Maximilien Luce 1858 – 1941

Nous avons vu la semaine dernière la belle exposition Maximilien Luce, l’instinct du paysage au Musée de Montmartre (12, rue Cortot, Paris 18e. Du 21 mars 2025 au 14 septembre 2025).

Autoportrait. Vers 1910. Saint-Germain-en-Laye, Musée départemental.

Les tableaux de ce peintre méconnu m’ont toujours intéressé. Ainsi au Musée d’Orsay Une rue de Paris en mai 1871. Je me souviens aussi d’une belle exposition dans les salons d’honneur de la Mairie de Lagny-sur-Marne en avril 2019 : Léo Gausson et Maximilien Luce, Pionniers du néo-impressionnisme.

Une rue à Paris en 1871 (Maximilien Luce). Vers 1905. Paris, Musée d’Orsay.

Quand on parle de néo-impressionnisme, on pense surtout à Georges Seurat (1859-1891) et à Paul Signac (1863-1935). L’exposition du Musée de Montmartre qui est installé dans la rue où a vécu Maximilien Luce de 1887 à 1900 est très complète : plus d’une centaine de toiles, de dessins, de gravures, d’objets décorés.

Elle commence par de beaux petits portraits de ses amis : Seurat et Signac, mais aussi Félix Fénéon (1861-1944) et Camille Pissarro (1830-1903).

Portrait de Paul Signac. 1889. Collection particulière.

Maximilien Luce a adopté dès les années 1880 la technique divisionniste de Seurat et Signac. Il prend vite des libertés avec les principes qu’ils ont théorisés. Seurat a publié en 1899 un manifeste théorique du divisionnisme (ou pointillisme) : D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme. Plutôt que de mélanger les couleurs sur la palette, ces artistes appliquent de petites touches ou points de couleurs pures directement sur la toile. L’œil du spectateur doit recomposer les teintes.

Luce a su développer un langage personnel, marqué par ses recherches sur la lumière et la couleur. Il se concentre sur la nature et la ville. C’est un peintre de Paris et de sa banlieue. Il suit les travaux haussmanniens qui changent le visage de nombreux quartiers. Il peint la ville en chantier et les travailleurs. Il est le témoin de la révolution industrielle du XIXe siècle.

« L’art de Luce, c’est Luce lui-même. Un faubourien, aimant Paris, sa banlieue, son quartier qu’on démolit, son peuple d’ouvriers, et l’âme de ce peuple, ardente, révolutionnaire. » (Émile Verhaeren, Maximilien Luce. Préface du catalogue d’exposition. Galerie Bernheim, 1909)

Lors de ses voyages, il explore et peint des paysages variés : la banlieue de Paris, la Seine, La Normandie, la Bretagne, le Loiret, la Bourgogne, la côte méditerranéenne, Saint-Tropez, Londres, la Belgique, le Pays Noir, Charleroi, les Pays-Bas, Rotterdam.

Critique expo : à Montmartre, une passionnante rétrospective remet en lumière la peinture engagée de Maximilien Luce. Les midis de Culture. France Culture, vendredi 13 juin 2025.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-midis-de-culture/critique-expo-maximilien-luce-l-instinct-du-paysage-8246734

Portrait de Maximilien Luce lisant La Révolte (Paul Signac). Juillet 1890. Couverture du numéro 376 de la revue Les hommes d’aujourd’hui. Paris, Musée de Montmartre.

Biographie

Maximilien Luce est né le 13 mars 1858 à Paris (VIe arrondissement). Son père, Charles Désiré Luce (1823 – 1888) est ouvrier charron, puis employé à la préfecture de la Seine.

À 13 ans, en mai 1871, il assiste à la reconquête de Paris par les Versaillais. Il reste marqué par les événements de la Commune. Toute sa vie, il garde le souvenir de cette période et s’engage auprès de ses amis anciens communards.

Il obtient son certificat d’études en 1870. Il devient apprenti graveur et suit en même temps des cours de dessin. Il effectue son service militaire de 1879 à 1883 au sein du 48e régiment d’infanterie d’abord à Guingamp, puis à Paris.

Avec ses amis Frédéric Givort (1858-1926), cordonnier à domicile dans le XIIIe arrondissement, et Eugène Baillet, ouvrier, il milite dans le Groupe anarchiste du XIVe arrondissement. En 1887-1888 il fait la connaissance de Jean Grave et d’Émile Pouget, respectivement directeurs de La Révolte et du Père Peinard. Il entame alors une longue et fructueuse collaboration avec les journaux anarchistes.

Il expose pour la première fois ses toiles en 1887 à la Troisième Exposition de la Société des Artistes Indépendants. Il se lie d’amitié avec les peintres Camille Pissarro, Paul Signac et Georges Seurat et fait partie du courant néo-impressionniste. Paul Signac lui achète le tableau La Toilette.

La Toilette. 1887. Genève, Association des amis du Petit Palais.

Il vit un temps à Montmartre au 6 rue Cortot, puis au 16.

Georges Seurat meurt le 29 mars 1891. Maximilien Luce, Paul Signac et Félix Fénéon sont chargés par la famille du peintre décédé de dresser l’inventaire de l’atelier du peintre.

En 1893, il rencontre Ambroisine Bouin (1873-1940) qu’il épouse le 30 mars 1940. Elle meurt le 7 juin 1940. Ils ont un premier fils, Frédéric, le 3 juin 1894. Il meurt des suites d’une insolation à Lagny-sur-Marne le 2 septembre 1895, puis un second, appelé aussi Frédéric (1896-1974).

Classé « dangereux » par les services de police à cause de sa participation au Père Peinard et de ses amitiés anarchistes, Maximilien Luce est arrêté et incarcéré à la prison de Mazas le 7 juillet 1894 après l’assassinat du président Carnot par l’anarchiste italien Sante Geronimo Caserio le 24 juin. Il y reste 42 jours et bénéficie de l’acquittement général lors du procès des Trente. Il est libéré le 17 août 1894. Il tire de ce premier séjour en prison un album de 10 lithographies intitulé Mazas, avec un texte de Jules Vallès (Novembre 1894). En mai 1896, il fait un séjour préventif en prison à l’occasion de la visite à Paris du roi d’Espagne Alphonse XIII.

Mazas (Jules Vallès, écrivain, Maximilien Luce, lithographe, Tailliardat, imprimeur). 1894. Paris, A l’Estampe originale. Encre d’imprimerie sur papier vergé et papier vélin. Collection Dixmier.
Mazas (Jules Vallès, écrivain, Maximilien Luce, lithographe, Tailliardat, imprimeur). 1894. Paris, A l’Estampe originale. Encre d’imprimerie sur papier vergé et papier vélin.

