Blas de Otero

Blas de Otero (Ciriaco Párraga Macorra), 1962.

Samedi, visite hebdomadaire chez Gibert Jeune. Je trouve d’occasion, dans le rayon Livres en langues étrangères, Ancia de Blas de Otero (Visor Libros). Je relis dimanche ces poèmes.

Blas de Otero est né le 15 mars 1916 à Bilbao. Il y passe une partie de son enfance. Il perd très jeune un frère et son père. Pendant la guerre civile, il doit combattre d’abord avec les gudaris au Pays Basque, puis avec les troupes franquistes lors de la campagne de Valence.

Il fait des études supérieures de droit et de lettres, mais son rôle de soutien de famille pèse lourd sur ses épaules. Il souffre d’une forte dépression en 1945 et doit faire un séjour au sanatorium d’Usurbil.

Il gagne sa vie en exerçant de nombreux métiers : conseiller juridique dans la métallurgie, mineur, professeur de droit. Il donne des conférences et des récitals de poésie dans toute l’Espagne. Il réside un temps à Paris (une première fois pour dix mois en 1952, puis pour deux courts séjours en 1959 et 1963), ensuite à La Havane (de 1964 à 1968). Il voyage en 1960 en Union Soviétique et en Chine. Il est mort d’une embolie pulmonaire le 29 juin 1979 à Majadahonda, dans la banlieue de Madrid. Il est enterré au cimetière civil de Madrid.

La première étape de son œuvre est marquée par le catholicisme (Cántico espiritual, 1942). Elle renvoie à la poésie religieuse du Siècle d’Or. Il a été membre de la Fédération des étudiants catholiques de Biscaye.
La seconde étape exprime l’angoisse existentielle de l’homme. (Ángel fieramente humano, 1950. Redoble de conciencia, 1951. Ces deux recueils sont regroupés en 1958 sous le titre de synthèse de Ancia. Il y a ajouté 38 poèmes)
Dans sa troisième étape, il écrit pour l’immense majorité, une poésie sociale et politique. Ses livres sont censurés par le régime franquiste. (Pido la paz y la palabra, 1955. En castellano, 1960. Hacia la inmensa mayoría, 1962. Que trata de España, 1964) Il a rejoint le Parti Communiste d’Espagne en 1952.

Les derniers recueils (Hojas de Madrid con La galerna, 1968-2010. Mientras, 1970. Historias fingidas y verdaderas, 1970) témoignent d’un certain retour à des thèmes plus personnels.

Il a beaucoup utilisé les formes classiques, le sonnet par exemple.

On peut reconnaître dans sa poésie l’influence de fray Luis de León, saint Jean de la Croix, Francisco de Quevedo, Miguel de Unamuno, Antonio Machado, Miguel Hernández et César Vallejo.

Lo eterno (La tierra)

Un mundo como un árbol desgajado.
Una generación desarraigada.
Unos hombres sin más destino que
apuntalar las ruinas.

Rompe el mar
en el mar, como un himen inmenso,
mecen los árboles el silencio verde,
las estrellas crepitan, yo las oigo.

Sólo el hombre está sólo. Es que se sabe
vivo y mortal. Es que se siente huir
– ese río del tiempo hacia la muerte – .

Es que se quiere quedar. Seguir siguiendo,
subir, a contra muerte, hasta lo eterno.
Le da miedo mirar. Cierra los ojos
para dormir el sueño de los vivos.

Pero la muerte, desde dentro, ve.
Pero la muerte, desde dentro, vela.
Pero la muerte, desde dentro, mata.

…El mar – la mar -, como un himen inmenso,
los árboles moviendo el verde aire,
la nieve en llamas de luz en vilo…

Ángel fieramente humano, 1950.

L’éternité

Un monde comme un arbre, arraché.
Toute une génération déracinée.
Des hommes qui n’ont d’autre destin que
d’étayer les ruines.

La mer se brise
dans la mer, comme un immense hymen,
les arbres bercent le silence vert,
les étoiles crépitent, moi je les entends.

Seul l’homme est seul. Parce qu’il sait qu’il est
vivant et mortel. Parce qu’il sent qu’il part
ce fleuve du temps coulant vers la mort

Parce qu’il veut rester. Être, être encore,
gagner, à contre-mort, l’éternité.
Regarder lui fait peur. Il ferme les yeux
pour entrer dans le sommeil des vivants.

Mais la mort, du dedans, le regarde.
Mais la mort, du dedans, le guette.
Mais la mort, du dedans, le tue.

…La mer – les mers – , comme un immense hymen,
les arbres qui soulèvent le vent vert,
la neige en flammes d’une lumière en suspens…

Anthologie bilingue de la poésie espagnole. Bibliothèque de la Pléiade, 1995. NRF Gallimard. Traduction : Evelyne Martín-Hernández.

Tierra

“Quia non conclusit ostia ventris”
Job III, 10.

Humanamente hablando, es un suplicio
ser hombre y soportarlo hasta las heces,
saber que somos luz, y sufrir frío,
humanamente esclavos de la muerte.

Detrás del hombre viene dando gritos
el abismo, delante abre sus hélices
el vértigo, y ahogándose en sí mismo,
en medio de los dos, el miedo crece.

Humanamente hablando, es lo que digo,
no hay forma de morir que no se hiele.
La sombra es brava y vivo es el cuchillo.
Qué hacer, hombre de Dios, sino caerte.

Humanamente en tierra, es lo que elijo.
Caerme horriblemente, para siempre.
Caerme, revertir, no haber nacido
humanamente nunca en ningún vientre.

Redoble de conciencia, 1951.

Terre

Quia non conclusit ostia ventris”
Job III, 10.

Humainement parlant, c’est supplice
d’être homme et de l’être jusqu’à la lie,
de nous savoir lumière et d’avoir froid,
humainement esclaves de la mort.

Derrière l’homme arrive en hurlant
le gouffre, devant s’ouvrent les hélices
du vertige, et, sombrant en elle-même
entre les deux, la peur qui grandit.

Humainement parlant, je le dis bien,
il n’est pas de mort qui ne se glace;
L’ombre est féroce et vif est le couteau.
Et tu ne peux, homme de Dieu, que tomber.

Humainement sur la terre : c’est mon choix.
Tomber horriblement, oui, pour toujours.
Tomber, revenir au néant, n’être né
jamais, humainement, d’aucun ventre.

