Baya 1931 – 1998

Nous avons vu il y a quelques semaines au Musée d’art moderne de Paris l’exposition Présences arabes. Art moderne et décolonisation. Paris 1908-1988.
(Du 5 avril au 25 août 2024)

” Le Musée d’Art Moderne de Paris propose de redécouvrir la diversité des modernités arabes au 20ème siècle et de renouveler le regard historique sur des scènes artistiques encore peu connues en Europe. À travers une sélection de plus de 200 œuvres, pour la plupart jamais exposées en France, l’exposition Présences arabes – Art moderne et décolonisation – Paris 1908-1988 met en lumière la relation des artistes arabes avec Paris, tout au long du 20ème siècle. ”

https://www.youtube.com/watch?v=xMkITybCqSc

Baya (ANOM). 1948.

Ce sont surtout les oeuvres de Baya qui ont retenu mon attention. Je connaissais très mal cette artiste malgré l’ exposition Baya, Femmes en leur jardin, qui lui a été consacrée à l’Institut du monde arabe du 8 novembre 2022 au 26 mars 2023, puis au Centre de la Vieille Charité à Marseille du 11 mai au 24 septembre 2023.

J’ai lu le récit d’Alice Kaplan, écrivaine et historienne, spécialiste d’Albert Camus, Baya ou le grand vernissage (Parution : 02/05/2024. Marseille, Le Bruit du Monde).
” Dans ce récit, Alice Kaplan dévoile les rouages du destin extraordinaire de Baya : vouée au statut de bonne à tout faire dans l’Algérie coloniale, l’adolescente sera propulsée au rang de célébrité ; toujours inattendue, éblouissante, elle inspire aujourd’hui encore de nombreux artistes. ” (quatrième de couverture)

Baya ou le grand vernissage (Alice Kaplan). Marseille, Le Bruit du Monde, 2024.

Baya, de son vrai nom Fatima Haddad, est née en 1931 près de Bordj-El-Kiffan (anciennement Fort-de-l’Eau) en Algérie.

Son père, Mohammed Haddad Ben Ali meurt dans un accident en 1937. Sa mère, Bahia Abdi, se remarie avec un commerçant kabyle, mais elle meurt en couches en 1940. La peintre va adopter le nom de sa mère, Baya, comme nom d’artiste.

Orpheline, elle est confiée avec son frère Ali à sa grand-mère. Ils vivent dans le douar Sidi M’Hamed avec un oncle dans une maison surpeuplée au sol en terre battue. Ils trouvent du travail dans la ferme florale d’Henri et Simone Farges. La jeune fille fait la connaissance de Marguerite Caminat (1903-1987), sœur de Simone. Peintre et documentaliste, elle a quitté Toulon avec son mari pour fuir la guerre et vivre chez sa sœur. En octobre ou novembre 1943, elle emmène l’adolescente chez elle à Alger.

Les Rideaux jaunes (Baya). 1947. Gouache et graphite sur papier. Paris, Musée de l’Institut du monde arabe.

Marguerite Caminat l’encourage à s’exprimer par la gouache et le modelage. Elle engage une institutrice à domicile pour lui apprendre à lire et à écrire. Cette femme cultivée est reçue dans le milieu artistique algérois. Elle fait constater en 1947 les traces de mauvais traitements que Baya subit de la part de son oncle, violent et alcoolique, quand elle séjourne chez sa grand-mère. En février le juge (cadi) des orphelins d’Alger lui confie la tutelle de Baya, jusqu’à sa majorité.

Le peintre et sculpteur Jean Peyrissac (1895-1974), ami de Marguerite Caminat, la remarque et la présente à Aimé Maeght, de passage à Alger.

L’ exposition Baya a lieu à Paris le 21 novembre 1947 à la galerie Maeght, 13 rue de Téhéran. Elle présente 149 aquarelles et 10 figurines en terre cuite. La revue de la galerie Derrière le Miroir lui consacre son sixième numéro avec des textes d’André Breton, Jean Peyrissac et Émile Dermenghem. Albert Camus, François Mauriac, Christian Bérard, Georges Braque et Henri Matisse assistent au vernissage. C’est un vrai succès.

Deux mois plus tard, Baya présente trois sculptures à l’Exposition internationale du Surréalisme, galerie Maeght. En février 1948, la rédactrice en chef de Vogue, Edmonde Charles-Roux, lui consacre une double-page avec photos. Enfin à l’été 1948, Baya découvre l’atelier Madoura à Vallauris où travaille Picasso qu’elle rencontre. Jean Dubuffet, qui séjourne plusieurs fois en Algérie à El-Goléa, rend visite à Baya, souhaitant l’inclure dans le courant de l’Art brut.

Le poète Jean Sénac, admirateur de Baya, lui demande d’illustrer des poèmes pour sa revue Soleil en avril 1950.

Á sa majorité, en 1952, Baya est placée par le cadi Chanderli d’Alger, son tuteur légal, à Blida dans la famille d’Ould Rouis Boualem, un enseignant d’arabe au lycée franco-musulman. En 1953, elle devient la seconde épouse du musicien arabo-andalou, El Hadj Mahfoud Mahieddine (1903-1979). Elle a 22 ans, lui 52. Il est déjà le père de huit enfants. Il ne divorce de sa première femme qu’en 1958. Entre 1952 et 1962, Baya ne peint plus. Elle se consacre à sa vie d’épouse et a six enfants entre 1955 et 1970.

Après un long silence, elle renoue en 1963 avec Marguerite Caminat. Mireille Farges, la nièce de Marguerite, a épousé Jean de Maisonseul (1912-1999), ami d’Albert Camus. Après l’Indépendance, il est devenu le directeur du Musée national des Beaux-Arts d’Alger. Il acquiert chez Maeght des peintures de Baya qui rejoignent la collection du Musée. Il négocie aussi avec André Malraux le rapatriement en Algérie de plus de 300 oeuvres qui avaient été expédiées en France à l’indépendance (Monet, Renoir, Gauguin, Pissarro, Degas, Courbet, Delacroix). Le transfert a lieu en 1969.