En 1898, il soutient Émile Zola dans sa défense du capitaine Alfred Dreyfus.

Il s’installe à Rolleboise (Yvelines) en 1917 et achète en 1922 une maison, située au pied de l’église. Elle domine la vallée de la Seine.

Paysage, soleil couchant. 1888. Collection particulière.

À la suite des émeutes du 6 février, il signe l’Appel à la lutte, tract anti-fasciste rédigé par André Breton et signé par 89 intellectuels.

Il devient le 16 novembre 1935, après Paul Signac, le président de la Société des Artistes Indépendants. Maximilien Luce démissionne de son poste à la fin de 1940 pour protester contre la politique de discrimination de Vichy à l’égard des artistes juifs.

Il meurt le 7 février 1941 dans le VIe arrondissement de Paris.

Les Batteurs de Pieux. 1903. Paris, Musée d’Orsay.
Usines près de Charleroi. 1897. Paris, Musée d’ Orsay.

Son fils Frédéric (1895-1974), peintre et collectionneur, effectue à la fin de sa vie de très importantes donations d’œuvres de son père au musée d’Orsay et au musée de l’Hôtel-Dieu de Mantes-la-Jolie (acte de donation du 8 mai 1971). La collection de ce musée compte aujourd’hui près de 350 œuvres : peintures, dessins, estampes, tirages, céramiques.

https://www.manteslajolie.fr/ma-ville/decouvrir-mantes-la-jolie-1/musee-de-lhotel-dieu

Sources

https://maitron.fr/luce-maximilien-jules-dictionnaire-des-anarchistes/, notice LUCE Maximilien, Jules [Dictionnaire des anarchistes] par Olivier Ray, version mise en ligne le 3 mars 2014, dernière modification le 7 octobre 2024.

Maximilien Luce. Néo-impressionnisme. Rétrospective. Sous la direction de Marina Ferretti Bocquillon. Musée des impressionnismes. Giverny. Silvana Editoriale. 2010.

Annie Le Brun – Charles Cros

Collection Poésie/Gallimard n° 583.

J’ai écouté en podcast lundi l’émission de France Culture Le Bookclub ( Dans la bibliothèque d’Annie Le Brun. Épisode 43/82. Première diffusion le vendredi 30 août 2024)

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-book-club/dans-la-bibliotheque-d-annie-le-brun-4412265

Le 29 juillet 2024, mourait en Croatie la poète et essayiste Annie Le Brun, spécialiste de l’œuvre de Victor Hugo et du Marquis de Sade ( Soudain un bloc d’abîme, Sade : introduction aux œuvres complètes, Paris, Éditions Pauvert. Réédition : Soudain un bloc d’abîme, Sade. Paris, Folio. Essais n°593, 2014 ). Elle avait rejoint le groupe surréaliste en 1963 et participé aux dernières années du mouvement jusqu’à sa dissolution officielle en 1969. Elle était aussi commissaire d’exposition.

Parmi d’autres textes, elle a lu dans cette émission le poème Vocation de Charles Cros (1842 – 1888).

Vocation

Á Étienne Carjat

Jeune fille du caboulot,
De quel pays es-tu venue
Pour étaler ta gorge nue
Aux yeux du public idiot ?

Jeune fille du caboulot,
Il te déplaisait au village
De voir meurtrir, dans le bel âge
Ton pied mignon par un sabot.

Jeune fille du caboulot,
Tu ne pouvais souffrir Nicaise
Ni les canards qu’encor niaise
Tu menais barboter dans l’eau.

Jeune fille du caboulot,
Ne penses-tu plus à ta mère,
À la charrue, à ta chaumière ?…
Tu ne ris pas à ce tableau.

Jeune fille du caboulot,
Tu préfères à la charrue
Écouter les bruits de la rue
Et nous verser l’absinthe à flot.

Jeune fille du caboulot,
Ta mine rougeaude était sotte,
Je t’aime mieux ainsi, pâlotte,
Les yeux cernés d’un bleu halo.

Jeune fille du caboulot,
Dit un sermonneur qui t’en blâme,
Tu t’ornes le corps plus que l’âme,
Vers l’enfer tu cours au galop.

Jeune fille du caboulot,
Que dire à cet homme qui plaide
Qu’il faut, pour bien vivre, être laide,
Lessiver et se coucher tôt ?

Jeune fille du caboulot,
Laisse crier et continue
À charmer de ta gorge nue
Les yeux du public idiot.

Le Coffret de santal, 1873.

Collection Poésie/Gallimard n° 78.

Annie Le Brun a dit ensuite :

” Ce texte me plaît énormément, car c’est un manifeste contre le puritanisme, le moralisme, qui reviennent à chaque fois que les choses se referment et que les gens essaient de s’accrocher à quelque chose qui va contre les autres. Le puritanisme et le moralisme reposent sur la frustration, alors que, ce qui caractérise la poésie de Charles Cros, c’est son extraordinaire grâce d’être. “

Charles Cros était un personnage hors du commun.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/05/13/charles-cros-1842-1886/

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/05/04/rene-char-charles-cros-1842-1888/

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/05/10/rene-char-charles-cros-1842-1888-ii/

Charles Cros à 18 ans. Buste original en plâtre (1860), œuvre de son frère, le sculpteur Henry Cros (1840-1907).

Jules Laforgue

Portrait posthume de Jules Laforgue (Félix Vallotton). Le Livre des masques II de Remy de Gourmont (1898). Mercure de France.

J’ai relu ces derniers jours des poèmes de Jules Laforgue. Comme Isidore Ducasse (Comte de Lautréamont) et Jules Supervielle, il est né à Montevideo, en Uruguay. J’en ai choisi trois aujourd’hui pour ce blog.

La cigarette

Oui, ce monde est bien plat ; quant à l’autre, sornettes.
Moi, je vais résigné, sans espoir, à mon sort,
Et pour tuer le temps, en attendant la mort,
Je fume au nez des dieux de fines cigarettes.

Allez, vivants, luttez, pauvres futurs squelettes.
Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord
Me plonge en une extase infinie et m’endort
Comme aux parfums mourants de mille cassolettes.

Et j’entre au paradis, fleuri de rêves clairs
Où l’on voit se mêler en valses fantastiques
Des éléphants en rut à des choeurs de moustiques.

Et puis, quand je m’éveille en songeant à mes vers,
Je contemple, le coeur plein d’une douce joie,
Mon cher pouce rôti comme une cuisse d’oie.

Méditation grisâtre

Sous le ciel pluvieux noyé de brumes sales,
Devant l’Océan blême, assis sur un ilôt,
Seul, loin de tout, je songe au clapotis du flot,
Dans le concert hurlant des mourantes rafales.