Anthologie bilingue de la poésie espagnole. Bibliothèque de la Pléiade, 1995. NRF Gallimard. Traduction : Evelyne Martín-Hernández.

En el principio

Si he perdido la vida, el tiempo, todo
lo que tiré, como un anillo, al agua,
si he perdido la voz en la maleza,
me queda la palabra.

Si he sufrido la sed, el hambre, todo
lo que era mío y resultó ser nada,
si he cegado las sombras en silencio,
me queda la palabra.

Si abrí los labios para ver el rostro
puro y terrible de mi patria,
si abrí los labios hasta desgarrármelos
me queda la palabra.

Pido la paz y la palabra, 1955.

Au commencement

Si j’ai perdu la vie, le temps, tout
ce que j’ai jeté, comme une bague, à l’eau,
si j’ai perdu la voix dans son jardin de mauvaises herbes,
il me reste la parole.

Si j’ai souffert de la soif, de la faim, tout
ce qui semblait être moi et finit par n’être rien,
si j’ai moissonné les gerbes d’ombre et de silence,
il me reste la parole.

Si j’ai ouvert les lèvres pour voir la figure
pure et terrible de ma patrie,
si je les ai ouvertes jusqu’à me les déchirer,
il me reste la parole.

Je demande la paix et la parole. François Maspéro, 1963. Traduction: Claude Couffon.

Buste de Blas de Otero (Francisco López Hernández), 2005. Bilbao. Calle Egaña, vers Alameda de Recalde.

María Victoria Atencia

María Victoria Atencia.

María Victoria Atencia est née le 28 novembre 1931 à Málaga où elle réside toujours.
Elle a une passion pour sa région d’origine, l’Andalousie, et la mer est un des éléments constants de sa poésie. San Juan de la Cruz, Santa Teresa de Jesús, Luis de Góngora, Juan Ramón Jiménez, Rainer Maria Rilke, Constantin Cavafis ont marqué sa jeunesse. Elle commence à publier en 1953, encouragée par Rafael León (1931-2011), poète et éditeur. Elle se marie avec lui en 1955 et ils ont quatre enfants. Elle publie dans la revue littéraire de Málaga, Caracola (1952-1961), dont le secrétaire est Bernabé Fernández-Canivell (1907-1990), ami des poètes de la Génération de 1927. Grâce à lui, elle fait la connaissance des poètes Vicente Aleixandre (Prix Nobel de littérature 1977), Jorge Guillén, Dámaso Alonso. Elle a possédé le brevet de pilote d’avion.

Epitafio para una muchacha ( María Victoria Atencia )

Porque te fue negado el tiempo de la dicha
tu corazón descansa tan ajeno a las rosas.
Tu sangre y carne fueron tu vestido más rico
y la tierra no supo lo firme de tu paso.

Aquí empieza tu siembra y acaba juntamente
– tal se entierra a un vencido al final del combate -,
donde el agua en noviembre calará tu ternura
y el ladrido de un perro tenga voz de presagio.

Quieta tu vida toda al tacto de la muerte,
que a las semillas puede y cercena los brotes,
te quedaste en capullo sin abrir, y ya nunca
sabrás el estallido floral de primavera.

Cañada de los Ingleses. Málaga. El Guadalhorce, Cuadernos de María Cristina. 1961.

Ce poème est particulier. Elle affirme : “Es el único poema mío que incluso me sé de memoria, absolutamente el único…pero no sé por qué lo escribí”.
Elle visitait fréquemment le cimetière anglais de Málaga, le premier cimetière non-catholique d’Espagne (1831). Conçu comme un jardin botanique, il est installé face à la mer, assez près du centre-ville. On peut le visiter ainsi que la capilla de San Jorge (1850).
María Victoria Atencia fut impressionnée par l’inscription sur la tombe de Violette Pautard (24-XII-1958 – 23-I-1959), une enfant morte très jeune. On peut y lire en français : « Ce que vivent les violettes. » Elle fit visiter ce cimetière à Jorge Guillén qui voulut y être enterré. Ce poème figure depuis 1960 sur une pierre tombale placée contre un des murs du fond du cimetière. Pendant quinze ans, de 1961 à 1976, elle ne publie rien.
Dans ce cimetière, on trouve les tombes de nombreuses personnalités des communautés anglaise, espagnole, ainsi que d’autres nationalités établies ou de passage en Andalousie et en particulier, de la Costa del Sol (parmi elles celles du militaire irlandais libéral Robert Boyd 1805-1831, de Jorge Guillén 1893-1984, ou de l’écrivain britannique Gerald Brenan 1894-1987, ami de Leonard et Virginia Woolf).

Entrée du cimetière anglais de Málaga.
Tombe de Violette Pautard (24-XII-1958 – 23-I-1959)

Saint-John Perse

Hommage à Saint-John Perse. Paris, Jardin des Plantes. (Patrick Alexandre) 1989.

Promenade dans Paris samedi. L’Hommage à Saint-John Perse est l’une des rares oeuvres d’art contemporain présente dans le Jardin des Plantes. En 1985, le sculpteur Patrice Alexandre (né en 1951) reçoit la commande du ministère de la Culture pour honorer la mémoire de Saint-John Perse (Alexis Léger 1887-1975), prix Nobel de littérature en 1960. Il imagine trois plaques de bronze patiné, gravées de trois versions différentes du poème Nocturne, un des derniers poèmes de l’auteur (1972): reproduction de l’écriture manuscrite de l’auteur, ratures, annotations, brouillons, tapuscrit sur 2,7 mètres de haut et 1,26 mètres de large. L’oeuvre a été réalisée en 1989. La sculpture se compose de monolithes plantés dans le sol. En faisant plus attention, le motif de la feuille d’arbre se dégage. Au verso, on remarque un réseau de nervures.

Saint-John Perse (Alexis Léger)

Nocturne (Saint-John Perse)

Les voici mûrs, ces fruits d’un ombrageux destin. De notre songe issus, de notre sang nourris, et qui hantaient la pourpre de nos nuits, ils sont les fruits du long souci, ils sont les fruits du long désir, ils furent nos plus secrets complices et, souvent proches de l’aveu, nous tiraient à leurs fins hors de l’abîme de nos nuits … Au feu du jour toute faveur ! les voici mûrs et sous la pourpre, ces fruits d’un impérieux destin. – Nous n’y trouvons point notre gré.

