Victor Hugo

Victor Hugo est né le 26 février 1802 (7 ventôse an X selon le calendrier républicain) à Besançon. Il est mort le 22 mai 1885 à Paris. C’est le fils du général d’Empire Joseph Léopold Sigisbert Hugo (1773-1828) et de Sophie Trébuchet (1772-1821), jeune femme issue de la bourgeoisie nantaise.

Pendant l’occupation française de l’Espagne, la famille de Victor Hugo s’est installée à Madrid, Calle del Clavel, n° 3. Là se trouvait le Palais de Masserano. Une plaque sur la façade rappelle encore ce fait. Il y vécut 10 mois en 1811 et 1812.

Avec ses frères Abel (1798-1855) et Eugène (1800- 1837), il sera pensionnaire dans une institution religieuse de Madrid, le Real Colegio de San Antonio de Abad, calle Hortaleza. La Mairie de Madrid a donné le nom du poète français à une autre rue proche.

il nota alors ceci: « Me voici dans le pays où l’on prononce b pour v ». Ainsi écrivait-il son nom, Bittor, avec un b, deux t, suivi de la particule, « Bittor de Hugo », à l’âge de neuf ans, sur la page de garde de son Tacite.

Les allusions à Madrid et à l’Espagne sont nombreuses dans son œuvre:

«Ce Madrid ! Son ciel bleu, son paysage noir,
Le Manzanares, roi des fleuves patriarches,
Roulant trois pouces d’eau sous un pont de trois arches,
Grands chapeaux espagnols, petits pieds, majos et manolas
Et les Españoles et les Españolas !»
(Fragment d’une comédie – 1840)

«De même, si jamais enfin je vous revois,
Beau pays dont la langue est faite pour ma voix,
Dont mes yeux aimaient les campagnes,
Bords où mes pas enfants suivaient Napoléon,
Fortes villes du Cid ! ô Valence, ô Léon,
Castille, Aragon, mes Espagnes !

Je ne veux traverser vos plaines, vos cités,
Franchir vos ponts d’une arche entre deux monts jetés,
Voir vos palais romains ou maures,
Votre Guadalquivir qui serpente et s’enfuit,
Que dans ces chars dorés qu’emplissent de leur bruit
Les grelots des mules sonores.»
(Feuilles d’automne, 1831)

En 1843, il fit un second voyage en Espagne avec sa maîtresse, Juliette Drouet.

«Je suis à Pampelune et ne saurais dire ce que j’y éprouve. Je n’avais jamais vu cette ville, et il me semble que j’en reconnais chaque rue, chaque maison, chaque porte. Toute l’Espagne que j’ai vue dans mon enfance m’apparaît ici comme le jour où j’ai entendu passer la première charrette à bœufs.
Trente ans s’effacent de ma vie : je redeviens l’enfant, le petit Français, “el niño”, “el chiquito francés”, comme on m’appelait. Tout un monde qui sommeillait en moi s’éveille, revit et fourmille dans ma mémoire. Je le croyais presque effacé ; le voici plus resplendissant que jamais.»

Sur la route du retour, il apprit brutalement la mort tragique par noyade de sa fille Léopoldine (1824-1843).

Léopoldine Hugo (Auguste de Châtillon), 1836. Paris, Maison Victor Hugo.

Jean Cassou (1897-1986)

La mémoire courte. Éditions de Minuit, 1954 ; réédition, Mille et une Nuits, 2001 ; réédition, Éditions Sillage, 2017.

«Ce traître (Pétain) avait raison : les Français d’aujourd’hui ont la mémoire courte. Encore, au lieu de les vitupérer eut-il dû les féliciter et s’en féliciter, puisque faute de mémoire, ils ont pu admettre que trahir sa patrie est un acte vertueux et méritoire. Mais la position plus ou moins favorable d’un Pétain par rapport à la défaillance d’une faculté mentale de la nation française est de peu d’intérêt. Ce qui nous frappe ici, c’est que, pour en tirer quelque conclusion que ce soit, il ait mis le doigt sur une chose aussi capitale que la mémoire. Qu’il ait senti que tout se passe là. L’HOMME est avant tout mémoire…. L’écourtement de la mémoire, c’est la mort.»