Mireille et Jean de Maisonseul encouragent Baya à reprendre ses outils de peintre. Jean de Maisonseul organise une exposition consacrée aux artistes algériens lors de la réouverture du musée d’Alger en 1963 . En juillet 1963, une salle entière est consacrée à des gouaches de Baya qui datent des années 1945-1947.

Baya adhère au mouvement Aouchem ( ce qui signifie tatouage), lancé en 1967 par les artistes Denis Martinez et Choukri Mesli.

En 1972 Baya effectue avec son mari le pèlerinage à La Mecque. Elle perd ses premiers soutiens : le 30 août 1973 1973 , le poète Jean Sénac est assassiné à Alger ; en 1975 Jean de Maisonseul prend sa retraite et quitte Alger pour Cuers, dans le Var

Une première exposition rétrospective hors d’Algérie de ses œuvres est organisée en novembre 1982 au musée Cantini de Marseille. Elle est préfacée par Gaston Deferre et Jean de Maisonseul. Le président François Mitterand et le ministre de la culture Jack Lang sont présents pour l’inauguration. Baya, venue de Blida, rend visite à cette occasion à Marguerite Caminat qui depuis sa retraite habite à Cuers près de Mireille et Jean de Maisonseul. Elle meurt là-bas en 1989. Baya continue son travail d’artiste jusqu’à son décès le 9 novembre 1998 à Blida.

Bibliothèque du musée des Beaux Arts d’Alger. Mai 2023.

En 1985, Assia Djebar lui a consacré un article dans Le Nouvel observateur qu’elle termine ainsi : « Baya porte son regard fleur vers le ciel de plénitude où l’attendent Chagall, le douanier Rousseau, un petit nombre d’élus. Elle, la première d’une chaîne de séquestrées, dont le bandeau sur l’œil, d’un coup est tombé. » Cela fait écho à ce qu’elle écrit quelques lignes plus haut : « Nul n’a encore dit à quel point la réclusion de générations de femmes a entraîné une énucléation de l’œil pour toute une descendance ! ».

Derrière le miroir. Galerie Maeght. Exposition Baya.

André Breton. Baya, Derrière le Miroir, Galerie Maeght, Paris. 1947.
« Je parle, non comme tant d’autres pour déplorer une fin mais pour promouvoir un début et sur ce début Baya est reine. Le début d’un âge d’émancipation et de concorde, en rupture radicale avec le précédent et dont un des principaux leviers soit pour l’homme l’imprégnation systématique, toujours plus grande, de la nature. (…) Baya dont la mission est de recharger de sens ces beaux mots nostalgiques : ‘l’Arabie heureuse’. Baya, qui tient et ranime le rameau d’or. »

Albert Camus, Lettre au Cadi Benhoura

Novembre 1947

Cher ami

Baya est en de très bonnes mains. Son exposition est un succès et un succès mérité. J’ai beaucoup admiré l’espèce de miracle dont témoigne chacune de ses œuvres. Dans ce Paris noir et apeuré, c’est une joie des yeux et du coeur. J’ai admiré aussi la dignité de son maintien au milieu de la foule des vernissages : c’était la princesse au milieu des barbares. Je vous remercie en tout cas de m’avoir permis de la connaître. Pour le reste, soyez sans inquiétude.

Votre fidèle.

Albert Camus.

Femme au vase fleuri bleu (Baya). 1986. Gouache sur papier. Beyrouth, The Ramzi and Saeda Dalloul Art Foundation.
                                                                                        

Germaine Richier

Les expositions de sculpture sont souvent très réussies au Centre Georges-Pompidou. Ce fut le cas en 2023 avec l’exposition Germaine Richier (du 1 mars au 12 juin 2023), mais aussi cette année avec l’exposition Brancusi (du 27 mars au 1 juillet 2024).

Le Christ d’Assy I, petit (1950) Paris, Centre Georges Pompidou.

Le Christ d’Assy I, petit (1950. 44 x 32,5 x 8 cm. Plâtre original. Don anonyme en 2021), qui fait partie des collections du Musée national d’art moderne, est déjà impressionnant. Mais, dans l’exposition de 2023, on pouvait voir pour la première fois à Paris le véritable Christ d’Assy, modelé en bronze.

L’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy (Commune de Passy – Haute-Savoie) fut construite de 1937 à 1946, à 1000 mètres d’altitude, face à la chaîne du Mont Blanc, à l’initiative du chanoine Jean Devémy (1896-1981), aumônier du sanatorium de Sancellemoz. L’architecte était Maurice Novarina (1907-2002).

Le chanoine Devémy voulait que sa décoration soit confiée à de grands artistes de la première moitié du XX ème siècle. Il était l’ami du père dominicain Marie-Alain Couturier (1897-1954) qui souhaitait faire appel à la vitalité de l’art profane pour se démarquer du style saint-sulpicien. Il écrivait ainsi en 1937 : « Notre art religieux en dépit de ses fins propres, ne se donnera pas, ne s’inventera pas une vie propre, d’où la nécessité de faire appel à la vitalité de l’art profane pour ranimer l’art chrétien. »

Christ d’Assy (Germaine Richier. 1950. Bronze naturel nettoyé. Fondeur : Alexis Rudier). Église de Notre-Dame-de-Toute-Grâce (Passy, Haute-Savoie)

Le Christ fut commandé à Germaine Richier par Jean Devémy qui lui avait proposé comme source d’inspiration la prophétie d’Isaïe (chapitre 53. Isaïe 10) :
« Comme un surgeon, il a grandi devant nous, comme une racine en terre aride, sans éclat ni beauté nous l’avons vu et sans aimable apparence, objet de mépris et rebut de l’humanité. »

Germaine Richier a réussi à faire fusionner le Christ et sa croix dans une symbiose parfaite. Le Christ sculpté exprime une douleur rare. Le visage est scarifié. Les bras démesurés s’ouvrent sur le monde et se confondent avec la barre horizontale de la croix. Tout détail anatomique est délaissé.

