Gisèle Freund – Luis Cernuda

Autoportrait chez elle. Vers 1975.

Nous avons vu samedi 29 octobre l’exposition Gisèle Freund Ce sud si lointain. Photographies d’Amérique latine.

Maison de l’Amérique latine, 217, Boulevard Saint-Germain. 75007 Paris.
Téléphone 00 33 1 49 54 75 00.

https://www.mal217.org/fr/expositions/gisele-freund

Commissaire Juan Álvarez Márquez. Conseiller spécial Juan Manuel Bonet.
(du 21 octobre 2022 au 07 janvier 2023)

Cette exposition est organisée en collaboration avec l’Imec (Institut Mémoires de l’édition contemporaine), installé à l’abbaye d’Ardenne (Calvados), près de Caen, où les archives de Gisèle Freund ont été déposées. Elle a été montrée une première fois en 2021 à Grenade (Espagne) au Centre José Guerrero sous le titre En el Sur tan distante, Gisèle Freund. Elle était présentée sous un format plus réduit (52 tirages posthumes).

Maison de l’Amérique latine, 217, Boulevard Saint-Germain. 75007 Paris.

La Maison de l’Amérique latine met en valeur 72 images, certaines inédites. Elles montrent ses voyages en Amérique latine, les paysages, la vie quotidienne dans les villages et sur les marchés, des scènes de la culture populaire, ses contacts avec des personnalités du monde de l’art, de la littérature, de la politique.

Sophie Gisela Freund est née à Berlin-Schöneberg le 19 décembre 1908. Son père lui offre un appareil Leica lorsqu’elle est adolescente. Elle étudie la sociologie à Francfort avec Norbert Elias. D’origine juive et membre d’un groupe communiste, elle fuit en mai 1933 l’Allemagne nazie. Elle poursuit ses études à la Sorbonne où elle présente, en 1936, sa thèse sur la sociologie de l’image La photographie en France au XIXe siècle. Elle est l’amie d’Adrienne Monnier, libraire-éditrice rue de l’Odéon, et de Sylvia Beach, créatrice de Shakespeare and Company et éditrice d’Ulysse de James Joyce en 1922. Elle côtoie et photographie de nombreux écrivains de l’époque. Elle devient française en 1936 grâce à un mariage blanc (elle divorcera après la guerre). A partir de 1937, Gisèle Freund se revendique comme journaliste reporter. En 1938, elle est l’une des premières à faire des clichés en couleur en utilisant les pellicules Agfacolor.

En 1940, Paris est occupée par les troupes nazies. Gisèle Freund fuit la capitale et se réfugie à Saint-Sozy dans le Lot. Invitée par Victoria Ocampo, la directrice de la revue Sur, elle quitte le midi de la France fin 1941 et embarque de Bilbao à bord d’un navire espagnol, Cabo de Buena Esperanza, à destination Buenos Aires. Elle établit là-bas des liens avec les écrivains proches de la revue. Depuis la capitale argentine, elle effectue plusieurs voyages en Patagonie et en Terre de Feu, en Uruguay, au Chili, au Pérou, en Bolivie, au Brésil et en Équateur, et surtout au Mexique en 1947, 1950 et 1952. Ce pays exercera toujours sur elle une grande fascination. Elle réalise aussi de nombreux reportages pour Time Magazine et Life, pour les journaux argentins La Nación et El Hogar, et mexicain Novedades. Elle fait partie de l’agence Magnum, créée par Robert Capa, de sa fondation de 1947 jusqu’en 1954.

En France, le ministère de la Culture lui décerne en 1980 le grand prix national des Arts pour la Photographie. Elle réalise en 1981 le portrait officiel du président François Mitterrand. En 1991, une grande rétrospective de son œuvre, intitulée Itinéraires, est organisée au Centre Georges-Pompidou.

Elle meurt à Paris le 30 mars 2000 à Paris. Elle est inhumée au cimetière du Montparnasse, tout près de sa maison atelier du 12, rue Lalande.

Femmes de Tehuantepec (Oaxaca-Mexique). 1950-52.

Quelques citations :

Gisèle Freund, Portrait. Entretiens avec Rauda Jamis. Des femmes, Antoinette Fouque. 1991.

