qui est resté inédit, même en russe, qui n’a été, je crois, publié jusqu’à présent qu’en Allemagne, dans une édition hors commerce. Il y est question du viol d’une petite fille. L’enfant souillée se pend dans une pièce, tandis que dans la pièce voisine, le coupable, Stavroguine, qui sait qu’elle se pend, attend qu’elle ait fini de vivre. Quelle est dans cette sinistre histoire la part de la réalité ? C’est ce qu’il ne m’importe pas ici de savoir. Toujours est-il que Dostoïevski, après une aventure de ce genre, éprouva ce que l’on est bien forcé d’appeler des remords. Ses remords le tourmentèrent quelque temps, et sans doute se dit-il à lui-même ce que Sonia disait à Raskolnikov. Le besoin le prit de se confesser, mais point seulement à un prêtre. Il cherche celui devant qui cette confession devait lui être le plus pénible; c’était incontestablement Tourgueniev. Dostoïevski n’avait pas revu Tourgueniev depuis longtemps, et était avec lui en fort mauvais termes. M. Tourgueniev était un homme rangé, riche, célèbre, universellement honoré. Dostoïevski s’arma de tout son courage, ou peut-être céda-t-il à une sorte de vertige, à un mystérieux et terrible attrait. Figurons-nous le confortable cabinet de travail de Tourgueniev. Celui-ci à sa table de travail. – On sonne. – Un laquais annonce Theodor Dostoïevski. – Que veut-il? – On le fait entrer, et tout aussitôt, le voici qui commence à raconter son histoire. – Tourgueniev l’écoute avec stupeur. Qu’a-t-il à faire avec tout cela? Sûrement, l’autre est fou! Après qu’il a raconté, grand silence. Dostoïevski attend de la part de Tourgueniev un mot, un signe… Sans doute croit-il que, comme dans ses romans à lui, Tourgueniev va le prendre dans ses bras, l’embrasser en pleurant, se réconcilier avec lui… mais comme rien ne vient:
«Monsieur Tourgueniev, il faut que je vous dise: je me méprise profondément…»
Il attend encore. Toujours le silence. Alors Dostoïevski n’y tient plus et furieusement il ajoute:
«Mais je vous méprise encore davantage. C’est tout ce que j’avais à vous dire…» et il sort en claquant la porte. Tourgueniev était décidément trop européanisé pour le bien comprendre.»

André Gide, Dostoïevski, dans Essais critiques, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1999, p. 583-584.

Antonin Artaud

Une grande ferveur pensante et surpeuplée

Une grande ferveur pensante et surpeuplée portait mon moi comme un abîme plein. Un vent charnel et résonnant soufflait, et le soufre même en était dense. Et des radicelles infimes peuplaient ce vent comme un réseau de veines, et leur entrecroisement fulgurait. L’espace était mesurable et crissant, mais sans forme pénétrable. Et le centre était une mosaïque d’éclats, une espèce de dur marteau cosmique, d’une lourdeur défigurée, et qui retombait sans cesse comme un front dans l’espace, mais avec un bruit comme distillé. Et l’enveloppement cotonneux du bruit avait l’instance obtuse et la pénétration d’un regard vivant. Oui, l’espace rendait son plein coton mental où nulle pensée encore n’était nette et ne restituait sa décharge d’objets. Mais, peu à peu, la masse tourna comme une nausée limoneuse et puissante, une espèce d’immense influx de sang végétal et tonnant. Et les radicelles qui tremblaient à la lisière de mon œil mental, se détachèrent avec une vitesse de vertige de la masse crispée du vent. Et tout l’espace trembla comme un sexe que le globe du ciel ardent saccageait. Et quelque chose du bec d’une colombe réelle troua la masse confuse des états, toute la pensée profonde à ce moment se stratifiait, se résolvait, devenait transparente et réduite.

Et il nous fallait maintenant une main qui devînt l’organe même du saisir. Et deux ou trois fois encore la masse entière et végétale tourna, et chaque fois, mon œil se replaçait sur une position plus précise. L’obscurité, elle même devenait profuse et sans objet. Le gel entier gagnait la clarté.

L’Ombilic des Limbes, 1927. 

