Natalia Ginzburg

Leone et Natalia Ginzburg.

Natalia Ginzburg (Natalia Levi) est une grande romancière italienne. Elle a été aussi traductrice, éditrice chez Einaudi et députée en 1983. Elle naît le 14 juillet 1916 à Palerme et meurt à Rome le 7 octobre 1991.

Elle publie en 1933 la nouvelle Les enfants dans la revue littéraire d’Alberto Carocci, Solaria .
Elle se marie en 1938 avec Leone Ginzburg, né à Odessa le 4 avril 1909. Il est journaliste, écrivain et professeur d’italien, actif dans le mouvement de résistance italien au fascisme Giustizia e Libertà. Elle le suit après sa condamnation à la relégation (confino) à Pizzoli, petit village reculé des Abruzzes. Ils y vivent de juin 1940 à juillet 1943. Á cette époque, naissent leurs trois enfants: Carlo, futur historien, spécialiste de la microhistoire, Andrea, économiste, et Alessandra, psychanalyste.
Ils gardent le contact avec le milieu antifasciste de Turin, En 1942, elle publie son premier roman La Route qui va en ville qu’elle signe d’un pseudonyme: Alessandra Tornimparte.
Après la chute de Mussolini le 25 juillet 1943, la famille gagne clandestinement Rome. Capturé par les Allemands, son mari Leone meurt à la prison de Regina Coeli, assassiné le 5 février 1944, après avoir été torturé par la Gestapo. Natalia exprime ses sentiments sur sa perte dans le poème Mémoire (Memoria).
Elle évoque leur période de confinement dans le texte L’hiver dans les Abruzzes qu’on peut retrouver dans Les petites vertus (Le piccole virtù, 1962. Flammarion, 1964. réédité par Ypsilon éditeur, 2018. Traduction: Adriana R.Salem)
Elle parle simplement des mois difficiles que sa famille a passé dans ce bourg misérable de montagne, où les rares choses sortant d’un ordinaire très rude sont les quelques fruits qu’on peut acheter pour Noël à un paysan rapace.
La fin de ce texte, dont j’avais parlé dans ce blog en décembre 2018, résonne curieusement aujourd’hui dans la période que nous vivons.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/12/26/natalia-ginzburg-1916-1991-2/

«Il y a une certaine uniformité monotone dans les destins des hommes. Nos existences se déroulent selon des lois anciennes et immuables, suivant leur ancienne cadence uniforme. Les rêves ne se réalisent jamais ; dès que nous les voyons brisés, nous comprenons soudain que les plus grandes joies de notre vie sont en-dehors de la réalité ; dès que nous les voyons brisés, nous regrettons amèrement le moment où ils brûlaient en nous. Notre destinée s’écoule dans cette alternance d’espérances et de regrets.
Mon mari mourut à Rome dans les prisons de Regina Cœli, peu de mois après que nous eûmes quitté le village. Devant l’horreur de sa mort solitaire, devant les angoisses et les espoirs qui précédèrent sa mort, je me demande si c’est bien à nous que cela est arrivé, à nous qui achetions des oranges chez Giro et allions nous promener dans la neige. Alors je croyais en un avenir facile et joyeux, riche de désirs comblés, d’expériences et d’entreprises en commun. Mais c’était là l’époque la plus heureuse de ma vie, et c’est seulement maintenant, alors qu’elle m’a échappé pour toujours, c’est seulement maintenant que je le sais.»

Inverno in Abruzzo
«C’è una certa monotona uniformità nei destini degli uomini. Le nostre esistenze si svolgono secondo leggi antiche ed immutabili, secondo una loro cadenza uniforme e antica. I sogni non si avverano mai e non appena li vediamo spezzati, comprendiamo a un tratto che le gioie maggiori della nostra vita sono fuori della realtà. Non appena li vediamo spezzati, ci struggiamo di nostalgia per il tempo che fervevano in noi. La nostra sorte trascorre in questa vicenda di speranze e di nostalgie.

Mio marito morì a Roma nelle carceri di Regina Coeli, pochi mesi dopo che avevamo lasciato il paese. Davanti all’orrore della sua morte solitaria, davanti alle angosciose alternative che precedettero la sua morte, io mi chiedo se questo è accaduto a noi, a noi che compravamo gli aranci da Girò e andavamo a passeggio nella neve. Allora io avevo fede in un avvenire facile e lieto, ricco di desideri appagati, di esperienze e di comuni imprese. Ma era quello il tempo migliore della mia vita e solo adesso che m’è sfuggito per sempre, solo adesso lo so.»