« J’ai cru que la photographie était un moyen merveilleux pour que les peuples se connaissent entre eux. Je suis allée jusqu’à la terre de Feu pour photographier les derniers indiens alacalufes. J’ai cru à cette utopie : la connaissance des autres, de leurs différences, comme langage de paix entre les hommes. Car comment s’entre-tuer dès lors que l’autre n’est plus un inconnu ? Ma tâche était donc, pensais-je, de participer à la paix du monde à travers la photographie. »

« Je me souviens par exemple d’Alfonso Reyes, qui habitait une maison remplie de livres du sol au plafond et qui m’avait tout de suite dit : « Tout cela est à vous. » Vraiment les Mexicains étaient très chaleureux. D’ailleurs leur phrase de bienvenue était « Mi casa es tu casa » (« Chez moi c’est chez toi »).

« Les intellectuels mexicains ont une richesse culturelle infinie, beaucoup plus grande que chez les intellectuels français, par exemple. Les Mexicains ont des racines culturelles extraordinaires. Et puis, d’une certaine façon, ils sortent de leurs propres frontières pour accéder à notre culture classique, ce qui leur permet de se tenir au courant des créations et des textes du monde entier. J’ai connu au Mexique des gens extrêmement cultivés. Je n’ai eu aucun mal à en rencontrer qui connaissaient mieux que moi, sans conteste, la littérature française ou allemande. »

« Je ne sortais plus jamais sans mon appareil. Il était devenu mon troisième œil. »

« Je n’ai jamais cessé de vouloir comprendre ce qui se trouvait derrière un visage. »

« Il est rare de plaire à ceux que l’on photographie. C’est une des raisons pour lesquelles je n’ai pas fait du « portrait » ma profession et que je n’ai jamais possédé de studio de photographe. »

« La culture pour un photographe est bien plus importante que la technique. »

« J’ai touché, au Mexique, le coeur de ce monde surnaturel, comme jamais auparavant sur le continent américain. »

L’exposition emprunte son nom à un vers du poème de Luis Cernuda intitulé Quisiera estar solo en el sur, tiré du recueil Un rio, un amor (1929) .

Quisiera estar solo en el sur

Quizá mis lentos ojos no verán más el sur
de ligeros paisajes dormidos en el aire,
con cuerpos a la sombra de ramas como flores
o huyendo en un galope de caballos furiosos.

El sur es un desierto que llora mientras canta,
y esa voz no se extingue como pájaro muerto;
hacia el mar encamina sus deseos amargos
abriendo un eco débil que vive lentamente.

En el sur tan distante quiero estar confundido.
La lluvia allí no es más que una rosa entreabierta;
su niebla misma ríe, risa blanca en el viento.
Su oscuridad, su luz son bellezas iguales.

Toulouse, 20 de abril de 1929.

Un río, un amor, 1929.

Je voudrais être seul dans le Sud

Peut-être mes yeux lents ne verront plus le Sud
Aux légers paysages endormis dans l’espace,
Aux corps comme des fleurs sous l’ombrage des branches
Ou fuyant au galop de chevaux furieux.

Le Sud est un désert qui pleure quand il chante,
Et comme l’oiseau mort, sa voix ne s’éteint pas ;
Vers la mer il dirige ses désirs amers
Ouvrant un faible écho qui vibre lentement.

À ce si lointain Sud je veux être mêlé.
La pluie là-bas n’est rien qu’une rose entr’ouverte ;
Son brouillard même rit, rire blanc dans le vent.
Son ombre, sa lumière ont d’égales beautés.

Un fleuve, un amour. Traduction Jacques Ancet.

Milena Jesenská – Franz Kafka

Milena Jesenská. Milieu des années 20.

Lectures croisées : Kafka. Journaux et lettres. Oeuvres complètes. Tomes III (1897-1914) et IV (1914-1924). Bibliothèque de la Pléiade. NRF. Édition publiée sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre. 2022.
Claude Thébaut. Les métamorphoses de Franz Kafka. Découvertes Gallimard. 1996.

Hier après-midi, j’ai acheté à la Librairie Compagnie (58 Rue des Écoles, 75005 Paris) Vie de Milena de sa fille Jana Cerná (1928-1981). Édition La Contre allée, 2014. Le livre a été publié en 1969 en Tchécoslovaquie

Franz Kafka rencontre Milena Jesenská ( Prague 10 août 1896-17 mai 1944) à Prague, au café Arco, sans doute à l’automne 1919. C’est l’épouse d’Ernst Pollak (1886-1947), un personnage important de la scène littéraire pragoise, ami de Max Brod, Willy Haas et Franz Werfel. La jeune femme vit alors à Vienne. Elle fait un bref séjour à Prague. Elle lui propose de traduire en tchèque le premier chapitre, Der Heizer (Le Chauffeur) de ce qui allait devenir L’Amérique.