Insomnie (Victor Hugo)

Quand une lueur pâle à l’orient se lève,
Quand la porte du jour, vague et pareille au rêve,
Commence à s’entr’ouvrir et blanchit à l’horizon,
Comme l’espoir blanchit le seuil d’une prison,
Se réveiller, c’est bien, et travailler, c’est juste.
Quand le matin à Dieu chante son hymne auguste,
Le travail, saint tribut dû par l’homme mortel,
Est la strophe sacrée au pied du sombre autel ;
Le soc murmure un psaume ; et c’est un chant sublime
Qui, dès l’aurore, au fond des forêts, sur l’abîme,
Au bruit de la cognée, au choc des avirons,
Sort des durs matelots et des noirs bûcherons.

Mais, au milieu des nuits, s’éveiller ! quel mystère !
Songer, sinistre et seul, quand tout dort sur la terre !
Quand pas un oeil vivant ne veille, pas un feu ;
Quand les sept chevaux d’or du grand chariot bleu
Rentrent à l’écurie et descendent au pôle,
Se sentir dans son lit soudain toucher l’épaule
Par quelqu’un d’inconnu qui dit : Allons ! c’est moi !
Travaillons ! —— La chair gronde et demande pourquoi.
-— Je dors. Je suis très-las de la course dernière ;
Ma paupière est encor du somme prisonnière ;
Maître mystérieux, grâce ! que me veux-tu?
Certe, il faut que tu sois un démon bien têtu
De venir m’éveiller toujours quand tout repose !
Aie un peu de raison. Il est encor nuit close ;
Regarde, j’ouvre l’oeil puisque cela te plaît ;
Pas la moindre lueur aux fentes du volet ;
Va-t’en ! je dors, j’ai chaud, je rêve de ma maîtresse.
Elle faisait flotter sur moi sa longue tresse,
D’où pleuvaient sur mon front des astres et des fleurs.
Va-t’en, tu reviendras demain, au jour, ailleurs.
Je te tourne le dos, je ne veux pas ! décampe !
Ne pose pas ton doigt de braise sur ma tempe.
La biche illusion me mangeait dans le creux
De la main ; tu l’as fait enfuir. J’étais heureux,
Je ronflais comme un bœuf ; laisse-moi. C’est stupide.
Ciel ! déjà ma pensée, inquiète et rapide,
Fil sans bout, se dévide et tourne à ton fuseau.
Tu m’apportes un vers, étrange et fauve oiseau
Que tu viens de saisir dans les pâles nuées.
Je n’en veux pas. Le vent, de ses tristes huées,
Emplit l’antre des cieux ; les souffles, noirs dragons,
Passent en secouant ma porte sur ses gonds.
-— Paix là ! va-t’en, bourreau ! quant au vers, je le lâche.
Je veux toute la nuit dormir comme un vieux lâche;
Voyons, ménage un peu ton pauvre compagnon.
Je suis las, je suis mort, laisse-moi dormir !

-— Non !
Est-ce que je dors, moi ? dit l’idée implacable.
Penseur, subis ta loi ; forçat, tire ton câble.
Quoi ! cette bête a goût au vil foin du sommeil !
L’orient est pour moi toujours clair et vermeil.
Que m’importe le corps ! qu’il marche, souffre et meure !
Horrible esclave, allons, travaille ! c’est mon heure.

Et l’ange étreint Jacob, et l’âme tient le corps ;
Nul moyen de lutter ; et tout revient alors,
Le drame commencé dont l’ébauche frissonne,
Ruy-Blas, Marion, Job, Sylva, son cor qui sonne,
Ou le roman pleurant avec des yeux humains,
Ou l’ode qui s’enfonce en deux profonds chemins,
Dans l’azur près d’Horace et dans l’ombre avec Dante :
Il faut dans ces labeurs rentrer la tête ardente ;
Dans ces grands horizons subitement rouverts,
Il faut de strophe en strophe, il faut de vers en vers,
S’en aller devant soi, pensif, ivre de l’ombre ;
Il faut, rêveur nocturne en proie à l’esprit sombre,
Gravir le dur sentier de l’inspiration ;
Poursuivre la lointaine et blanche vision,
Traverser, effaré, les clairières désertes,
Le champ plein de tombeaux, les eaux, les herbes vertes,
Et franchir la forêt, le torrent, le hallier,
Noir cheval galopant sous le noir cavalier.

1843, nuit.

Les Contemplations

Chavela Vargas (Catherine Gund et Daresha Kyi)

Vu hier soir avec plaisir le documentaire Chavela Vargas de Catherine Gund et Daresha Kyi au Studio Saint-André-des-Arts (Paris).