L’artiste avait écrit à Otto Bänninger (1897-1973), sculpteur suisse et son premier mari :
” Tu sais, je ne veux pas une sculpture analysée au demi-centimètre carré, je veux le résultat d’une conception, d’un savoir, d’une audace, le tout si possible très vivant. “

” C’est le seul Christ moderne devant lequel quiconque peut prier. ” (André Malraux)

” Je ne sais pas si tout le monde saisira l’importance de ce que je vais affirmer : son Christ est à ma connaissance, l’unique Christ des grandes époques de l’art chrétien. Pour moi, ce fait, seulement, est d’une grandeur qui tient du miracle. ” (Maria-Helena Vieira da Silva. Paris, 3 août 1959)

” Germaine Richier a exécuté un Christ extraordinaire. Elle lui a donné une autre expression que celle d’une indicible souffrance. Le caractère semi-figuratif de son œuvre nous entraîne à une méditation déchirée qui débouche enfin sur la tendresse et sur un incomparable amour. ” (Maurice Novarina)

Bloc-notes de François Mauriac. L’Express 21 août 1954

Ce Christ de douleur fit scandale après la consécration de l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce en 1950. Il fut jugé blasphématoire par les catholiques traditionalistes français les plus conservateurs, et même par l’entourage du pape Pie XII au Vatican. Les camps s’opposèrent fortement sur ce qui pouvait ou ne pouvait pas être représenté. Le 1 avril 1951, Monseigneur Cesbron, évêque d’Annecy, fit retirer le Christ de l’église. Germaine Richier en fut profondément choquée. L’œuvre fut remisée, puis accrochée dans une chapelle latérale de l’église.

Le Christ retrouva sa place en 1969, dix ans après la mort de l’artiste, et fut classé au titre des monuments historiques en 1971.

Église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy (Passy – Haute-Savoie) (Maurice Novarina) (Photo : Henk Monster)

L’église du plateau d’Assy doit aussi sa célébrité à sa décoration, réalisée par de grands artistes de l’époque : Fernand Léger (mosaïque de la façade consacrée à la Vierge) Jean Bazaine (vitraux au dessus de l’entrée), Paul Berçot (vitraux des bas-côtés), Pierre Bonnard (peinture de 1943 : Saint-François de Sales, évêque d’Annecy), Georges Braque (Symbole eucharistique, bas-relief en bronze à la cire perdue de la porte du tabernacle) Maurice Brianchon (vitraux des bas-côtés), Marc Chagall (Passage de la mer Rouge – décoration en céramique du baptistère + deux bas-reliefs en marbre blanc et deux vitraux), Jean Constant-Demaison (Sculptures de la charpente en bois) Marie-Alain Couturier (vitraux des bas-côtés) Odette Ducarre (Missel d’autel), Jacques Lipchitz (sculpture) Adeline Hébert-Stevens (vitrail des bas-côtés) Jean Lurçat (Tapisserie de l’Apocalypse située dans le chœur, 1945), Henri Matisse (Saint-Dominique en céramique jaune. 1948) Georges Rouault (vitraux) Carlo Sergio Signori (Cuve du baptistère en marbre de Carrare) et dans la crypte Ladislas Kijno (peinture), Claude Mary (tabernacle), Théodore Strawinsky (mosaïques), Marguerite Huré (vitraux). Ces artistes furent choisis pour leurs qualités artistiques et non pour leur engagement religieux. On peut lire la signature de Jacques Lipchitz (1891-1973) au dos de la statue de la Vierge : ” Jacob Lipchitz, juif fidèle à la foi de ses ancêtres, a fait cette Vierge, pour la bonne entente des hommes sur la terre, afin que l’Esprit règne.”

Saint-Dominique (Henri Matisse). Céramique. Carrelage mural dans une niche fermant le bas-côté gauche de l’église.
Céramique. Carrelage mural : passage de la mer Rouge dans la chapelle des fonts baptismaux de l’église. (Marc Chagall)

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2023/03/07/germaine-richier-1902-1959/

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2023/03/21/auguste-rodin-alberto-giacometti-germaine-richier/

Sheila Hicks

Freshly unearthed (Sheila Hicks). 2023-2024. Lin et fibre synthétique.

Hier, nous avons vu 4 oeuvres récentes de l’artiste textile américaine Sheila Hicks (1934), à la galerie Frank Elbaz ( 66 rue de Turenne 75003 – Paris ). L’exposition s’intitule Emerging, Submerging, Reemerging (16 mars – 18 mai 2024). Dans ce même lieu du Marais, sont exposées des peintures et des sculptures de Stéphane Henry, Yasuhisa Kohyama et Robert Storr.

Galerie Frank Elbaz. Oeuvres de Sheila Hicks, Yasuhisa Kohyama et Stéphane Henry.

Nous avons découvert Sheila Hicks lors de l’exposition Lignes de vie au Centre Pompidou ( 7 février – 30 avril 2018.

https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/coERRxE

Cette artiste, qui va avoir 90 ans le 24 juillet, est toujours aussi active. ( « J’aurais 90 ans l’année prochaine. Donc la fête continue. On y va . » ) Elle prépare une double exposition au Josef Albers Museum à Bottrop et à la Kunsthalle Düsseldorf en Allemagne. L’exposition se déploiera dans les deux musées simultanément. Le Josef Albers Museum fera une présentation globale avec des œuvres historiques et contemporaines tandis que la Kunsthalle exposera de grandes installations qui viendront jouer avec l’architecture du lieu. Sheila Hicks aura aussi une présentation à la Pinakothek der Moderne à Munich en novembre 2024. Enfin, une grande exposition sur son oeuvre est en préparation au musée d’Art moderne de San Francisco pour 2025.