149 lettres et cartes postales de Kafka à Milena ont été conservées. 140 d’entre elles ont été écrites pendant une période d’environ dix mois, au rythme parfois de plusieurs par jour, de mars à décembre 1920, les dernières datent de 1922 et 1923.

Aucune des lettres de Milena ne nous est parvenue. Elles ont été brûlées par leur destinataire ou elles ont disparu lors de l’entrée des allemands à Prague en mars 1939. Milena, très engagée dans l’opposition à l’occupant allemand, est arrêtée à la fin de 1939 par la Gestapo et déportée à Ravensbrück.

Elle avait confié les lettres de Kafka à son ami, l’homme de lettres pragois Willy Haas (1891-1973) qui dut s’exiler lors de l’occupation allemande. De retour en Europe en 1947, il les récupéra et les édita à New York en 1952 avec une préface.

Milena Jesenská est morte à Ravensbrück le 17 mai 1944. En décembre 1994, l’Institut Yad Vashem de Jérusalem lui décerne en hommage posthume le titre de « Juste parmi les Nations ».

https://www.yadvashem.org/righteous/stories/jesenska.html

Franz Kafka avait écrit à Max Brod (Merano, après le 16 mai 1920) :
« Quant à moi, ma santé serait bonne si je pouvais dormir, certes j’ai pris du poids, mais l’absence de sommeil, notamment ces derniers temps, vient parfois tout détraquer de manière insupportable. Elle a sans doute diverses raisons, l’une d’elles est mon échange de lettres avec Vienne. Cette femme est un feu vivant comme je n’en ai encore j’avais vu, un feu d’ailleurs qui malgré tout ne brûle que pour lui. Et avec ça extrêmement délicate, courageuse, intelligente, et tout cela, elle le jette dans son sacrifice. » (Oeuvres complètes. Tome IV, pages 601-602. Traduction Jean-Pierre Lefebvre) Dans un premier temps, Max Brod ne devina pas qu’il s’agissait de Milena Pollak qu’il connaissait aussi.

Milena a correspondu aussi avec Max Brod.

Max Brod.

Troisième lettre de Milena à Max Brod. Août 1920. Milena répond en tchèque à Max Brod qui lui avait demandé comment il se faisait que Kafka ait peur de l’amour et qu’il n’ait pas peur de la la vie.

«Mais Frank ne peut pas vivre. Frank n’a pas la capacité de vivre. Frank ne sera jamais en bonne santé. Frank va bientôt mourir. Il est certain que la chose se présente ainsi : nous sommes tous en apparence capables de vivre parce que nous avons eu un jour ou l’autre recours au mensonge, à l’optimisme, à une conviction ou à une autre, au pessimisme ou à quoi que ce soit. Mais lui est incapable de mentir, tout comme il est incapable de s’enivrer. Il est sans le moindre refuge, sans asile. C’est pourquoi il est exposé, là où nous sommes protégés. Il est comme un homme nu au milieu de gens habillés. Ce qu’il dit, ce qu’il est, ce qu’il vit n’est même pas la vérité. C’est une manière d’être qui est déterminée, qui existe en elle-même, débarrassée de tout l’accessoire, de tout ce qui pourrait l’aider à qualifier la vie – beauté ou misère, peu importe. Et son ascétisme est totalement dépourvu d’héroïsme, ce qui le rend, à vrai dire, plus grand et plus noble. Tout «héroïsme» est mensonge et lâcheté . Ce n’est pas un homme qui construit son ascétisme comme un moyen d’accéder à un but, c’est un homme qui est contraint à l’ascétisme, par sa terrible lucidité, par sa pureté, par son incapacité à accepter le compromis.»

Cinquième lettre de Milena à Max Brod. Janvier-février 1921. Franz Kafka fait un séjour de neuf mois au sanatorium de Matliary, Hautes Tatras (actuelle Slovaquie).