Soleil de l’être, trahison ! Où fut la fraude, où fut l’offense ? où fut la faute et fut la tare, et l’erreur quelle est-elle ? Reprendrons-nous le thème à sa naissance ? Revivrons-nous la fièvre et le tourment ?… Majesté de la rose, nous ne sommes point de tes fervents : à plus amer va notre sang, à plus sévère vont nos soins, nos routes sont peu sûres, et la nuit est profonde où s’arrachent nos dieux. Roses canines et ronces noires peuplent pour nous les rives du naufrage.

Les voici mûrissant, ces fruits d’une autre rive. ” Soleil de l’être, couvre-moi ! ” – parole du transfuge. Et ceux qui l’auront vu passer diront : qui fut cet homme, et quelle, sa demeure ? Allait-il seul au feu du jour montrer la pourpre de ses nuits ?… Soleil de l’être, Prince et Maître ! nos oeuvres sont éparses, nos tâches sans honneur et nos blés sans moisson : la lieuse de gerbes attend au bas du soir. – Les voici teints de notre sang, ces fruits d’un orageux destin.

À son pas de lieuse de gerbes s’en va la vie sans haine ni rançon.

1972.

Première publication dans La Nouvelle Revue Française n°241, janvier 1973.

Chant pour un équinoxe. Gallimard, 1975.

Emily Dickinson – John Keats

448 (Emily Dickinson)

Je mourus pour la Beauté –mais à peine étais-je
Ajustée dans la Tombe
Que Quelqu’un mort pour la Vérité, fut couché
Dans la Chambre d’à côté –

Il me demanda doucement « Pourquoi es-tu tombée? »
« Pour la Beauté », répliquai-je –
« Et Moi – pour la Vérité – Qui ne font qu’Un –
Nous sommes Frère et Sœur » dit-Il –

Et ainsi, tels des Parents, qui se rencontrent une Nuit –
Nous devisâmes d’une Chambre à l’autre –
Jusqu’à ce que la Mousse atteigne nos lèvres –
Et recouvre – Nos noms –

Poésies complètes. Editions Flammarion, 2009. Traduction Florence Dolphy.

448

I died for Beauty – but was scarce
Adjusted in the Tomb
When One who died for Truth, was lain
In an adjoining Room –

He questioned softly “Why I failed”?
“For Beauty”, I replied –
“And I – for Truth – Themself are One –
We Bretheren, are”, He said –

And so, as Kinsmen, met a Night –
We talked between the Rooms –
Until the Moss had reached our lips –
And covered up – Our names –

John Keats

Ode sur une urne grecque (John Keats)

O toi, vierge encore, épouse du repos
Enfant nourrie par le silence et les lentes années,
Sylvestre conteuse qui sait en ta langue exprimer
Un récit tout fleuri plus suavement que nos poèmes :
Quelle légende frangée de feuilles s’évoque à l’entour de tes flancs,
Légende de dieux ou de mortels, ou des deux peut-être,
À Tempé ou dans les vallons d’Arcadie ?
Quels sont ces hommes ou bien ces dieux ? Et ces vierges rebelles ?
Et cette folle poursuite ? Qui se débat pour s’échapper ?
Quels sont ces pipeaux et ces tambourins ? Quelle est cette frénésie ?

Les mélodies qu’on entend sont douces ; mais inouïes,
Plus douces encore ; aussi, tendres pipeaux, continuez de jouer :
Non pour l’oreille charnelle, mais, plus séduisants,
Jouez à l’âme des airs privés de voix :
Bel adolescent, à l’ombre de ces arbres, tu ne saurais
Quitter ta chanson, ni ces arbres se dénuder jamais ;
Amant hardi, jamais, jamais tu n’auras son baiser,
Si près du but pourtant ; mais ne t’afflige pas ;
Elle ne pourra se flétrir, encore que tu ne goûtes pas ton bonheur,
À jamais tu l’aimeras et toujours elle sera belle !
Heureux, heureux rameaux, qui ne sauriez répandre
Votre feuillage, ni jamais, dire au Printemps adieu !
Et toi, heureux musicien, qui, inlassable,
Modules des chants toujours nouveaux !
Et plus heureux l’amour, plus heureux mille fois !
Amour toujours ardent et jamais assouvi,
Toujours haletant et jeune éternellement,
Bien au-dessus de toute passion des hommes
Qui nous laisse le cœur douloureux et repu,
Le front brûlant et la bouche dévastée de fièvre.

Mais quel cortège s’avance au sacrifice ?
À quel autel verdoyant, ô prêtre mystérieux,
Mènes-tu cette génisse qui mugit vers le ciel
Et dont les fanes soyeux se parent de guirlandes ?
Quelle petite ville au bord d’un fleuve ou de la mer,
Ou, bâtie sur une montagne autour d’un paisible acropole,
S’est ainsi décuplée en ce matin recueilli ?
Modeste bourgade, tes rues, pour toujours,
Connaîtront le silence ; et pas une âme
Pour dire pourquoi tu es déserte, ne reviendra jamais.
O forme attique ! Galbe charmant ! Un entrelac
De formes de marbres, hommes et vierges, t’entoure,
Mêlé aux ramures de la forêt et aux herbes que le pied foule ;
Muets contours, votre énigme excède la pensée,
Comme fait l’éternité : Froide Pastorale !
Quand le grand âge consumera la présente génération
Tu demeureras, parmi d’autres douleurs
Que les nôtres, amie de l’homme, à qui tu dis :
La Beauté, c’est la Vérité ; la Vérité, Beauté – voilà tout
Ce que vous savez sur terre et tout ce qu’il faut savoir.

Poèmes choisis. Aubier-Flammarion. Traduction Albert Laffay.

Ode on a Grecian Urn

Thou still unravish’d bride of quietness,
       Thou foster-child of silence and slow time,
Sylvan historian, who canst thus express
       A flowery tale more sweetly than our rhyme:
What leaf-fring’d legend haunts about thy shape
       Of deities or mortals, or of both,
               In Tempe or the dales of Arcady?
       What men or gods are these? What maidens loth?
What mad pursuit? What struggle to escape?
               What pipes and timbrels? What wild ecstasy?

