Federico García Lorca

Federico García Lorca.

Le 5 juin 1898, naissance de Federico García Lorca.

El 5 de junio de 1898 nacía Federico García Lorca.

LA AURORA

La aurora de Nueva York tiene
cuatro columnas de cieno
y un huracán de negras palomas
que chapotean las aguas podridas.
La aurora de Nueva York gime
por las inmensas escaleras
buscando entre las aristas
nardos de angustia dibujada.
La aurora llega y nadie la recibe en su boca
porque allí no hay mañana ni esperanza posible:
A veces las monedas en enjambres furiosos
taladran y devoran abandonados niños.
Los primeros que salen comprenden con sus huesos
que no habrá paraíso ni amores deshojados:
saben que van al cieno de números y leyes,
a los juegos sin arte, a sudores sin fruto.
La luz es sepultada por cadenas y ruidos
en impúdico reto de ciencia sin raíces.
Por los barrios hay gentes que vacilan insomnes
como recién salidas de un naufragio de sangre.

Poeta en Nueva York, 1940.

L’AURORE

L’aurore de New York
a quatre colonnes de vase
et un ouragan de noires colombes
qui barbotent dans l’eau pourrie.
L’aurore de New York gémit
dans les immenses escaliers,
cherchant parmi les angles vifs
les nards de l’angoisse dessinée.
L’aurore vient et nul ne la reçoit dans sa bouche
parce qu’il n’y a là ni matin ni possible espérance.
Parfois les pièces de monnaie en essaims furieux
percent et dévorent des enfants abandonnés.
Les premiers qui sortent comprennent dans leurs os
qu’il n’y aura ni paradis ni amours effeuillés;
ils savent qu’ils vont à la fange des nombres et des lois,
aux jeux sans art, aux sueurs sans fruit.
La lumière est ensevelie sous les chaînes et les bruits
en un défi impudique de science sans racines.
Il y a par les faubourgs des gens qui titubent d’insomnie
comme s’ils venaient de sortir d’un naufrage de sang.

Poète à New York.

Franz Kafka

Franz Kafka. Photo d’identité. Vers 1915.

Franz Kafka est mort le 3 juin 1924 au sanatorium de Kierling (Autriche), près de Vienne, de malnutrition et de tuberculose. Sa dernière compagne, Dora Diamant, se trouvait à ses côtés. Il avait 40 ans.

Sa correspondance (149 lettres et cartes postales) avec la journaliste et femme de lettres Milena Jesenská est passionnante. Aucune des lettres qu’elle lui a écrites ne nous est parvenue. Elles ont été brûlées par leur destinataire ou ont disparu lors de l’entrée des troupes allemandes à Prague en 1939. Il s’agit sans doute de la relation amoureuse la plus importante de la vie de Kafka. Milena a deux particularités : elle n’est pas juive et c’est une intellectuelle. Elle a su reconnaître tout de suite le génie de Kafka. Elle lui a proposé de le traduire en langue tchèque. Après l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’armée nazie, Milena Jesenská entre dans une organisation de résistance militaire secrète. La Gestapo l’arrête en novembre 1939 . Elle meurt en déportation le 17 mai 1944 à 47 ans dans le camp de Ravensbrück en Allemagne.

Quelques citations de cette correspondance retraduite par Robert Kahn aux éditions Nous en 2015:

Merano, probablement les 25 et 29 mai 1920, mardi et samedi.

«Il y a quelques années je faisais beaucoup de skiff (manas) sur la Moldau, je la remontais à la pagaie et je la redescendais ensuite avec le courant, étendu de tout mon long, passant sous les ponts. Vu du pont, cela devait paraître très comique, à cause de ma maigreur. Un jour cet employé me vit depuis un pont. Il résuma son impression, après avoir suffisamment insisté sur le comique: cela ressemblait à l’ultime moment avant le Jugement dernier, quand le couvercle des cercueils est déjà levé, mais que les morts y reposent encore.»

Merano, 11 juin 1920, vendredi.

«Quand remettra-t-on enfin ce monde à l’envers un peu d’aplomb?»

Merano, 23 juin 1920, mercredi.

«Il est difficile de dire la vérité car elle est certes unique, mais elle est vivante et du coup elle a un visage vivant et changeant (Absolument pas belle, vraiment pas, peut-être parfois jolie.)»

Prague, 2 septembre 1920, jeudi.

«Mais une des choses les plus insensées sur ce globe terrestre est le traitement sérieux de la question de la culpabilité, à ce qu’il me semble en tout cas. Il ne me semble pas insensé que des reproches soient faits , il est certain que dans la peine on lance des reproches dans tous les sens (même s’il ne s’agit pas de la peine la plus extrême, car dans celle-là on ne fait pas de reproches), et que l’on prenne à coeur de tels reproches dans une période d’émotion et de bouleversements est aussi bien compréhensible, mais que l’on croie pouvoir négocier cela comme n’importe quelle situation comptable habituelle, qui est si claire qu’elle entraîne des conséquences pour le comportement quotidien, cela je ne le comprends pas du tout. Il est certain que Tu es coupable, mais ton mari est aussi coupable et ensuite de nouveau Toi et puis à nouveau lui, comme il ne peut en aller autrement dans une vie humaine à deux et la culpabilité s’accumule en un tas infini jusqu’au gris péché originel, mais en quoi cela peut-il m’être utile dans mon quotidien d’aujourd’hui ou pour la visite chez le médecin de Bad Ischl de remuer dans le péché originel?»

Franz Kafka. Ottilie “Ottla” Kafka.

Kafka avait trois sœurs plus jeunes que lui : Gabrielle (Elli) (1889-1941), Valérie (Valli) (1890-1942) et Ottilie (Ottla) (1892-1943). Elli et Valli seront envoyées avec leurs familles dans le Ghetto de Łódź, où tous périrent. Ottla, elle, se retrouvera au camp de concentration de Theresienstadt. Le 5 octobre 1943, Ottla accompagnera volontairement un groupe d’enfants. Lorsque le transport atteindra le camp de concentration d’Auschwitz deux jours plus tard, ils seront tous assassinés.

Ottilie “Ottla” Kafka.

Arthur Rimbaud

Pourquoi ne pas mettre sur ce blog des poèmes que presque tout le monde connaît?

Arthur Rimbaud le crane rasé à la mi-décembre 1875 (Ernest Delahaye 1853-1930). La tronche à Machin.

Roman


I

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
– Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants!
– On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin!
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière;
Le vent chargé de bruits, – la ville n’est pas loin, –
A des parfums de vigne et des parfums de bière…

II

-Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche…

Nuit de juin! Dix-sept ans! – On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête…
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête…

III

Le coeur fou Robinsonne à travers les romans,
– Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l’ombre du faux-col effrayant de son père…

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif…
– Sur vos lèvres alors meurent les cavatines…

IV

Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.
Vous êtes amoureux. – Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.
– Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire…!

-Ce soir-là,… – vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade…
– On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.

29 septembre 1870.
Le cahier de Douai.

Xavier Grall 1930 – 1981

Yvon le Men a lu le poème Solo sur Radio-Armorique, le jour de l’Ascension, en 1981, quelques mois avant la mort de Xavier Grall. Depuis, il déclame souvent les poèmes du poète breton.

Prologue de Besoin de poème, Editions du Seuil, 2006.

“Je fus le premier lecteur et diseur de ce poème. j’ai fait corps avec lui sans aucune distance, sans aucune protection. Vingt ans plus tard, je confirme ma chance de l’avoir lu, mon choix de l’avoir dit. Jamais prière ne fut plus juste, plus humble, plus incarnée par un corps aussi désincarné, par un homme aussi épuisé. A chaque phrase, Xavier lampait une gorgée d’air puis rejetait une gorgée de mots. jamais poème ne fut plus inspiré, jamais le mot respiration ne prit autant sa place entre inspiration et expiration. jamais souffle ne fut aussi essoufflé.”

Pont-Aven. Monument à Xavier Grall.

Solo


Seigneur me voici c’est moi
je viens de petite Bretagne
mon havresac est lourd de rimes
de chagrins et de larmes
j’ai marché
Jusqu’à votre grand pays
ce fut ma foi un long voyage
trouvère
j’ai marché par les villes
et les bourgades
François Villon
dormait dans une auberge
à Montfaucon
dans les Ardennes des corbeaux
et des hêtres
Rimbaud interpellait les écluses
les canaux et les fleuves
Verlaine pleurait comme une veuve
dans un bistrot de Lorraine
Seigneur me voici c’est moi
de Bretagne suis
ma maison est à Botzulan
mes enfants mon épouse y résident
mon chien mes deux cyprès
y ont demeurance
m’accorderez-vous leur recouvrance ?
Seigneur mettez vos doigts
dans mes poumons pourris
j’ai froid je suis exténué
O mon corps blanc tout ex-voté
j’ai marché
les grands chemins chantaient
dans les chapelles
les saints dansaient dans les prairies
parmi les chênes erraient les calvaires
O les pardons populaires
O ma patrie
j’ai marché
j’ai marché sur les terres bleues
et pèlerines
j’ai croisé les albatros
et les grives
mais je ne saurais dire
jusqu’aux cieux
l’exaltation des oiseaux
tant mes mots dérivent
et tant je suis malheureux

Seigneur me voici c’est moi
je viens à vous malade et nu
j’ai fermé tout livre
et tout poème
afin que ne surgisse
de mon esprit
que cela seulement
qui est ma pensée
Humble et sans apprêt
ainsi que la source primitive
avant l’abondance des pluies
et le luxe des fleurs

Seigneur me voici devant votre face
chanteur des manoirs et des haies
que vous apporterai-je
dans mes mains lasses
sinon les traces et les allées
l’âtre féal et le bruit des marées
les temps ont passé
comme l’onde sous le saule
et je ne sais plus l’âge
ni l’usage du corps
je ne sais plus que le dit
et la complainte
telle la poésie
mon âme serait-elle patiente
au bout des galantes années?

Seigneur me voici c’est moi
de votre terre j’ai tout aimé
les mers et les saisons
et les hommes étranges
meilleurs que leurs idées
et comme la haine est difficile
les amants marchent dans la ville
souvenez-vous de la beauté humaine
dans les siècles et les cités
mais comme la peine est prochaine!

Seigneur me voici c’est moi
j’arrive de lointaine Bretagne
O ma barque belle
parmi les bleuets et les dauphins
les brumes y sont plus roses
que les toits de l’Espagne
je viens d’un pays de marins
les rêves sur les vagues
sont de jeunes rameurs
qui vont aux îles bienheureuses
de la grande mer du Nord

Je viens d’un pays musicien
liesses colères et remords
amènent les vents hurleurs
sur le clavier des ports

je viens d’un pays chrétien
ma Galilée des lacs et des ajoncs
enchante les tourterelles
dans les vallons d’avril
me voici Seigneur devant votre face
sainte et adorable
mendiant un coin de paradis
parmi les poètes de votre extrace
si maigre si nu
je prendrai si peu de place
que cette grâce
je vous supplie de l’accorder
au pauvre hère que je suis
ayez pitié Seigneur
des bardes et des bohémiennes
qui ont perdu leur vie
sur le chemin des auberges
nulle orgue grégorienne
n’a salué leur trépas
pour ceux qui meurent
dans les fossés
une feuille d’herbe dans la bouche
le cœur troué d’une vielle peine
de lourdes larmes dans le paletot
et dans les veines des lais et des rimes
Seigneur ayez pitié!

La mort vient tôt frapper
à notre porte
les vents d’hiver emportent
les poitrinaires
et pour flétrir les pâles primevères
il suffit que l’ondée se conforte
d’un peu de givre et de Galerne
la vie s’en va la vie s’en vient
ma belle passante mon étrangère
la vie s’en vient la vie s’en va
lonla lonlaine et caetera
S
SOL
L
O
ma rose des vents
mon signe de croix
S
O
ILE
O
Mon ex-voto
dans la crypte marine
chantez saxos
S
O
L
FOL
stèle et fanal
flamme
amer du littoral
signe vertical
de la raison
face aux fatales démences
de la mer et des lames
 
J’aurais aimé chanter le triomphe
des marées à la corne des caps
et la douceur des plages
dans les criques pélagiennes
un orchestre de pianistes
et de harpeurs
eût repris le thème de l’antienne
car je portais dans mon sang
mystique
des hymnes marins
et des fureur liturgiques
j’aurais aimé chanter
les varechs verts
les germons bleus
les daurades d’or
les couleurs et les chaos
par la harpe et le saxo
mon Dieu je vous adore
Orgues de Benjamin Britten
Cuivres de Ludwig Van Beethoven
Les symphonies fusent
dans les rocs d’Ouessant
les tintamarres furieux
fracassent les brisants
qui dira les sonorités multicolores
dans la gorge des rias
les corps morts dansent
les cormorans fustigent les amarres
les coques des naufrages
cognent dans les baies
des oiseaux hurleurs
descendent dans mes veines
mon âme est cette porte battante
ouverte sur la mer
j’attends la fuite des vents
à la renverse
paix sur les noyés et les goémons
paix sur les îles et les quais
mon cœur
tranquille caboulot
à la bonne brise
au-dessus des limons
affiche son enseigne
«Au repos du marin»

                    

Solo

Solo de mes noyades
solo de mes sanglots
j’agite des violons brisé
sur mes amours mortes
mes barques chavirées
accrochent des grelots
aux chagrins sourds
qui lentement m’emportent
Solo
Solo d’oraisons ferventes
il m’arrive de prier
dans les églises défuntes
Notre-Dame des poètes
mère des Atlantes
pitié pour ce voilier perdu
au large des pâles limbes
Solo
Solo de mes années passantes
haleurs et musiciens
désertent les bordées
mon âme est cette Marie-Galante
que défoncent les vins
et les rhums boucanés

Solo

Solo de mes pensées dolentes
musiques enfuies motets anciens
tout périt dans les marées violentes
l’Océan tracasse des pianos
à la gueule des chiens
Seigneur me voici c’est moi
je viens à vous issu d’un pays de mer
les tempêtes ont réjoui mon amère jeunesse
la liesse des alizés roulait dans les collèges
les goélands croisaient dans mes classes latines
des Maris Stella à matines
éclataient dans les nefs
les noroîts jouaient de l’harmonium
délirium du graduel
cantique des grèves ivres
O les navires et les chapelles
Etoile de la mer
Qu’ai-je fait de ma chère jeunesse?
Seigneur me voici c’est moi
dans les bonnes auberges
j’ai traîné ma détresse
les bouteilles entonnaient des pavanes
dans les verres je buvais des rengaines
les bars roulaient comme des rivières
j’ai prié comme jamais dans les ivresses
faisant des femmes des suzeraines
qu’elles fussent allemandes
bretonnes françaises
leur beauté glorifiée par l’absinthe
dissolvait la bassesse
c’était ma tournée aux tables saintes
Seigneur
les bars chantent toujours dans les villes
ma santé trop vile les déserte
je ne vois plus les Belles
qu’au fond de ma mémoire
Brestoises Rhénanes ou Parisiennes
elles ont quitté mon domaine
fermons les persiennes
sur mes cinquante et une années
j’écrase les feuilles mortes
dans les allées
les temps ronge les vies et les grimoires
adieu les Reines les bars et camarades
je tiens comme un pourboire
votre souvenir
adieu mes fêtes et mes délires
adieu mes désirades
……………………………………………………….
Seigneur Dieu
A mes frères et amis
Aux femmes que j’ai aimées
A tous ceux que mon cœur à croisés
Avant que d’entrer dans les ténèbres
Transmettez je vous prie mon espérance testamentaire
Nul chant nul solo
Nulle symphonie nul concerto
Qui porte nostalgie d’amour
Et soif et faim de tendresse
Ne sera perdu dans la détresse de lamer
Voilà et puis encore ceci

Par la dernière larme
Par l’ultime halètement
Par le dernier frémissement
Par le moineau qui s’envole
Par le geai sur la branche
Par la dernière chanson
Par la joie dans la grange
Par le vent qui se lève
Par le matin qui vient
Tout simplement
Je vous rends grâce
D’avoir été dans le bondissement incroyable
De votre création
Et misérable
Oui
Tout simplement
Un être humain
Parmi les milliards et les milliards
De vos créatures
A présent que les feuilles et les mains
De douce Nature
Me closent les yeux !
Mais Seigneur Dieu
Comme la vie était jolie
En ma Bretagne bleue !”

Solo et autres poèmes, Editions Calligrammes, 29000 Quimper 1981.

Xavier Grall , sa femme Françoise, et ses cinq filles (Catherine, Geneviève, Isabelle, Véronique, Lucie) , à Nizon, près de Pont-Aven, dans la ferme de Bossulan.

Yvon Le Men – Victor Hugo

Yvon Le Men.

Yvon Le Men (Tréguier, Côtes d’Armor, 1953), Prix Goncourt de la Poésie 2019, cite ce poème si célèbre de Victor Hugo ce matin à la radio…Il vit à Lannion.

Demain, dès l’aube…

XIV
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

3 septembre 1847.

Pauca meae (quelques vers pour ma fille), livre quatrième Les Contemplations. 1856.

Villequier (Seine – Maritime). Tombe de Charles Vacquerie et Léopoldine Hugo.
                           

Luis Buñuel – Salvador Dalí – Juan Ramón Jiménez

Luis Buñuel et Salvador Dalí, 1929.

Luis Buñuel et Salvador Dalí ont écrit cette lettre à Juan Ramón Jiménez en janvier 1929 un jour après lui avoir rendu visite. (Luis Buñuel, Correspondencia escogida, Cátedra Madrid 2018. Edition de Jo Evans et Breixo Viejo, Cátedra. Pages 73-74) Meurtre du père?

La correspondance de Luis Buñuel a été publiée en espagnol et en anglais l’année dernière. Pourquoi pas en français?

A Juan Ramón Jiménez

Figueres, enero de 1929

Nuestro distinguido amigo:
Nos creemos en el deber de decirle -sí, desinteresadamente- que su obra nos repugna profundamente, por inmoral, por histérica, por cadavérica, por arbitraria.
Especialmente:
¡¡Merde!!
Para su “Platero y yo”, para su fácil y malintencionado “Platero y yo”, el burro menos burro, el burro más odioso con que hemos tropezado.
Y para Vd., para su funesta actuación también:
¡¡¡¡Mierda!!!!
Sinceramente,
Luis Buñuel – Salvador Dalí

De Juan Ramón Jiménez

Madrid, febrero de 1929

Mis muy “surrealistas” y muy conocidos,
Estoy completamente de acuerdo con ustedes y con el tercero que se oculta con ustedes: cuanto yo he publicado hasta el día no tiene valor alguno, y me avergüenzo, lo he dicho muchas veces, de la mayor pare de mi obra escrita; y cuanto puedan ustedes decirme de ella me lo he dicho yo con mi propio léxico, aun cuando, por desdicha mía, y según dicen constantemente los críticos de ambos sexos y del otro sexo de ustedes, haya salido de ella la mejor parte de la escritura actual española e hispanoamericana en verso y prosa, lírica y crítica. Pero ustedes son, además de unos surréalistes, unos majaderos y unos cobardes. Porque al escribir en esa jerga francocatalana, ni siquiera saben ustedes ponerse a hacer en español sus más imperiosas necesidades; porque para mí merde no es nada; y, además, porque ustedes saben de antemano que yo no puedo contestarles en esa lengua trasera que es la palabra propia de ustedes. No iba yo a cometer la ridiculez tampoco de enviarles mis padrinos masculinos, femeninos ni “manfloritas” como les dicen a ustedes en mi Moguer. También sabrán ustedes que mis amigos se alegran mucho de su carta y juzgan que ustedes han hecho bien en espeler en ella el vivo retrato de los dos.
Gracias de este admirador de sus técnicas.
J. R. J.

Étude pour « Le Miel est plus douce que la sang » [sic] (Salvador Dalí) 1926 Figueres Fundació Gala-Salvador Dalí

Juan Ramón Jiménez 1881 – 1958

Retrato de Juan Ramón Jiménez (Joaquín Sorolla), 1903.

Victor Hugo et Juan Ramón Jiménez. Peu de points communs entre les deux poètes à première vue. Pourtant, El viaje definitivo de J.R.J., relu aujourd’hui, me rappelle la thématique de Soleils couchants de Victor Hugo, posté hier.

Juan Ramón Jiménez est né le 23 décembre 1881 au numéro 2 de la calle de la Ribera à Moguer (Huelva). Il a notamment développé l’idée de la «poésie pure» avec un lyrisme très intellectuel. Son récit poétique le plus célèbre Platero y yo, sous-titré Elegía andaluza, a été publié en 1917.

Quand il arrive à Madrid en 1903, il contacte la Institución Libre de Enseñanza fondée par Francisco Giner de los Ríos (1839-1915). Cette institution a été créée pour défendre la liberté d’enseignement en dehors de tout dogme religieux. Elle se veut un complément éducatif à l’université et souhaite former les enfants des classes dirigeantes libérales. En 1913, Juan Ramón Jiménez loge à la Residencia de Estudiantes de Madrid, calle Fortuny n°14. Elle a été créée en 1910, puis déménage en 1915 sur la Colina los Chopos (Pinar, 21-23). Ce dernier nom fut donné par Juan Ramón Jiménez lui-même. Le poète andalou fera aménager el Jardín de Adelfas et sera aussi le responsable des publications de l’institution en 1914-1915.

Juan Ramón Jiménez, connu pour son mauvais caractère, eut pourtant une grande influence sur les poètes de la Génération de 1927. En 1936, il soutient la République en accueillant plusieurs orphelins dans une de ses maisons. Il ne se sent pas en sûreté à Madrid. Avec l’aide de Manuel Azaña, le Président de la République, lui et sa femme parviennent à partir de la capitale par la voie diplomatique. Il s’installe à Washington comme attaché aux affaires culturelles. Agé et malade, il reçoit le Prix Nobel de Littérature le 25 octobre 1956.

El viaje definitivo (Juan Ramón Jiménez)

Y yo me iré. Y se quedarán los pájaros cantando.
Y se quedará mi huerto con su verde árbol,
y con su pozo blanco.

Todas las tardes el cielo será azul y plácido,
y tocarán, como esta tarde están tocando,
las esquilas del campanario.

Se morirán aquellos que me amaron
y el pueblo se hará nuevo cada año;
y lejos del bullicio distinto, sordo, raro
del domingo cerrado,
del coche de las cinco, de las barcas del baño,
en el rincón oculto de mi huerto encalado,
entre la flor, mi espíritu errará callando.

Y yo me iré, y seré otro, sin hogar, sin árbol
verde, sin pozo blanco,
sin cielo azul y plácido…
Y se quedarán los pájaros cantando.

Corazón en el viento en Poemas agrestes, 1910-1911.

Moguer (Huelva). Monument à Juan Ramón Jiménez. Plaza del Cabildo.

Victor Hugo

Victor Hugo, 1829. (Hugo Devéria). Paris, Musée carnavalet.

Soleils couchants

VI.

Le soleil s’est couché ce soir dans les nuées ;
Demain viendra l’orage, et le soir, et la nuit ;
Puis l’aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ;
Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s’enfuit!

Tous ces jours passeront; ils passeront en foule
Sur la face des mers, sur la face des monts,
Sur les fleuves d’argent, sur les forêts où roule
Comme un hymne confus des morts que nous aimons.

Et la face des eaux, et le front des montagnes,
Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts
S’iront rajeunissant; le fleuve des campagnes
Prendra sans cesse aux monts le flot qu’il donne aux mers.

Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête,
Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux,
Je m’en irai bientôt, au milieu de la fête,
Sans que rien manque au monde, immense et radieux !

Avril 1829.

Les feuilles d’automne (1831).

Luis Cernuda

Luis Cernuda (Ramón Gaya) 1932.

Je reprends ici le poème de Cernuda qui doit beaucoup aux surréalistes français, mais cette fois avec la très bonne traduction de Jacques Ancet, publiée en 1972 dans sa monographie Luis Cernuda pour la mythique collection des éditions Pierre Seghers Poètes d’aujourd’hui (n°207).

Si el hombre pudiera decir

Si el hombre pudiera decir lo que ama,
Si el hombre pudiera levantar su amor por el cielo
Como una nube en la luz;
Si como muros que se derrumban,
Para saludar la verdad erguida en medio,
Pudiera derrumbar su cuerpo, dejando sólo la verdad de su amor,
La verdad de sí mismo,
Que no se llama gloria, fortuna o ambición,
Sino amor o deseo,
Yo sería aquel que imaginaba;
Aquel que con su lengua, sus ojos y sus manos
Proclama ante los hombres la verdad ignorada,
La verdad de su amor verdadero.

Libertad no conozco sino la libertad de estar preso en alguien
Cuyo nombre no puedo oír sin escalofrío;
Alguien por quien me olvido de esta existencia mezquina,
Por quien el día y la noche son para mí lo que quiera,
Y mi cuerpo y espíritu flotan en su cuerpo y espíritu
Como leños perdidos que el mar anega o levanta
Libremente, con la libertad del amor,
La única libertad que me exalta,
La única libertad por que muero.

Tú justificas mi existencia:
Si no te conozco, no he vivido;
Si muero sin conocerte, no muero, porque no he vivido.

13 de abril de 1931.