« Je ne suis pas parvenue à l’aider ? Ce qu’est sa peur, je le sais jusqu’à la dernière fibre. Elle existait bien longtemps avant moi, avant qu’il ne me connaisse. J’ai connu sa peur avant de le connaître lui-même. Je me suis cuirassée contre elle en la comprenant. Durant les quatre jours que Franz a passé à mon côté, il l’a perdue. Nous nous sommes moqués d’elle. Je sais avec certitude qu’aucun sanatorium ne parviendra à la guérir. Il ne se portera jamais bien, Max, aussi longtemps qu’il aura cette peur. Et aucun réconfort psychique ne peut vaincre cette peur, car la peur interdit le réconfort. Cette peur ne se rapporte pas à moi seulement, elle se rapporte à tout ce qui vit sans pudeur, par exemple la chair. La chair est trop dénuée de voile, il ne supporte pas de la voir. J’ai réussi à la mettre de côté. Quand il ressentait cette peur, il me regardait dans les yeux, nous attendions un moment, comme si nous ne retrouvions pas notre souffle ou comme si les pieds nous faisaient mal et, après un moment, c’était passé. Il n’y avait pas besoin du moindre effort, tout était simple et clair, je l’ai traîné derrière moi sur les collines qui se trouvent derrière Vienne, je marchais la première, car il avançait lentement, il venait derrière moi en martelant ses pas et, quand je ferme les yeux, je vois encore sa chemise blanche et son cou hâlé et l’effort qu’il faisait. Il a marché toute la journée, il est monté, il est descendu, il est resté au soleil, il n’a pas toussé une seule fois, il a mangé terriblement et dormi comme un loir ; tout bonnement, il se portait bien ; sa maladie, ces jours-là, ressemblait au plus à un petit rhume de cerveau. Si j’étais allée à Prague avec lui à ce moment-là, je serais restée pour lui celle que j’étais alors. Mais j’avais les deux pieds sur terre, je suis fermement attachée à cette terre ; je n’étais pas en mesure d’abandonner mon mari et peut-être étais-je trop femme pour avoir la force de me soumettre à cette vie, dont je savais qu’elle signifierait l’ascétisme le plus austère. »

J’ai publié sur ce blog le 3 juin 2018 l’hommage de Milena Jesenská publié dans le journal tchèque Narodini listy le 7 juin 1924. Franz Kafka était mort le 3 juin 1924.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/06/03/franz-kafka-1883-1924/

Agustina González López, “la Zapatera”

Agustina González López, “la Zapatera” est née le 3 avril 1891 à Grenade dans le quartier de l’Albaicin, l’ancien quartier arabe. Cette écrivaine et activiste politique fit ses études au Real Colegio de Santo Domingo de la ville. Elle s’intéressait particulièrement à l’astronomie et à la médecine. Quand sa mère devint veuve, elle tomba à 13 ans sous le contrôle de ses frères aînés et de ses oncles paternels. Le conseil de famille lui permit la lecture, mais elle était strictement surveillée. Pour échapper à ce contrôle, elle commença à s’habiller en homme. On la considéra rapidement comme folle et hystérique. Elle voyageait seule et entrait dans les cafés et restaurants de la conservatrice et bourgeoise Grenade : “la peor burguesía de España” disait Federico García Lorca.

Elle publia en 1916 un essai Idearium Futurismo où elle prônait une simplification de l’orthographe et la suppresion de 7 lettres : y, c, h, q, v, x, z. « El sistema futurista de eskribir resuelbe las dificultades ortográfikas por lo mismo ke simplifika la ortografía. Este libro ba todo esckrito en futurismo… » (prologue)

En 1919, il y eut des manifestations contre les pratiques des caciques conservateurs locaux auxquelles participèrent Fernando de los Ríos, avocat et futur député socialiste, mais aussi deux groupes féministes la Juventud Universitaria Femenina (Milagro Almenara, pharmacienne fusillée le 2 novembre 1936 elle aussi entre Viznar et Alfacar) et la Agrupación Feminista Socialista (présidée par Agustina González López). Cette association regroupait 200 membres.

Á cette époque, Agustina González López fit la connaissance de Federico García Lorca qui vivait à 100 mètres de chez elle. Elle lui aurait inspiré le personnage de La zapatera prodigiosa (1930) et aussi par certains traits celui d’Amelia dans La casa de Bernarda Alba (1936). Agustina González utilisait le prénom Amelia pour signer certains de ses écrits.

En 1927 et 1928, elle publia deux autres essais Justificación et Las Leyes secretas. Membre de la franc-maçonnerie, elle exprimait sa liberté de pensée, sa conception théosophique de la vie et de la mort, ses idées féministes et progressistes. Elle publiait ses livres à compte d’auteur et les vendait dans son magasin de chaussures, calle de Mesones n°6.

Elle écrivit aussi deux pièces de théâtre Cuando la vida calla et Los prisioneros del espacio.

Elle souhaitait supprimer les frontières, créer une monnaie universelle et en finir avec les famines. Elle créa le Partido Entero Humanista et se présenta aux élections législatives de 1933. Elle obtint seulement 15 voix.