« C’est prétentieux à dire, mais je sais que l’art textile va gagner. Inévitablement. On peut mettre des sculptures, des peintures et des dessins, mais les gens sont toujours attirés par le textile. Regardez les enfants qui entrent quelque part, ils se dirigent tout de suite vers une chose qu’ils pensent pouvoir toucher. […] Mais c’est très ennuyeux une exposition que de textile, il faut avoir des points de comparaison. »

« Je regarde comment est-ce que les gens nouent leurs chaussures dans le métro. Ça me fascine. Chaque personne a une ligne pliable, un fil, qu’il soit en coton, soie, lin ou nylon. Je dis toujours qu’il faut fermer les yeux, toucher son voisin et dire ce qu’il porte, quelle est cette matière. Tout est fait avec un fil continu, qui bouge dans tous les sens pour devenir pull-over, soutien-gorge, jupe ou chaussettes. »

Émission Affaires culturelles sur France Culture. 4 avril 2024.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/affaires-culturelles/sheila-hicks-est-l-invitee-d-affaires-culturelles-6536318

“ Un fil est une ligne qui ne reste pas sur la page, mais que tu tires dans l’espace. ”

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/02/18/lignes-de-vie-sheila-hicks/

Labyrinthe du paradis (Sheila Hicks). 2024. Lin, coton, fils d’or.

Federico García Lorca

Federico García Lorca, toujours présent !

Poeta en Nueva York. Editorial Séneca. México D.F. 1940.

Vals en las ramas

Homenaje a Vicente Aleixandre por su poema “El vals”

Cayó una hoja
y dos
y tres.
Por la luna nadaba un pez.
El agua duerme una hora
y el mar blanco duerme cien.
La dama
estaba muerta en la rama.
La monja
cantaba dentro de la toronja.
La niña
iba por el pino a la piña.
Y el pino
buscaba la plumilla del trino.
Pero el ruiseñor
lloraba sus heridas alrededor.
Y yo también
porque cayó una hoja
y dos
y tres.
Y una cabeza de cristal
y un violín de papel.
Y la nieve podría con el mundo
si la nieve durmiera un mes,
y las ramas luchaban con el mundo,
una a una,
dos a dos,
y tres a tres.
¡Oh, duro marfil de carnes invisibles!
¡Oh golfo sin hormigas del amanecer!
Con el muuu de las ramas,
con el ay de las damas,
con el croo de las ranas,
y el gloo amarillo de la miel.
Llegará un torso de sombra
coronado de laurel.
Será el cielo para el viento
duro como una pared
y las ramas desgajadas
se irán bailando con él.
Una a una
alrededor de la luna,
dos a dos
alrededor del sol,
y tres a tres
para que los marfiles se duerman bien.

Poeta en Nueva York. 1940.

Maria Teresa León – Federico García Lorca – Vicente-Aleixandre (Hermanos Mayo), 1936.

Valse dans les branches

Hommage à Vicente Aleixandre pour son poème “La valse”

Une feuille chuta,
et deux,
et trois,
Dans la lune nageait un poisson.
L’eau dort une heure
et la mer blanche en dort cent.
La dame
était morte sur la branche .
La nonne
chantait dans le pamplemousse.
La fille
allait par le pin vers la pigne.
Et le pin
cherchait la plume de la trille.
Mais le rossignol
pleurait ses blessures alentour.
Et moi aussi,
parce qu’une feuille chuta
et deux,
et trois.
Et une tête de cristal
et un violon de papier.
Et la neige éclipserait le monde
si la neige dormait un mois,
et les branches luttaient contre le monde,
une par une
deux par deux
et trois par trois.
Ô dur ivoire de chairs invisibles !
Ô golfe sans fourmis du point du jour !
Avec le meuuuh des branches,
avec le aah des dames,
avec le coâ des grenouilles,
et la gloup jaune du miel.
Viendra un torse d’ombre
couronné de laurier.
Le ciel sera pour le vent
dur comme un mur
et les branches arrachées
s’en iront danser avec lui.
Une par une
tout autour de la lune,
deux par deux
du soleil jusqu’aux cieux,
et trois par trois
pour que les ivoires s’endorment tout bas.

Poète à New York, Éditions Robert Laffont, Pavillons poche, 2023. Traduction Carole Fillière et Zoraida Carandell.

Eugenio Merino (1975). Exposition Ruina. Galería Memoria, Carabanchel (Madrid) 2 mars 2024 – 11 mai 2024.

L’exposition Ruina de l’ artiste madrilène Eugenio Merino (Galería Memoria, Carabanchel Madrid. 2 mars 2024 – 11 mai 2024) ne présente qu’une seule oeuvre : une sculpture hyperréaliste du poète Federico García Lorca, enterré dans une fosse.

Alejandro de Villota : “Merino, con su imaginación radical y transgresora, vuelve a tensar la frágil historicidad de España así como el trauma compartido por la Guerra Civil. 200 metros cuadrados de incómoda arena acompañan al poeta granadino, de cuerpo presente, y nos sumergen en una figura y contexto que terminan por desubjetivizarse. Lorca inmerso en un eterno presueño en el que, para algunos, todavía se encontraría España. La instalación de una única y simbólica pieza, desata de manera contundente y descontrolada el bestiario de quienes vigilan, juzgan y castigan, todavía hoy donde los delitos de odio parecen normalizarse con mayor frecuencia.”

Semíramis González : “Eugenio Merino recurre al Lorca telúrico, de lo auténtico, del polvo y de la tierra, para convertirlo aquí en monumento y en presencia que se abre en la tierra, como un abismo que se hace presente pese a que se intente esconder. (..) El compromiso político del poeta, su defensa de la causa republicana y su libertad sexual son tres ejes de análisis que aún hoy están en discusión (..). Sobre el suelo en bruto no encontramos, aparentemente, nada. La ruina se ha instalado como protagonista, sin intentar disimularla, y siendo precisamente esto, su resto, lo que nos reciba”

Ruina (Eugenio Merino). 2024.