Ce cinéma indépendant  fut créé en 1971 dans le Quartier Latin par Roger Diamantis (1934-2010). Je me souviens encore du très beau film suisse La Salamandre d’Alain Tanner avec Bulle Ogier, Jean-Luc Bideau, Jacques Denis,  vu dans cette salle.

Chavela Vargas (Isabel Vargas Lizcano) est née au Costa-Rica le 19 avril 1919 et est décédée au Mexique le 5 août 2012. Abandonnée par ses parents, rejetée par la société catholique uultraconservatrice de son pays, elle s’enfuit à México de à 17 ans et devint chanteuse professionnelle. C’est une des plus grandes représentantes de la musique ranchera, mais son interprétation et sa voix rauque et mélancolique sont très particulières. Elle sera une grande amie du chanteur José Emilio Jiménez (1926-1973) qui jouera un grand rôle dans sa carrière et écrivit beaucoup pour elle.

Vêtue d’un poncho et d’un pantalon, fumant et buvant comme un homme, portant et se servant d’un pistolet, elle n’a cessé d’affirmer sa liberté face à la société mexicaine ultramachiste. Pourtant, elle ne revendiquera publiquement son homosexualité qu’à 81 ans en 2000 à la télévision colombienne.

Elle se produisit beaucoup et avec grand succès dans les cabarets de México et d’Acapulco dans les années 50, puis connut une longue eclipse de 12 ans due à son alcoolisme et ses excès.

Jesusa Rodríguez et Liliana Felipe la tirèrent de l’oubli en lui permettant de se produire dans leur cabaret El Hábito (Ciudad de México). Ensuite, Manuel Arroyo Stephens et Pedro Almodóvar lui firent connaître le succès en Espagne (Sala Caracol de Madrid) et en Europe (Olympia) en 1992.

A 93 ans, à Madrid, à la Résidencia de Estudiantes, sur une chaise roulante, elle fut encore capable de réciter des poèmes de Federico García Lorca et d’interpréter quelques-unes de ses chansons célèbres. 500 spectateurs assistèrent à son dernier concert.

Les réalisatrices de documentaires américaines Catherine Gund et Daresha Kyi montrent bien son parcours. Elles utilisent habilement des documents tournés en 1991 par la première et font appel à de nombreux témoignages de personnes qui l’ont bien connue. Ainsi, son ex-compagne, l’avocate, Alicia Elena Pérez Duarte, témoigne avec sincérité dans le film.

Cabotine et sincère, garce et innocente, elle ne guérit jamais de son enfance malheureuse.  “Chavela es cabrona, Isabel es la niña que yo soy”, dit-elle.

Ses cendres furent dispersées sur la colline que la chanteuse voyait de sa maison  de Tepoztlán, à environ 90 kilomètres au sud de Ciudad de México et une autre partie fut remise à des indiens huicholes du désert de San Luis Potosí qui l’avaient désignée “chamana mayor” alors qu’elle était encore en vie.

Bande-annonce du film Chavela Vargas. Documentaire hispano-mexicano- américain de Catherine Gund et Daresha Kyi. 2017. 1h33.

Chavela Vargas chante La Llorona dans le film Frida (2002) de Julie Taymor

 

 

Miguel Hernández

Las abarcas desiertas

Por el cinco de enero,
cada enero ponía
mi calzado cabrero
a la ventana fría.

Y encontraba los días
que derriban las puertas,
mis abarcas vacías,
mis abarcas desiertas.

Nunca tuve zapatos,
ni trajes, ni palabras:
siempre tuve regatos,
siempre penas y cabras.

Me vistió la pobreza,
me lamió el cuerpo el río
y del pie a la cabeza
pasto fui del rocío.

Por el cinco de enero,
para el seis, yo quería
que fuera el mundo entero
una juguetería.

Y al andar la alborada
removiendo las huertas,
mis abarcas sin nada,
mis abarcas desiertas.

Ningún rey coronado
tuvo pie, tuvo gana
para ver el calzado
de mi pobre ventana.

Toda gente de trono,
toda gente de botas
se rió con encono
de mis abarcas rotas.

Rabié de llanto, hasta
cubrir de sal mi piel,
por un mundo de pasta
y unos hombres de miel.