Natalia Ginzburg interprète le rôle de Marie de Béthanie dans le film de Pier Paolo Pasolini L’Évangile selon saint Matthieu 1964.

On peut lire aussi Les voix du soir (Le vocci della sera, 1962) publié dans l’édition de poche piccolo des Editions Liana Levi en octobre 2019.

Miguel de Cervantes

Encuentro de Sancho Panza con el Rucio (José Moreno Carbonero 1860-1942) v 1894. Madrid, Museo del Prado.

Miguel de Cervantes, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha II Capítulo XLIII. De los consejos segundos que dio don Quijote a Sancho Panza.

” – En lo que toca a cómo has de gobernar tu persona y casa, Sancho, lo primero que te encargo es que seas limpio, y que te cortes las uñas, sin dejarlas crecer, como algunos hacen, a quien su ignorancia les ha dado a entender que las uñas largas les hermosean las manos, como si aquel escremento y añadidura que se dejan de cortar fuese uña, siendo antes garras de cernícalo lagartijero: puerco y extraordinario abuso. No andes, Sancho, desceñido y flojo, que el vestido descompuesto da indicios de ánimo desmazalado, si ya la descompostura y flojedad no cae debajo de socarronería, como se juzgó en la de Julio César. Toma con discreción el pulso a lo que pudiere valer tu oficio, y si sufriere que des librea a tus criados, dásela honesta y provechosa más que vistosa y bizarra, y repártela entre tus criados y los pobres: quiero decir que si has de vestir seis pajes, viste tres y otros tres pobres, y así tendrás pajes para el cielo y para el suelo; y este nuevo modo de dar librea no la alcanzan los vanagloriosos. No comas ajos ni cebollas, porque no saquen por el olor tu villanería. Anda despacio; habla con reposo, pero no de manera que parezca que te escuchas a ti mismo, que toda afectación es mala. Come poco y cena más poco, que la salud de todo el cuerpo se fragua en la oficina del estómago. Sé templado en el beber, considerando que el vino demasiado ni guarda secreto ni cumple palabra. Ten cuenta, Sancho, de no mascar a dos carrillos, ni de erutar delante de nadie.»

«En ce qui touche la manière dont tu dois gouverner ta personne et ta maison, Sancho, la première chose que je te recommande, c’est d’être propre et de te couper les ongles, au lieu de les laisser pousser, ainsi que certaines personnes, qui s’imaginent, dans leur ignorance, que de grands ongles embellissent les mains; comme si cette allonge qu’ils se gardent bien de couper pouvait s’appeler ongle, tandis que ce sont des griffes d’éperviers: sale et révoltant abus. Ne parais jamais, Sancho, avec les vêtements débraillés et en désordre: c’est le signe d’un esprit lâche et fainéant, à moins toutefois que cette négligence dans le vêtement ne cache une fourberie calculée, comme on le pensa de Jules-César. Tâte avec discrétion le pouls à ton office, pour savoir ce qu’il peut rendre ; et s’il te permet de donner des livrées à tes domestiques, donne-leur-en une propre et commode, plutôt que bizarre et brillante. Surtout, partage-la entre tes valets et les pauvres; je veux dire que, si tu dois habiller six pages, tu en habilles trois, et trois pauvres. De cette façon, tu auras des pages pour la terre et pour le ciel; c’est une nouvelle manière de donner des livrées, que ne connaissent point les glorieux. Ne mange point d’ail ni d’oignon, crainte qu’on ne découvre à l’odeur ta naissance de vilain. Marche posément, parle avec lenteur, mais non cependant de manière que tu paraisses t’écouter toi-même, car toute affectation est vicieuse. Dîne peu et soupe moins encore; la santé du corps tout entier se manipule dans le laboratoire de l’estomac. Sois tempérant dans le boire, en considérant que trop de vin ne sait ni garder un secret ni tenir une parole. Fais attention, Sancho, à ne point mâcher des deux mâchoires et à n’éructer devant personne.»

Traduction Louis Viardot. 1837.

Portada de la primera edición de la Segunda parte del ingenioso caballero don Quijote de la Mancha. Madrid, Juan de la Cuesta, 1615.

Joan Margarit

Joan Margarit (Ferran Nadeu).

Le poète catalan Joan Margarit a obtenu le Prix Cervantes 2019, le Prix Nobel des langues castillanes.

Com les gavines

Creuant els temporals
s’aprèn a planejar
sobrevolant la vida.
A avançar fent servir
la violència del vent.
Com les gavines.