Crinière échevelée ainsi que des cavales,
Les vagues se tordant arrivent au galop
Et croulent à mes pieds avec de longs sanglots
Qu’emporte la tourmente aux haleines brutales.

Partout le grand ciel gris, le brouillard et la mer,
Rien que l’affolement des vents balayant l’air.
Plus d’heures, plus d’humains, et solitaire, morne,

Je reste là, perdu dans l’horizon lointain,
Et songe que l’Espace est sans borne, sans borne,
Et que le Temps n’aura jamais… jamais de fin.

26 octobre 1880.

Soir de carnaval

Paris chahute au gaz. L’horloge comme un glas
Sonne une heure. Chantez ! Dansez ! la vie est brève,
Tout est vain, – et, là-haut, voyez, la Lune rêve
Aussi froide qu’aux temps où l’Homme n’était pas.

Ah ! quel destin banal ! Tout miroite et puis passe,
Nous leurrant d’infini par le Vrai, par l’Amour ;
Et nous irons ainsi, jusqu’à ce qu’à son tour
La terre crève aux cieux, sans laisser nulle trace.

Où réveiller l’écho de tous ces cris, ces pleurs,
Ces fanfares d’orgueil que l’Histoire nous nomme,
Babylone, Memphis, Bénarès, Thèbes, Rome,
Ruines où le vent sème aujourd’hui des fleurs ?

Et moi, combien de jours me reste-t-il à vivre ?
Et je me jette à terre, et je crie et frémis
Devant les siècles d’or pour jamais endormis
Dans le néant sans cœur dont nul dieu ne délivre !

Et voici que j’entends, dans la paix de la nuit,
Un pas sonore, un chant mélancolique et bête
D’ouvrier ivre-mort qui revient de la fête
Et regagne au hasard quelque ignoble réduit.

Oh ! la vie est trop triste, incurablement triste !
Aux fêtes d’ici-bas, j’ai toujours sangloté :
« Vanité, vanité, tout n’est que vanité ! »
– Puis je songeais : où sont les cendres du Psalmiste ?

Oeuvres complètes II. Mercure de France, 1902.

Livre de poche n°20109. Belle et complète édition de Pascal Pia. 1970. 672 pages.

Jules Laforgue est né 16 août 1860 à Montevideo (Uruguay). C’est le deuxième enfant d’une famille de onze.

Son père, Charles Laforgue, originaire de Tarbes, a émigré en Amérique du Sud espérant y faire fortune. Il a ouvert un modeste établissement éducatif libre, dispensant des cours de français, de latin et de grec. Il se marie avec la fille d’un fabriquant de chaussures français installé en Uruguay, Pauline Lacolley, née au Havre. Il se fait embaucher ensuite comme caissier à la banque Duplessis qui a comme clientèle la colonie française de Montevideo.

En 1866, Jules arrive à Tarbes avec sa mère, ses grands-parents maternels et ses cinq frères et sœurs. En 1868, sa mère retourne en Uruguay. Elle confie Jules et son frère aîné Émile à un cousin, Pascal Darré. Entre 1868 et 1875, Jules est pensionnaire au lycée Théophile Gautier de Tarbes.

En octobre 1876, il rejoint à Paris sa famille, qui est revenue d’Uruguay en mai 1875 et s’est installée au 66, rue des Moines, dans le quartier des Épinettes. Sa mère meurt le 6 avril 1877 à trente-huit ans d’une pneumonie. Peu avant, elle avait fait une fausse couche.

Il poursuit ses études au lycée Fontanes (l’actuel lycée Condorcet) Il échoue au baccalauréat de philosophie — il aurait essayé à trois reprises —. En partie à cause de sa timidité, il est incapable d’assurer l’oral.

Il fréquente le club des Hydropathes avec ses amis Gustave Kahn, Charles Henry. Il fréquente aussi ceux que l’on appellera plus tard les symbolistes (Charles Cros, Stéphane Mallarmé).

Pour vivre et faire vivre les siens, il est employé comme secrétaire de Charles Ephrussi, célèbre critique et futur directeur de La Gazette des Beaux-Arts. Ce collectionneur d’art l’ouvre à la peinture des impressionnistes.

Son père meurt le 18 novembre 1881. Il ne peut se rendre à Tarbes car il doit partir pour Coblence le 29 novembre. En effet, grâce aux recommandations de Paul Bourget et de Charles Ephrussi, il devient « lecteur de français » de l’impératrice d’Allemagne Augusta de Saxe-Weimar-Eisenach, princesse libérale et francophile, qu’il suit dans tous ses déplacements de 1881 à 1886.

Son travail consiste à lui lire, deux heures par jour, les meilleures pages des articles de la presse française et des romans français .

Il publie en juillet 1885 chez Léon Vanier à compte d’auteur Les Complaintes et en décembre L’Imitation de Notre-Dame de la Lune. Il traduit 10 poèmes de Walt Whitman. Il quitte la cour le 9 septembre 1886.

Il se marie le 31 décembre 1886 à Londres avec une jeune anglaise Leah Lee (née en 1861) qu’il a rencontrée en janvier 1886. Elle lui donnait des cours d’anglais. Il rentre à Paris le 2 octobre 1886.

Il meurt d’une phtisie pulmonaire à Paris le 20 août 1887, à l’âge de 27 ans. On l’enterre au cimetière de Bagneux. Neuf personnes suivent son corbillard. Son épouse décède à Londres du même mal le 6 juin 1888. Le 5 novembre 1887 sont publiées les Moralités légendaires. Félix Fénéon et Édouard Dujardin rassemblent ses œuvres complètes et les publient chez Vanier en 1894.

Biographie de Jules Laforgue (Jean-Jacques Lefrère). Fayard, 2005.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2022/08/04/pablo-neruda-jules-laforgue/

Statue de Jules Laforgue au Jardin Massey de Tarbes (Firmin Michelet), 1938.

Jesús Moncada 1941 – 2005

Jesús Moncada (Francesc Guillaumet).

Le journaliste Daniel Gascón, dans El País du 5 juillet 2025 , nous rappelle l’existence des oeuvres d’un grand écrivain catalan un peu oublié aujourd’hui dans son pays et toujours très peu connu en France, Jesús Moncada. Il faut le relire. La maison d’édition Anagrama vient de republier en castillan vingt ans après sa mort ses deux principaux romans.

https://elpais.com/babelia/2025-07-05/jesus-moncada-emerge-de-las-aguas.html

Jesús Moncada est né à Mequinenza en Aragon le 1 décembre 1941. Il est mort à Barcelone le 13 juin 2005 à 63 ans.