Heard melodies are sweet, but those unheard
       Are sweeter; therefore, ye soft pipes, play on;
Not to the sensual ear, but, more endear’d,
       Pipe to the spirit ditties of no tone:
Fair youth, beneath the trees, thou canst not leave
       Thy song, nor ever can those trees be bare;
               Bold Lover, never, never canst thou kiss,
Though winning near the goal yet, do not grieve;
       She cannot fade, though thou hast not thy bliss,
               For ever wilt thou love, and she be fair!

Ah, happy, happy boughs! that cannot shed
         Your leaves, nor ever bid the Spring adieu;
And, happy melodist, unwearied,
         For ever piping songs for ever new;
More happy love! more happy, happy love!
         For ever warm and still to be enjoy’d,
                For ever panting, and for ever young;
All breathing human passion far above,
         That leaves a heart high-sorrowful and cloy’d,
                A burning forehead, and a parching tongue.

Who are these coming to the sacrifice?
         To what green altar, O mysterious priest,
Lead’st thou that heifer lowing at the skies,
         And all her silken flanks with garlands drest?
What little town by river or sea shore,
         Or mountain-built with peaceful citadel,
                Is emptied of this folk, this pious morn?
And, little town, thy streets for evermore
         Will silent be; and not a soul to tell
                Why thou art desolate, can e’er return.

O Attic shape! Fair attitude! with brede
         Of marble men and maidens overwrought,
With forest branches and the trodden weed;
         Thou, silent form, dost tease us out of thought
As doth eternity: Cold Pastoral!
         When old age shall this generation waste,
                Thou shalt remain, in midst of other woe
Than ours, a friend to man, to whom thou say’st,
“Beauty is truth, truth beauty,—that is all
Ye know on earth, and all ye need to know.”

Vase de Sosibios, décalque par John Keats. Vers 1819. Les Monuments antiques du musée Napoléon.

Alejo Carpentier – Robert Desnos

Alejo Carpentier

De 1928 à 1939, l’écrivain cubain Alejo Carpentier vit en France et Robert Desnos est un de ses meilleurs amis.

Le 21 février 1928, Robert Desnos part à Cuba. Il a réussi à se faire engager comme représentant de La Razón, un journal argentin, au Congrès de la presse latine, qui se tient à La Havane. Il arrive le 6 mars et rencontre Miguel Ángel Asturias, Corpus Barga entre autres. Il se rend compte de l’énergie incroyable que dégage cette ville. Lors de son séjour (du 5 au 16 mars 1928), il découvre la musique cubaine, les ” sons ”, la rumba et fréquente les jeunes révolutionnaires cubains qu’il fera connaître en France à son retour.

Le 16 mars 1928, Il ramène clandestinement avec lui, sur le paquebot Espagne, Alejo Carpentier qui fuit la dictature du général Gerardo Machado. Le futur romancier du Siècle des Lumières avait été incarcéré pendant sept mois pour avoir signé el Manifiesto Minorista, publié le 6 mai 1927, et se trouvait en liberté conditionnelle. Á Paris, ils travailleront ensemble dans les années 30 pour la radio et se verront presque tous les jours.

Paul Deharme ( 1898-1934 ) fonde en 1932 et dirige les studios Foniric, un service de production radiophonique, qui fournit notamment à Radio-Paris et Radio Luxembourg des campagnes publicitaires et des programmes de radio très élaborés, sponsorisés par des marques. Il organise un laboratoire de recherche au sein de Foniric et fait appel à des artistes divers ( Robert Desnos, Armand Salacrou, Jacques Prévert, Léon-Paul Fargue Alejo Carpentier, Antonin Artaud, Kurt Weill ). Foniric comme son nom l’indique associe le phonique et l’onirique, le son et le rêve. C’est l’idée que se fait Deharme de la TSF : faire rêver l’auditeur.

Le 3 novembre 1933, Radio-Paris à 20h15, Radio-Luxembourg et cinq postes régionaux à 21 heures, diffusent La Grande Complainte de Fantômas, suite dramatique en douze tableaux de Robert Desnos sur une mélodie de Kurt Weill, direction dramatique d’Antonin Artaud, direction musicale d’Alejo Carpentier. Il s’agit de faire de la publicité pour Si c’était Fantômas ?, un grand roman d’aventures inédites de Marcel Allain, publié en feuilleton à partir du 3 novembre dans Le Petit Journal.

Alejo Carpentier publie régulièrement dans son pays des articles sur l’Europe dans le Diario de la Marina et dans des revues comme La gaceta musical, Social ou Carteles. Le 19 mai 1939, il quitte l’Europe depuis Rotterdam. Il s’installera à Caracas jusqu’à la révolution cubaine (1959)

Après la mort du typhus du poète résistant à Terezín le 8 juin 1945, le romancier cubain a souvent rappelé la mémoire de son ami.

Autoportrait (Robert Desnos).

Le Monde, 26/01/1979

Portrait de Robert Desnos (Alejo Carpentier)

Lorsqu’il m’arrive d’évoquer le groupe d’écrivains, de peintres, de musiciens qui s’assemblaient chaque fin d’après-midi autour d’une très longue table – toujours la même – au café des Deux Magots, j’en demeure tout ébloui. De 1930 à 1934, on pouvait rencontrer là, liés par une amitié inébranlable qui valait bien mieux qu’un ” esprit d’école “, des hommes tels que Roger Vitrac, Michel Leiris, Georges Bataille, Georges Ribemont-Dessaignes, Pierre et Jacques Prévert, Antonin Artaud – aussi fidèle au rendez-vous que les autres, – Raymond Queneau, André Masson, Balthus, Robert Desnos. Côté musique : Edgar Varèse et son jeune disciple André Jolivet. Côté cinéma-théâtre : Jean-Louis Barrault, Etienne Decroux, Gaston Modot, Sylvia Bataille, Luis Bunuel. Comme visiteurs occasionnels : Léon-Paul Fargue et Saint-Exupéry, toujours bien accueillis. Et, à une table attenante à la nôtre, l’équipe du Grand Jeu :

René Daumal, Gilbert-Lecomte, le peintre Sima…
S’il n’y eut jamais parmi nous un ” esprit d’école “, il y régnait, par contre, un ” esprit de génération “, nourri des mêmes ferveurs, marqué par les mêmes antipathies, qui transformait tout naturellement les initiatives particulières en un travail collectif, et cela uniquement pour des raisons d’âge, de fidélité à certaines idées, à certaines prises de position vis-à-vis des événements de l’époque. Tous, nous collaborions aux revues Bifur, Documents, Iman – dont j’assurais la publication à Paris, en langue espagnole.