No era lluny ni difícil . Edicions Proa, Barcelona, 2010.

Como las gaviotas

Cruzando temporales
se aprende a planear.
Sobrevolar la vida
para avanzar usando
la violencia del viento.
Igual que las gaviotas.

No estaba lejos, no era difícil. Visor, Madrid 2011.

Comme les mouettes

En traversant les tempêtes
on apprend à planer.
Survoler la vie
pour avancer en utilisant
la violence du vent.
Telles les mouettes.

(Traduction C.F.) Merci à J.

Franz Kafka – Max Brod

Franz Kafka. 1923.

Le 23 octobre 1902, Franz Kafka et Max Brod se rencontrèrent pour la première fois. Brod donnait une conférence sur “le destin et l’avenir de la philosophie de Schopenhauer” à la section littéraire de la Lese-und Redehalle der deutschen Studenten in Prag, l’association d’étudiants germanophones d’inspiration libérale. Après la conférence, Kafka raccompagna Max Brod chez lui et tous deux passèrent la soirée à parler de philosophie et de littérature. Ce fut le début d’une longue amitié.

Leur correspondance commence en 1904. Le 20 mai 1924, Kafka écrit sa dernière lettre. Elle est pour Max Brod . Kafka meurt le 3 juin 1924 au sanatorium de Kierling, près de Vienne.

Elias Canetti dans son essai L’autre procès. Lettres de Kafka à Felice. (Gallimard, 1972) appelle cette lettre la “lettre de la taupe”

Lettre à Max Brod. [Prague, ] 28 août [1904)

Il est très facile d’être gai au début de l’été. On a le coeur vif, une démarche passable et assez de goût pour l’avenir. On s’attend à des choses orientales bizarres, ce que l’on nie d’autre part avec une courbette comique et des propos balancés dont le jeu animé vous rend tout aise et tremblant. Assis au milieu du lit en désordre, on regarde la pendule. Elle marque une heure tardive de la matinée. Mais nous, nous nous peignons la soirée avec des teintes convenablement estompées et des perspectives élargies. Et comme notre ombre s’allonge et prend un air si joliment vespéral, nous nous frottons les mains de plaisir jusqu’à les faire rougir. Nous nous parons avec l’espoir secret que la parure se changera en nature. Et quand, au printemps, on nous questionne sur nos projets, nous adoptons en guise de réponse un geste large de la main, qui tombe au bout d’un moment, comme s’il était ridiculement inutile de conjurer des choses sûres.
Si nous devions être entièrement déçus, ce serait évidemment affligeant pour nous, mais d’un autre côté, ce serait la preuve que notre prière quotidienne est entendue, dans laquelle nous demandons en grâce que la logique de notre vie nous soit conservée conformément à ses dehors.
Mais nous ne serons pas déçus; cette saison, qui n’a qu’un commencement, et pas de fin, nous plonge dans un état si étranger et si naturel qu’il pourrait nous assassiner.
Nous sommes littéralement portés par un air qui souffle où il veut, et rien ne nous empêche de plaisanter un peu quand, en plein courant d’air, nous nous prenons le front ou tâchons de nous calmer par des paroles prononcées, les bouts de nos doigts minces pressés contre nos genoux. Tandis que d’ordinaire nous sommes relativement assez polis pour ne pas chercher à nous éclairer sur nous, il nous arrive maintenant de rechercher la clarté avec une certaine faiblesse, un peu comme on fait semblant de se donner beaucoup de mal pour attraper des petits enfants qui trottinent lentement devant nous. Nous nous frayons notre chemin comme une taupe, et nous sortons des galeries effondrées que nous avions creusées dans le sable le poil tout noirci et velouté, tendant nos pauvre petites pattes rouges en l’air pour implorer une douce pitié.
Pendant une promenade, mon chien a surpris une taupe qui voulait traverser la route. Sans cesse il sautait sur elle et la relâchait aussitôt, car il est encore jeune et craintif. D’abord, cela m’a amusé, je trouvais surtout agréable l’agitation de la taupe, qui, désespérément et en vain, cherchait un trou dans le sol dur de la route. Mais comme le chien abattait de nouveau sa patte sur elle, elle s’est mise à crier. Ks, kss, a-t-elle fait. Et alors il m’a semblé…Non, il ne m’a rien semblé du tout. Ce n’était qu’une illusion, parce que ce jour-là ma tête tombait si lourdement que, je le constatai le soir avec surprise, mon menton s’était enfoncé dans ma poitrine. Mais le lendemain je redressai bravement la tête. Le lendemain, une jeune fille mit une robe blanche, puis tomba amoureuse de moi. Elle en fut très malheureuse et je n’ai pas réussi à la consoler, il est vrai que c’est une chose difficile. Le lendemain, comme j’ouvrais les yeux après une courte sieste, peu sûr encore de mon existence, j’entendis ma mère me demander du balcon sur un ton naturel: «Que faites-vous»? Une femme répondit du jardin: «Je goûte sur l’herbe.» Alors je m’étonnai de la fermeté avec laquelle les gens savent porter la vie. Une autre fois, je pris un plaisir douloureusement impatient à l’agitation d’une journée pleine de nuages. Ensuite une semaine fut chassée par le vent, ou deux, ou plus. Puis je tombai amoureux d’une femme. Puis on a dansé à l’auberge et je n’y suis pas allé. Puis je fus nostalgique et très bête, si bien que je trébuchai sur les chemins de terre, qui ici sont très escarpés. Ensuite j’ai lu dans le Journal de Byron ce passage (que je transcris approximativement parce que le livre est déjà dans ma valise): «Depuis une semaine je n’ai pas quitté ma maison. Depuis trois jours, je boxe trois heures par jour avec un maître d’escrime, dans la bibliothèque, toutes fenêtres ouvertes, pour m’apaiser l’esprit.» Et puis, et puis l’été a pris fin, et je trouve qu’il fait frais, qu’il est temps de répondre aux lettres de vacances, que ma plume a quelque peu glissé et que pour cette raison je pourrais bien la poser.