Por el cinco de enero
de la majada mía
mi calzado cabrero
a la escarcha salía.

Y hacia el seis, mis miradas
hallaban en sus puertas
mis abarcas heladas,
mis abarcas desiertas.

Poemas sueltos IV. Publicado por primera vez en el diario Ayuda, el 2 de enero de 1937

https://goo.gl/Z6jh4T

Un article du poète Luis García Montero publié dans Infolibre à propos de la circulation de ce poème sur les réseaux sociaux ces jours-ci.

Un homme intègre (Mohammad Rasoulof)

Un homme intègre (Mohammad Rasoulof) 2017

Très bon film iranien vu hier soir à La Ferme du Buisson (Noisiel).

Filmographie de Mohammad Rasoulof

2002 The Twilight
2005 La Vie sur l’eau
2008 Baad-e-daboor (documentaire)
2009 The White Meadows
2011  Au revoir
2013 Les manuscrits ne brûlent pas
2017 Un homme intègre (Prix Un certain regard au Festival de Cannes)

En 2010, alors que Mohammad Rasoulof tournait en secret un film avec Jafar Panahi (Ours d’or à la Berlinale en 2015 pour Taxi Téhéran) sur le soulèvement postélectoral de 2009, il a été arrêté comme son partenaire et condamné à six ans d’emprisonnement pour rassemblement et connivence contre la sécurité nationale et pour propagande contre le régime. En appel, la peine a été réduite à un an de prison. Elle n’a jamais été exécutée, mais il doit subir encore des pressions constantes. Il y a quelques semaines, il s’est vu confisquer son passeport lors de son retour en Iran après un voyage aux Etats-Unis où il accompagnait son dernier film.

Résumé du film

Reza, installé à la campagne, dans le nord de l’Iran, avec sa femme, directrice d’école, et son fils, mène une vie retirée. Il se consacre à l’élevage de poissons rouges. Durant les fêtes du Nouvel An, ces poissons symbolisent la vitalité, la chance. Reza est endetté, sa maison hypothéquée.
Une compagnie privée a des visées sur son terrain et est prête à tout pour le contraindre à vendre.
La corruption prospère dans le pays sur la lâcheté, la résignation de tous. Pourra-t-il lutter contre elle et s’en sortir sans se salir les mains?

Très belles scènes: – le personnage principal se réfugie la nuit dans une grotte mystérieuse emplie d’eau chaude. Il y boit le vin de pastèque qu’il fabrique en secret.
– Reza entre dans son étang, hagard au milieu de ses poissons morts, symboles de sa ruine, pendant que planent au-dessus de cette scène de désastre les noirs corbeaux menaçants. Il a de l’eau jusqu’au cou.

Thèmes récurrents: – L’importance de l’école.
– La persécution des Iraniens qui ne sont pas musulmans (par exemple, zoroastrien, juif, sunnite ou membre d’une des nombreuses sectes).
– L’eau omniprésente dans le film.

Le réalisateur s’est engagé devant les autorités à réaliser un film optimiste, mais Reza pleure désespéré à la fin du film dans sa grotte. «Ils ont fini par m’accorder l’autorisation de tourner contre un papier sur lequel je m’engageais à faire un film optimiste, un film qui donne de l’espoir…J’estime que j’ai respecté mon engagement: il y a bien de l’espoir dans ce film.» souligne-t-il dans un interview à la Revue Positif n° 682 (décembre 2017)

Le metteur en scène parle de l’Iran, mais l’histoire qu’il raconte revêt une dimension universelle. On peut faire le rapprochement avec le film Baccalauréat (2016) du roumain Cristian Mungiu.

Il faut enfin souligner la simplicité de la narration et la complexité du tableau que brosse le réalisateur.

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19574593&cfilm=255513.html

Mouvement de contestation en Iran dans l’actualité

Une vingtaine de personnes sont mortes durant le mouvement de contestation qui a commencé le 28 décembre à Mashhad, deuxième ville du pays , dont 16 manifestants.

Un millier de personnes ont été arrêtées en six jours, selon des chiffres officiels, dont 450 à Téhéran.

Les Gardiens de la révolution ont proclamé la fin du mouvement, mercredi, et le calme est revenu à Téhéran et dans la plupart des villes du pays.