Après le coup d’état franquiste, elle fut emprisonnée, puis transférée à Viznar et fusillée avec deux autres femmes en août 1936. On ne connaît pas exactement la date de sa mort. La légende populaire affirme qu’elle mourut en contemplant les étoiles qu’elle avait tant étudiées. Le fasciste Juan Luis Trescastro Medina (1877 -1954), avocat et membre de la CEDA, se vantait après-guerre dans les bars de Grenade d’avoir tué Federico García Lorca (« le metí dos tiros en el culo, por maricón ») et d’avoir exécuté Agustina González (« por puta »). Elle fut condamnée a posteriori ( juillet 1941) par la justice franquiste et sa famille dut payer une amende de 8 000 pesetas.

Sources :
Enriqueta Barranco Castillo. Agustina González López (1891-1936). Espiritista, teósofa, escritora y política, Editorial Universidad de Granada. 2019.

Javier Arroyo. Kedan suprimidas por konpleto siete konsonantes del kastellano. El País, 17/12/2019.

Juan I. Pérez. Agustina González López, La Zapatera, fusilada por romper moldes. Blog Foro de la Memoria. El Independiente de Granada, 7/09/2019.

Marta Sánchez Gento. La Zapatera, una granaína cruelmente asesinada que inventó el lenguaje del chat en los años 20. La Voz del sur, 15/11/2021.

Manifestation à Grenade. Mai 1931. Agustina González, ‘la Zapatera’ se trouve au centre.

Pablo Neruda – Île de Pâques

Statue de Pablo Neruda (Lucy Lafuente). Valparaíso, Plaza Mena (o de los Poetas).

Le poète chilien Pablo Neruda a célébré l’île de Pâques dans Le Chant Général, son grand poème d’exil publié en 1950. Il l’ a visitée en 1971 pour filmer un documentaire pour la télévision chilienne, Historia y geografía de Pablo Neruda, avant de prendre son poste d’ambasadeur en France. Il a composé le recueil La rosa separada qui ne sera publié qu’après sa mort. Je relis ces poèmes le coeur serré après la destruction de nombreux moaïs lors de l’incendie du 1 octobre, particulièrement sur les flancs du volcan Rano Raraku parcourus en janvier 2018.

III La isla

Antigua Rapa Nui, patria sin voz,
perdónanos a nosotros los parlanchines del mundo:
hemos venido de todas partes a escupir en tu lava,
llegamos llenos de conflictos, de divergencias, de sangre,
de llanto y digestiones, de guerras y duraznos,
en pequeñas hileras de inamistad, de sonrisas
hipócritas, reunidos por los dados del cielo
sobre la mesa de tu silencio.

Una vez más llegamos a mancillarte.

Saludo primero al cráter, a Ranu Raraku, a sus párpados
de légamo, a sus viejos labios verdes:
es ancho, y altos muros lo circulan, lo encierran,
pero el agua allá abajo, mezquina, sucia, negra,
vive, se comunica con la muerte
como una iguana inmóvil, soñolienta, escondida.

Yo, aprendiz de volcanes, conocí,
infante aún, las lenguas de Aconcagua,
el vómito encendido del volcán Tronador,
en la noche espantosa vi caer
la luz del Villarrica fulminando las vacas,
torrencial, abrasando plantas y campamentos,
crepitar derribando peñascos en la hoguera.

Pero si aquí me hubiera dejado mi infancia,
en este volcán muerto hace mil años,
en este Ranu Raraku, ombligo de la muerte,
habría aullado de terror y habría obedecido:
habría deslizado mi vida al silencio,
hubiera caído al miedo verde, a la boca del cráter desdentado,
transformándome en légamo, en lenguas de la iguana.

Silencio depositado en la cuenca, terror
de la boca lunaria, hay un minuto, una hora
pesada como si el tiempo detenido
se fuera a convertir en piedra inmensa:
es un momento, pronto
también disuelve el tiempo su nueva estatua imposible
y queda el día inmóvil, como un encarcelado
dentro del cráter, dentro de la cárcel del cráter,
adentro de los ojos de la iguana del cráter.

La rosa separada, Losada, 1973.

III L’île

Antique Rapa Nui, patrie sans voix,
pardonne aux bavards de ce monde que nous sommes :
nous voici venus de partout pour cracher sur ta lave,
nous arrivons avec notre plein de conflits, d’oppositions, de sang,
de larmes et de digestions, de guerres, de brugnons,
en petits rangs d’inimitié, l’hypocrisie
dans nos sourires, réunis par les dés du ciel
sur l’échiquier de ton silence.

A nouveau revenus pour te souiller.