Jean Cassou est en 1934 membre du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes et directeur de la revue Europe de 1936 à 1939. En 1936, il participe au cabinet de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-arts du Front populaire. Grand résistant. Automne 1940 Il participe au réseau de résistance créé par Boris Vildé et Alexandre Lewitsky au sein du musée de l’Homme. Emprisonné à Toulouse de décembre 1941 à février 1942, puis de juillet 1942 à juin 1943, il écrit dans sa prison les trente-trois sonnets composés au secret, publiés dans la clandestinité, sous le pseudonyme de Jean Noir, par les éditions de Minuit.   Passé dans la clandestinité, il est chargé de coordonner l’actions des forces résistantes dans le Sud-Ouest. Rédacteur des Cahiers de la Libération et Président du Comité régional de Libération de Toulouse. Juin 1944 Commissaire de la République de la région de Toulouse.Très grièvement blessé par les Allemands à la veille de la libération de la ville, il reçoit, sur son lit d’hôpital, la croix de Compagnon de la Libération des mains du général de Gaulle.
Octobre 1945 Conservateur en chef du Musée national d’art moderne, poste qu’il occupe jusqu’en 1965. Février 1946 Président du Comité national des écrivains. 1953 Les éditions de Minuit publient La mémoire courte, réponse de Jean Cassou à la Lettre aux directeurs de la Résistance de Jean Paulhan, éditée par ces mêmes éditions en 1951. De 1965 à 1970, il est directeur d’études à l’École pratique des hautes études.
C’est le beau-frère du philosophe Vladimir Jankélévitch (1903-1985), dont il a épousé la sœur, pianiste, Ida Jankélévitch (1898-1982).

 

Jean Cassou.

 

Antonio Machado

Antonio Machado (José Machado) 1938.

Le dimanche 22 janvier 1939, trois jours avant la chute de Barcelone, Antonio Machado et sa famille (Ana Ruiz, sa mère, son frère José, peintre et dessinateur, et l’épouse de ce dernier, Matea Monedero) se dirigent en convoi, dans un véhicule de la Direction Générale de la Santé, vers la frontière française. Les réfugiés attendent du 23 au 26 janvier dans un mas situé près de Cervià de Ter, à environ 10 kilomètres de Gérone. Ils repartent le jeudi 26 dans l’après-midi, jour de la chute de Barcelone, et doivent s’arrêter à nouveau au Mas Faixà, près de Figueras. Ils repartent le lendemain. Le 27 au soir, ils traversent Portbou sous la pluie. Les véhicules doivent s’arrêter. Antonio Machado et ses proches abandonnent une partie de leurs bagages et se joignent à la foule immense qui dans l’obscurité et le froid prend le chemin de l’exil. Ils arrivent au poste frontalier du col des Balitres. Ils y retrouvent l’écrivain Corpus Barga (1888-1979) qui parvient à convaincre le commissaire de police de les laisser passer. Le 28 janvier, ils prennent à Cerbère le train jusqu’à Collioure. Ils logent à l’hôtel Bougnol-Quintana. Grand fumeur, malade du coeur, le poète est conscient de l’usure de son corps. A partir du 18 février, il reste alité à cause d’une pneumonie. Antonio Machado, asthmatique et âgé de 64 ans, meurt le 22 février 1939, mercredi des Cendres, à trois heures et demie de l’après-midi dans la chambre n°5, au premier étage. Ses obsèques ont lieu le lendemain, 23 février. Son cercueil est porté par douze soldats républicains. Il est enterré dans un caveau prêté dans le cimetière de Collioure. Sa mère décède 25 février à 85 ans. Le 5 mai 1941, il est expulsé post-mortem de sa chaire de professeur de lycée par les autorités franquistes.  Il ne sera réhabilité comme professeur qu’en 1981. Les deux corps seront transférés le 16 juillet 1958 dans une autre tombe, achetée grâce à des dons venant du monde entier. Parmi les donateurs: Pablo Casals, Albert Camus, André Malraux, René Char. Sur la pierre tombale se trouve depuis des décennies une boîte aux lettres qui ne désemplit pas.