Ton Franz K.

Traduction de Marthe Robert. Kafka, Oeuvres complètes. III. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. Gallimard. 1984.

Max Brod.

José Hierro 1922 – 2002

José Hierro.

Réquiem

Manuel del Río, natural
de España, ha fallecido el sábado
11 de mayo, a consecuencia
de un accidente. Su cadáver
está tendido en D’Agostino
Funeral Home. Haskell. New Jersey.
Se dirá una misa cantada
a las 9.30 en St. Francis.

Es una historia que comienza
con sol y piedra, y que termina
sobre una mesa, en D’Agostino,
con flores y cirios eléctricos.
Es una historia que comienza
en una orilla del Atlántico.
Continúa en un camarote
de tercera, sobre las olas
—sobre las nubes— de las tierras
sumergidas ante Platón.
Halla en América su término
con una grúa y una clínica,
con una esquela y una misa
cantada, en la iglesia St. Francis.

Al fin y al cabo, cualquier sitio
da lo mismo para morir:
el que se aroma de romero
el tallado en piedra o en nieve,
el empapado de petróleo.
Da lo mismo que un cuerpo se haga
piedra, petróleo, nieve, aroma.
Lo doloroso no es morir
acá o allá…

Réquiem aetérnam,
Manuel del Río. Sobre el mármol
en D’Agostino, pastan toros
de España, Manuel, y las flores
(funeral de segunda,caja
que huele a abetos del invierno),
cuarenta dólares. Y han puesto
unas flores artificiales
entre las otras que arrancaron
al jardín… Liberame Domine
de morte aeterna… Cuando mueran
James o Jacob verán las flores
que pagaron Giulio o Manuel…

Ahora descienden a tus cumbres
garras de águila. Dies irae.
Lo doloroso no es morir
Dies illa acá o allá,
sino sin gloria…
Tus abuelos
fecundaron la tierra toda,
la empapaban de la aventura.
Cuando caía un español
se mutilaba el universo.
Los velaban no en D’Agostino
Funeral Home, sino entre hogueras,
entre caballos y armas. Héroes
para siempre. Estatuas de rostro
borrado. Vestidos aún
sus colores de papagayo,
de poder y de fantasía.

Él no ha caído así. No ha muerto
por ninguna locura hermosa.
(Hace mucho que el español
muere de anónimo y cordura,
o en locuras desgarradoras
entre hermanos: cuando acuchilla
pellejos de vino derrama
sangre fraterna). Vino un día
porque su tierra es pobre. El mundo
Libera me Domine es patria.
Y ha muerto. No fundó ciudades.
No dio su nombre a un mar. No hizo
más que morir por diecisiete
dólares (él los pensaría
en pesetas) Réquiem aetérnam.
Y en D’Agostino lo visitan
los polacos, los irlandeses,
los españoles, los que mueren
en el week-end.