Je salue d’abord le cratère, Ranu Raraku, ses paupières
de glaise, le vert de ses lèvres anciennes :
spacieux, de hauts murs l’encerclent, l’enserrent,
mais l’eau d’en bas, mesquine, sale, noire,
vit, elle communique avec la mort
comme l’iguane qui ne bouge et somnole en sa cache.

Moi qui fus apprenti en volcans, j’ai connu,
encore enfant, les langues de l’Aconcagua,
la vomissure incandescente du mont Tronador,
une nuit de frayeur, j’ai vu s’abattre
la clarté du Villarrica, foudroyant boeufs et vaches,
son torrent embrasant les plantes, les abris,
crépiter, renversant rocs et rochers dans son brasier.

Pourtant, si mon enfance ici m’avait laissé,
dans ce volcan mort il y a mille ans,
dans ce Ranu Raraku, nombril de la mort,
en hurlant de terreur je me serais soumis :
j’aurais laissé glisser ma vie au milieu du silence,
j’aurais roulé dans la peur verte, la gueule édentée du cratère,
mué en argile, mué en langues de l’iguane.

Silence déposé au creux du creux, terreur
de la bouche lunaire, il est une minute, une heure
lourde comme si le temps arrêté
allait se transformer en pierre immense :
c’est un moment, soudain
le temps dissout sa nouvelle et impossible statue
et le jour demeure immobile, comme un prisonnier
dans le cratère, en cette geôle du cratère,
dans les yeux de l’iguane du cratère.

La rose détachée et autres poèmes. 1979. NRF Poésie/Gallimard n°394. Traduction de Claude Couffon.

Le mardi 4 octobre, deux incendies se sont déclenchés dans l’île de Pâques et ont causé des dommages irréparables à environ 80 moaïs. L’un menaçait les maisons, l’autre, des moaïs. L’équipe de six pompiers s’est concentrée sur l’extinction du premier, tandis que la Corporación Nacional Forestal (Conaf, l’ONF chilien) affrontait le second avec deux gardes forestiers et un camion.

Le feu a ravagé plus de 100 hectares. Il a atteint la zone du volcan Rano Raraku. L’ancienne civilisation indigène fabriquait ses statues dans cette carrière. Ce site abrite 416 de ces sculptures, à différents stades de fabrication.

L’île, aussi appelée Rapa Nui, est située à 3 500 km au large de la côte ouest du Chili. Elle compte 887 moaïs. Ils auraient été sculptées pour la première fois au 13e siècle par les premiers habitants de l’île. Leur taille varie de 2,5 à 9 mètres. Certains peuvent peser jusqu’à 80 tonnes.

Ariki Tepano, directeur de la communauté Ma’u Henua en charge de la gestion et de l’entretien du parc, a qualifié ces dégâts d’« irréparables ». « Les moaïs sont totalement carbonisés. »

Selon le maire de l’île, Pedro Edmunds Paoa, l’incendie ne serait « pas un accident », car « tous les incendies de Rapa Nui sont causés par des êtres humains ». Il a ajouté que « les dégâts causés par l’incendie ne peuvent pas être réparés. La fissuration d’une pierre originale et emblématique ne peut être récupérée, peu importe combien de millions d’euros ou de dollars y sont investis ».

« Cet incendie a été provoqué par les éleveurs de bétail pour les pâturages. Tout l’indique », a déclaré le ministre chilien de l’Agriculture, Esteban Valenzuela. Le total des dommages causés au site n’a pas encore été évalué.

Avant la pandémie, l’île, dont le tourisme est le principal moyen de subsistance, accueillait 160 000 visiteurs par an, à raison de deux vols par jour. Les mesures d’interdiction d’entrée, imposées il y a deux ans pour prévenir le Covid-19, avaient été levées à partir du lundi 1er août. Ces dernières années, le climat subtropical humide et doux de l’île a subi une grande évolution. L’île de Pâques est confrontée à des sécheresses sévères et récurrentes depuis cinq ans. Les précipitations sont de plus en plus rares. Selon l’Unesco, il s’agit de l’un des six sites au monde classé au patrimoine mondial les plus vulnérables au changement climatique et à ses conséquences.

https://www.youtube.com/watch?v=F5EM2ehDokg

Rano Raraku. Janvier 2018.

Luis García Montero – Carlos Castilla del Pino

Je lis régulièrement les chroniques qu’écrit le poète Luis García Montero dans les journaux espagnols El País et Infolibre. Directeur de l’Institut Cervantès depuis 2018, il était aussi le mari de la romancière Almudena Grandes, décédée le 27 novembre 2021.