Retrato

(…)
Cuando llegue el día del último vïaje,
y esté al partir la nave que nunca ha de tornar,
me encontraréis a bordo ligero de equipaje,
casi desnudo, como los hijos de la mar.

Campos de Castilla (1907-17).

Portrait

(…)
Et quand viendra le jour du dernier voyage,
quand partira la nef qui jamais ne revient,
vous me verrez à bord, et mon maigre bagage,
quasiment nu, comme les enfants de la mer.

Champs de Castille (1907-1917). (Traduction Sylvie Léger et Bernard Sesé)

Tombe d’Antonio Machado à Collioure.

Gilles Deleuze (1925-1995)

Gilles Deleuze.

Les intercesseurs

Le complot des imitateurs
Comment définir une crise de la littérature aujourd’hui? Le régime des best-sellers, c’est la rotation rapide. Beaucoup de libraires tendent déjà à s’aligner sur les disquaires qui ne prennent que des produits répertoriés par un top-club ou un hit-parade. C’est le sens d’«Apostrophes». La rotation rapide constitue nécessairement un marché de l’attendu: même l’«audacieux», le «scandaleux», l’étrange, etc., se coulent dans les formes prévues du marché. Les conditions de la création littéraire, qui ne peuvent se dégager que dans l’inattendu, la rotation lente et la diffusion progressive sont fragiles. Les Beckett ou les Kafka de l’avenir, qui ne ressemblent justement ni à Beckett ni à Kafka, risquent de ne pas trouver d’éditeur, sans que personne s’en aperçoive par définition. Comme dit Lindon, «on ne remarque pas l’absence d’un inconnu». L’U.R.S.S. a bien perdu sa littérature sans que personne s’en aperçoive. On pourra se féliciter de la progression quantitative du livre et de l’augmentation des tirages: les jeunes écrivains se trouveront moulés dans un espace littéraire qui ne leur laissera pas la possibilité de créer. Se dégage un roman standard monstrueux, fait d’imitation de Balzac, de Stendhal, de Céline, de Beckett ou de Duras, peu importe. Ou plutôt Balzac lui-même est inimitable, Céline est inimitable: ce sont de nouvelles syntaxes, des «inattendus». Ce qu’on imite, c’est déjà et toujours une copie. Les imitateurs s’imitent entre eux, d’où leur force de propagation, et l’impression qu’ils font mieux que le modèle, puisqu’ils connaissent la manière ou la solution.

C’est terrible, ce qui se passe à «Apostrophes». C’est une émission de grande force technique, l’organisation, les cadrages. Mais c’est aussi l’état zéro de la critique littéraire, la littérature devenue spectacle de variétés. Pivot n’a jamais caché que ce qu’il aimait vraiment, c’était le football et la gastronomie. La littérature devient un jeu télévisé. Le vrai problème des programmes à la télévision, c’est l’envahissement des jeux. C’est quand même inquiétant qu’il y ait un public enthousiaste, persuadé qu’il participe à une entreprise culturelle, quand il voit deux hommes rivaliser pour faire un mot avec neuf lettres. Il se passe des choses bizarres, sur lesquelles Rossellini, le cinéaste, a tout dit. Ecoutez bien: «Le monde aujourd’hui est un monde trop vainement cruel. La cruauté, c’est aller violer la personnalité de quelqu’un, c’est mettre quelqu’un en condition pour arriver à une confession totale et gratuite. Si c’était une confession en vue d’un but déterminé je l’accepterais, mais c’est l’exercice d’un voyeur, d’un vicieux, disons-le, c’est cruel. je crois fermement que la cruauté est toujours une manifestation d’infantilisme. Tout l’art d’aujourd’hui devient chaque jour plus infantile. Chacun a le désir fou d’être le plus enfantin possible. je ne dis pas ingénu: enfantin… Aujourd’hui, l’art, c’est ou la plainte ou la cruauté. Il n’y a pas d’autre mesure: ou l’on se plaint, ou l’on fait un exercice absolument gratuit de petite cruauté. Prenez par exemple cette spéculation (il faut l’appeler par son nom) qu’on fait sur l’incommunicabilité, sur l’aliénation, je ne trouve en cela aucune tendresse, mais une complaisance énorme… Et cela, je vous l’ai dit, m’a déterminé à ne plus faire de cinéma.» Et cela devrait d’abord déterminer à ne plus faire d’interview. La cruauté et l’infantilisme sont une épreuve de force même pour ceux qui s’y complaisent, et s’imposent même à ceux qui voudraient y échapper.(…)