D’autre part, des projets qui exigeaient un travail d’équipe sortaient de nos réunions quotidiennes : un opéra pour Varèse, dont j’écrivis le livret avec Artaud, Desnos et Ribemont ; un Pantoum des pantoums, sorte de mystère lyrique, conçu par Gilbert-Lecomte sur des poèmes de René Ghil, dont la participation orchestrale devait être de Ribemont-Dessaignes et de moi-même. Enfin l’esprit de notre groupe se manifesta encore lors des représentations de Numance, monté par Jean-Louis Barrault en 1937, grâce au soutien financier de Desnos, avec des décors et des costumes d’André Masson, sur une musique que j’avais écrite.

Et quand Desnos fit son entrée à la radio, grâce au remarquable pionnier des mass media que fut Paul Deharme, il y entraîna aussitôt ses amis. Ce qui nous valut, très vite, des réalisations telles que La Grande Complainte de Fantômas (Artaud-Desnos-Kurt Weill) dont j’assurai la mise en ondes ; Salut au monde, inspiré de Walt Whitman (Desnos, Jean-Louis Barrault) ; Histoire de baleines (Desnos-Prévert), etc. (1).

Plusieurs Robert Desnos en Robert Desnos
Il est extrêmement difficile de fixer des souvenirs, lorsqu’on parle de Robert Desnos, car sa personnalité présentait des côtés si divers, si contradictoires en apparence, que tout effort d’assemblage, par les moyens de la mémoire, ne nous donne jamais qu’une image fuyante qui est plutôt le reflet d’un curieux caractère que la réalité profonde d’un homme qui mena une expérience poétique à ses possibilités extrêmes. Car il y avait plusieurs Robert Desnos en Robert Desnos, tous tellement nécessaires à ses raisons d’exister que seule une somme, à peu près impossible à établir, étant donnée sa complexité, nous donnerait un portrait véridique de celui qui, pourtant, était notre camarade de tous les jours.

Très secret, souvent distant, souvent replié sur son monde intérieur, sur la constante disponibilité créatrice de son génie, il sortait tout à coup de ses longs silences, passant brusquement à une sorte d’éclatement de lui-même qui se traduisait en de fulgurants monologues, rythmés, scandés, qu’il pouvait déclamer à tue-tête, en marchant au long d’une rue, surtout la nuit. Et quand il revenait de cette sorte de délire lucide, on retrouvait le charme d’un ami gouailleur, insouciant, porté à la blague, à la mystification, à la ” mise en boîte ” de n’importe qui, sachant jongler avec les mots d’une façon déroutante. Il avait le sens de l’éloge qui pouvait vous être le plus encourageant, comme il avait le génie de l’engueulade efficace, du scandale à froid, de la phrase terrible qui allait droit au but.
Fier d’avoir grandi dans le quartier de Saint-Merri, il empruntait volontiers un parler populaire, faubourien, qui contrastait curieusement avec ses habitudes de correction vestimentaire – correction poussée jusqu’au souci de porter des costumes du meilleur style ” deuil en vingt-quatre heures “, chaque fois qu’il avait à déplorer la mort d’un parent.

Anarchiste en apparence, il était néanmoins d’une rigidité à toute épreuve en ce qui concernait certains engagements idéologiques ou politiques qu’il tenait pour nécessaires ; appartenant à la génération de ceux qui criaient : ” Famille, je vous hais ! “, il adorait son père, mandataire aux Halles, et jamais il ne manquait le déjeuner familial du dimanche ; auteur de La Liberté ou l’Amour !, il fut d’une incroyable fidélité aux femmes qu’il aima ; désordonné et fantasque durant les heures de la nuit, il s’imposait, de jour, une discipline ponctuelle et presque tatillonne aux studios de la rue Bayard, où nous avons travaillé ensemble pendant six années (de 1933 à 1939).

Le monde hispanique
Mais, parmi les aspects les moins connus de Robert Desnos, il y en a un qu’ignorent de nombreux écrivains qui se sont penchés sur sa vie et sur son œuvre : ses relations avec le monde hispanique, et surtout latino-américain, à la suite de l’étonnant voyage qu’il fit à Cuba en 1928, au cours duquel il me détourna du projet de m’établir au Mexique – car l’atmosphère politique de La Havane m’était devenue irrespirable – pour m’amener à Paris, où je devais rester onze ans.

A partir de ce moment sa maison fut, en quelque sorte, un foyer permanent d’activités ayant un rapport avec les événements de l’Amérique latine et de l’Espagne : on y conspira contre le dictateur Machado ; on y rédigea des tracts et des manifestes ; on y vit défiler, selon les époques et les jours, Cesar Vallejo, Miguel Angel Asturias, Nicolas Guillen, Cardoza y Aragon, Neruda, Arturo Uslar Pietri, le compositeur Silvestre Revueltas, avec qui il commença à écrire une cantate en éloge de la nationalisation des pétroles mexicains. Il fit les esquisses d’un livret d’opérette, L’Etoile de La Havane, pour le compositeur cubain Eliseo Grenet… Puis, après deux voyages en Espagne, ce fut – on l’ignore trop – son amitié avec Federico Garcia Lorca. Et lorsque le poète de Noces de sang fut abattu par les fascistes et que la guerre civile se déchaîna, il y eut chez lui des réunions presque quotidiennes d’hommes tels que José Bergamin, Rafael Alberti, Joan Miro, Miguel Hernandez – qui devait mourir dans les geôles de Franco – et de tant d’autres qui se trouvent encore parmi nous, toujours fidèles à leurs idées d’alors.