Peintre, photographe, écrivain et traducteur en langue catalane (Guillaume Apollinaire, Alexandre Dumas, Jules Verne, Boris Vian), il a publié trois romans, publiés en castillan chez Anagrama et trois recueils de nouvelles chez Xordica.

1988 Camino de Sirga (Camí de sirga).
1992 La galería de las estatuas (La galeria de les estàtues).

1997 Memoria estremecida (Estremecida memória).

1981 Historias de la mano izquierda (Históries de la mà esquerra).
1985 El Café de la Rana (El Cafè de la Granota).
1999 Calaveras atónitas (Calaveres atònites).

La plus grande partie de son oeuvre se passe en Aragon dans la vieille ville de Mequinenza. Elle est située à l’est de la province de Saragosse, à la confluence de l’Èbre et du Sègre. L’économie de cette petite ville était fondée sur les mines de lignite et le transport sur l’Èbre de ce type charbon grâce à une flottille de 16 llaüts ou laúdes, bateaux qui pouvaient transporter entre 18 et 30 tonnes.

La construction du barrage de Mequinenza, entre 1957 et 1964, a entraîné la destruction de la vieille ville. Le lac de retenue est connu sous le nom de « Mer d’Aragon ». Il s’étend sur les provinces de Saragosse et Huesca. 110 kilomètres de longueur, 75 km2 de surface, plus de 500 kilomètres de côtes.

Mequinenza est une ville bilingue. Bien que la langue officielle soit le castillan, la langue maternelle d’une grande partie de la population est le «mequinenzano», un dialecte du catalan occidental.

Jesús Moncada a fait ses études à Saragosse. Il a travaillé ensuite pour la maison d’édition Montaner y Simón avec l’écrivain catalan Pere Calders (1912-1994) qui l’a encouragé dans sa vocation d’écrivain.

Il s’est toujours senti profondément enraciné dans sa petite ville natale en partie disparue. Il a créé à partir de là un espace mythique et humoristique. Il se place sous l’influence de Giuseppe Tomasi di Lampedusa (Le guépard, 1958) Lorrenç Villalonga ( Béarn ou le cabinet des poupées de cire, 1956) et même de William Faulkner (L’Intrus dans la poussière, 1948).

Camino de sirga raconte l’histoire de ce lieu à travers la mémoire de ses habitants. Cette avalanche de souvenirs, qui remontent parfois jusqu’au XIXe siècle, est provoquée par la construction du barrage et l’inondation imminente de la petite ville.

“¿Cómo habían acumulado sus bienes la mayoría de las familias poderosas de la villa? Años de malas cosechas, de enfermedades, de miserias que agravaban las deudas con la complicidad legal de papeles astutos firmados con una cruz por gente analfabeta, eran la base de las fortunas de los Torres, de los Salleres, de los Albera, de los Vallcorna…”

Oeuvres traduites en français :
1992 Les bateliers de l’Èbre, Le Seuil. Traduction Bernard Lesfargues. Nouvelle publication en 2010 sous le titre Le testament de l’Èbre par les éditions Autrement.
2001 Frémissante mémoire, Gallimard. Traduction Mathilde Bensoussan.
2010 Anthologie de contes. Éditions Trabucaire. Traduction Émilienne Rotureau Gilabert.

Les cendres de l’écrivain ont été dispersées sur l’emplacement de l’ancienne Mequinenza inondée.

Le musée de la ville a créé une route littéraire qui traverse les lieux que Jésus Moncada a immortalisé dans ses œuvres. Le point de départ est le musée d’Histoire de Mequinenza. L’itinéraire est le suivant : la vieille ville, le mur et la rivière, la maison de l’auteur, le cinéma Goya, la rue San Francisco, l’église, la place de la Mairie, le terrain de football, le château ou les bars que fréquentaient les mineurs et les marins.

Ramón Gaya

Y así nos entendimos (Correspondencia 1949-1990) María Zambrano, Ramón Gaya. editorial Pre-Textos, 2018.

Je viens de terminer la correspondance qu’ont échangée la philosophe María Zambrano et le peintre Ramón Gaya de 1949 à 1990. J’ai acheté ce livre à la Feria del Libro de Madrid au stand de la belle maison d’édition Pre-Textos, fondée à Valence en 1976. On trouve dans son catalogue des auteurs comme Gerardo Diego, Juan Ramón Jiménez, José Jiménez Lozano, Ramón Gaya, María Zambrano, Miguel de Unamuno, José Luis Pardo, Andrés Trapiello, Elias Canetti, Anton Tchekhov, Adalbert Stifter, Rudyard Kipling, Darío Jaramillo, Rafael Cadenas, Giorgio Agamben, Gilles Deleuze…

Je pense que l’oeuvre Ramón Gaya mériterait d’être mieux connue en France.

Ramón Gaya. Avignon, 1962.

Ramón Gaya est un peintre et écrivain espagnol. Il est né à Murcie le 10 octobre 1910. Son père, Salvador Gaya était un lithographe catalan. Ramón Gaya découvre dans la bibliothèque familiale des écrivains comme Tolstoï, Nietzsche et Galdós qui l’accompagneront toute sa vie. Très jeune, il commence à peindre avec deux amis de son père, les peintres Pedro Flores et Luis Garay.
En 1928, il obtient une bourse de la Municipalité de Murcie pour compléter sa formation. Il se rend à Madrid et visite le musée du Prado qu’il appellera toujours son « rocher espagnol ». Il considère Velázquez comme son maître absolu.
Il rend visite à Juan Ramón Jiménez, le grand poète de son époque, et fait la connaissance des intellectuels de la génération de 1927. Certains deviendront ses amis (Luis Cernuda, José Bergamín). Après Madrid, il se rend à Paris, visite les musées, fait la connaissance de Pablo Picasso et expose à la galerie Aux quatre chemins. Il est déçu par les pratiques de l’avant-garde et rentre en Espagne.
Á partir de 1932, il participe aux Misiones Pedagógicas. Ce projet culturel novateur de la République consiste à rapprocher la culture du monde rural, des villageois, des paysans. Ramón Gaya participe au projet du théâtre universitaire La Barraca, comme scénographe. Il réalise plusieurs copies de tableaux du musée du Prado. Il parcourt les villages d’Espagne avec un musée ambulant (El Museo del pueblo) .

Fe Sanz Molpeceres, 1934.