Si la littérature meurt, ce sera par assassinat
Ceux qui n’ont pas bien lu ni compris McLuhan peuvent penser qu’il est dans la nature des choses que l’audiovisuel remplace le livre, puisqu’il comporte lui-même autant de potentialités créatrices que la littérature défunte ou d’autres modes d’expression. Ce n’est pas vrai. Car, si l’audiovisuel en vient à remplacer le livre, ce ne sera pas en tant que moyen d’expression concurrent, mais en tant que monopole exercé par des formations qui étouffent aussi les potentialités créatrices dans l’audiovisuel lui-même. Si la littérature meurt, ce sera nécessairement par mort violente et assassinat politique (comme en U.R.S.S., même si personne ne s’en aperçoit). La question n’est pas celle d’une comparaison des genres. L’alternative n’est pas entre la littérature écrite et l’audiovisuel. Elle est entre les puissances créatrices (dans l’audiovisuel aussi bien que dans la littérature) et les pouvoirs de domestication. Il est très douteux que l’audiovisuel puisse se donner des conditions de création si la littérature ne sauve pas les siennes. Les possibilités de création peuvent être très différentes suivant le mode d’expression considéré, elles n’en communiquent pas moins dans la mesure où c’est toutes ensemble qu’elles doivent d’opposer à l’instauration d’un espace culturel de marché et de conformité, c’est-à-dire de «production pour le marché».

Albert Camus

Le temps des meurtriers, 1949.

« Je ne prendrai que quelques exemples. Et d’abord la polémique. Il n’y pas de vie sans dialogue. Et sur la plus grande partie du monde, le dialogue est remplacé aujourd’hui par la polémique, langage de l’efficacité. Le XX ème siècle est, chez nous, le siècle de la polémique et de l’insulte. Elle tient, entre les nations et les individus, et au niveau même de disciplines autrefois désintéressées la place que tenait traditionnellement le dialogue réfléchi. Des milliers de voix, jour et nuit, poursuivant chacune de son côté un tumultueux monologue, déversant sur les peuples un torrent de paroles mystificatrices. Mais quel est le mécanisme de la polémique? Elle consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. Celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard. Grâce à la polémique, nous ne vivons plus dans un monde d’hommes, mais dans un monde de silhouettes.»

 

Samuel Beckett (1906-1989)

 

Samuel Beckett.

Fin de partie, 1957.

«La fin est dans le commencement et cependant on continue.»

L’Innommable.

«Il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, jusqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent, étrange peine, étrange faute, il faut continuer, c’est peut-être déjà fait, ils m’ont peut-être déjà dit, ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon histoire, devant la porte qui s’ouvre sur mon histoire, ça m’étonnerait, si elle s’ouvre, ça va être moi, ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurai jamais, dans le silence on ne sait pas, il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer. (…).»

Fin de partie.

«Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. Les grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c’est un tas, un petit tas, l’impossible tas.».

«Tu n’as pas cessé d’essayer? Tu n’as pas essayé d’échouer? Aucune importance! Réessaie, échoue encore, échoue mieux.»

Cap au pire.

“Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux.”

Le monde et le pantalon (1989).

Un client s’énervant après moultes essayages chez son vieux tailleur et perdant patience:

« Mais enfin, M. Moysche! Dieu a fait le monde en six jours et vous, il vous faut trois mois pour me faire un pantalon?» «Oui, c’est vrai mais dites, vous avez vu le monde et vous avez vu mon pantalon?»