Il a évoqué le 10 octobre dans El País le recueil d’aphorismes posthumes du psychiatre Carlos Castilla del Pino, Aflorismos Pensamientos póstumos. Tusquets, 2011. L’auteur présente 844 aphorismes, mais il n’utilise pas ce terme. Il préfère celui d’Aflorismos – le verbe aflorar veut dire affleurer, apparaître -. Cela convient mieux à ses pensées qui ne sont pas des propositions fermées.

https://elpais.com/opinion/2022-10-10/aflorismos.html?rel=buscador_noticias

Carlos Castilla del Pino chez lui. Castro del Río (Cordoue) (Julián Rojas) 2004.

Carlos Castilla del Pino est né à San Roque (Cadix) en 1922. Il est décédé dans la province de Cordoue en 2009. Il avait 86 ans. Il a exercé la psychiatrie à Cordoue de 1949 à 1987. Militant antifranquiste, il a écrit deux livres de mémoires : Pretérito imperfecto. Autobiografía (1922-1949) ( Tusquets, 1997) et Casa del olivo. Autobiografía (1949-2003) (Tusquets, 2004). Il était membre de l’Académie Espagnole.

J’ai choisi certains de ces aphorismes :

La felicidad —ya me entiendes— no se encuentra; se construye.

¿La vida? Una de dos: o nos la hacemos o nos la hacen.

No hay que vivir con miedo. Pero eso no quiere decir que haya que hacerse el valiente.

La compasión no mejora el mundo. La solidaridad, sí.

Se confunde al cobarde con el bueno. ¡Qué bueno es! Hasta deja que los demás hagan el mal.

El mundo no es tan estúpido como para tolerar que solo triunfen los malvados.

No hay muerte si no hay olvido.

Convivir, una forma de inteligencia.

Tratar de seguir vivo, es decir, estar en la vida: no solo vivir.

La vejez comienza donde no hay proyecto.

Con la cara se nace; el rostro se hace.

No hagas el mal, porque te lo haces.

No competir es la independencia.

También la desgracia tiene algo de positivo, pero hay que descubrirlo. Lo positivo de la desgracia nos protege de ser irremediablemente desgraciados.

Si tu trabajo te cansa, pero no te aburre, es el tuyo.

Seamos críticos con nosotros mismos. Tratemos de obtener el prestigio interior.

Es tolerable que haya miedo en el vivir, pero vivir con miedo exige tratamiento.

De vez en cuando hay que hacer una cura de abstinencia de la actualidad.

La muerte no es lo último. Lo último es la nada.

Una cosa es estar solos, otra quedarnos solos.

Vivir es el arte de aceptar la indeclinable derrota.

Saber qué no leer: la forma superior del leer.

Releer: la seguridad de no perder el tiempo.

Dios es -sólo- una palabra.

Ser actual, pero no ser moderno.

Uno sobrevive sólo en el recuerdo de los demás. Cuando estos desaparecen, uno ha desaparecido también. No hay inmortalidad: hay memoria.

La historia no la hacemos: nos la hacen.

Precaución: la estupidez no es inofensiva; a veces, hasta contagia.

¿Sabremos morir? ¿Sabremos morir perfectamente? Deberíamos saber morir.

Huyamos del estúpido. Después de aburrirnos nos deja irritados por no haberlo echado a patadas.

Proyecta hasta el último momento. El proyecto ayuda a vivir: distrae de la muerte y permite vivir más; y desde luego mejor.