Jean Hélion – André du Bouchet – René Char

Nous parcourons l’exposition Jean Hélion La prose du monde au Musée d’Art Moderne de Paris vendredi 22 mars. C’est le premier jour. Il y a encore peu de monde. C’est un plaisir de pouvoir regarder tranquillement les oeuvres d’un peintre méconnu.

Du 22 mars au 18 août 2024, on pourra voir la rétrospective de cet artiste. Elle traverse tout le XXème siècle. Jean Hélion (1904-1987) est un des pionniers de l’abstraction. Il l’introduit en Amérique dans les années 1930, avant d’évoluer vers une figuration personnelle au début de la deuxième guerre mondiale.

Proche de Theo van Doesburg et de Piet Mondrian dans un premier temps (groupe Art Concret et collectif Abstraction-Création), il se détourne de l’abstraction en 1939. Il est l’ami de Calder, Arp, Giacometti, mais aussi de Max Ernst, Marcel Duchamp, Victor Brauner.

Il fréquente aussi les écrivains de son époque (Francis Ponge, Raymond Queneau, René Char, André du Bouchet, Alain Jouffroy) qu’ il associe souvent à son parcours artistique.

Figure tombée. Avril-septembre 1939. Paris, Centre Pompidou.

Je lis une lettre qu’il adresse au poète André du Bouchet au cours de l’été 1952. Pour qui travaille-t-on ?

Il évoque sa collaboration avec René Char pour illustrer, sur la demande d’Yvonne Zervos, 10 poèmes choisis parmi Les Matinaux et réunis, manuscrits, par le poète sous le titre de La Sieste blanche.

” Il n’y a rien que j’aie davantage souhaité, à plusieurs périodes de ma vie que de mêler mes images, étroitement, à des textes que j’admire.”

Il y explique son travail et ses difficultés. Les Éditions Claire Paulhan publient ce mois-ci :

Pour qui travaille-t-on ? Une lettre à André du Bouchet (Été-automne 1952)

Je recherche Divergence, un des poèmes de René Char illustré par l’homme couché qui préoccupait Jean Hélion cet hiver-là. Les références à Arthur Rimbaud et à Une saison en enfer sont nombreuses.

L’Homme couché sur un banc. 1950. Vézelay, Musée Zervos.

Divergence (René Char)

Le cheval à la tête étroite
A condamné son ennemi,
Le poète aux talons oisifs,
A de plus sévères zéphyrs
Que ceux qui courent dans sa voix.
La terre ruinée se reprend
Bien qu’un fer continu la blesse.

Rentrez aux fermes, gens patients ;
Sur les amandiers au printemps
Ruissellent vieillesse et jeunesse.
La mort sourit au bord du temps
Qui lui donne quelque noblesse.

C’est sur les hauteurs de l’été
Que le poète se révolte,
Et du brasier de la récolte
Tire sa torche et sa folie.

La sieste blanche in Les Matinaux 1947-1949. Éditions Gallimard, 1950.

Vera Molnár – Percy Bysshe Shelley

Jeudi 14 mars visite de l’exposition Vera Molnár Parler à l’oeil au Centre Pompidou. Elle est visible du 28 février au 26 août 2024.

Identiques mais différents. 2010. Diptyque. Paris, Centre Pompidou.

Vera Molnár, artiste française d’origine hongroise, est née Veronica Gács à Budapest le 5 janvier 1924. En 1947, elle s’installe à Paris avec son mari François Molnár (1922-1993). Elle est morte il y a peu à Paris, le 7 décembre 2023, dans la chambre de sa maison de retraite du 14e arrondissement.

Elle s’inscrit dans le courant de l’abstraction géométrique. Informaticienne avant l’heure, elle met en place dès 1959 un mode de production qu’elle nomme “Machine imaginaire”, protocole d’élaboration des formes à partir de contraintes mathématiques simples, mais riche d’infinis possibles . En 1961, elle cofonde le Groupe de recherche d’art visuel avec notamment son mari et le plasticien François Morellet (1926-2016). Elle devient en 1968 la première artiste en France à produire des dessins par ordinateur. Elle travaillait à la fin de sa vie à des vitraux pour l’abbaye de Lérins, sur l’île Saint-Honorat, en face de Cannes (Alpes-Maritimes)

Elle a été reconnue tardivement. Elle rappelait avec humour la phrase du peintre français, d’origine russe, Serge Poliakoff (1900-1969) : “La vie d’un peintre, c’est très simple, il n’y a que les soixante premières années qui sont dures.” Malevitch et Mondrian l’ont toujours fascinée. Elle admirait Le Corbusier et Fernand Léger.

Icône. 1964. Paris, Centre Pompidou.

Une de ses oeuvres exposées s’appelle OTTWW 1984-2010 (fil noir, clous. Paris, centre Pompidou). Elle a attiré mon attention. Le carton dit ceci : ” Conçue pour un Festival du vent à Caen, cette installation s’inspire d’un poème fameux du poète romantique anglais Percy Bysshe Shelly, Ode to the West Wind (1820), auquel Vera Molnár est attachée. Résultant d’un algorithme créé par l’artiste, les formes angulaires sont issues d’une figure mathématique reprenant la lettre W. Elles se déploient sur le mur à l’aide d’un fil de coton continu passant de clous en clous, comme les feuilles emportées par le souffle du vent évoquées par le poète. “

OTTWW. 1981-2010. Fil noir, clous. Paris, Centre Pompidou.

J’ai relu ce poème qui se trouve dans l‘Anthologie bilingue de la poésie anglaise (Bibliothèque de la Pléiade, NRF, 2005). La plupart des poèmes de Shelley qui y figurent ont été publiées dans une très belle édition en 2006 : Poèmes. Imprimerie Nationale Éditions, collection La Salamandre. Les traductions sont de Robert Ellrodt.

