Jean-Luc Sarré

Jean-Luc Sarré était né à Oran en 1944. Il vivait à Marseille depuis 1968. Il participa aux premiers numéros de la revue Sud de Jean Malrieu et publia ses poèmes dans des revues comme Argile, Port des Singes, Europe et Action Poétique. Ses recueils furent publiés par Orange Export Limited, Flammarion, Fourbis-Farrago, La Dogana et Le Bruit du Temps. Il est décédé du cancer le 3 février 2018 à Marseille.

Je l’ai découvert grâce à Antoine Jaccottet qui a créé la maison d’édition Le Bruit du Temps (66 Rue du Cardinal Lemoine, 75005 Paris). J’aime ses carnets, je suis moins sensible à ses poèmes.

Quelques-uns des livres de Jean Luc Sarré:
Extérieur blanc, Flammarion, 1983  (poèmes).
La Chambre, Flammarion, 1986 (poèmes).
Les Journées immobiles, Flammarion, 1990 (poèmes).
Rurales, urbaines et autres, Fourbis, 1991, repris dans Comme si rien ne pressait, La Dogana, 2010 (carnets).
Embardées, La Dogana, 1994 (poèmes).
Au crayon, Farrago, 1999, repris dans Comme si rien ne pressait, La Dogana, 2010 (carnets).
Affleurements, Flammarion, 2000 (poèmes).
Bardane, Farrago, 2001 (poèmes).
Poèmes costumés, Farrago, 2003 (poèmes).
Bât. B2, Farrago, 2006 (poèmes).
La Part des anges, La Dogana, 2007 (poèmes).
Autoportrait au père absent, Le Bruit du temps, 2010 (poèmes).
Comme si rien ne pressait, Carnets 1990-2005, La Dogana, 2010 (carnets).
Ainsi les jours, Le Bruit du temps, 2014 (carnets).
Poèmes costumés suivi de Bât. B2, Le Bruit du temps, 2017 (poèmes/poche).
Apostumes, Le Bruit du temps, 2017 (carnets).

Jean-Luc Sarré, Ainsi vont les jours:
«J’ai peu fréquenté l’espoir mais assez cependant pour le reconnaître sous les traits de son absence.»
« Voici des années que je ne vis plus grand-chose, pour ne pas dire rien, mais souvent très intensément.»
«Les solutions sont des réponses, je préfère les questions.»
«Mon but? Il m’atteindra tôt ou tard.»
« Oran. Eté 43. Etre le fruit d‘une négligence, une faute d’étourderie, une coquille, un cuir, un lapsus…c’est, au bout du compte, plutôt léger à porter. J’aurais trouvé plus contrariant qu’on ait pu «me vouloir».
«Le mal du pays? Je suis né avec.»
«Visiterais-je plus souvent ma jeunesse algérienne si elle n’était synonime de lumière brutale? Ce n’est peut-être là qu’un prétexte ou une raison parmi tant d’autres ou bien encore une sujétion car, dans cette lumière, baignent nombre de mes souvenirs. (Devant la fenêtre alors que tombe la pluie)»
«Les jours rallongent et je ne suis pas prêt.»
«On vit (…) le désespoir, mais on ne vit pas l’absence d’espoir…»

Jean-Luc Sarré, Apostumes:
«Est-ce par ce qu’il m’est arrivé de me sentir culpabilisé par l’histoire que je n’emploie jamais l’expression «terre natale»? (…) Ne pas appartenir.»
«Me voici devenu un vieux con. Ça devait finir ainsi. Un évolution tout ce qu’il y a de plus logique quand je considère le chemin parcouru. En être conscient est une bien maigre consolation.»
«Non seulement je n’ai pas tiqué mais nous avons franchement ri, avec Ch. qui connaît mes origines, quand il a parlé du cancer du colon.»
«Si je me sens exilé, aujourd’hui comme toujours, ce serait plutôt de naissance. Je considère moins l’Algérie comme ma terre natale que comme l’espace où se déroula une jeunesse heureuse. En même temps, il est rare que je perde une occasion de signaler mes origines, une façon «d’être un peu moins d’ici». Rassurant exil perpétuel.»
«Je n’ai pas grand-chose à entendre de personnes à qui je n’ai rien à dire.»