Requiem aetérnam.
Definitivamente todo
ha terminado. Su cadáver
está tendido en D’Agostino
Funeral Home. Haskell. New Jersey.
Se dirá una misa cantada
por su alma.
Me he limitado
a reflejar aquí una esquela
de un periódico de New York.
Objetivamente. Sin vuelo
en el verso. Objetivamente.
Un español como millones
de españoles. No he dicho a nadie
que estuve a punto de llorar.

Cuanto sé de mí, 1957

José Hierro est né le 3 avril 1922 à Madrid. Il est mort le 21 décembre 2002, à 80 ans, dans la même ville. Ce poète appartient à la littérature espagnole de l’après-guerre, à la génération de 50. Il a obtenu le prix Príncipe de Asturias en 1981 et le Prix Cervantes en 1999. Il a passé une grande partie de sa vie en Cantabrie. Accusé d’avoir appartenu à une organisation d’aide aux prisonniers politiques, il est arrêté à la fin de la Guerre civile et emprisonné cinq ans jusqu’en 1944.

José Hierro vit un faire-part de décès dans un journal de New York publié en espagnol:
“Manuel del Río. Natural de España, a 27 años de edad, falleció el sábado 11 de mayo en el hospital de St. Joseph de Harrison, N. J., a consecuencia de lesiones recibidas en accidente el 28 de abril. Su cadáver está tendido en la D’Agostino Funeral Home, 881 Ringwnd Ave, Haskell, N. J. El sepelio tendrá lugar el miércoles 15, a las 9,30 A. M. Y se dirá una misa cantada en la iglesia de St. Francis.”

Son poème Réquiem est donc quasiment un reportage journalistique. Il conte l’histoire d’un émigré comme beaucoup d’autres. Parti d’un port espagnol, il a pris un bateau pour l’Amérique en troisième classe pour améliorer sa condition et faire fortune. Sa vie s’est terminée bien vite. Le langage simple utilisé dans ce poème, écrit en 1957 sans la moindre rhétorique, s’oppose complètement à la rhétorique nationaliste du régime franquiste.

Je me souviens d’avoir croisé le vieux poète au visage buriné à Madrid, Paseo de Recoletos, vers l’an 2000. Je crois qu’il venait du célèbre café littéraire Gijón.

San Sebastián de los Reyes. Buste de José Hierro.

Gérard de Nerval – Jean Giono

Portrait de Jean Giono (Serge Fiorio), 1934. Laval, Musée Henri Rousseau.

Les dix premières pages d’Un Roi sans divertissement de Jean Giono évoque Pascal, Gérard de Nerval et Chrétien de Troyes (Perceval ou le Roman du Graal). Le descendant de V., l’assassin, jeune homme rêveur, instituteur cultivé, lit Sylvie de Nerval , assis dans son jardin parmi les roses trémières.

Le roman, par toutes ses variations sur l’identité et les limites, renvoie à de nombreux poèmes du grand poète romantique.

El Desdichado

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie:
Ma seule Étoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.

Suis-je Amour ou Phoebus?… Lusignan ou Biron?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la Syrène…

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron:
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

Les Chimères, 1854.

Artémis
La Treizième revient… C’est encor la première;
Et c’est toujours la Seule, – ou c’est le seul moment:
Car es-tu Reine, ô toi! la première ou la dernière?
Es-tu Roi, toi le Seul ou le dernier amant?…

Aimez qui vous aima du berceau dans la bière;
Celle que j’aimai seul m’aime encor tendrement:
C’est la Mort – ou la Morte… Ô délice! ô tourment!
La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière.

Sainte napolitaine aux mains pleines de feux,
Rose au coeur violet, fleur de sainte Gudule:
As-tu trouvé ta Croix dans le désert des cieux?

Roses blanches, tombez! vous insultez nos Dieux:
Tombez fantômes blancs de votre ciel qui brûle:
– La Sainte de l’Abîme est plus sainte à mes yeux!

Les Chimères, 1854.

Le point noir

Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l’air, une tache livide.

Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux,
Sur la gloire un instant j’osai fixer les yeux :
Un point noir est resté dans mon regard avide.

Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s’arrête mon oeil,
Je la vois se poser aussi, la tache noire!

Quoi, toujours? Entre moi sans cesse et le bonheur!
Oh! c’est que l’aigle seul – malheur à nous, malheur!
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.

Odelettes. 1834.

Fantaisie
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets!

Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit…
C’est sous Louis treize; et je crois voir s’étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue… et dont je me souviens!

Odelettes. 1834.

Blaise Pascal – Jean Giono

Folio n°220.