La République islamique d’Iran est un régime très répressif. D’après le rapport 2016-2017 d’Amnesty International, “les autorités ont imposé des restrictions sévères à la liberté d’expression, d’association, de réunion pacifique et de conviction religieuse”. Le pays figure au deuxième rang, après la Chine, du nombre d’exécutions capitales, avec une estimation de 567 condamnés à mort en 2016. Les femmes y sont victimes de discriminations et de violences.

La colère de la population gronde en fait depuis des années, selon Thierry Coville, chercheur à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et spécialiste de l’Iran. D’après lui, la première cause réside d’abord dans le chômage endémique, qui concerne 11,4% de la population active et jusqu’à 26,4% des 15-24 ans, d’après la Banque mondiale. Des chiffres sans doute sous-estimés, selon le chercheur.

Il pointe également la corruption: “Il y a un fort sentiment d’injustice, notamment vis-à-vis des entreprises parapubliques [contrôlées en partie par les Gardiens de la révolution] qui échappent totalement au contrôle du gouvernement en ne payant aucun impôt. De manière générale, la population iranienne considère que le système économique et politique ne sert qu’à privilégier certains groupes et dessert tout le pays”.

 

Albert Camus

Le 4 janvier 1960, mourait Albert Camus avec son ami Michel Gallimard dans un accident de voiture sur la Nationale 6, au lieu-dit Le Petit-Villeblevin, dans l’Yonne.
J’ai relu ces jours-ci La Chute, son roman le plus singulier, qui se passe à Amsterdam.

Aharon Appelfeld

Le romancier israélien Aharon Appelfeld est mort le 4 janvier 2018 à l’âge de 85 ans.

Il était né en 1932 à Jadova, près de Czernowitz en Bucovine (aujourd’hui Tchernivtsi, en Ukraine) dans une famillle aisée. Compatriote du poète Paul Celan (1920-1970) qu’il rencontrera plus tard.

Sa mère fut assassinée en 1940. Il entendait encore, disait-il, la détonation du coup de feu qui la tua.

Il connut le ghetto, puis la séparation d’avec son père (qu’il ne reverra qu’en 1957) et la déportation dans un camp à la frontière ukrainienne, en Transnistrie, en 1941. Il parvint à s’évader à l’automne 1942 et se cacha dans les forêts pendant plusieurs mois. Il trouva refuge pour l’hiver chez des paysans qui lui donnèrent un abri et de la nourriture contre du travail, mais fut obligé de cacher qu’il était juif. Il fut ensuite recueilli par l’Armée rouge. Il traversa l’Europe pendant des mois avec un groupe d’adolescents orphelins, arriva en Italie et, grâce à une association juive, s’embarqua clandestinement pour la Palestine où il arriva en 1946.

Il commença à écrire dans les années 60.

L’écriture me rend à moi-même, et me rend mon père, ma mère, et la première maison où j’ai vu le jour. C’est presque toujours de cette maison que je pars vers mes voyages imaginaires. Franchir le seuil de ce lieu qui n’existe plus me procure la stabilité nécessaire, et l’assurance que mon entreprise sera fructueuse.
J’avoue : l’écriture ne me pousse pas à écrire sur mon quotidien, mes liens sociaux ou politiques. Je pars à la recherche d’une musique qui me conduira vers les visions de mon enfance qui me purifient, et me permettent de prendre conscience d’autres pans de ma vie. La musique est mon guide.” (La musique des mots simples, publié dans Le Monde, 13/03/2018).

Il se définissait comme “un écrivain juif” en Israël.

Il fut l’ami de Philip Roth et apparaît dans le roman de celui-ci: Opération Shylock : Une confession, 1993.
Voir aussi l’entretien de Philip Roth avec Aharon Appelfeld dans Parlons travail, Gallimard, 2006. “Appelfeld est l’écrivain déplacé d’une fiction déplacée qui a fait du déplacement et de la désorientation un sujet qui lui est propre.

Romans à lire absolument (très bien traduits par Valérie Zenatti):
Histoire d’une vie, 1999 (publié aux éditions de l’Olivier en 2004. Prix Médicis étranger)
Les partisans, 2015 (Editions de l’Olivier).

Paris Librairie Les Cahiers de Colette. 23 Rue Rambuteau, 75004 Paris.

Le voyage (Charles Baudelaire)

                           À Maxime Du Camp

I

Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers :

Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent
D’espace et de lumière et de cieux embrasés ;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Ceux-là, dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom !