Claudio Rodríguez

Claudio Rodríguez.

Lo que no es sueño

Déjame que te hable en esta hora
de dolor con alegres
palabras. Ya se sabe
que el escorpión, la sanguijuela, el piojo,
curan a veces. Pero tú oye, déjame
decirte que, a pesar
de tanta vida deplorable, sí,
a pesar y aun ahora
que estamos en derrota, nunca en doma,
el dolor es la nube,
la alegría, el espacio,
el dolor es el huésped,
la alegría, la casa.
Que el dolor es la miel,
símbolo de la muerte, y la alegría
es agria, seca, nueva,
lo único que tiene
verdadero sentido.
Déjame que con vieja
sabiduría, diga:
a pesar, a pesar
de todos los pesares
y aunque sea muy dolorosa y aunque
sea a veces inmunda, siempre, siempre
la más honda verdad es la alegría.
La que de un río turbio
hace aguas limpias,
la que hace que te diga
estas palabras tan indignas ahora,
la que nos llega como
llega la noche y llega la mañana,
como llega a la orilla
la ola:
irremediablemente.

Alianza y condena. 1965.

Ce qui n’est pas un songe

Laisse-moi te parler, à cette heure
de douleur, avec de joyeuses
paroles. On sait bien
que le scorpion, la sangsue, le pou,
soignent parfois. Mais toi écoute, laisse-moi
te dire que, malgré
tant de vies déplorables, oui,
malgré cela et même à présent
que nous sommes déroutés, jamais domptés,
la douleur est le nuage,
la joie, l’espace ;
la douleur est l’hôte,
la joie, la maison.
Car la douleur est le miel,
symbole de la mort, et la joie
est aigre, sèche, neuve,
la seule chose qui ait
un véritable sens.
Laisse la vieille sagesse
te dire :
malgré,
malgré tout,
et même si elle est très douloureuse, et même si
elle est parfois immonde, toujours, toujours
la plus profonde vérité est la joie.
Celle qui d’un fleuve trouble
fait des eaux claires,
celle qui me fait te dire
ces paroles si indignes à présent,
celle qui nous arrive comme
nous vient la nuit et comme le matin,
comme vient aux rives
la vague
irrémédiablement.

Poésie 1, n°52 – La nouvelle poésie castillane d’Espagne. 1978. Traduction : Annie Salager.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/09/14/claudio-rodriguez/

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/10/30/claudio-rodriguez-2/

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2023/06/13/claudio-rodriguez-1934-1999/

Zamora ( Castilla y León). El Duero.

Vicenta Fernández-Montesinos (Tica) 1930 – 2023

Federico García Lorca avec ses neveux, Manuel (1932-2013) et Vicenta (Tica) Fernández-Montesinos. Huerta de San Vicente (Grenade). Été 1935. (Eduardo Blanco Amor 1897-1979)

La nièce de Federico García Lorca, Vicenta Fernández-Montesinos García-Lorca (Tica) vient de mourir le 12 septembre 2023 dans une résidence pour personnes âgées d’Aravaca (Madrid). Elle était née le 9 décembre 1930.

Son père, Manuel Fernández-Montesinos (1901-1936), médecin, fut le maire socialiste de Grenade à partir du 1 juillet 1936. Sa mère, Concha García Lorca (1903-1962) était la soeur du poète. Le couple eut trois enfants : Vicenta (1930-2023), Manuel (1932-2013) et Concha (1936-2015). Cette dernière n’a connu ni son père ni son oncle.

Manuel Fernández-Montesinos fut fusillé le 16 août 1936 contre les murs du cimetière de la ville et enterré là. Son oncle, Federico fut assassiné à Víznar à l’aube du 18 août 1936. Son corps n’a jamais été retrouvé.

Tica Fernández-Montesinos avait 5 ans à la mort de son père et son oncle. C’était la dernière personne vivante qui ait connu le grand poète andalou. Elle se souvenait de son rire, de sa voix, de ses gestes.

« Mi tío me sentaba en sus rodillas y me cantaba, me recitaba, se reía con la o y me estiraba de las trenzas. » «De la voz de Tío Federico recuerdo las “eses”: tenían una forma parecida a como la dicen en Granada y Málaga». Malgré les efforts de nombreux chercheurs, on n’ a retrouvé aucun enregistrement de la voix du poète.

La nièce de Federico s’appelait Vicenta Pilar Concepción. Le poète était son parrain et avait choisi de lui donner le prénom de sa propre mère, Vicenta Lorca Romero (1870-1959).

Tica avait grandi dans la résidence d’été de la famille García Lorca, la Huerta de San Vicente, achetée en 1925, un vrai paradis pour les enfants. Toute la famille s’exila à New York en 1940.

C’était une femme intelligente, cultivée, féministe et antifranquiste.

Elle a publié deux livres de souvenirs : Notas deshilvanadas de una niña que perdió la guerra (Editorial Comares, Granada 2007) et El sonido del agua en las acequias (La familia de Federico García Lorca en América) (Dauro Ediciones, 2017). Ils évoquent sa vie à Grenade enfant, puis à New York, en exil.

L’historien anglais Paul Preston estime que 5000 personnes furent exécutées pendant la Guerre Civile à Grenade. (El holocausto español: odio y exterminio en la guerra civil y después. Debate, 2011. Traduction française : Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1945, Belin, 2016).

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2020/12/15/federico-garcia-lorca-tica/

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2022/10/10/federico-garcia-lorca-24/

Paul Éluard – Charles Baudelaire

Paul Éluard, 1945.

Paul Éluard (Eugène Grindel) est né le 14 décembre 1895 à Saint-Denis. Il est mort d’une crise cardiaque à Charenton-le-Pont le 18 novembre 1952 à 56 ans. Les oeuvres littéraires tombent en général dans le domaine public 70 ans après la mort de leur auteur. C’est aussi le cas du poète surréaliste à partir du 1 janvier 2023. On constate donc un nombre important de publications et de rééditions de cet écrivain. Les Éditions Seghers ont republié tout leur fonds Éluard avec une nouvelle maquette qui rappelle ” Poètes d’aujourd’hui “. Il avait été le premier poète publié en mai 1944 dans cette collection.

Le Temps des Cerises a édité deux anthologies en avril 2023.

La mémoire des nuits – Tome 1. Poèmes choisis et présentés par Olivier Barbarant et Victor Laby.
La mémoire des nuits – Tome 2. Ecrits sur l’art. Textes choisis et présentés par Olivier Barbarant et Victor Laby.
Ces deux tomes regroupent plus de quarante recueils de poèmes, des discours, des préfaces et des articles. Ils soulignent les liens entretenus par Paul Éluard avec les grands artistes de son temps. Ils ne favorisent pas l’une des époques de l’écrivain au regard d’une autre.

C’est le tome II qui m’a particulièrement intéressé. On y trouve trois textes sur Charles Baudelaire. Voici le premier.

Paul Éluard. Préface au Choix de Textes de Charles Baudelaire. Éditions GLM, 1939. Avec un portrait par Marcoussis.

« Baudelaire aux bras tendus aux mains ouvertes, juste entre les hommes, homme entre les justes et Baudelaire malheureux, oublié, exilé, absurde. Baudelaire blanc, Baudelaire noir, jour et nuit le même diamant, dégagé des poussières de la mort.

Comment un tel homme, que ses contemporains traitent d’idole orientale, monstrueuse et difforme, de héros de cour d’assises, de pensionnaire de Bicêtre, de guillotiné, comment un tel homme, fait comme pas un autre pour réfléchir le doute, la haine, le mépris, le dégoût, la tristesse pouvait-il manifester si hautement ses passions et vider le monde de son contenu pour en accuser les beautés défaites, les vérités souillées, mais si soumises, si commodes ? Pourquoi s’était-il donné pour tâche de lutter, avec une rigueur inflexible, contre la saine réalité, contre cette morale d’esclaves qui assure le bonheur et la tranquillité des prétendus hommes libres ? Pourquoi opposait-il le mal à faire au bien tout fait, le diable à Dieu, l’intelligence à la bêtise, les nuages au ciel immobile et pur ? Écoutez-le dire, avec quelle violence désespérée, qu’il mentirait en n’avouant pas que tout lui-même est dans son livre. Il fait profession de foi de « franchise absolue, moyen d’originalité ». Malgré la solitude, malgré la pauvreté, malgré la maladie, malgré les lois, il avoue, il combat. Toutes les puissances du malheur se sont rangées de son côté. Peut-être y a-t-il quelque chance de gagner ? Le noir, le blanc triompheront-ils du gris, de la saleté ? La main vengeresse achèvera-t-elle d’écrire, sur les murs de l’immense prison, la phrase maudite qui les fera crouler ? Mais la lumière faiblit. La phrase était interminable. Baudelaire ne voit plus les mots précieux, mortels. Ses armes le blessent. Une fois de plus, il découvre sa propre fin. Où des juges avaient été impuissants, la maladie réussit. Baudelaire est muet. De l’autre côté des murs, la nuit recommence à gémir.

« Je ne conçois guère (mon cerveau serait-il un miroir ensorcelé ?) un type de Beauté où il n’y ait du Malheur. » Ce goût du malheur fait de Baudelaire un poète éminemment moderne, au même titre que Lautréamont ou Rimbaud. Á une époque où le sens du mot bonheur se dégrade de jour en jour, jusqu’à devenir synonyme d’inconscience, ce goût fatal est la vertu surnaturelle de Baudelaire. Ce miroir ensorcelé ne s’embue pas. Sa profondeur préfère les ténèbres tissées de larmes et de peurs, de rêves et d’étoiles aux lamentables cortèges des nains du jour, des satisfaits noyés dans leur sourire béat. Tout ce qui s’y reflète profite de l’étrange lumière que les ombres d’une vie infiniment soucieuse d’elle-même créent et fortifient, avec amour. »

Choix de Textes de Charles Baudelaire. Éditions GLM, 1939. Préface par Paul Éluard avec un portrait par Marcoussis.


Ángel González

Ángel González.

Ángel González Muñiz est né le 6 septembre 1925 à Oviedo (Asturies).

Son enfance est marquée par la mort de son père, professeur de sciences et de pédagogie à l’école normale d’Oviedo en 1927 alors qu’il n’a que dix-huit mois. Sa situation familiale s’aggrave encore lorsque, pendant la Guerre civile espagnole, son frère Manuel est fusillé par les franquistes en novembre 1936. Son autre frère, Pedro, républicain aussi, doit s’exiler. Sa soeur Maruja ne peut plus exercer son métier d’institutrice.

La tuberculose l’empêche de terminer ses études de droit. Il devient ensuite fonctionnaire, puis professeur de littérature espagnole contemporaine aux États-Unis.

il fait partie du groupe de poètes appelé «Génération de 50» ou «Génération du milieu du siècle» qui compte aussi José Ángel Valente, Jaime Gil de Biedma, Carlos Barral, José Agustín Goytisolo, José Manuel Caballero Bonald, Claudio Rodríguez, Francisco Brines…

En 1985, il reçoit le prix Prince des Asturies de littérature. En janvier 1996, il est élu membre de l’Académie royale espagnole. La même année, il obtient le Prix Reina Sofía de Poésie ibéroaméricaine.

Il meurt le 12 janvier 2008 d’une insuffisance respiratoire à l’âge de 82 ans.

Esto no es nada

Si tuviésemos la fuerza suficiente
para apretar como es debido un trozo de madera,
sólo nos quedaría entre las manos
un poco de tierra.
Y si tuviésemos más fuerza todavía
para presionar con toda la dureza
esa tierra, sólo nos quedaría
entre las manos un poco de agua.
Y si fuese posible aún
oprimir el agua,
ya no nos quedaría entre las manos
nada.

Áspero mundo. Adonais, Madrid, 1956.

Tout cela n’est rien

Si nous avions suffisamment de force
pour bien serrer un morceau de bois,
il ne resterait entre nos mains
qu’un peu de terre.
Et si nous avions plus de force encore
pour écraser avec toute notre énergie
cette terre, il ne nous resterait
entre les mains qu’un peu d’eau.
Et s’il était possible aussi
de comprimer l’eau,
il ne resterait alors entre nos mains
rien du tout.

Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995. Traduction : Claude de Frayssinet. Points-Poésie, 2007.

Soneto

Donde pongo la vida pongo el fuego
de mi pasión volcada y sin salida.
Donde tengo el amor, toco la herida.
Donde dejo la fe, me pongo en juego.

Pongo en juego mi vida, y pierdo, y luego
vuelvo a empezar, sin vida, otra partida.
Perdida la de ayer, la de hoy perdida,
no me doy por vencido, y sigo, y juego.

lo que me queda : un resto de esperanza.
Al siempre va. Mantengo mi postura.
Si sale nunca, la esperanza es muerte.

Si sale amor, la primavera avanza.
Pero nunca o amor, mi fe segura:
jamás o llanto, pero mi fe fuerte.

Sin esperanza, con convencimiento. Colliure, Barcelona, 1961.

Sonnet

Là où j’apporte la vie j’apporte aussi le feu
de ma passion entière et sans issue.
Si l’amour a surgi, j’en ressens la blessure.
Et si je montre ma foi, je joue avec ma vie.

Je mets ma vie en jeu, je perds
et je recommence, sans ma vie, la nouvelle partie.
Déjà je l’ai perdue, je la reperds encore aujourd’hui,
je ne m’avoue pas vaincu, je m’obstine

et je joue ce qui me reste : un lambeau d’espérance.
Je joue à « toujours va ». Je maintiens mon enjeu.
Si le sort dit « jamais », mon espérance est morte.

Si le sort dit « amour », le printemps s’avance.
« Jamais » ou « amour », ma foi est grande ;
« jamais» ou « larmes », ma foi demeure forte.

Anthologie bilingue de la poésie espagnole contemporaine. Marabout Université, Verviers (Belgique), 1969. Traduction : Jacinto Luis Guereña.

Porvenir
Te llaman porvenir
porque no vienes nunca.
Te llaman: porvenir,
y esperan que tú llegues
como un animal manso
a comer en su mano.
Pero tú permaneces
más allá de las horas,
agazapado no se sabe dónde.
… Mañana!
Y mañana será otro día tranquilo
un día como hoy, jueves o martes,
cualquier cosa y no eso
que esperamos aún, todavía, siempre.

Sin esperanza, con convencimiento. Colliure, Barcelona, 1961.

Avenir

On t’appelle avenir
parce que tu ne viens jamais.
On t’appelle : avenir,
et on attend que tu arrives
comme un animal docile
manger dans leur main.
Mais tu restes
au-delà des heures,
caché on ne sait où.
… Demain !
Et demain sera un jour tranquille
un jour comme aujourd’hui, jeudi ou mardi,
n’importe quel jour et non ce
que nous attendons encore et encore, toujours.

Charles Baudelaire

Honfleur, Médiathèque. « Mon installation à Honfleur a toujours été le plus cher de mes rêves » (Charles Baudelaire)

Nous avons passé une journée à Honfleur le 24 août dernier. 1982-2023. 41 ans. C’est l’âge de P. J’ai lu l’ouvrage de Catherine Delons, Baudelaire et Honfleur ( Éditions Charles Corlet, 2023), acheté à L’Office de Tourisme qui se trouve dans le même bâtiment que la Bibliothèque/Médiathèque.

« Mon installation à Honfleur a toujours été le plus cher de mes rêves ». Cette citation du poète apparaît sur la verrière. Elle figure dans une lettre qu’il adresse à sa mère de Bruxelles le lundi 5 mars 1866, 3 semaines avant l’attaque qui le laissera hémiplégique et aphasique et 18 mois avant sa mort le 31 août 1867.

Honfleur, ” La Maison joujou “, détruite en 1901. Façade côté jardin.

Le général Aupick, beau-père haï par Charles, achète une petite maison à Honfleur sur la côte de Grâce, rue de Neubourg (aujourd’hui Rue Alphonse Allais) pour en faire sa résidence secondaire. Il acquiert un an plus tard une parcelle de terrain supplémentaire. Il fait quelques aménagements. Il ajoute des vérandas dont une surnommée Mirador sur le côté est de la maison, une serre pour ses plantes exotiques et un kiosque dans le jardin. Il meurt à Paris le 27 avril 1857. Mme Aupick, la mère du poète, s’installe à Honfleur en juin 1857, peu de temps avant la publication des Fleurs du mal. Baudelaire fait un premier et bref voyage là-bas le 20 octobre 1958. Il y séjournera deux fois en 1859 (fin janvier- fin février; mi-avril-mi-juin). Il surnomme cette maison en forme de chalet avec un étage mansardé la “Maison joujou”. Il y reviendra du 15 au 20 octobre 1860. Après son départ à Bruxelles le 24 avril 1864, il voyage à Paris et Honfleur le 4 et 5 juillet pour obtenir de l’argent de Mme Aupick. Baudelaire meurt le 31 août 1867 et sa mère le 16 août 1871. De 1899 à 1900, Alphonse Allais en est le locataire. En 1901, l’hospice civil de Honfleur rachète la maison. Elle est détruite pour agrandir l’hôpital et construire une morgue. La Ville a donné le nom du poète à une rue en 1930 et une plaque a été posée à l’endroit où la maison était érigée. L’hôpital a fermé en 1977.

Relecture de deux poèmes des Fleurs du mal.

LXXX Le goût du néant

Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,
L’Espoir, dont l’éperon attisait ton ardeur,
Ne veut plus t’enfourcher ! Couche-toi sans pudeur,
Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte.

Résigne-toi, mon cœur; dors ton sommeil de brute.

Esprit vaincu, fourbu ! Pour toi, vieux maraudeur,
L’amour n’a plus de goût, non plus que la dispute ;
Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte !
Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur !

Le Printemps adorable a perdu son odeur !

Et le Temps m’engloutit minute par minute,
Comme la neige immense un corps pris de roideur ;
Je contemple d’en haut le globe en sa rondeur
Et je n’y cherche plus l’abri d’une cahute.

Avalanche, veux-tu m’emporter dans ta chute ?

Les Fleurs du mal, Édition de 1861.

C

La servante au grand coeur dont vous étiez jalouse,
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,
Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.
Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,
Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres,
Son vent mélancolique à l’entour de leurs marbres,
Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,
À dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,
Tandis que, dévorés de noires songeries,
Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,
Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,
Ils sentent s’égoutter les neiges de l’hiver
Et le siècle couler, sans qu’amis ni famille
Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.

Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir,
Calme, dans le fauteuil je la voyais s’asseoir,
Si, par une nuit bleue et froide de décembre,
Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,
Grave, et venant du fond de son lit éternel
Couver l’enfant grandi de son oeil maternel,
Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,
Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ?

Les Fleurs du Mal, Édition de 1861.

Vieux livre de poche acheté en 1969.

Antonio Gamoneda

Antonio Gamoneda.

Antonio Gamoneda est né dans les Asturies à Oviedo en 1931. Il vit à León depuis 1934. Son père meurt en 1932. Sa mère l’élève dans une banlieue ouvrière, en proie à toutes sortes de difficultés matérielles. Il doit abandonner ses études en 1943 et travailler comme coursier dès 1945. Il a une formation d’autodidacte et a connu l’extrême pauvreté de l’après-guerre et la répression franquiste.
Il a obtenu de nombreux prix dont le Prix Cervantès en 2006.

Malos recuerdos

La vergüenza es un sentimiento revolucionario

Karl Marx

Llevo colgados de mi corazón
los ojos de una perra y, más abajo,
una carta de madre campesina.

Cuando yo tenía doce años,
algunos días, al anochecer,
llevábamos al sótano a una perra
sucia y pequeña.

Con un cable le dábamos y luego
con las astillas y los hierros. (Era
así. Era así.
Ella gemía,
se arrastraba pidiendo, se orinaba,
y nosotros la colgábamos para pegar mejor).

Aquella perra iba con nosotros
a las praderas y los cuestos. Era
veloz y nos amaba.

Cuando yo tenía quince años,
un día, no sé cómo, llegó a mí
un sobre con la carta de un soldado.

Le escribía su madre. No recuerdo:
«¿Cuándo vienes? Tu hermana no me habla.
No te puedo mandar ningún dinero…»

Y, en el sobre, doblados, cinco sellos
y papel de fumar para su hijo.
«Tu madre que te quiere.»
No recuerdo
el nombre de la madre del soldado.

Aquella carta no llegó a su destino:
yo robé al soldado su papel de fumar
y rompí las palabras que decían
el nombre de su madre.

Mi vergüenza es tan grande como mi cuerpo,
pero aunque tuviese el tamaño de la tierra
no podría volver y despegar
el cable de aquel vientre ni enviar
la carta del soldado.

Blues castellano, Gijón, Noega, 1982.

Mauvais souvenirs

La honte est un sentiment révolutionnaire
Karl Marx

Je porte à mon coeur pendus
les yeux d’une chienne et, plus bas,
une lettre de mère paysanne.

Quand j’avais douze ans,
un jour, à la tombée de la nuit,
nous emmenâmes à la cave une chienne
sale et petite.

Avec un câble nous la maltraitâmes et aussi
avec des échardes et des fers. (C’était
ainsi. C’était ainsi.
Elle gémissait,
elle se traînait suppliante, elle urinait,
et nous la pendions pour mieux la maltraiter).

Cette chienne venait avec nous
aux pâturages et sur les coteaux. Elle courait
vite et nous aimait.

Quand j’avais quinze ans,
un jour, je ne sais pas comment, parvint à moi
une enveloppe avec une lettre pour un soldat.

Sa mère lui écrivait. Je ne sais plus:
“Quand reviens-tu ? Ta soeur ne me parle pas.
Je ne puis t’envoyer d’argent… “

Et, dans l’enveloppe, il y avait, cinq timbres pliés
et du papier à cigarettes pour son fils.
“Ta mère qui t’aime.”
Je ne me souviens pas
du nom de la mère du soldat.

Cette lettre n’est pas arrivée à sa destination :
j’ai volé au soldat son papier à cigarettes
et j’ai déchiré les mots qui disaient
le nom de la mère.

Ma honte est aussi grande que mon corps,
mais serait-elle aussi vaste que la terre
je ne pourrais pas retourner pour détacher
le câble de ce ventre ni envoyer
la lettre au soldat.

Blues castillan. José Corti, 2004. Traduction Jacques Ancet.

Existían tus manos

Existían tus manos

Un día el mundo se quedó en silencio;
los árboles, arriba, eran hondos y majestuosos,
y nosotros sentíamos bajo nuestra piel
el movimiento de la tierra.

Tus manos fueron suaves en las mías
y yo sentí la gravedad y la luz
y que vivías en mi corazón.

Todo era verdad bajo los árboles,
todo era verdad. Yo comprendía
todas las cosas como se comprende
un fruto con la boca, una luz con los ojos.

Exentos I in Edad (Poesia 1947-1986). Cátedra, Madrid. 1987.

Il existait tes mains…

Il existait tes mains.

Un jour le monde devint silencieux ;
les arbres, là-haut, étaient profonds et majestueux,
et nous sentions sous notre peau
le mouvement de la terre.

Tes mains furent douces dans les miennes
et j’ai senti en même temps la gravité et la lumière,
et que tu vivais dans mon cœur.

Tout était vérité sous les arbres,
tout était vérité. Je comprenais
toutes choses comme on comprend
un fruit avec la bouche, une lumière avec les yeux.

Poésie espagnole, Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud /Editions Unesco, 1995. Traduction Claude de Frayssinet.




    

Federico García Lorca

Dernière photo connue de Federico García Lorca. Madrid, Juillet 1936. Il se trouve avec Manuela Arniches à la terrasse du Café Chiki-Kutz, Paseo de Recoletos 29.

Sur Twitter, on peut lire trois publications du journaliste culturel du quotidien La Razón, Víctor Fernández :

” Un día como hoy de 1936, el personaje de esta foto, Ramón Ruiz Alonso, se enteraba del lugar en el que Lorca estaba escondido. Por la tarde, redactaba la denuncia contra él y al día siguiente, con el visto bueno del Gobierno Civil de Granada, detenía al poeta. “

“Le 15 août 1936, ce personnage, Ramón Ruiz Alonso, apprenait où était caché Lorca. L’après-midi, il rédigeait une lettre de dénonciation et le lendemain, avec l’accord de la Préfecture de Grenade, il arrêtait le poète.”

Ramón Ruiz Alonso (1903-1982)

« Un día como hoy de 1936, Lorca fue detenido por los fascistas de Granada. Fue llevado al Gobierno Civil donde lo torturaron. Pocas horas después fue llevado a un paraje entre Víznar y Alfacar donde fue asesinado con otras tres víctimas. »

« Le 16 août 1936, Federico García Lorca fut arrêté par les fascistes de Grenade et emmené à la préfecture où il fut torturé. Peu de temps après il fut transféré dans un endroit entre Víznar et Alfacar où il fut assassiné avec trois autres victimes. »

« Éste es José Valdés Guzmán, el hombre que ordenó el asesinato de Lorca y de centenares de granadinos. Una urbanización lleva hoy su nombre en Granada. »

« Voici José Valdés Guzmán, l’homme qui a ordonné l’assassinat de Lorca et de centaines d’habitants de Grenade. Une zone résidentielle porte aujourd’hui son nom à Grenade. »

José Valdés Guzmán (1891-1939)

Federico García Lorca fut probablement fusillé le 18 août 1936 vers 4h 45 du matin. Son corps n’a jamais été retrouvé. Il fut exécuté et enterré dans une fosse commune avec un instituteur, Dióscoro Galindo, et deux banderilleros anarchistes, Francisco Galadí et Joaquín Arcollas. José Valdés Guzmán demanda son avis à Gonzalo Queipo de Llano, général putchiste surnommé le vice-roi d’Andalousie. De Séville, celui-ci lui aurait répondu : «Dale café, mucho café». “El crimen fue en Granada”, il y a 87 ans. Le poète fait partie des 130.000 républicains disparus pendant la Guerre Civile et la répression qui suivit la fin du conflit.

Gonzalo Queipo de Llano (1875-1951)

Manuel Machado 1874 – 1947

Manuel et Antonio Machado (José Machado), 1931.

Manuel Machado, poète et dramaturge, est né le 29 août 1874 à Séville. Le frère aîné d’Antonio Machado – né lui le 26 juillet 1875 – est un des représentants du modernisme en Espagne. Sa poésie est influencée par Verlaine et Rubén Darío, mais aussi par le folklore de sa région natale. Les deux frères ont écrit de concert plusieurs pièces de théâtre d’ambiance andalouse. En 1910, Manuel a épousé sa cousine, Eulalia Cáceres, femme profondément religieuse et conservatrice. Il est directeur de la bibliothèque municipale (actuelle bibliothèque historique municipale) et du musée d’histoire de Madrid de 1924 à 1944. Au début de la Guerre Civile, le couple se trouve à Burgos, ville contrôlée par les franquistes. Le conflit le sépare du reste de sa famille. En 1938, il est désigné pour occuper un fauteuil à l’Académie royale espagnole. Son appui au général Franco lui a valu la reconnaissance du régime, mais aussi le mépris de nombreux critiques et poètes postérieurs. Manuel Machado est mort le 19 janvier 1947 à Madrid. Il avait 72 ans.

Certains de ses poèmes méritent d’être relus. On peut se reporter à Poesías completas. Editorial Renacimiento. Ediciones Espuela de plata. 2019.

Ocaso

Era un suspiro lánguido y sonoro
la voz del mar aquella tarde… El día,
no queriendo morir, con garras de oro
de los acantilados se prendía.

Pero su seno el mar alzó potente,
y el sol, al fin, como en soberbio lecho,
hundió en las olas la dorada frente,
en una brasa cárdena deshecho.

Para mi pobre cuerpo dolorido,
para mi triste alma lacerada,
para mi yerto corazón herido,

para mi amarga vida fatigada…
¡el mar amado, el mar apetecido,
el mar, el mar, y no pensar nada…!

Alma (poesías), 1902.

Alma. Museo. Los cantares, 1907. Deuxième édition du recueil par le libraire Gregorio Pueyo. Dessin de Juan Gris.

Francisca Aguirre

La lecture d’Irene Vallejo sur Twitter m’a incité à relire deux poèmes de Francisca Aguirre.

Francesca Aguirre (Álvaro García). Novembre 2018.

Despedida

Decir adiós quiere decir tan poco.
Adiós dijimos a la infancia
y vino detrás nuestro como un perro
rastreando nuestros pasos.
Decir adiós: cerrar esa obstinada puerta que se niega,
la persistente cicatriz que destila memoria.
Decir adiós: decir que no; ¿quién lo consigue?
¿quién encontró la mágica llave?
¿quién el instante que nos desliza hacia el olvido,
la mano que extirpará raíces
sin quedarse para siempre cerrada sobre ellas?
Decir adiós: volver la espalda; pero
¿quién sabe dónde está la espalda?
¿quién conoce el camino que no muere en el pisado atajo?
Decir adiós: gritar porque se está diciendo
y llorar porque no se dice nada;
porque decir adiós nunca es bastante,
porque tal vez decir adiós completamente
sea encontrar el recodo donde volver la espalda,
donde hundirse en el no definitivo
mientras escapa lentamente la vida.

Ensayo general. Poesía completa 1966-2000. Madrid, Calambur. 2000. Page 61.

Penélope desteje

Siempre hay adolescencia y nada en el atardecer.

Cuando el suave recodo de la tarde
insinúa su curva desolada,
algo también en nosotros se inclina.
Muy pocas cosas tenemos entonces,
ninguna posesión nos acompaña,
ninguna posesión nos ultraja tampoco.
Hay un lento desastre en estas horas
que parecen las únicas del día,
las que nos dejan en el viejo límite,
las que no pueden entregarnos nada,
a las que no pedimos nada.
Hay un desastre tierno y descompuesto
en las últimas horas de este día
que ha pasado lo mismo que los otros,
e igual que ellos ha alcanzado
esa hermosura ardiente
de todo cuanto se asoma hacia la nada.
Inclinada sobre el hueco de mi ventana
veo cómo resbala todo un tiempo;
la tarde ha embalsamado suavemente
el bullicioso suceder de la calle,
se va agotando el cielo poco a poco
y un estallido de paciencia
envuelve al mundo en suaves abrazos de ceniza.

Mientras la noche se abre en las esquinas,
cuaja la luna unas flores extrañas.

Ítaca. Madrid, Cultura Hispánica. 1971.

Torcy (Seine-et-Marne). Coucher de soleil. 12 août 2023.

Francisca Aguirre est née à Alicante le 27 octobre 1930 dans une famille d’artistes. Autodidacte, elle commence à écrire à l’adolescence. Les poètes qui l’inspirent sont Pablo Neruda, Miguel Hernández, Vicente Aleixandre, Antonio Machado, Blas de Otero, José Hierro, Constantin Cavafis.

À la fin de la Guerre d’Espagne, elle doit s’exiler avec sa famille en France. Son père, le peintre républicain Lorenzo Aguirre (1884-1942), est condamné à mort par la dictature franquiste et est exécuté au garrot le 6 octobre 1942 à la prison de Porlier de Madrid. Á 15 ans, elle commence travailler pour aider sa mère et ses deux soeurs.

Dans les années 50, elle fréquente les cercles littéraires de l’Ateneo de Madrid et le Café Gijón. Elle se lie d’amitié avec des écrivains tels que Luis Rosales, Gerardo Diego, Miguel Delibes, Antonio Buero Vallejo, Julio Cortázar, Juan Rulfo. Elle appartient à la génération de 1950 ( José Ángel Valente, Francisco Brines, Ángel González, Jaime Gil de Biedma o José Manuel Caballero Bonald), mais n’apparaît pas dans les anthologies. Elle rencontre le poète, critique littéraire et spécialiste du flamenco Félix Grande (1937-2014) qu’elle épouse en 1963. Le couple s’installe dans le quartier de Chamberí. Leur maison (Calle Alenza, 8) est connue alors comme ” l’Ambassade de l’Argentine et du Pérou ” en raison des visites d’intellectuels qu’elle reçoit, au cœur du militantisme politique et des idées de mai 68.
À partir de 1971, elle travaille à l’Institut de Culture Hispanique comme secrétaire du poète Luis Rosales (1910-1992). Elle reçoit le Prix National de Poésie en 2011 pour Historia de una anatomía (Madrid, Hiperión, 2010) et le Prix National des Lettres Espagnoles en 2018.
Elle meurt à Madrid le 13 avril 2019 à 88 ans. Sa fille Guadalupe Grande (1965-2021) était aussi poète.

Recueils de poésie :
1971 Ítaca. Madrid, Cultura Hispánica.
1976 Los trescientos escalones. San Sebastián, Caja de Ahorros Provincial de Guipúzcoa.
1978 La otra música. Madrid, Ediciones Cultura Hispánica.
1995 Ensayo general. El Ferrol, La Coruña. Sociedad de Cultura Valle-Inclán.
1998 Pavana del desasosiego. Madrid, Ediciones Torremozas.
2000 Ensayo general. Poesía completa 1966-2000. Madrid, Calambur.
2002 Memoria arrodillada. Antología. Valencia, Institució Alfons el Magnànim.
2006 La herida absurda. Madrid Bartleby Editores.
2008 Nanas para dormir desperdicios. Madrid, Hiperión.
2010 Historia de una anatomía. Madrid, Hiperión.
2011 Los maestros cantores. Madrid, Calambur Editorial.
2012 Conversaciones con mi animal de compañía. Madrid, Ediciones Rilke.
2018 Ensayo general. Poesía completa 1966-2017. Madrid, Calambur.
2019 Prenda de abrigo. Antología poética. Olé Libros.

Elle dit en novembre 2018 : “Escribes para no andar a gritos y para no volverte loca. La poesía tranquiliza. A mí me ayuda. El mundo es injusto, pero el lenguaje es inocente. El poder de las mujeres es tener la oportunidad de decir que no. Por eso es tan importante la educación, la independencia. Queda mucho por hacer porque la desigualdad sigue siendo enorme: entre hombre y mujeres, entre ricos y pobres…”.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/11/14/francisca-aguirre-1930/

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/01/04/guadalupe-grande-aguirre-1965-2021/

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/11/14/lorenzo-aguirre-1884-1942/

Francisco de Quevedo

Sculpture de Francisco de Quevedo. Balcon de la calle Escritorios, nº 11. Alcalá de Henares (Comunidad de Madrid ).

Francisco Gómez de Quevedo Villegas y Santibáñez Cevallos est né, probablement, le 14 septembre 1580 à Madrid. Il est mort le 8 septembre 1645 à Villanueva de los Infantes (Ciudad Real).
Il était laid, boiteux et myope (en espagnol, los quevedos, ce sont les lorgnons). Il avait deux passions : la politique et l’écriture. Cet homme incarne toutes les contradictions de l’Espagne décadente de son époque. Il est réactionnaire, misogyne, antisémite et arriviste. Il attaque férocement la “nouvelle poésie”, et particulièrement Góngora et Lope de Vega. Il connaîtra l’exil et la prison. Il est enfermé de 1639 à 1643 par le Conde-Duque de Olivares, ministre favori de Philippe IV, dans un cachot du Couvent de San Marcos de León, prison misérable et humide, où sa santé se dégrade. Pendant la Guerre Civile espagnole, cet endroit servira de camp de concentration pour les prisonniers républicains. De 15 000 à 20 000 personnes y furent enfermées. Beaucoup seront fusillés. La population carcérale atteindra jusqu’à 6 700 hommes. C’est aujourd’hui un luxueux parador.
Quevedo est un maître de l’écriture conceptiste. Son oeuvre, d’un pessimisme noir est toujours hantée par la mort. Elle a eu une influence considérable sur Rubén Darío, César Vallejo, Jorge Luis Borges, Pablo Neruda, Octavio Paz, Miguel de Unamuno, Ramón del Valle-Inclán, Jorge Guillén, Dámaso Alonso, Miguel Hernández, Blas de Otero, Camilo José Cela…

Convento de San Marcos de León (1515-1716), chef d’oeuvre du style plateresque espagnol.

Salmo XIX

¡Cómo de entre mis manos te resbalas!
¡Oh, cómo te deslizas, edad mía!
¡Qué mudos pasos traes, oh muerte fría,
pues con callado pie todo lo igualas!

Feroz de tierra el débil muro escalas,
en quien lozana juventud se fía;
mas ya mi corazón del postrer día
atiende el vuelo, sin mirar las alas.

¡Oh condición mortal! ¡Oh dura suerte!
¡Que no puedo querer vivir mañana,
sin la pensión de procurar mi muerte!

¡Cualquier instante de la vida humana
es nueva ejecución, con que me advierte
cuán frágil es, cuán mísera, cuán vana.

Psaume XIX

Entre mes mains oh ! comme tu ruisselles
mon âge, comme tu t’évanouis :
Oh ! froide mort, quels pas tu fais, sans bruit :
d’un pied muet, c’est tout que tu nivelles.

Féroce, au faible mur tu mets l’échelle
en qui la fraîche jeunesse se fie ;
pourtant mon coeur du dernier jour épie
déjà le vol, sans regarder ses ailes.

Oh ! condition mortelle ! oh ! âpre sort !
Car je ne puis vouloir vivre demain
sans le souci de rechercher ma mort !

Et chaque instant de cette vie humaine
est une exécution qui dit combien
elle est fragile et pauvre, et combien vaine.

Les furies et les peines. 102 sonnets. 2010. Traduction Jacques Ancet. Collection NRF Poésie/Gallimard. N°463.

Notes
Vers 1-2 : « Il est certain que l’homme, dès qu’il naît, commence à mourir, et que le pied nouveau-né qui ne peut faire un pas dans la vie, le fait dans la mort. » Providencia de Dios, cité par Juan Manuel Blecua dans Poemas escogidos. Clásicos Castalia, Madrid, 1989. Salmo XVIII : “Antes que sepa andar el pie, se mueve camino de la muerte…” ( ” Vient-il déjà le pied à naître à peine, qu’il marche vers la mort… “

Vers 14 : Cette idée, venue de Sénèque, Quevedo la répète souvent : « Omnia mors poscit. Lex est, non poena, perite. » (« La mort emporte tout. C’est une loi, non un châtiment, que de mourir. »)

Des prisonniers dans le patio du Couvent de San Marcos.