Le 24 juin 1936, il épouse Fe Sanz Molpeceres (1908- 1939), professeur de littérature et amie de la philosophe María Zambrano (1904-1991). La vie du peintre, comme celle de beaucoup d’Espagnols républicains, est bouleversée quand éclate la guerre civile le 18 juillet 1936. Après le bombardement de leur maison de Madrid, le couple part à Valence où naît leur fille Alicia en avril 1937.
Ramón Gaya rejoint l’Alliance des intellectuels antifascistes. Il participe au congrès de 1937 qui réunit plus d’une centaine d’intellectuels venus de tous les pays. À Valence est créee la revue Hora de España. Il fait partie de sa rédaction avec Rafael Dieste, Manuel Altolaguirre, Juan Gil Albert, Antonio Sánchez Barbudo, María Zambrano. Il y publie des poèmes et des textes en prose et surtout conçoit les vignettes qui marqueront le style de la revue. En 1937, deux de ses tableaux (Épouvante. Bombardement à Almeria et Paroles aux morts. Portrait de Juan Gil Albert) sont exposés au pavillon de la République Espagnole à l’Exposition universelle de Paris.
En 1939, après la défaite de la République, sa femme, qui essayait de gagner la France avec la population civile, meurt le 3 février 1939 dans le bombardement de la gare de Figueras. Leur fille Alicia survit par miracle. Ramón Gaya franchit les Pyrénées avec l’armée républicaine. Il est interné dans le camp de concentration de Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales). À sa libération, il séjourne à Cardesse chez son ami, le peintre anglais Cristobal Hall (1897-1949) et son épouse Trinidad Japp (1909-1989). Il confie sa fille à ce couple qui a une fille de quatre ans, Anne Pauline. Il s’embarque comme des centaines de républicains espagnols sur le navire Sinaia vers le Mexique et l’exil.
Ramón Gaya s’établit à Mexico et se consacre à nouveau à la peinture et à l’écriture. Il collabore à plusieurs revues littéraires mexicaines comme Taller, Romance, Letras de México, El Hijo pródigo, Las Españas. Il se lie d’amitié avec des poètes tels qu’ Octavio Paz, Xavier Villaurrutia, Tomás Segovia. Il fréquente d’autres exilés comme Álvaro de Albornoz, sa fille Concha de Albornoz, Juan Gil-Albert, Luis Cernuda, José Bergamín.
A partir de 1952, il voyage en Europe et visite Paris, Venise, Florence, Rome, Lisbonne. Il s’installe à Rome en 1956. Il voit régulièrement María Zambrano qui habite avec sa soeur Araceli Piazza del Popolo n°3, mais aussi des intellectuels italiens comme Elena Croce, Tomas Carini, Italo Calvino, Nicola Chiaromonte, Carlo Levi, Pietro Citati, Cristina Campo, Giorgio Agamben.
En Italie, il peint les rues de Rome, l’atmosphère de Venise, les ponts de Florence, le Tibre, l’Arno. En 1960 est publié en italien son livre Il sentimento de la Pittura.
En mars de la même année, il revient en Espagne après vingt et un ans d’exil et expose à la Galerie Mayer de Madrid. Pendant un séjour à Valence, il fait la connaissance d’Isabel Verdejo, qu’il épousera le 16 mars 1966. En 1969, il publie son ouvrage fondamental, Velázquez, pájaro solitario.
À partir des années 1970, Ramón Gaya s’installe à Barcelone d’abord, puis à Valence.

Son œuvre est largement reconnue alors dans son pays en Espagne :
1989. Exposition rétrospective au Musée d’Art Contemporain de Madrid.
10 octobre 1990. Inauguration à Murcie du musée qui lui est consacré avec une collection de plus de cinq cents œuvres. Il est dirigé par Manuel Fernández-Delgado.
1997. Il reçoit le prix national des arts plastiques.
1999. Il est nommé docteur honoris causa par l’université de Murcie.
2000. Exposition rétrospective à l’IVAM (Institut Valencien d’Art Moderne).
2002. Il reçoit le Prix Velázquez, décerné par le Ministère de la Culture espagnol pour saluer l’œuvre et le parcours d’un artiste contemporain espagnol ou hispano-américain.
2003. Exposition rétrospective au Musée national Centre d’art Reina Sofía de Madrid.

Il meurt à Valence le 15 octobre 2005 à 95 ans.

Oeuvres :

El sentimiento de la pintura. Editorial Arion, Madrid, 1960.
Velázquez, pájaro solitario. Editorial R.M., Barcelona, 1969. Traduction : Vélasquez oiseau solitaire. Paris, Quai Voltaire, 2009.
Diario de un pintor, 1952–1953. Pre-Textos, Valencia, 1984.
Obra completa, tomo I. Pre-Textos, Valencia, 1990.
Obra completa, tomo II. Pre-Textos, Valencia, 1992.
Obra completa, tomo III. Pre-Textos, Valencia, 1994.
Obra completa, tomo IV (cartas a Juan Guerrero, con prólogo de Nigel Dennis). Pre-Textos, Valencia, 2000.
Ramón Gaya de viva voz (entrevistas, edición y prólogo de Nigel Dennis). Pre-Textos, Valencia, 2007.
Obra completa. Edición de Nigel Dennis e Isabel Verdejo, prólogo de Tomás Segovia, Pre-Textos, Valencia, 2010, 1.000 págs.
Cartas a sus amigos. Edición de Isabel Verdejo y Nigel Dennis, prólogo de Andrés Trapiello, Pre-Textos, Valencia, 2016, 728 págs.

Homenaje a Vincent, con un limón, 1987.

Diario de Ramón Gaya. 1953. París, viernes 16 de enero: “Van Gogh no buscó un estilo, sino una forma de expresión, una forma de expresión que tampoco era una manera. Cae, a veces, en una manera, pero, como los grandes artistas, huye enseguida; los otros, los pequeños, cuando caen en una manera creen haber encontrado un estilo. El gran artista huye del estilo también, porque el estilo es la no expresión, la inmovilidad, una especie de expresión, quieta, de sí mismo.”

Del Sentimiento de la pintura. 1959.

“Ser pintor no es gustar de lo pictórico -como supone un extendido error moderno- ser pintor no es más que una forma como otra de ser hombre, una de las encarnaciones posibles del hombre.”

“(para algunos de amigos pintores)… la pintura es un fin en sí misma, mientras que para mí no es más que un medio, claro está, que me tiraniza, que me ha tiranizado siempre, pero que nunca he podido considerar como un fin. Y no sólo la pintura; el arte todo, con su grandeza indudable, jamás pudo parecerme sino un tránsito que lo reclamaba todo del artista, que actuaba en él como una fatalidad, que lo minaba, que se lo comía entero, pero que no era un fin. En ese mismo carácter implacable veía yo su transitoriedad.”