Los placeres prohibidos (1931)

Si l’homme pouvait dire ce qu’il aime

Si l’homme pouvait dire ce qu’il aime,
Si l’homme pouvait élever son amour au ciel
Comme un nuage dans la lumière;
Si comme murs qui s’écroulent,
Pour saluer la vérité dressée au milieu,
Il pouvait détruire son corps, ne laissant que la vérité de son amour,
La vérité de lui-même,
Qui ne s’appelle ni gloire, ni fortune, ni ambition,
Mais amour ou désir,
Je serais celui que j’imaginais;
Celui qui de sa langue, de ses yeux et de ses mains
Proclame devant les hommes la vérité ignorée,
La vérité de son véritable amour.

Je ne connais d’autre liberté que celle d’être le captif d’un être
Dont je ne peux entendre le nom sans frisson;
Un être par qui j’oublie cette existence mesquine,
Par qui le jour et la nuit sont pour moi ce qu’il voudra,
Et mon corps et mon esprit flottent dans son corps et son esprit
Comme des planches perdues que la mer engloutit ou élève,
Librement, avec la liberté de l’amour,
L’unique liberté qui m’exalte,
L’unique liberté pour quoi je meurs.

Tu justifies mon existence:
Si je ne te connais pas, je n’ai pas vécu;
Si je meurs sans te connaître, je ne meurs pas, car je n’ai pas vécu.

(Traduction Jacques Ancet)

Une amie de la famille (Jean-Marie-Laclavetine)

Jean-Marie Laclavetine.

J’ai lu avec interêt le livre de Jean-Marie Laclavetine. Je n’avais encore jamais rien lu de lui. Ce romancier et nouvelliste est né en 1954. Il est aussi éditeur, membre du comité de lecture des éditions Gallimard depuis 1989 et directeur de “La Blanche”. Sa famille, plutôt traditionnelle, vécut d’abord à Bordeaux, puis à Tours. Son père était cheminot, toujours en déplacement; sa mère, assistante sociale.

Il se souvient de l’année 1968. Au cours d’une promenade près du phare de Biarritz, aux rochers de la Chambre d’amour, sa sœur aînée Annie fut emportée par une vague le 1 novembre 1968 à 15h35. Elle mourut noyée. L’auteur était présent ainsi que son frère Bernard et le fiancé d’Annie, Gilles. Sa famille, déchirée par le chagrin, s’est enfermée dans le silence. Jean-Marie Laclavetine affirme, lui, qu’il est né ce jour-là à 14 ans.
Avec ce roman, il mène l’enquête pour reconstruire l’histoire de cette disparition. Il ne cherche pas la vérité. Il essaie seulement de reconstituer l’image de cette jeune femme écorchée vive, libre, moderne. Elle étudiait l’espagnol, avait voyagé en Espagne et au Mexique. Ses auteurs préférés étaient Calderón, Machado, García Lorca.

«D’Annie que reste-t-il? Qui était-elle? L’ai-je connue? Ce grand trou de silence en moi, par qui est-il habité? Cinquante ans plus tard, je me penche enfin au bord du puits noir.»

Epigraphe: Guillaume Apollinaire, La maison des morts.

Car y a-t-il rien qui vous élève
Comme d’avoir aimé un mort ou une morte
On devient si pur qu’on en arrive
Dans les glaciers de la mémoire
A se confondre avec le souvenir
On est fortifié pour la vie
Et l’on n’a plus besoin de personne

Alcools, 1913.

«J’ai toujours pensé, quoi qu’il en soit, que la parole mémorielle est une autre forme d’ensevelissement, de déformation, de destruction progressive. Les mots , pas plus que le silence, ne peuvent rien contre la mort.»

«On ne rencontre pas les morts on les porte.»

« La littérature ne répare pas, elle rend possible une autre vie, elle permet aux flux vitaux confinés dans l’obscurité de recommencer à circuler, de passer d’un corps à l’autre. Elle est la vie, le sang qui court, elle n’évite ni les maladies, ni les contagions, ni les douleurs»

« J’aime les secrets, pourvoyeurs de mystère, et j’aime le silence, souvent plus chargé de sens que les bavardages communs.»

«Nous portons tous en nous notre propre mort, ou plus exactement nos morts successives, mais ces morts ne surviennent que pour donner naissance à de nouveaux aspects de nous-mêmes.»

« La littérature a peut-être du moins ce pouvoir de réunir ce qui se disperse, d’assembler ce qui s’éparpille au vent des destinées singulières, de coudre ensemble les lambeaux épars que la mémoire accroche dans les recoins de nos consciences.»

«La mort m’a fait ce que je suis»