Un début loin de la vie. Carnets 1978-1986. Notes d’un dilettante. (André Blanchard)

Dilmanche 6 août 1978

   “Je recopie quelques généralités que m’avaient inspirées il y a trois mois les dix ans de Mai 68. Tout se récupère, il suffit d’attendre que le grand frisson ne soit plus qu’un mauvais souvenir pour les uns et que nostalgie pour les autres. Les marchands peuvent faire leur monnaie, concocter de juteux coups éditoriaux, et ça aide que ces marchands soient ceux qui tenaient les barricades. Ils doivent aussi se dire qu’il faut renseigner un nouveau public: les lycéens d’aujourd’hui tétaient encore leur pouce en 68. Je fais le bilan comme je le vois. La Gauche prolétarienne s’est rangée: c’est aussi bien, vu le ramassis de fils à papa qu’il y avait aux commandes. Les situs se sont sabordés: normal, ils s’affirmaient eux-mêmes sûrs et ravis d’êtres dépassés. Les autonomes ont pris le relais mais refusent toute filiation historique, ne revendiquant que leur propre ” spontanéité hors de toute dialectique”: sauf celle du baratin! Certains anciens combattants commencent à se placer dans la hiérarchie sociale…normal là aussi: quand les bourgeois fabriquent de la révolution, ça a toujours été à leur profit en utilisant le peuple. il reste les vrais marginaux à qui va mon respect, ce sont les cocus de l’Histoire, par exemple ceux décrits  dans le film Comme les anges déchus de la planète Saint-Michel.”

Aujourd’hui 22 mars, je relis les lignes qu’ André Blanchard a écrites, il y a environ 40 ans. Je ne peux pas vraiment contredire ces réflexions pessimistes. Curieusement, je pense à Flaubert et à son Education sentimentale.

Gustave Flaubert. Place des Carmes. Rouen.

Emilio Prados

Emilio Prados 1899-1962.

Rincón de la sangre

Tan chico el almoraduj
y… ¡cómo huele!
Tan chico.

De noche, bajo el lucero,
tan chico el almoradujé
y, ¡cómo huele!

Y… cuando en la tarde llueve,
¡cómo huele!

Y cuando levanta el sol,
tan chico el almoraduj
¡cómo huele!

Y, ahora, que del sueño vivo
¡cómo huele,
tan chico, el almoraduj!
¡Cómo duele!…
tan chico el almoraduj
Tan chico.

Jardín cerrado (1946)

José Sanchis-Banús (1921-1987) qui fut mon professeur à l’Institut d’Etudes Hispaniques a magnifiquement analysé ce poème dans le livre Seis lecciones: Emilio Prados, su vida, su obra, su mundo (Pre-textos) 1987 .

La traduction en français de Nadine Ly qui figure dans l’Anthologie bilingue de la poésie espagnole (Bibliothèque de la Pléiade, NRF. 1995) est une grande déception.

Capilla de San José. Toledo.

Capilla de San José. Toledo.

Je suis allé très souvent à Tolède. Je n’ai jamais pu visiter la Chapelle de San José. Il s’agit d’une chapelle privée que l’on pouvait visiter en 2014 pour le quatrième centenaire de la mort de El Greco. La Maire socialiste  de Tolède, Milagros Tolón, a obtenu en 2015 du propriétaire actuel, le Marquis de Eslava,  l’ouverture de la Chapelle le second mardi de chaque mois. Elle est située au numéro 5 de la rue Núñez de Arce.

La chapelle fut fondée par le riche marchand de Tolède,  Martín Ramírez, décédé en 1569. Il s’agissait alors d’ établir le couvent des Carmélites déchaussées que sainte Thérèse souhaitait fonder à Tolède. La sainte se déplaça jusqu’à cette ville, mais le projet ne put aboutir. Néanmoins, les héritiers firent construire cette chapelle en honneur de saint Joseph que sainte Thérèse vénérait particulièrement. Ce sera la première église ou chapelle dédiée à ce saint dans toute la chrétienté. La construction (1588-1596), de style Renaissance,  fut l’oeuvre de Nicolás de Vergara (1540-1606). La décoration intérieure fut commandée à El Greco en 1597. C’était donc seulement un oratoire familial.