El hombre moderno ha envejecido tanto que apenas si recuerda algunos trazos de su ser original y le es ya muy difícil reconocer y escuchar esa voz rica de la ignorancia y, sin embargo, hoy sabemos que es indispensable para él, pues sólo será un hombre vivo, es decir, actual, en la medida que pueda y sepa obedecer, ser fiel a esa voz de origen”.

Anotación sobre los problemas del artista.

“El artista se plantea problemas humanos, de conducta, de conciencia, porque en él, ser hombre es un deber más que una… fatalidad. En cambio, no debe plantearse problemas artísticos, porque lo artístico es en él un valor humano.”

Velázquez, pájaro solitario, 1969.

“En la obra de Velázquez la realidad ha entrado, con gustosa mansedumbre, como en un redil abierto, libre, y si permanece en él, no es porque haya quedado atrapada, encerrada, sino precisamente para poder dar testimonio continuado, constante, de su libertad.”

“El niño de Vallecas es todo él como una elevación, como una ascensión. Todos los retratos velazqueños vienen a ser como altares, pero El niño de Vallecas es el altar mayor de su obra, el escalón supremo de su obra desde donde poder saltar, pasar al otro lado de todo, más allá de todo. En ese rostro tierno, manso, santo, animado por una sutil mueca agridulce, es donde con más limpieza parece producirse el sacrificio de la realidad, y también el sacrificio del arte.”

El Niño de Vallecas, 1987.

“Pintar es asomarse a un precipicio,
entrar en una cueva, hablarle a un pozo
y que el agua responda desde abajo.
Pintura no es hacer, es sacrificio,
es quitar, desnudar, y trozo a trozo
el alma irá acudiendo sin trabajo”.

«El arte no es una religión sino una fe, y el artista no es un sacerdote sino un creyente. Ser artista no es oficiar sino creer».

Balcón español Madrid

«El encanto de Madrid es muy secreto. Se ha pensado en la simpatía, en la gracia, hasta en el agua de Lozoya; todo esto es verdad y, claro, contribuye a conquistarnos, pero lo que hace de Madrid una ciudad única es el aire, el aire de sierra, de montería, de lugar de caza. Su frío es muy limpio, no subterráneo como el de París, sino de piedra viva, de piedra cumbre. En París —una de las ciudades más bellas que existen— nunca he podido librarme de una penosa sensación de sótano, de rata húmeda, de cañería, de alcantarilla, de tinta, de mancha ciudadana, de albañal romántico, mientras que Madrid, a pesar de sus barrios bajos, de sus pobres, de sus traperos, de sus almonedas, no nos da nunca; todo lo salva, lo levanta eso: el aire. Pero un elemento así, tan incorpóreo, es muy difícil de ver; sin la ayuda de Velázquez creo que nunca lo habría descubierto del todo. Delante de sus retratos de caza fue donde se me reveló Madrid; recuerdo que venía de contemplar en Goya algo mucho más visible, o sea, el madrileñismo, un madrileñismo que es cierto, pero que no es esencial. El madrileñismo no es Madrid, sino su marco, el marco que lo caracteriza, que lo facilita, pero el carácter no es nunca la esencia de nada. La esencia de Madrid es el aire. Y sólo el gran sevillano —la sensibilidad más serena, más invulnerable que ha existido— podía darnos esa versión tan desnuda. Porque Velázquez nunca se dejó deslumbrar por esa primer corteza que tiene el mundo —esa corteza que permite a las cosas vivir su intemperie—, sino que su mirada llegó hasta el centro mismo de la vida. Por eso, en su retrato de Madrid no hay nada, sino aire, un aire azulado, aristocrático, de altura. Velázquez comprendió y nos hizo comprender que Madrid es el Guadarrama.»

Blanca Varela 1926 – 2009

Blanca Varela. Années 1970. (Mariella Agois)

Je reprends un texte de la poétesse péruvienne Blanca Varela déjà publié sur ce blog en juillet 2023. Il s’agit d’ une des grandes figures de la poésie latino-américaine du XX ème siècle

Morir cada día un poco más
recortarse las uñas
el pelo
los deseos
aprender a pensar en lo pequeño
y en lo inmenso
en las estrellas más lejanas
e inmóviles
en el cielo
manchado como un animal que huye
en el cielo
espantado por mí.

Concierto animal, 1999. Valencia-Lima, Pre-Textos/PEISA, 1999.

Mourir chaque jour un peu plus
couper ses ongles
ses cheveux
ses désirs
apprendre à penser à ce qui est petit
et à ce qui est immense
aux étoiles les plus lointaines
et immobiles
dans le ciel
taché comme un animal qui fuit
dans le ciel
effrayé à ma vue

Concert animal.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2023/07/03/blanca-varela/

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2022/05/08/blanca-varela-1926-2009/

Manuel Altolaguirre 1905 – 1959

Manuel Altolaguirre. Placa en el jardín vertical y monumento conmemorativo a la Antigua Imprenta Sur en la plaza Pepe Mena, Málaga.

Retour à la poésie de la Génération de 1927 avec Manuel Altolaguirre, un des poètes de Málaga. Il perdit son père (Manuel Altolaguirre Álvarez, juge de première instance, écrivain, directeur du journal El Imparcial ) en 1910, puis sa mère (Concepción Bolín Gómez de Cádiz) en 1926. L’idée de la mort, la perte des êtres chers sont au centre de toute son œuvre.

Antes
A mi madre.

Hubiera preferido
ser huérfano en la muerte,
que me faltaras tú
allá, en lo misterioso,
no aquí, en lo conocido.

Haberme muerto antes
para sentir tu ausencia
en los aires difíciles.

Tú, entre grises aceros,
por los verdes jardines,
junto a la sangre ardiente,
continuarías viviendo,
personaje continuo
de mi sueño de muerto.

Soledades juntas. 1931.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/01/15/manuel-altolaguirre-1905-1959/

Santa Marina (Francisco de Zurbarán). Vers 1640-50. Málaga, Museo Carmen Thyssen.

Philippe Jaccottet

Oeuvres. Éditions Gallimard, 2014. Bibliothèque de la Pléiade. P. 1331-1332.

Le texte qui s’appelle Des morts a d’abord été publié avec deux autres proses : Deux mères et Couleur de terre (alors intitulé Chemins) dans la revue Europe n° 955-956, novembre-décembre 2008, p. 30-33, qui a consacré un dossier à Philippe Jaccottet.