Percy Bysshe Shelley (Alfred Clint)

Ode au vent d’ouest (Percy Bysshe Shelley)

I

Ô Vent d’ouest sauvage, âme et souffle de l’automne,
Toi qui, par ton invisible présence, chasses
Les feuilles mortes, fantômes fuyant un enchanteur,

Jaunes et noires et pâles, et rouges de fièvre,
Multitudes frappées de pestilence ! Ô toi
Qui transportes jusqu’à leur sombre lit d’hiver

Les semences aillées qui, froides, y reposent,
Chacune comme un mort en sa tombe, attendant
Que ta Sœur azurée de Printemps sonne enfin

Son clairon sur la terre qui rêve, et menant
Les troupeaux des bourgeons délicats paître l’air,
Remplisse plaine et monts de couleurs et d’odeurs

Vivantes, sauvage Esprit, qui te meus en tous lieux,
Qui détruis et préserves, entends ! Ô entends-moi !

II

Toi dont le flux dans les hauteurs du ciel arrache
Les nuages, comme les feuilles sèches de la Terre,
Aux branches mêlées du Ciel et de l’Océan,

Messagers de la pluie et l’éclair, tu déploies
Á la surface bleue de ta houle aérienne,
Tels les cheveux brillants soulevés sur la tête

De quelque Ménade farouche, du bord obscur
De l’horizon jusqu’à la hauteur du zénith,
Les tresses de la tempête proche. Toi, chant funèbre

De l’an qui meurt, et sur lequel la nuit qui tombe
Se referme comme le vaste dôme d’un sépulcre,
Surplombé par toute la puissance assemblée

De tes vapeurs, dense atmosphère d’où jailliront
La pluie noire et le feu et la grêle, entends-moi !

III

Toi qui sus éveiller de ses rêves d’été
La Méditerranée lisse et bleue, assoupie
Dans les calmes remous de ses flots cristallins,

Près d’une île de ponce dans la baie de Baïes,
Et vis dans leur sommeil palais et tours antiques
Trembler dans la lumière plus vive de la vague,

Tout tapissés de mousse et de fleurs azurées,
Si douces que les sens à les peindre défaillent !
Toi pour qui l’Atlantique aux flots étales s’ouvre,

Découvrant des abîmes, au plus profond desquels
Les floraisons des mers et les bois ruisselants,
Feuillage sans sève de l’Océan, reconnaissent

Ta voix, et deviennent soudain gris de frayeur,
Et frémissent et se dépouillent, oh, entends-moi !

IV

Si j’étais feuille morte que tu puisses porter,
Nuage assez rapide pour voler avec toi,
Ou vague palpitant sous ta puissance, soumis

Par ta force à la même impulsion et à peine
Moins libre que toi, l’Irréductible ; si j’étais
Au moins ce que jeune je fus, et pouvais être

Ton compagnon en tes errances dans le Ciel
Comme au temps où dépasser ton vol éthéré
Semblait à peine un rêve, je n’aurais avec toi,

Ainsi lutté en t’invoquant dans ma détresse.
Oh ! ainsi qu’une vague, une feuille, un nuage,
Emporte-moi ! Sur les épines de la vie

Je tombe et saigne ! Le lourd fardeau du temps m’enchaîne,
Trop pareil à toi-même : indompté, prompt et fier.

V

Fais donc de moi ta lyre comme l’est la forêt.
Qu’importe si mes feuilles tombent comme les siennes !
Le tumulte harmonieux de tes puissants accords

Tirera de nous deux un son grave, automnal,
Doux même en sa tristesse. Deviens, âme farouche,
Mon âme ! Deviens moi-même, ô toi l’impétueux !

Disperse à travers l’univers mes pensées mortes,
Ces feuilles flétries, pour que renaisse la vie,
Et par la seule incantation de ce poème

Propage comme à partir d’un âtre inextinguible,
Cendres et étincelles, mes mots parmi les hommes
Par ma bouche, pour la Terre non encore éveillée,

Sois la trompette d’une prophétie. Ô vent !
Si vient l’Hiver, le Printemps peut-il être loin ?

Poèmes. Imprimerie Nationale Éditions. Collection La Salamandre. 2006. Traduction Robert Ellrodt.

Ode to the West Wind

I

O wild West Wind, thou breath of Autumn’s being,
Thou, from whose unseen presence the leaves dead
Are driven, like ghosts from an enchanter fleeing,

Yellow, and black, and pale, and hectic red,
Pestilence-stricken multitudes: O thou,
Who chariotest to their dark wintry bed

The winged seeds, where they lie cold and low,
Each like a corpse within its grave, until
Thine azure sister of the Spring shall blow

Her clarion o’er the dreaming earth, and fill
(Driving sweet buds like flocks to feed in air)
With living hues and odours plain and hill:

Wild Spirit, which art moving everywhere;
Destroyer and preserver; hear, O hear!

II

Thou on whose stream, ‘mid the steep sky’s commotion,
Loose clouds like Earth’s decaying leaves are shed,
Shook from the tangled boughs of Heaven and Ocean,

Angels of rain and lightning: there are spread
On the blue surface of thine aery surge,
Like the bright hair uplifted from the head

Of some fierce Maenad, even from the dim verge
Of the horizon to the zenith’s height,
The locks of the approaching storm. Thou Dirge

Of the dying year, to which this closing night
Will be the dome of a vast sepulchre,
Vaulted with all thy congregated might

Of vapours, from whose solid atmosphere
Black rain, and fire, and hail will burst: O hear!

III

Thou who didst waken from his summer dreams
The blue Mediterranean, where he lay,
Lulled by the coil of his crystalline streams,

Beside a pumice isle in Baiae’s bay,
And saw in sleep old palaces and towers
Quivering within the wave’s intenser day,

All overgrown with azure moss and flowers
So sweet, the sense faints picturing them! Thou
For whose path the Atlantic’s level powers

Cleave themselves into chasms, while far below
The sea-blooms and the oozy woods which wear
The sapless foliage of the ocean, know

Thy voice, and suddenly grow grey with fear,
And tremble and despoil themselves: O hear!