Lettre à Robert Pinget .

« Ne vous désespérez pas, branchez-vous bien sur le désespoir et chantez-nous ça. »

Samuel Beckett à l’enterrement de Roger Blin, 1984 (Bernard Morlino).

Vladimir Jankélévitch (1903-1985) III

Fausse carte d’identité de Vladimir Jankélévitch, 1942.

J’ai vu avec J. mercredi 6 février l’exposition Vladimir Jankélévitch, figures du philosophe à la BNF. Le quartier est en construction depuis des années. La Bibliothèque nationale de France «site François-Mitterrand», créée en 1996-98 par Dominique Perrault, a reçu en 1996 le Prix de l’Union européenne pour l’architecture contemporaine Mies van der Rohe. Ses quatre grandes tours angulaires de 79 mètres et vingt-deux étages ne m’ont jamais semblé bien agréables à voir. Pourquoi avoir construit un jardin de 9 000 m²(50 m x 180 m), entouré d’une allée de 3,75 m de large, soit 10 780 m² au total) et l’avoir fermé au public? Ce géant semble néanmoins fonctionner et attirer les jeunes étudiants. Tant mieux!

L’exposition rétrospective Vladimir Jankélévitch rassemble 120 pièces conservées au département des Manuscrits et données par sa famille à la BnF. Manuscrits, tapuscrits, ouvrages, correspondances, photographies ou documents audiovisuels éclairent la pensée et l’itinéraire de cette grande figure de la philosophie française du XX ème siècle. L’exposition montre bien ses combats dans la Résistance, ses engagements humanistes jusqu’à sa mort en 1985 et l’importance de la musique dans sa vie. Réfugié à Toulouse pendant la seconde Guerre mondiale, il y a mené des actions de résistance tout en faisant paraître des textes comme Du mensonge, Le Nocturne en 1942 ou l’article De la simplicité, en hommage à Henri Bergson, en 1943. Fidèle à cet esprit, il reviendra sans cesse sur l’impossibilité d’oublier ou de banaliser la Shoah, sur les diverses formes de résurgence de l’antisémitisme. Toute sa vie, il combattra aux côtés des persécutés politiques, des victimes du racisme et des réfugiés.

Citations glanées ici et là dans cette exposition:

Vladimir Jankélévitch, Le paradoxe de la morale, Paris, Seuil, 1981, pp. 32-33.

«Seul compte l’exemple que le philosophe donne par sa vie et dans ses actes»

Vladimir Jankélévitch, L’irréversible et la nostalgie , Éditions Flammarion, 1983.

«Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été: désormais ce fait mystérieux et profondément obscur d’avoir été est son viatique pour l’éternité.»

Vladimir Jankélévitch, L’imprescriptible.Pardonner? Dans l’honneur et la dignité. Le Seuil 1986 p.59-60

«Les innombrables morts, ces massacrés, ces torturés, ces piétinés, ces offensés sont notre affaire à tous. Qui en parlerait si nous n’en parlions pas? Qui même y penserait? Dans l’universelle amnistie morale depuis longtemps accordée aux assassins, les déportés, les fusillés, les massacrés n’ont plus que nous pour penser à eux. Si nous cessions d’y penser, nous achèverions de les exterminer et ils seraient anéantis définitivement. Les morts dépendent entièrement de notre fidélité.»

Vladimir Jankélévitch, L’Arc n° 75. 1979

«Je joue du piano…pour rien. Parce que j’en ai envie. C’est une grande partie de ma vie. Ce soir, vous allez m’empêcher d’en faire…Je me demande même si je n’aime pas le piano davantage que la musique. Le piano, c’est un plaisir complet, qui va jusqu’au bout des doigts: il y a un plaisir particulier à enfoncer les touches.»

Vladimir Jankélévitch, France Culture, entretiens rediffusés le 8 juin 1985.

«Mon père n’est pas dans le cimetière où il est enterré. Il est plutôt à sa table de travail et dans le livre qu’il m’a laissé, et dans la pensée qu’il m’a léguée; il est dans…il est dans ces choses-là, mais il n’est pas dans le cimetière. Dans le cimetière, il n’y a rien.»