Des morts

« …Je pourrais écrire une liste de prénoms et de noms comme on en trace sur des monuments de pierre ou de marbre après les guerres : note bien celui-ci, et n’oublie pas, pour être équitable, pour que la liste soit constamment « à jour », et encore celui-ci du mois dernier, et cet autre, du commencement de la semaine, écris plus vite, parce que tout semble s’accélérer, comme quand la pente se fait plus forte, mais quoi de plus beau qu’une cascade, de plus vivant, de plus lumineux quand le soleil la traverse ? Alors que toutes ces chutes dans le noir…

On n’enterre plus guère, aujourd’hui, on brûle ; non pas à la vue de tous comme en Inde et dans une sorte de fête, mais de façon cachée, furtive – il faut surtout ne pas choquer -, cela glisse sans aucun bruit sur des rails invisibles, l’affaire expédiée en quelques minutes et même la vue de la fumée qui ne peut pas s’élever de là épargnée aux survivants. Le plus souvent, des paroles embarrassées, mises ensemble tant bien que mal, des musiques empruntées ajoutent encore leurs ornements en toc, leurs oripeaux inutiles ; comme on tirerait au plus vite un rideau haillonneux dans un théâtre de fortune, sur une pièce ratée.

…Toutes ces chutes dans le noir, les unes après les autres, et pour nous qui vieillissons, de plus en plus fréquentes et de plus en plus proches. Pendant que les verdures s’accroissent encore, comme en chaque mois de mai qu’on aura vécu.

Que signifie avoir vu cela, puis avoir dit, ou écrit, qu’on l’a vu ? Et l’écrire alors que la glissade, serait-elle même presque indolore, continue, et que la pente s’aggrave ; et quand, avant nous, le même mouvement – qui est celui du temps -, les mêmes successions d’épanouissement, d’usure et de disparition, n’avaient produit aucune parole, comme si tout, alors, pendant des millions d’années, s’était produit dans un monde fermé, alors qu’avec nous commencerait, aurait commencé un entrebâillement, tout de même, en fin de compte, prodigieux ? Une espèce de souffrance, mais aussi de joie, une espèce de combat, d’odyssée inimaginables avant cela ; toutes nos histoires, innombrables, à cause d’un regard enfin ouvert et d’une bouche enfin ouverte pour parler de ce qui commence à être vu.

*

(Un seul poème, pour peu qu’on en fût encore capable, suffirait à annuler ce flot de réflexions vagues et sans doute vaines.)

On ne peut pas porter sur ses épaules tout le fardeau de la douleur du monde. Suffit (?) qu’on n’aggrave pas celui des proches et en soulage une petite part quand cela se peut. Suffit (?) qu’on essaie au moins de porter seul le sien. Mais on peut, mais sûrement on doit porter le non-fardeau des moindres éclaircies encore aperçues, le contre-fardeau des lueurs pour les encore vivants.

C’était tout de même très beau, ce temps où l’on allumait quelques cierges, ou ne fût-ce qu’une seule bougie, dans la chambre du mort ou de la morte ; cela ne les ferait pas revenir à la vie, cela ne les accompagnerait peut-être même pas dans l’inconnaissable où ils venaient de glisser, mais c’était comme attester quelque chose en dépit de leur chute, tout à côté d’eux commençant à se décomposer dans leur boîte cadenassée, quelque chose concernant la lumière que rien ne pouvait faire qu’ils ne l’eussent vue aussi luire quelquefois autour d’eux, quand ils marchaient entre deux rangs de trembles et en tant d’autres occasions – dans l’incompréhensible et miraculeux intervalle entre deux nuits pires que des nuits.) »

Francisco de Quevedo

Buste de Quevedo. León, Parque de Quevedo. Il se trouve près du Convento de San Marcos, aujourd’hui Parador Nacional, où il fut emprisonné.

Soneto enviado desde su Torre de Juan Abad a don José de Salas (Musa, II, 109)

Desde La Torre

Retirado en la paz de estos desiertos,
con pocos, pero doctos libros juntos,
vivo en conversación con los difuntos
y escucho con mis ojos a los muertos.

Si no siempre entendidos, siempre abiertos,
o enmiendan, o secundan mis asuntos,
y en músicos, callados contrapuntos
al sueño de la vida hablan despiertos.

Las grandes almas que la muerte ausenta,
de injurias de los años vengadora,
libra, ¡ oh gran don Iosef, docta la emprenta.

En fuga irrevocable huye la hora;
pero aquélla el mejor cálculo cuenta
que en la lección y estudios nos mejora.

Retiré dans la paix des déserts,
Je vis avec de doctes et rares livres dans les mains.
Je vis en conversation avec des morts.
J’écoute les morts avec les yeux. 

De La Torre

Dans ces déserts et leur paix retiré,
de rares et doctes livres entre les mains,
je vis dans le commerce des défunts,
et de mes yeux, j’entends les morts parler.

Sinon compris, sans cesse fréquentés,
ils amendent ou fécondent mes desseins ;
et par muets contrepoints musiciens
au songe de la vie parlent éveillés.

L’imprimerie, oh ! Grand Joseph, nous rend
les grands esprits effacés par la mort ;
elle venge les injures des ans.

L’heure s’enfuit en fuite sans remords
mais il faut la marquer d’un caillou blanc
celle qui par l’étude rend plus fort.

Les Furies et les Peines 102 sonnets. NRF Poésie/Gallimard n°463. 2010. Traduction Jacques Ancet.

La Torre de Juan Abad, petit village au sud de la Manche, au nord de la Sierra Morena, où Quevedo avait une maison dans laquelle il venait fuir l’agitation de la Cour. C’est de là qu’il envoie ce sonnet à Josef Antonio González de Salas qui fait le commentaire suivant : « Quelques années avant son dernier emprisonnement (décembre 1639), il m’envoya cet excellent sonnet, depuis La Torre » (1637). Quevedo fut emprisonné quatre ans au couvent de San Marcos de Valladolid dans une cellule humide qui ruina sa santé. il était accusé d’écrire des libelles hostiles au gouvernement du comte-duc d’Olivarès, valido et ministre de Felipe IV, après l’avoir longuement soutenu. L’écrivain était aussi intervenu dans la polémique relative au choix d’un saint patron pour l’Espagne. Ses faveurs s’étaient portées vers Saint Jacques de Compostelle au détriment de sainte Thérèse d’Avila. Il sortit de prison diminué en 1644 et mourut en 1645.

Convento de San Marcos (Juan de Orozco iglesia, Martín de Villarreal fachada – Juan de Badajoz el Mozo claustro y sacristía) 1515-1716 (Photo :CFA). Aujourd’hui luxueux Parador National *****. “Entre juillet 1936 y 1940 camp de concentration pour 6700 prisonniers républicains : 791 fusillés, 1563 tués sommairement, 598 sans précision (exécutés, tués sommairement ou morts dans les camps).