Robert Desnos, poète essentiellement français, par l’œuvre et par le caractère, fut néanmoins un des esprits les plus universels d’entre les deux guerres. Puisse-t-il servir d’exemple à certains de nos contemporains trop souvent limités, en leurs vues du monde, par leur incapacité de regarder au-delà des frontières factices qu’ils se sont inutilement créées !…

Robert était un poète aimé de tous, par le fait même que, en véritable homme de son temps, sans cesser pour cela d’être foncièrement français, il se sentait espagnol à Madrid, cubain à La Havane, péruvien avec Vallejo – discutant même, en toute connaissance de causes, des faiblesses et des bévues de l’ american way of life avec son ami Hemingway, qui, bien des années plus tard, en 1945, me parlait avec admiration de l’auteur de Corps et Biens (” Je suis certain qu’il est dans la résistance “, me disait-il…) alors que nous ignorions, tous deux, qu’il venait de mourir des suites de sa captivité dans un camp de concentration allemand.

(1) Réalisations malheureusement perdues, car elles étaient enregistrées avec les moyens de l’époque, sur disques d’une vie limitée à quelques mois, dont l’enduit cellulosique se détachait au bout d’un certain nombre d’auditions.

Robert Desnos – Federico García Lorca

Robert Desnos (Man Ray) vers 1925.

Sources

1) Chronologie Federico García Lorca (Oeuvres complètes I, Bibliothèque de La Pléiade, NRF Gallimard, 1981. Édition établie par André Belamich.) Septembre-octobre 1935.

2) Chronologie Desnos Oeuvres. Édition établie par Marie-Claire Dumas. Quarto Gallimard. 1999.

En septembre 1932, Robert Desnos fait un premier séjour avec sa compagne, Youki (Lucie Badoud 1903-1966), en Espagne.
Il y séjourne à nouveau du 20 octobre au 15 novembre 1935, toujours avec Youki.
Federico García Lorca collabore à la revue Cheval vert pour la Poésie, fondée en octobre 1935 par Pablo Neruda, et se lie d’une vive amitié avec Robert Desnos par l’intermédiaire du poète chilien. Cette rencontre n’a été mentionnée jusqu’à présent que par Alejo Carpentier.
Le 21 janvier 1937, à la Maison de la Culture (Salle Poissonnière, 8 rue du Faubourg Poissonnière, Paris), Pablo Neruda et César Vallejo rendent hommage à Federico García Lorca, assassiné le 18 août 1936 par les Franquistes. Jean Cassou et Robert Desnos prennent aussi la parole
Robert Desnos présente le 18 juillet 1937 le gala qui clôt le Deuxième Congrès international des écrivains pour la défense de la culture qui s’est tenu successivement à Valence, Barcelone, Madrid et Paris.
Le 7 novembre 1937 reprenant le cri de lutte des républicains espagnols « No pasarán ! Pasaremos nosotros », Desnos écrit un chant en l’honneur des Républicains ainsi qu’une cantate pour la mort de García Lorca. « Savez-vous la nouvelle ? García Lorca va mourir ».

No pasarán (Robert Desnos)

Nuits, Jours et nuits sombres !
Feu, Sang et décombres !
Sang clair des libres Espagnols !
Oui pour l’Espagne et la liberté
Un sang pur coule sur notre sol
Pour l’humanité
No ! No pasarán !

Feu, rougis la forge
Ceux qui nous égorgent
Par ce fer nous crèv’rons leur cœur
Ceux qui ont mis le feu aux maisons
Ceux qui ont tué nos frères, nos sœurs
Jamais ne nous vaincront
No ! No pasarán !

Qui traîne des chaînes ?
Qui sème la haine ?
Le fascisme et tous ses banquiers
Ils ont de l’or, ils ont des canons
Mais nous luttons pour le monde entier
Nous les briserons
No ! No pasarán !

Il nous faut des armes
C’est un cri d’alarme
Il faut des ball’s et des fusils
Aux lueurs du feu, aux sons du tocsin
Nous combattons avec nos outils
Tous ces assassins !
No ! No pasarán !

Par toute la terre
Viennent des volontaires
Pour lutter à côté de nous !
Gloire aux amis qui nous ont rejoints
Au sanglant et glorieux rendez-vous
Ils tendent le poing
No ! No pasarán !

Morts des barricades
Morts nos camarades
Le jour vient, vous serez vengés
Le jour se lève au feu des combats
Dans la mort des soudards insurgés
Nous sonnons leur glas
No ! No pasarán !

Que le jour se lève
Sur ce mauvais rêve
Pour les hommes de l’univers
Pour les travaux de paix et d’amour
Nous peinerons été comme hiver
Ah ! Vienne ce jour
Si pasaremos !

Les Voix intérieures, Éditions du petit Véhicule. Nantes, 1987.

Savez-vous la nouvelle ?
García Lorca va mourir (Robert Desnos)

FEMME Savez-vous la nouvelle ?

CHOEUR DE FEMMES Après le soir vient la nuit
L’eau chante à la fontaine
La lune se baigne au puits.

FEMME Savez-vous la nouvelle ?

CHOEUR DE FEMMES L’amour la nuit l’air le vent
Jours, nuits et c’est la vie
La danse au tambour au mois d’août.

FEMME Savez-vous la nouvelle ?

CHOEUR DE FEMMES Le linge est blanc sous nos doigts
Viens donc avec les filles
Aimer et chanter et danser.

FEMME Savez-vous la nouvelle ?

CHOEUR DE FEMMES L’été l’hiver l’eau le vin
Viens, viens voici la danse
Les fruits et l’amour dans les bois.

FEMME Savez-vous la nouvelle ?
García Lorca va mourir

CHOEUR DE FEMMES Ah Ah Ah Ah Ah Ah Ah

L’annonce aux hommes

CHOEUR Les champs sont gorgés de soleil
Les fleuves sont secs
La terre les a bus
Les moissons dorment dans les greniers
Qu’il fera bon rêver tout l’été
En buvant le vin des outres

SOLO Alerte !
La rouge moisson des libertés s’apprête
Alerte !
Demain, cette nuit, aujourd’hui
Alerte !
García Lorca est déjà mort.

CHOEUR L’usine ce soir au soleil
Est comme un château
Dormir loin du travail
Sous le ciel car nous sommes très las
Qu’il fera bon rêver tout l’été
en buvant le vin des outres.

SOLO Alerte !
La rouge moisson des libertés s’apprête
Alerte !
Demain, cette nuit, aujourd’hui
Alerte !
García Lorca est déjà mort.