Je relis Un roi sans divertissement de Jean Giono après avoir vu le film tout à fait honorable de François Leterrier (1963). Scénario de jean Giono avec de grandes différences avec le livre. Tournage dans l’Aubrac. Interprètes: Claude Giraud, Colette Renard, Charles Vanel. Photographie excellente: Jean Badal.

Le titre du roman et la dernière phrase sont empruntés aux Pensées de Pascal.

Livre de Poche n°823-824.

142. Divertissement.

«La dignité royale n’est-elle pas assez grande d’elle-même, pour celui qui la possède, pour le rendre heureux par la seule vue de ce qu’il est? Faudra-t-il le divertir de cette pensée comme les gens du commun? Je vois bien que c’est rendre un homme heureux de le divertir de la vue de ses misères domestiques pour remplir toute sa pensée du soin de bien danser. Mais en sera-t-il de même d’un roi, et sera-t-il plus heureux en s’attachant à ces vains amusements qu’à la vue de sa grandeur? Et quel objet plus satisfaisant pourrait-on donner à son esprit? Ne serait-ce donc pas faire tort à sa joie, d’occuper son âme à penser à ajuster ses pas à la cadence d’un air, ou à placer adroitement une [balle], au lieu de le laisser jouir en repos de la contemplation de la gloire majestueuse qui l’environne? Qu’on en fasse l’épreuve: qu’on laisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l’esprit, sans compagnie, penser à lui tout à loisir, et l’on verra qu’un roi sans divertissement est un homme plein de misères. Aussi on évite cela soigneusement et il ne manque jamais d’y avoir auprès des personnes des rois un grand nombre de gens qui veillent à faire succéder le divertissement à leurs affaires, et qui observent tout le temps de leur loisir pour leur fournir des plaisirs et des jeux, en sorte qu’il n’y ait point de vide; c’est-à-dire qu’ils sont environnés de personnes qui ont un soin merveilleux de prendre garde que le roi ne soit seul et en état de penser à soi, sachant bien qu’il sera misérable, tout roi qu’il est, s’il y pense.
Je ne parle point en tout cela des rois chrétiens comme chrétiens, mais seulement comme rois.»

Pensées. Édition Léon Brunschvig. Hachette, Collection des Grands écrivains de la France 1904 et 1914.

Jean Giono ne s’intéresse ni à Dieu, ni au problème de la foi et du pari, ni aux libertins. Il détourne le texte de Pascal à ses fins personnelles. Le romancier est tout-puissant.

Julio Cortázar

Julio Cortázar. Madrid, 1980.

Dans cette lourde période de confinement, quelques textes légers du “grand” Julio Cortázar.

Historias de Cronopios y de Famas. 1962. Editorial Minotauro.

Flor y Cronopio

Un cronopio encuentra una flor solitaria en medio de los campos. Primero la va a arrancar,
pero piensa que es una crueldad inútil
y se pone de rodillas a su lado y juega alegremente con la flor, a saber: le acaricia los pétalos, la sopla para que baile, zumba como una abeja, huele su perfume, y finalmente se acuesta debajo de la flor y se duerme envuelto en una gran paz.
La flor piensa: «Es como una flor».

Viajes

Cuando los famas salen de viaje, sus costumbres al pernoctar en una ciudad son las siguientes: Un fama va al hotel y averigua cautelosamente los precios, la calidad de las sábanas y el color de las alfombras. El segundo se traslada a la comisaría y labra un acta declarando los muebles e inmuebles de los tres, así como el inventario del contenido de sus valijas. El tercer fama va al hospital y copia las listas de los médicos de guardia y sus especialidades.

Terminadas estas diligencias, los viajeros se reúnen en la plaza mayor de la ciudad, se comunican sus observaciones, y entran en el café a beber un aperitivo. Pero antes se toman de las manos y danzan en ronda. Esta danza recibe el nombre de “Alegría de los famas”.

Cuando los cronopios van de viaje, encuentran los hoteles llenos, los trenes ya se han marchado, llueve a gritos, y los taxis no quieren llevarlos o les cobran precios altísimos. Los cronopios no se desaniman porque creen firmemente que estas cosas les ocurren a todos, y a la hora de dormir se dicen unos a otros: “La hermosa ciudad, la hermosísima ciudad”. Y sueñan toda la noche que en la ciudad hay grandes fiestas y que ellos están invitados. Al otro día se levantan contentísimos, y así es como viajan los cronopios.

Las esperanzas, sedentarias, se dejan viajar por las cosas y los hombres, y son como las estatuas que hay que ir a verlas porque ellas ni se molestan.