IV

If I were a dead leaf thou mightest bear;
If I were a swift cloud to fly with thee;
A wave to pant beneath thy power, and share

The impulse of thy strength, only less free
Than thou, O uncontrollable! If even
I were as in my boyhood, and could be

The comrade of thy wanderings over Heaven,
As then, when to outstrip thy skiey speed
Scarce seemed a vision; I would ne’er have striven

As thus with thee in prayer in my sore need.
Oh! lift me as a wave, a leaf, a cloud!
I fall upon the thorns of life! I bleed!

A heavy weight of hours has chained and bowed
One too like thee: tameless, and swift, and proud.

V

Make me thy lyre, even as the forest is:
What if my leaves are falling like its own!
The tumult of thy mighty harmonies

Will take from both a deep, autumnal tone,
Sweet though in sadness. Be thou, Spirit fierce,
My spirit! Be thou me, impetuous one!

Drive my dead thoughts over the universe
Like withered leaves to quicken a new birth!
And, by the incantation of this verse,

Scatter, as from an unextinguished hearth
Ashes and sparks, my words among mankind!
Be through my lips to unawakened Earth

The trumpet of a prophecy! O Wind,
If Winter comes, can Spring be far behind?

Ode écrite à Florence fin 1819. Publiée avec The Sensitive, The Cloud, To a Skylark dans Prometheus Unbound, with Other Poems. Août 1820.

Isabel Quintanilla 1938 – 2017

Isabel Quintanilla chez elle (Calle Menorca, Madrid) en 1973. Elle peint le tableau Gran interior.

El realismo íntimo de Isabel Quintanilla.

On peut voir cette exposition du 27 février au 2 juin 2024 au Musée National Thyssen-Bornemisza de Madrid. Ouverture du mardi au dimanche. Accès gratuit de 21h à 23 h. Commissaire de l’exposition : Leticia de Cos Martín.

Musée National Thyssen-Bornemisza de Madrid.

Pour la première fois depuis sa création en 1992, le musée madrilène consacre une exposition monographique à une artiste espagnole, Isabel Quintanilla, représentante d’une peinture figurative. Elle regroupe une centaine d’oeuvres qui couvrent l’ensemble de sa carrière. Ces tableaux et dessins n’ont jamais été vus en Espagne puisqu’ils se trouvent essentiellement dans des musées et des collections privées en Allemagne où ce peintre a rencontré un véritable succès dans les années 1970 et 1980 alors qu’en Espagne elle restait méconnue. Elle fait partie d’un groupe de peintres et sculpteurs réalistes qui se sont retrouvés dans les années 1950 à Madrid (Antonio López García 1936, Julio López Hernández 1930-2018, Francisco López Hernández 1932-2017). On les surnomme los realistas madrileños. Mais des femmes peintres comme María Moreno (1933-2020), épouse d’Antonio López, Amalia Avia (1930-2011), Esperanza Parada ( 1928- 2011) faisaient aussi partie de ce groupe. En Février -Mai 2016, l’ exposition Realistas de Madrid au Musée National Thyssen-Bornemisza a permis de les faire mieux connaître.

La technique et la maîtrise d’Isabel Quintanilla ont été acquises durant sa formation et toute une vie de travail. Á partir de 11 ans, elle suit des cours d’art plastique. Á 15 ans, elle entre à l’École Supérieure des Beaux-Arts dont elle sort diplômée en 1959. Elle s’est aussi consacrée à l’enseignement. Elle épouse le sculpteur Francisco López Hernández en 1960.

Granadas. 1970.

Isabel Quintanilla peint ses objets personnels, les pièces de ses différents domiciles et ateliers. Le travail sur la lumière est remarquable. La peinture était sa vie et sa vie était la peinture. « Las soledades me emocionan profundamente, ese teléfono solitario, ese sitio donde se trajina y de repente se ha quedado mudo. Eso me emociona tanto que lo quiero intentar pintar. », disait-elle à la fin de sa vie. Elle ne peignait pas plus de 3 ou 4 tableaux par an.

La sandía. 1995. Colection privée.

On retient particulièrement le tableau Homenaje a mi madre (1971 Munich, Pinakothek der Moderne) qui représente la machine à coudre de sa mère couturière. Cette activité permit à sa famille de subsister dans les très difficiles conditions de l’après-guerre civile. En effet, son père, José Antonio Quintanilla, ingénieur des mines et commandant de l’armée républicaine, est décédé en 1941 dans la prison de Valdenoceda (Burgos), suite aux mauvais traitements. Cette ancienne usine de farine fut utilisée de 1938 à 1943 par les franquistes. 1600 prisonniers républicains y étaient entassés alors que la capacité maximum était de 300 personnes. Les associations très actives depuis la “loi sur la mémoire historique”, votée le 31 octobre 2007, ont recensé 152 morts dues à la rudesse du climat, aux maladies et à la sous-alimentation. “Ana Faucha, madre de uno de los presos del penal, viajó desde Andalucía hasta Valdenoceda para ver a su hijo por última vez. Tras negarle la entrada en repetidas ocasiones, aparecería muerta una mañana en los alrededores de la cárcel con el paquete de comida entre las manos y cubierta de nieve.​ Ana Faucha se convertiría en símbolo de las madres de los presos políticos.” Marcos Ana, Decidme cómo es un árbol. Memoria de la prisión y la vida. Barcelona, Umbriel. 2007.

Homenaje a mi madre. 1971. Munich,Pinakothek der Moderne.

https://www.youtube.com/watch?v=lw-xwLJ0mjQ

Patrick Deville – Missak Manouchian

Léon Trotsky.
Malcolm Lowry.