CHOEUR La mer elle chante et ses flots
Sont pleins de reflets
D’éclairs des grands poissons
Les courants porteront nos bateaux
Parmi les vents plus chauds et calmes
Au-dessus des fonds propices.

CHOEUR Alerte !
La rouge moisson des libertés s’apprête
Alerte !
Demain, cette nuit, aujourd’hui
Alerte !
García Lorca est déjà mort.

CHOEUR Qui est-ce García Lorca ?
Nous ne le connaissons pas
Qui est-ce García Lorca ?

SOLO C’est vous-mêmes.

Les Voix intérieures, Éditions du petit Véhicule. Nantes, 1987.

Grenade. Monument en l’honneur de Federico García Lorca ( Juan Antonio Corredor). 2010. Avenida de la Constitución.

Paul-Jean Toulet

Paul-Jean Toulet à l’ Ile Maurice. 1886-88.

Je remercie Léon-Marc Lévy (La Cause Littéraire) et Éric Poindreau. Grâce à eux, j’ai relu Les Contrerimes.

Jorge Luis Borges vouait une profonde admiration à Paul-Jean Toulet (1867-1920) et aux Contrerimes. La cople 53 était la préférée du grand écrivain argentin.

LIII

Voici que j’ai touché les confins de mon âge.
Tandis que mes désirs sèchent sous le ciel nu,
Le temps passe et m’emporte à l’abyme inconnu,
Comme un grand fleuve noir, où s’engourdit la nage.

Coples.

Trois autres de ses poèmes célèbres:

I. Romance sans musique

En Arles.
Dans Arle, où sont les Aliscams,
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,

Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd ;

Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c’est d’amour,
Au bord des tombes.

Chansons.

Les Alyscamps (L’Allée des Alyscamps) (Vincent Van Gogh). Novembre 1888. Collection privée.

XII

Puisque tes jours ne t’ont laissé
Qu’un peu de cendre dans la bouche,
Avant qu’on ne tende la couche
Où ton coeur dorme, enfin glacé,
Retourne, comme au temps passé,
Cueillir, près de la dune instable,
Le lys qu’y courbe un souffle amer,
– Et grave ces mots sur le sable :
Le rêve de l’homme est semblable
Aux illusions de la mer.

Dixains.

II

Le tremble est blanc

Le temps irrévocable a fui. L’heure s’achève.
Mais toi, quand tu reviens, et traverse mon rêve,
Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève,
Tes yeux plus clairs.

Á travers le passé ma mémoire t’embrasse.
Te voici. Tu descends en courant la terrasse
Odorante, et tes faibles pas s’embarrassent
Parmi les fleurs.

Par un après-midi de l’automne, au mirage
De ce tremble inconstant que varient les nuages,
Ah, verrai-je encor se farder ton visage
D’ombre et de soleil ?

Chansons.

Paul-Jean Toulet. NRF Poésie/Gallimard n°131. Septembre 1979. Édition de Michel Décaudin.

Federico García Lorca

Canción otoñal

Noviembre de 1918
(Grenade)

Hoy siento en el corazón
un vago temblor de estrellas,
pero mi senda se pierde
en el alma de la niebla.
La luz me troncha las alas
y el dolor de mi tristeza
va mojando los recuerdos
en la fuente de la idea.

Todas las rosas son blancas,
tan blancas como mi pena,
y no son las rosas blancas,
que ha nevado sobre ellas.
Antes tuvieron el iris.
También sobre el alma nieva.
La nieve del alma tiene
copos de besos y escenas
que se hundieron en la sombra
o en la luz del que las piensa.

La nieve cae de las rosas,
pero la del alma queda,
y la garra de los años
hace un sudario con ellas.

¿Se deshelará la nieve
cuando la muerte nos lleva?
¿O después habrá otra nieve
y otras rosas más perfectas?

¿Será la paz con nosotros
como Cristo nos enseña?
¿O nunca será posible
la solución del problema?

¿Y si el amor nos engaña?
¿Quién la vida nos alienta
si el crepúsculo nos hunde
en la verdadera ciencia
del Bien que quizá no exista,
y del Mal que late cerca?

¿Si la esperanza se apaga
y la Babel se comienza,
qué antorcha iluminará
los caminos en la Tierra?

¿Si el azul es un ensueño,
qué será de la inocencia?
¿Qué será del corazón
si el Amor no tiene flechas?

¿Si la muerte es la muerte,
qué será de los poetas
y de las cosas dormidas
que ya nadie las recuerda?
¡Oh sol de las esperanzas!
¡Agua clara! ¡Luna nueva!
¡Corazones de los niños!
¡Almas rudas de las piedras!
Hoy siento en el corazón
un vago temblor de estrellas
y todas las rosas son
tan blancas como mi pena.

Libro de Poemas, 1921.

Dessin de Federico García Lorca pour Juan Ramírez de Lucas (1917-2010), “Le blond d’Albacete”.

Chanson d’automne

Novembre 1918
Grenade

Aujourd’hui je sens dans mon coeur
Un vague frisson d’étoiles,
Mais mon sentier se perd
Dans l’âme du brouillard.
Le jour me tranche les ailes,
La douleur et le regret
Submergent mes souvenirs
Dans la source de l’idée.

Toutes les roses sont blanches
Aussi blanches que ma peine ;
Ces roses n’étaient pas blanches
Mais il a neigé sur elles
Qui étaient couleur d’iris.
Il neige aussi sur nos âmes.
La neige de l’âme a ses
Flocons de baisers, d’images
Qui s’enfouirent dans l’ombre
Ou le jour de la pensée.

La neige tombe des roses,
Celle de l’âme demeure,
Et la griffe des années
La transforme en un linceul.

Fondra-t-elle, cette neige,
Quand la mort viendra nous prendre ?
Connaîtrons-nous d’autres neiges,
D’autres roses plus parfaites ?

Sur nous la paix viendra-t-elle ?
Comme Jésus nous l’enseigne ?
Ou bien n’aurons-nous jamais
La solution du problème ?

L’amour n’est-il qu’illusion ?
Qui animera nos vies,
Si la pénombre nous plonge
Dans la véritable science
Du Bien qui n’existe pas,
Peut-être, et du Mal tout proche ?

Si l’espérance s’éteint,e s’éteint,
Si Babel se recommence,
Quelle torche éclairera
Nos chemins sur cette terre ?