Les deux tableaux du Greco des autels latéraux – San Martín y el mendigo et La Virgen con el Niño, santa Inés y santa Martina – ont été vendus en 1907 par  le propriétaire, le comte de Guendulain à un antiquaire français qui les a cédés à un collectionneur américain. Les deux tableaux se trouvent aujourd’hui  à la National Gallery de Washington. Ils sont remplacés à Tolède par de piètres copies. Plus de vingt oeuvres de El Greco sortirent ainsi d’Espagne entre 1902 et 1909. Un véritable pillage. Ni l’Etat, ni l’Eglise espagnole ni la ville de Tolède ne réagirent  le moins du monde.

L’autel central avec ses peintures, ses colonnes cannelées et ses statues de rois et de papes, offre un magnifique exemple du Greco comme « artiste total ». C’est un long crescendo lumineux  jusqu’au Couronnement de la Vierge, éclairé par la lumière naturelle provenant d’une baie. Les figures de saint Joseph et du Christ enfant se découpent sur un fond où l’on reconnaît la ville de Tolède.  Il s’agit d’ un  chef-d’œuvre majeur du peintre espagnol,  d’origine crétoise.

Prologue d’Une saison en enfer (avril-août 1873)

Arthur Rimbaud Octobre 1871 (Etienne Carjat)

Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les coeurs, où tous les vins coulaient.

Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. -Et je l’ai injuriée.

Je me suis armé contre la justice.

Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c’est à vous que mon trésor a été confié!

Je parvins à faire s’évanouir dans mon esprit toute l’espérance humaine. Sur toute joie pour l’étrangler j’ai fait le bond sourd de la bête féroce.

J’ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J’ai appelé les fléaux, pour m’étouffer avec le sable, avec le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l’air du crime. Et j’ai joué de bons tours à la folie.

Et le printemps m’a apporté l’affreux rire de l’idiot.

Or, tout dernièrement, m’étant trouvé sur le point de faire le dernier couac! j’ai songé à rechercher le clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.

La charité est cette clef. – Cette inspiration prouve que j’ai rêvé!

“Tu resteras hyène, etc….,” se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. “Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux.”

Ah! j’en ai trop pris: – Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l’écrivain l’absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache des quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.

Les heures sombres (Joe Wright)

Vu lundi 12 mars à la Ferme du Buisson (Noisiel) :

Les heures sombres (Darkest Hour) (2017) 1h52 Réal.: Joe Wright. Sc: Anthony McCarten. Dir. Photo: Bruno Delbonnel. Int: Gary Oldman, Kristin Scott Thomas Stephen Dillane, Lily James, Ronald Pickup.

Le film se déroule entre le 9 mai 1940 (la veille de l’offensive allemande) et fin mai 1940. Après la démission de Neville Chamberlain, le 10 Mai 1940, Winston Churchill devient Premier ministre du Royaume-Uni, à 65 ans. Le Parti conservateur l’a choisi par défaut. Lord Halifax, secrétaire d’Etat des Affaires étrangères, et l’ancien Premier ministre, sont favorables à des pourparlers de paix avec Hitler.

On suit Winston Churchill qui doit assumer des choix difficiles. La guerre éclair refoule les 300 000 hommes de l’armée britannique à Dunkerque. Le Premier ministre ordonne le sacrifice d’une unité chargée d’une diversion et la mobilisation de toutes les embarcations civiles possibles pour secourir l’ armée anglaise encerclée. L’«opération Dynamo » commence le 26 mai. Avant son discours devant le parlement, Churchill décide de suivre les conseils du roi George VI, qui ne l’aime pas, mais se rapproche peu à peu de lui: prendre l’avis des gens de la rue et s’appuyer sur eux. Il descend dans le métro. Scène assez fantaisiste. Il se rend compte de la détermination des Britanniques. Il s’oppose à son cabinet de guerre où figurent les opposants à sa politique. Il s’adresse au grand cabinet (membres de son groupe) , puis à la chambre des députés, où même Neville Chamberlain va l’appuyer L’union nationale est possible. Les anglais vont résister.

La mise en scène est précieuse, voire chichiteuse: ralentis, longs travellings, mouvements de caméra improbables. Les couleurs sont d’une rare laideur. Bien sûr, c’est la guerre. «[Je n’ai à offrir que] Du sang, du labeur, des larmes et de la sueur», dit Winston Churchill le 13 mai 1940 devant la Chambre des Communes, après sa nomination. L’expression est empruntée à Giuseppe Garibaldi.