Cartes de membre et d’adhérent 01.
Cartes de membre et d’adhérent 02.

Julio Cortázar (1914-1984)

Julio Cortázar.

Cette Lettre ouverte à Pablo Neruda  fut écrite par Julio Cortázar en  introduction à la version française de Residencia en la tierra, publiée dans la Collection Poésie/Gallimard en 1972 .Traduction de Laure Guille-Bataillon.

«…parce que contre vents et marées l’homme défend et sauve un territoire commun, une zone de rencontre où merveilleusement nous renonçons à la défense et au secret, où un poème, une peinture, un solo de trompette sont aussi importants que la rencontre du corps de l’homme et de la femme, que le cri des hirondelles aux dernières lumières du jour, que le frémissement d’un champs de blé que j’ai tellement aimé là-bas dans l’île de Tenglo, en 42, la première fois que j’ai vu ton Chili et me suis promené dans ses montagnes et dans ses îles et, sur une place de Valparaíso, un soir de chaleur et de tristesse, j’ai lu assis sur un banc ton Espagne au coeur qui devait par la suite faire partie de Troisième Résidence mais qui était alors un livre de grand format bien mal commode à trimbaler sauf lorsqu’il avait atteint la poitrine, cette région cachée et crépusculaire où vont peut-être bien mourir les éléphants et les oiseaux…
Voilà longtemps déjà que je répète monotonément que nous n’arriverons pas à nouer le destin auquel nous avons droit (…) si nous ne commençons pas par descendre au plus profond de nous-mêmes, hommes et choses, matières et mots, idéaux et tabous, discriminations raciales et sexuelles, tous ces drapeaux de pacotille et ces nationalismes de championnat. Comment ne pas sentir alors que tes premières Résidences sont, sur ton terrain de poète, cette descente aux enfers sans laquelle tu ne serais jamais remonter a riveder le stelle? Dans les années 40, en une période où presque tous les poètes suivaient une voie lyrique sans surprise, il tombe sur une génération sud-américaine stupéfaite, émerveillée ou furieuse, une énorme alluvion de mots chargés de matière épaisse, de pierres et lichens, de sperme sidéral, de vents du large et de mouettes de fin du monde, une nomenclature de bois et de métaux, de peignes et de femmes, de falaises et de bourrasques, et tout cela nous arrive, comme tant d’autres fois, de l’autre côté du monde, où un poète regarde par-dessus la mer son lointain Chili et le comprend et le connaît tellement mieux que d’autres qui ont le nez dessus.»

«…porque contra viento y marea el hombre defiende y salva un territorio común, una zona de encuentro donde maravillosamente renunciamos a la veda y al secreto, donde un poema o una pintura o un solo de trompeta valen como el encuentro de los cuerpos de la mujer y del hombre, como el silbar de las golondrinas en la última luz de la tarde, como el temblor de un trigal que amé en la isla Tenglo allá por el año cuarenta y dos cuando conocí tu Chile y anduve por sus tierras y sus islas y en una plaza de Valparaíso, una noche de calor y de tristeza, leí sentado en un banco tu España en el corazón que luego habría de entrar en la Tercera Residencia pero que entonces era un libro de grandísimo formato, tan incómodo de llevar salvo cuando ganaba el pecho, la región solapada y crepuscular donde acaso van a morir de verdad los elefantes y los pájaros…
Hace ya muchísimos años que insisto monótonamente en que no llegaremos a cuajar nuestro destino legítimo (…) si no empezamos por bajar a lo más hondo de nosotros mismos, hombres y cosas, materias y palabras, ideales y tabúes, descriminaciones y machismos, banderas de pacotilla y nacionalismos de campeonato. Cómo no sentir entonces que tus primeras Residencias son en tu terreno de poeta esa bajada a los infiernos sin la cual jamás habrías retornado «a riveder le stelle». En la cuarta década del siglo, en un periodo en el que casi todos los poetas continuaban una vía lírica sin sorpresas, cae sobre una genración latinoamericana estupefacta, maravillada o enfurecida, un enorme aluvión de palabras cargadas de materia espesa, de piedras y de líquenes, de esperma sideral, de vientos litorales y gaviotas de fin de mundo, un inventario de ruinas y nacimientos, una nomenclatura de maderas y metales y peines y mujeres y farallones y espléndidas borrascas, y todo eso, como tantas otras veces, desde el otro lado del mundo donde un poeta mira por encima del mar su Chile remotísimo y lo conoce tanto mejor que otros con las narices pegadas al cerro Santa Lucía o a los lagos australes.»