Si l’azur n’est qu’un mirage,
Que deviendra l’innocence ?
Que deviendra notre cœur
Si l’Amour n’a pas de flèches ?

Si la mort est bien la mort,
Que deviendront les poètes
Et les choses endormies
Dont personne ne se souvient ?
Ô soleil des espérances !
Eau claire ! Lune nouvelle !
Fraîcheur des petits enfants !
Âme rude de la pierre !
Aujourd’hui je sens dans mon cœur
Un vague frisson d’étoiles
Et toutes les roses sont
Aussi blanches que ma peine.

Livre de poèmes, Éditions Gallimard, 1954.

Oeuvres complètes I. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. Gallimard. 1981. Traduction André Belamich.

Grenade. La Alhambra en automne.

Antonio Gedeão 1906 – 1997

António Gedeão.

Je remercie Marie Paule et Raymond Farina qui ont posté hier sur Facebook le poème Pierre philosophale (Pedra filosofal) d’Antonio Gedeão, tiré de Movimento Perpetuo, 1956. Je reproduis ici les six derniers vers.

Eles não sabem, nem sonham,
que o sonho comanda a vida,
que sempre que um homem sonha
o mundo pula e avança
como bola colorida
entre as mãos de uma criança.

Ils ne savent pas, eux, et ils ne rêvent pas,
Que le rêve est le moteur de la vie
Que chaque fois qu’un homme rêve
Le monde roule et s’embellit
Comme une balle colorée
Dans les mains d’un enfant.

Traduction: Alain Lane.

Dans l’anthologie de Max de Carvalho, La poésie du Portugal des origines au XX ème siècle (Chandeigne), publiée en septembre 2021, on trouve quatre poèmes de cet auteur: Fleur de chair (Flor de carne), Poème pour Galilée (Poema para Galileu), La machine du monde (Máquina do mundo), Poème de la mort apparente (Poema da morte aparente). Voici les deux derniers:

Máquina do mundo

O universo é feito essencialmente de coisa nenhuma.
Intervalos, distâncias, buracos, porosidade etérea.
Espaço vazio, em suma.
O resto, é a matéria.

Daí, que este arrepio,
este chamá-lo e tê-lo, erguê-lo e defrontá-lo,
esta fresta de nada aberta no vazio,
deve ser um intervalo.

Máquina de fogo, 1961.

La machine du monde

L’Univers se compose, pour l’essentiel, de néant.
Intervalles, distances, trous, porosité éthérée.
Un espace vide, en somme.
Le reste, c’est la matière.

D’où il résulte que ce frisson,
pour qu’il advienne et soit, pour le soulever et le regarder en face,
que cet interstice de rien béant sur le vide,
doit être un intervalle.

Traduction Max de Carvalho.

Poema da morte aparente

Nos tempos em que acontecia o que está acontecendo agora,
e os homens pasmavam de isso ainda acontecer no tempo deles,
parecia-lhes a vida podre e reles
e suspiravam por viver agora.

A suspirar e a protestar morreram.
e agora, quando se abrem as covas,
encontram-se às vezes os dentes com que rangeram,
tão brancos como se as dentaduras fossem novas.

Linha de força, 1967.

Poème de la mort apparente

Aux temps où se passait la même chose que maintenant,
et où les hommes étaient stupéfaits que cela fût encore possible à leur époque,
la vie leur semblait pourrie et vile,
et ils soupiraient d’avoir à vivre maintenant.

En soupirant, en protestant, ils moururent,
Et maintenant, quand on ouvre leurs tombes,
on retrouve parfois ces dents qu’ils firent grincer,
aussi blanches que des dentures neuves.

Traduction Max de Carvalho.

António Gedeão s’appelait en réalité Rómulo Vasco da Gama de Carvalho. Né à Lisbonne le 24 novembre 1906, cet enseignant de physique-chimie et historien des sciences a participé à la divulgation des connaissances scientifiques au Portugal. Il ne publie ses premiers poèmes qu’en 1956, à la cinquantaine. On retrouve ses intérêts dans sa poésie qui s’inscrit dans la réalité de son époque et dans le contexte angoissant de l’après-guerre. Il est décédé dans la capitale portugaise le 19 février 1997. Depuis 1996, le jour de sa naissance est commémoré au Portugal sous le nom de Jour national de la Culture scientifique (Dia Nacional da Cultura Científica).

Juan Marsé

Juan Marsé (Jordi Socías).

Juan Marsé, le grand romancier espagnol (Teresa l’après-midi, L’Obscure Histoire de la cousine Montse, Adieu la vie, adieu l’amour) aurait eu 89 ans le 8 janvier 2022.

Sa fille Berta Marsé (1969) rappelle aujourd’hui dans El País que l’écrivain voulait que 10 % de ses cendres soient remises à son agent littéraire, Carmen Balcells (1930-2015).
Lors de son discours de réception du Prix Cervantès 2008, il avait dit :
“Querida Carmen, me has dado tantas alegrías que tengo ordenado, para cuando me muera, que me incineren y te entreguen el 10% de mis cenizas”. Il reprenait alors à son compte une plaisanterie célèbre de Groucho Marx : « Je désire être incinéré et je veux que 10% de mes cendres soient versées à mon impresario. »

Le 14 décembre 2020, à Santa Fe de Segarra (Lérida), village natal de Carmen Balcells où elle est enterrée, Alejandro et Berta Marsé ont remis les cendres de leur père au fils de Carmen Balcells, Lluís Miquel Palomero. Les cendres de Juan Marsé ont été placées près de celles de Carmen Balcella, au pied d’un arbousier, arbre planté pour l’occasion et qui supporte mieux le climat rude de l’endroit que le caroubier choisi dans un premier temps.

Carmen Balcells était l’agent littéraire la plus célèbre dans le monde de la littérature en langue espagnole. Elle représentait les intérêts de six Prix Nobel (Gabriel García Márquez, Mario Vargas Llosa, Camilo José Cela, Miguel Ángel Asturias, Vicente Aleixandre, Pablo Neruda) et aussi ceux de Julio Cortázar, Manuel Vázquez Montalbán, Juan Carlos Onetti, José Donoso, Eduardo Mendoza.

https://elpais.com/cultura/2022-01-08/marse-ya-descansa-con-balcells.html

Alejandro et Berta Marsé à Santa Fe de Segarra.