De La Torre

Retiré dans la paix de ces doctes retraites,
Avec un rare choix de bons livres anciens,
Les morts ont avec moi d’infinis entretiens,
Et j’écoute des yeux leurs paroles muettes.

Mal compris quelquefois, mais jamais oubliés,
Ils donnent à mes soins le blâme ou l’espérance,
Et dans des contrepoints d’harmonieux silence
Au songe de la vie ils parlent éveillés.

La docte Imprimerie, ô grand Joseph, délivre
Les grandes âmes que la mort tient dans la nuit,
Et du temps outrageux les venge par le Livre.

Et si l’heure de l’homme, invincible, s’enfuit,
Celle qu’un bon calcul persuade et conduit
Par l’étude et par la leçon nous fait mieux vivre.

1648. Traduction Jean-Pierre Bernès.

Jorge Gaitán Durán 1924-1962

Jorge Gaitán Durán .

Dans Los nombres de Feliza (Alfaguara, 2025), la biographie romancée de Juan Gabriel Vásquez, un des personnages évoqués est Jorge Gaitán Durán.

Cet écrivain était un célèbre poète et journaliste colombien. Il faisait partie du groupe des Cuadernícolas avec Fernando Charry Lara, Álvaro Mutis, Rogelio Echavarría, Guillermo Payán Archer, Jaime Ibáñez, Maruja Vieira et Fernando Arbeláez.

Il fonda la revue Mito avec l’essayiste Hernando Valencia Goelkel (1928-2004). Entre mai 1955 et juin 1962, ils publièrent 42 numéros. Cette revue eut une grand influence sur la littérature colombienne. Elle publia, entre autres, des auteurs comme Alfonso Reyes, Gabriel García Márquez (Pas de lettre pour le colonel en 1958), Octavio Paz, Jorge Luis Borges, Julio Cortázar, Eduardo Cote Lamus, Carlos Fuentes, Alejandra Pizarnik.

Jorge Gaitán Durán participa au mouvement de la jeunesse colombienne favorable à la candidature du libéral Jorge Eliécer à la présidence de la République. Ce dernier fut assassiné le 9 avril 1948 à Bogotá.

Il voyagea en Europe en 1950 (France, Italie, Espagne, Belgique, Pays-bas, Union Soviétique) et en l’Asie (Chine). Pendant ces voyages, il rencontra Nazim Hikmet, José Manuel Caballero Bonald, Vicente Aleixandre, Mao Tse Toung. Il épousa Dina Moscovici qu’il connut en Italie. Leur fille, Paula, naquit à Paris en novembre 1952. Le couple divorça en 1958. Jorge Gaitán Durán vécut ensuite avec la sculptrice Feliza Bursztyn (1933-1982)

Ses écrits sur Sade en 1955 firent scandale dans son pays : Sade contemporáneo (Diálogo entre un sacerdote y un moribundo) et Monsieur Le Six – Marqués de Sade (préface de Gilbert Lely).

Il publia les œuvres poétiques suivantes :

1946 Insistencia en la tristeza.
1947 Presencia del hombre.
1951 Asombro.
1959 Amantes.
1962 Si mañana despierto (Anthologie)

Le 21 juin 1962, il mourut à 38 ans dans un accident d’avion. Le vol Air France 117 qui reliait Paris à Santiago via Lisbonne, Santa Maria (Açores), Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), Bogota et Lima s’écrasa lors de l’atterrissage en Guadeloupe sur le morne du Dos d’Âne à Deshaies. Bilan : 113 morts.

La revue Érudit (Volume 45, numéro 3 (261), septembre 2003, La poesía tiene la palabra) a publié deux poèmes traduits en français de cet auteur.

Se juntan desnudos (Jorge Gaitán Durán)

Dos cuerpos que se juntan desnudos
Solos en la ciudad donde habitan los astros
Inventan sin reposo al deseo.
No se ven cuando se aman, bellos
O atroces arden como dos mundos
Que una vez cada mil años se cruzan en el cielo.
Solo en la palabra, luna inútil, miramos
Cómo nuestros cuerpos son cuando se abrazan,
Se penetran, escupen, sangran, rocas que se destrozan,
Estrellas enemigas, imperios que se afrentan.
Se acarician efímeros entre mil soles
Que se despedazan, se besan hasta el fondo,
Saltan como dos delfines blancos en el día,
Pasan como un solo incendio por la noche.

Amantes, 1959.

Unis dans la nudité

Deux corps nus qui s’entrelacent
Seuls dans la ville habitée par les astres
Sans repos ils inventent le désir.
Sans se voir quand ils s’aiment, dans leur beauté
Ou dans l’horreur, ils brûlent comme deux mondes
Qui traversent le ciel une fois tous les mille ans.
Seulement dans le mot, lune inutile, nous voyons
Comment sont nos corps lorsqu’ils s’étreignent,
Se pénètrent, crachent, saignent, des roches qui se fracassent.
Étoiles ennemies, empires qui s’affrontent.
Ils se caressent éphémères entre mille soleils
Qui se déchirent, s’embrassent jusqu’aux abîmes.
Sautent comme des dauphins blancs en plein jour.
Ils passent comme un incendie seul au milieu de la nuit.

Amantes (Jorge Gaitan Duran)

Somos como son los que se aman.
Al desnudarnos descubrimos dos monstruosos
Desconocidos que se estrechan a tientas,
Cicatrices con que el rencoroso deseo
Señala a los que sin descanso se aman :
El tedio, la sospecha que invencible nos ata
En su red, como en la falta dos dioses adúlteros.
Enamorados como dos locos,
Dos astros sanguinarios, dos dinastías
Que hambrientas se disputan un reino,
Queremos ser justicia, nos acechamos féroces,
Nos engañamos, nos inferimos las viles injurias
Con que el cielo afrenta a los que se aman.
Solo para que mil veces nos incendie
El abrazo que en el mundo son los que se aman
Mil veces morimos cada dia.

Amantes, 1959.

Amants

Nous sommes comme ceux qui s’aiment.
Nous dénudant nous découvrons deux inconnus
Monstrueux qui s’étreignent à tâtons.
Cicatrices par lesquelles le désir rancunier
Révèle ceux qui s’aiment sans repos :
L’ennui, le soupçon qui invincible nous attrape
Dans son filet, comme dans la faute deux dieux adultères.
Amoureux comme deux fous,
Deux astres sanguinaires, deux dynasties
Qui affamées se disputent un règne,
Nous voulons être la justice, nous nous harcelons féroces,
Nous nous dupons, nous lançant de viles injures
Avec lesquelles le ciel punit ceux qui s’aiment.
Seulement pour que mille fois nous enflamme
L’étreinte qui dans le monde est à ceux qui s’aiment
Mille fois nous mourons chaque jour.