El canto de los cronopios

Cuando los cronopios cantan sus canciones preferidas, se entusiasman de tal manera que con frecuencia se dejan atropellar por camiones y ciclistas, se caen por la ventana, y pierden lo que llevaban en los bolsillos y hasta la cuenta de los días.

Cuando un cronopio canta, las esperanzas y los famas acuden a escucharlo aunque no comprenden mucho su arrebato y en general se muestran algo escandalizados. En medio del corro el cronopio levanta sus bracitos como si sostuviera el sol, como si el cielo fuera una bandeja y el sol la cabeza del Bautista, de modo que la canción del cronopio es Salomé desnuda danzando para los famas y las esperanzas que están ahí boquiabiertos y preguntándose si el señor cura, si las conveniencias. Pero como en el fondo son buenos (los famas son buenos y las esperanzas bobas), acaban aplaudiendo al cronopio, que se recobra sobresaltado, mira en torno y se pone también a aplaudir, pobrecito.

Fernando Pessoa

Fernando Pessoa, 1928.

Esthétique de l’artifice

La vie nuit à l’expression de la vie. Si je vivais un grand amour, jamais je ne pourrais le raconter. 
Je ne sais pas moi-même si ce moi que je vous expose, tout au long de ces pages sinueuses, existe réellement, ou n’est qu’un concept esthétique et faux que j’ai forgé de moi-même. Eh oui, c’est ainsi, je me vis esthétiquement dans un autre. J’ai sculpté ma propre vie comme une statue faite d’une matière étrangère à mon être. Il m’arrive de ne pas me reconnaître, tellement je me suis placé à l’extérieur de moi-même, tellement j’ai employé de façon purement artistique la conscience que j’ai de moi-même. Qui suis-je, derrière cette irréalité? Je l’ignore. Je dois bien être quelqu’un. Et si je ne cherche pas à vivre, à agir, à sentir, c’est – croyez-le bien – pour ne pas bouleverser les traits déjà définis de ma personnalité supposée. Je veux être celui que j’ai voulu être, et que je ne suis pas. Si je vivais, je me détruirais. Je veux être une oeuvre d’art, dans mon âme tout au moins, puisque je ne peux l’être dans mon corps. C’est pourquoi je me suis sculpté dans une pose calme et détachée, et placé dans une serre abritée de brises trop fraîches, de lumières trop franches – où mon artificialité, telle une fleur absurde, puisse s’épanouir en beauté lointaine.
Je songe parfois combien il me plairait, unifiant mes rêves, de me créer une vie seconde et ininterrompue, où je passerais des jours entiers avec des convives imaginaires, des gens créés de toutes pièces, et où je vivrais, souffrirais, jouirais de cette vie fictive. Dans ce monde, il m’arriverait des malheurs, des grandes joies fondraient sur moi. Et rien de moi ne serait réel. Mais tout y aurait une logique autonome et superbe, tout obéirait à un rythme de fausseté voluptueuse, tout se passerait dans une cité faite de mon âme même, qui s’en irait se perdre sur un quai le long d’un train paisible, bien loin au fond de moi, bien loin… Et tout cela net, inévitable, comme dans la vie extérieure, mais aussi comme une esthétique de Mort du Soleil.”

Le Livre de l’Intranquillité. Christian Bourgois, Traduit par Françoise Laye. 1999. Pages 141-142. Première édition en deux volumes 1988-1992.

Fernando Pessoa Livro do Desassossego por Bernardo Soares. Vol.I. Lisboa: Ática, 1982.

Estética do artificio
A vida prejudica a expressão da vida. Se eu vivesse um grande amor nunca o poderia contar.
Eu próprio não sei se este eu, que vos exponho, por estas coleantes páginas fora, realmente existe ou é apenas um conceito estético e falso que fiz de mim próprio. Sim, é assim. Vivo-me esteticamente em outro. Esculpi a minha vida como a uma estátua de matéria alheia a meu ser. Às vezes não me reconheço, tão exterior me pus a mim, e tão de modo puramente artístico empreguei a minha consciência de mim próprio. Quem sou por detrás desta irrealidade? Não sei. Devo ser alguém. E se não busco viver, agir, sentir é — crede-me bem — para não perturbar as linhas feitas da minha personalidade suposta. Quero ser tal qual quis ser e não sou. Se eu cedesse destruir-me-ia. Quero ser uma obra de arte, da alma pelo menos, já que do corpo não posso ser. Por isso me esculpi em calma e alheamento e me pus em estufa, longe dos ares frescos e das luzes francas — onde a minha artificialidade, flor absurda, floresça em afastada beleza.
Penso às vezes no belo que seria poder, unificando os meus sonhos, criar-me uma vida contínua, sucedendo-se, dentro do decorrer de dias inteiros, com convivas imaginários com gente criada, e ir vivendo, sofrendo, gozando essa vida falsa. Ali me aconteceriam desgraças; grandes alegrias ali cairiam sobre mim. E nada de mim seria real. Mas teria tudo uma lógica soberba, séria, seria tudo segundo um ritmo de voluptuosa falsidade, passando tudo numa cidade feita da minha alma, perdida até [o] cais à beira de um comboio calmo, muito longe dentro de mim, muito longe… E tudo nítido, inevitável, como na vida exterior, mas, estética de Morte do Sol.