Gary Oldman cabotine tant et plus pour pouvoir enfin avoir l’Oscar du meilleur acteur. Opération réussie. Heureusement, Kristin Scott Thomas sauve un peu la mise. Elle est excellente dans le rôle pourtant ingrat de Clementine Churchill.

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19574289&cfilm=246284.html

Filmographie de Joe Wright
2005: Orgueil et Préjugés (Pride & Prejudice)
2007: Reviens-moi (Atonement)
2009: Le Soliste(The Soloist)
2011: Hanna
2012: Anna Karénine (Anna Karenina)
2015: Pan
2017: Les Heures sombres (Darkest Hour)

André Breton

André Breton (Man Ray) 1932

Le verbe être

Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Le désespoir n’a pas d’ailes, il ne se tient pas nécessairement à une table desservie sur une terrasse, le soir, au bord de la mer. C’est le désespoir et ce n’est pas le retour d’une quantité de petits faits comme des graines qui quittent à la nuit tombante un sillon pour un autre. Ce n’est pas la mousse sur une pierre ou le verre à boire. C’est un bateau criblé de neige, si vous voulez, comme les oiseaux qui tombent et leur sang n’a pas la moindre épaisseur. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Une forme très petite, délimitée par un bijou de cheveux. C’est le désespoir. Un collier de perles pour lequel on ne saurait trouver de fermoir et dont l’existence ne tient pas même à un fil, voilà le désespoir. Le reste, nous n’en parlons pas. Nous n’avons pas fini de deséspérer, si nous commençons. Moi je désespère de l’abat-jour vers quatre heures, je désespère de l’éventail vers minuit, je désespère de la cigarette des condamnés. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Le désespoir n’a pas de coeur, la main reste toujours au désespoir hors d’haleine, au désespoir dont les glaces ne nous disent jamais s’il est mort. Je vis de ce désespoir qui m’enchante. J’aime cette mouche bleue qui vole dans le ciel à l’heure où les étoiles chantonnent. Je connais dans ses grandes lignes le désespoir aux longs étonnements grêles, le désespoir de la fierté, le désespoir de la colère. Je me lève chaque jour comme tout le monde et je détends les bras sur un papier à fleurs, je ne me souviens de rien, et c’est toujours avec désespoir que je découvre les beaux arbres déracinés de la nuit. L’air de la chambre est beau comme des baguettes de tambour. Il fait un temps de temps. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. C’est comme le vent du rideau qui me tend la perche. A-t-on idée d’un désespoir pareil! Au feu! Ah! ils vont encore venir… Et les annonces de journal, et les réclames lumineuses le long du canal. Tas de sable, espèce de tas de sable! Dans ses grandes lignes le désespoir n’a pas d’importance. C’est une corvée d’arbres qui va encore faire une forêt, c’est une corvée d’étoiles qui va encore faire un jour de moins, c’est une corvée de jours de moins qui va encore faire ma vie.

Le revolver à cheveux blanc” Juin 1932.

Joan Margarit

Treballs d’amor 

El motiu tant és.
Cal buscar entre les restes el que ha sobreviscut.
¿Podríem no sentir-nos insegurs,
si els nostres sentiments
són territoris de frontera
perduts, recuperats, tornats a perdre?
Perquè estimar no és enamorar-se.
És tornar a construir, una vegada, una altra,
el mateix pati on escoltar les merles
quan a la primavera encara és de nit.
És l’únic cant d’ocell que podria ser Schubert.
Tu i jo com als vint anys, sols a la cuina,
ens fem forts escoltant aquesta melodia.
Més claredat no l’hem tinguda mai.

Un hivern fascinant. OSSA MENOR, Editorial Proa, 2017.

Trabajos de amor

El motivo no importa.
hay que buscar entre los restos
lo que ha sobrevivido. Nunca estamos seguros.
¿Podríamos sentirnos de otro modo,
si nuestros sentimientos
son como territorios de frontera,
tantas veces perdidos,
recuperados, vueltos a perder?
Porque el amor no es enamorarse.
Es, una y otra vez, construir el mismo patio
donde escuchar el canto de los mirlos,
cuando aún es de noche, en primavera.
De entre todos los pájaros,
es el único canto que podría ser Schubert.
Solos en la cocina, como a los veinte años,
a ti y a mi
nos hace fuertes esa melodía.
Más claridad no la tuvimos nunca.

Un asombroso invierno. Visor, 2018.

Joan Margarit.