Je lis ces jours-ci avec intérêt Viva de Patrick Deville (Éditions du Seuil, 2014. Points Seuil n°4146, 2015). Mon ami P. me l’a conseillé. Les personnages centraux sont Léon Trotsky et Malcolm Lowry, deux personnages qui ont à première vue peu de choses en commun. Le livre est construit en une trentaine de courts tableaux. Tout se passe dans le Mexique des années 30, si riche culturellement et historiquement…

On présente les livres de Patrick Deville comme des “romans d’aventures sans fiction”. En quatrième de couverture, une phrase du grand Pierre Michon : “Je relis Viva si savant, si écrit, si rapide. Chaque phrase est flèche.”

Pages 221-222 de l’édition en Points Seuil : ” Enfermé ce soir dans cette chambre, je reprends une dernière fois les carnets et les chronologies emmêlés de toutes ces pelotes. Nous sommes le 21 février 2014. C’est aujourd’hui le soixante-dixième anniversaire de l’Affiche rouge, des vingt-deux résistants étrangers fusillés par les nazis au Mont-Valérien le 21 février 1944. C’est aujourd’hui le quatre-vingtième anniversaire de l’assassinat de Sandino à Managua le 21 février 1934… On écrit toujours contre l’amnésie générale et la sienne propre…”

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2023/06/19/missak-manouchian/

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/02/21/laffiche-rouge/

Je vais lire d’autres livres de Pierre Deville.

Du 13 février au 12 mai 2024, le Jeu de Paume rend hommage à Tina Modotti (1896-1942) à travers une grande exposition, la plus importante jamais consacrée à Paris à cette photographe et activiste politique d’origine italienne.

https://www.connaissancedesarts.com/arts-expositions/photographie/exposition-photo-a-paris-la-photographie-revolutionnaire-de-tina-modotti-11189445/

Sombrero, Marteau et Faucille (Tina Modotti) 1927.

Darío Villalba 1939 – 2018

La Espera blanca, 1993.

Le Monde de ce jour indique que la Galerie Poggi qui se trouve maintenant dans de nouveaux locaux face au Centre Pompidou (135 rue Saint-Martin, Paris IV) présente jusqu’au 27 janvier de grands formats de Darío Villalba, peintre et photographe espagnol, peu connu en France. Ce fils de diplomate, a vécu aux États-Unis, en Allemagne, en France, en Grèce. Sa famille l’a toujours aidé même lorsqu’il a pratiqué le patinage artistique, sport qui n’existait pas dans l’Espagne franquiste d’alors. Il a participé aux Jeux Olympiques de Cortina d’Ampezzo en 1956. Il fut Prix National des Arts Plastiques en 1983 et membre de la Real Academia de Bellas Artes de San Francisco en 2002.

“Decía que pintaba cuando hacía fotografía y que hacía fotografía cuando pintaba.” Sa série la plus connue est celle des “Encapsulados”. Il s’agit d’une sorte de cocons qui contiennent des images de marginaux ( prisonniers, malades mentaux, sans-abris, personnes âgées ) qui semblent flotter dans un monde parallèle. Andy Warhol a essayé de l’enrôler dans le pop art ( pop soul) ce que Villalba a refusé. Des artistes espagnols, bien différents de lui, comme Luis Gordillo ou Eduardo Arroyo, l’ont appuyé et ont souligné son importance.

Ces jours-ci, nous avons vu au musée Carmen Thyssen de Málaga une belle exposition, Fieramente humanos. Retratos de santidad barroca. On y trouve des oeuvres des grands artistes du baroque méditerranéen (Ribera, Cano, Murillo, Giordano, Velázquez, Ribalta, Martínez Montañés, Juan de Mena), mais aussi trois oeuvres contemporaines (Equipo Crónica, Darío Villalba, Antonio Saura). Ce choix, a posteriori, me paraît judicieux étant donné l’influence qu’a eue l’art baroque sur ces artistes espagnols. L’oeuvre de Darío Villalba, peintre original, catholique et homosexuel mérite d’être davantage reconnue.

Místico (Darío Villalba) 1974. Colección de Arte ABANCA.

Francisco de Aldana

En novembre dernier, la collection Letras Hispánicas de Cátedra a publié Poesía de los siglos XVI y XVII. Le professeur Pedro Ruiz Pérez est responsable de cette édition de 1064 pages et de l’introduction (100 pages quand même). On remarque la présence de Francisco de Aldana dont l’importance a été reconnue par Quevedo, Cervantes ou Luis Cernuda (Tres poetas metafísicos, 1946).

On pense qu’Aldana est né à Naples en 1537. Il a suivi la carrière des armes comme son père et son frère. Il n’aimait pas ce métier. Il est pourtant mort au combat le 4 août 1578 lors de la bataille d’Alcazarquivir. Il avait été envoyé par Felipe II pour aider son neveu, le roi du Portugal, Sebastián I, dans sa tentative de conquête du Maroc.

Son frère Cosme a publié son oeuvre poétique en deux parties : Milan, 1589 et Madrid, 1591.

Le travail du professeur Ruiz Pérez est excellent. On regrettera neanmoins l’erreur dans le titre du poème Reconocimiento de la vanidad del mundo qui devient Reconocimiento de la variedad del mundo.

Reconocimiento de la vanidad del mundo

En fin, en fin, tras tanto andar muriendo,
tras tanto varïar vida y destino,
tras tanto, de uno en otro desatino,
pensar todo apretar, nada cogiendo;

tras tanto acá y allá yendo y viniendo,
cual sin aliento inútil peregrino,
¡oh, Dios!, tras tanto error del buen camino,
yo mismo de mí mal ministro siendo,

hallo, en fin, que ser muerto en la memoria
del mundo es lo mejor que en él se asconde,
pues es la paga dél muerte y olvido,

y en un rincón vivir con la vitoria
de sí, puesto el querer tan sólo adonde
es premio el mismo Dios de lo servido.

Francisco de Aldana.