René Char

René Char. 1966.

Billets à Francis Curel

I

«… Je ne désire pas publier dans une revue les poèmes que je t’envoie. Le recueil d’où ils sont extraits, et auquel en dépit de l’adversité je travaille, pourrait avoir pour titre Seuls demeurent. Mais je te répète qu’ils resteront inédits, aussi longtemps qu’il ne se sera pas produit quelque chose qui retournera entièrement l’innommable situation dans laquelle nous sommes plongés. Mes raisons me sont dictées en partie par l’assez incroyable et détestable exhibitionnisme dont font preuve depuis le mois de juin 1940 trop d’intellectuels parmi ceux dont le nom jadis était précédé ou suivi d’un prestige bienfaisant, d’une assurance de solidité quand viendrait l’épreuve qu’il n’était pas difficile de prévoir… On peut être un agité, un déprimé, ou moralement un instable, et tenir à son honneur! Ce serait trop pénible.

Après le désastre, je n’ai pas eu le cœur de rentrer à Paris. À peine si je puis m’appliquer ici, dans un lointain que j’ai choisi, mais que je trouve encore trop à proximité des allées et venues des visages résignés à eux-mêmes et aux choses. Certes, il faut écrire des poèmes, tracer avec de l’encre silencieuse la fureur et les sanglots de notre humeur mortelle, mais tout ne doit pas se borner là. Ce serait dérisoirement insuffisant.

Je te recommande la prudence, la distance. Méfie-toi des fourmis satisfaites. Prends garde à ceux qui s’affirment rassurés parce qu’ils pactisent. Ce n’est pas toujours facile d’être intelligent et muet, contenu et révolté. Tu le sais mieux que personne. Regarde, en attendant, tourner les dernières roues sur la Sorgue. Mesure la longueur chantante de leur mousse. Calcule la résistance délabrée de leurs planches. Confie-toi à voix basse aux eaux sauvages que nous aimons. Ainsi tu seras préparé à la brutalité, notre brutalité qui va commencer à s’afficher hardiment. Est-ce la porte de notre fin obscure, demandais-tu? Non. Nous sommes dans l’inconcevable, mais avec des repères éblouissants.»

1941

II

“… Je veux n’oublier jamais que l’on m’a contraint – pour combien de temps? – à devenir un monstre de justice et d’intolérance, un simplificateur claquemuré, un personnage arctique qui se désintéresse du sort de quiconque ne se ligue pas avec lui pour abattre les chiens de l’enfer. Les rafles d’Israélites, les séances de scalp dans les commissariats, les raids terroristes des polices hitlériennes sur les villages ahuris, me soulèvent de terre, plaquent sur les gerçures de mon visage une gifle de fonte rouge. Quel hiver! Je patiente, quand je dors, dans un tombeau que des démons viennent fleurir de poignards et de bubons.
L’humour n’est plus mon sauveur. Ce qui m’accable, puis m’arrache de mes gonds, c’est qu’à l’intérieur de la nation écrêtée pourtant par les courants discordants suivis de pouvoirs falots et relativement débonnaires, – la répression de l’agitation ouvrière et les cruelles expéditions coloniales mises à part, dague que la haine de classes et la cupidité éternelle poussent par intervalles dans quelque chair au préalable excommuniée – puissent se compter si nombreux les individus méditants qui se rendent gaillardement à l’appeau du tortionnaire et s’enrôlent parmi ses légions. Quelle entreprise d’extermination dissimula moins ses buts que celle-ci? Je ne comprends pas, et si je comprends, ce que je touche est terrifiant. A cette échelle, notre globe ne serait plus, ce soir, que la boule d’un cri immense dans la gorge de l’infini écartelé. C’est possible et c’est impossible.»

1943

Recherche de la base et du sommet. Gallimard, 1955.