Valparaíso, Escalera Templeman. We are not Hippies, we are Happies (Art+Believe).

Pablo Neruda

Pablo Neruda.

No hay olvido (Sonata) 

Si me preguntáis en dónde he estado
debo decir “Sucede”.
Debo de hablar del suelo que oscurecen las piedras,
del río que durando se destruye:
no sé sino las cosas que los pájaros pierden,
el mar dejado atrás, o mi hermana llorando.
Por qué tantas regiones, por qué un día
se junta con un día? Por qué una negra noche
se acumula en la boca? Por qué muertos?
Si me preguntáis de dónde vengo, tengo que conversar con
cosas rotas,
con utensilios demasiado amargos,
con grandes bestias a menudo podridas
y con mi acongojado corazón.

No son recuerdos los que se han cruzado
ni es la paloma amarillenta que duerme en el olvido,
sino caras con lágrimas,
dedos en la garganta,
y lo que se desploma de las hojas:
la oscuridad de un día transcurrido,
de un día alimentado con nuestra triste sangre.

He aquí violetas, golondrinas,
todo cuanto nos gusta y aparece
en las dulces tarjetas de larga cola
por donde se pasean el tiempo y la dulzura.
Pero no penetremos más allá de esos dientes,
no mordamos las cáscaras que el silencio acumula,
porque no sé qué contestar:
hay tantos muertos,
y tantos malecones que el sol rojo partía,
y tantas cabezas que golpean los buques,
y tantas manos que han encerrado besos,
y tantas cosas que quiero olvidar.

Residencia en la tierra, (1925–1931). Madrid, Ediciones del Árbol, 1935.

Il n’y a pas d’oubli (Sonate)

Si vous me demandez où j’étais
je dois dire: «Il arrive que».
Je dois parler du sol que les pierres obscurcissent,
du fleuve qui en se prolongeant se détruit:
je ne connais que les choses perdues par les oiseaux,
la mer laissée en arrière, ou ma sœur qui pleure.
Pourquoi tant de régions, pourquoi un jour
se joint-il à un jour? Pourquoi une nuit noire
s’accumule-t-elle dans la bouche? Pourquoi des morts?
Si vous me demandez d’où je viens, je dois parler
avec les choses brisées,
avec des ustensiles trop amers,
avec de grandes bêtes souvent pourries
et avec mon coeur tourmenté.

Ce ne sont pas les souvenirs qui se sont croisés
ni la colombe jaunâtre qui dort dans l’oubli,
mais des visages avec des larmes,
des doigts dans la gorge,
et ce qui s’effondre des feuilles:
l’obscurité d’un jour écoulé,
d’un jour nourri de notre triste sang.

Voici des violettes, des hirondelles,
tout ce que nous aimons et qui figure
sur de douces cartes à longue traîne
où se promènent le temps et la douceur.
Mais ne pénétrons pas au-delà de ces dents,
ne mordons pas aux écorces que le silence accumule,
car je ne sais que répondre:
il y a tant de morts,
et tant de jetées que le soleil rouge transperçait,
et tant de têtes qui frappent les bateaux,
et tant de mains qui ont enfermé des baisers,
et tant de choses que je veux oublier.

Résidence sur la terre, (1925–1931) (1935) , traduit par Guy Suarès .Paris, Gallimard,«Du monde entier», 1969. réédition dans une traduction nouvelle de Guy Suarès, préface de Julio Cortázar, Paris, Gallimard, «Poésie» n°83, 1972;