Federico García Lorca à Cuba

Víctor Amela (1960) est un écrivain et journaliste qui écrit pour le quotidien La Vanguardia de Barcelone depuis 1984. Il a publié en 2018 Yo pude salvar a Lorca (Destino). J’avais apprécié à l’époque ce roman qui respectait la vérité historique. Le biographe du poète de Grenade Ian Gibson avait, lui aussi, défendu le livre et sa précision historique.
Dans une interview publiée dans son journal, Víctor Amela affirmait que le poète de Grenade est le disparu le plus recherché et le plus aimé au monde : « Lorca, ¡el desaparecido más buscado y amado del mundo! » ). Il disait aussi : « La sangre de Lorca no se seca nunca. »
C’est peut-être pour cela qu’il publie aujourd’hui dans la même veine Si yo me pierdo (Destino, 2022). Il évoque les jours passées par Federico à Cuba en 1930 : « Los días más felices de mi vida »
Le poète écrivait à ses parents le 5 avril 1930 : « Esta isla es un paraíso. Cuba. Si yo me pierdo que me busquen en Andalucía o en Cuba. »
Il était parti en Amérique avec son ami, l’homme politique socialiste Fernando de los Ríos en juin 1929. Il connaissait une véritable dépression après sa rupture douloureuse avec son compagnon d’alors, le sculpteur Emilio Alandrén (1906-1944), et les critiques exprimées par ses amis, Luis Buñuel et Salvador Dalí, contre les poèmes du Romancero gitano. Il passa dix mois aux États-Unis. Il assista au krach de la Bourse de New York en octobre 1929 et aux suicides que celui-ci entraîna. Il supporta mal la froideur anglo-saxonne et protestante, la dureté de la modernité capitaliste et le sort des pauvres et des noirs dans ce pays.
Federico García Lorca resta à Cuba 3 mois, du 7 mars au 12 juin 1930, 98 jours exactement. Il produisit beaucoup (des poèmes, sa pièce de théâtre El Público, drame homosexuel où il affirma son identité, des dessins) et se réconcilia avec la vie. Il retrouva sa langue, la lumière, la chaleur, les couleurs. Il apprécia particulièrement la musique des musiciens noirs, le rhum, les glaces et les cocktails de La Havane, la beauté des paysages et celle des hommes et des femmes. Il avait 32 ans.
Il devait donner trois conférences en une semaine, en réalité il en prononça neuf. Il assista aussi à des cérémonies de santería. Il fréquenta les intellectuels cubains (Les 4 enfants de la famille Loynaz : Enrique, Carlos Manuel, Dulce María – Prix Cervantès 1992 – et Flor, mais aussi José Lezama Lima, le futur auteur du mythique roman Paradiso, publié en 1966). Ses conférences eurent beaucoup de succès et il put vivre sa sexualité bien plus librement qu’en Espagne ou aux États-Unis.
Il revint pourtant à Cadix à bord du navire Manuel Arnús le 30 juin 1930. Poeta en Nueva York fut publié en 1940 après sa mort par José Bergamín. Le dernier poème de ce recueil est Son de negros en Cuba qu’il écrivit lors d’un voyage en train qui lui fit traverser toute l’île de La Havane à Santiago fin avril 1930.

Miguel Poveda, Son de negros en Cuba. 2017. Video officielle.

https://www.youtube.com/watch?v=J8YqGl155n0

Autoportrait de Federico García Lorca pour Poeta en Nueva York. 1929-30.

Son de negros en Cuba

Cuando llegue la luna llena iré a Santiago de Cuba,
iré a Santiago,
en un coche de agua negra
iré a Santiago.
Cantarán los techos de palmera
iré a Santiago.
Cuando la palma quiere ser cigüeña,
iré a Santiago
y cuando quiere ser medusa el plátano,
iré a Santiago.
Iré a Santiago
con la rubia cabeza de Fonseca.
Iré a Santiago.
Y con el rosa de Romeo y Julieta
iré a Santiago.
Mar de papel y plata de monedas.
Iré a Santiago.
¡Oh Cuba! ¡Oh ritmo de semillas secas!
Iré a Santiago.
¡Oh cintura caliente y gota de madera!
Iré a Santiago.
Arpa de troncos vivos.Caimán. Flor de tabaco.
Iré a Santiago.
Siempre he dicho que yo iría a Santiago
en un coche de agua negra.
Iré a Santiago.
Brisa y alcohol en las ruedas,
iré a Santiago.
Mi coral en la tiniebla,
iré a Santiago.
El mar ahogado en la arena,
iré a Santiago.
Calor blanco, fruta muerta
iré a Santiago.
¡Oh bovino frescor de cañavera!
¡Oh Cuba! ¡Oh curva de suspiro y barro!
Iré a Santiago.

Publicado en Informaciones, 17 de marzo de 1932.

Poeta en Nueva York, 1940.

Chant nègre de Cuba

Quand viendra la pleine lune j’irai à Santiago de Cuba,
j’irai à Santiago,
dans une calèche d’eau noire
J’irai à Santiago.
Chanteront les toits de palme
J’irai à Santiago.
Quand le palmier veut être cigogne,
j’irai à Santiago.
Et quand veut être méduse le bananier
j’irai à Santiago.
J’irai à Santiago.
Avec la tête blonde de Fonseca.
J’irai à Santiago.
Avec la rose de Roméo et Juliette
j’irai à Santiago.
Ô Cuba ! Ô rythme de graines sèches !
J’irai à Santiago.
Ô ceinture chaude et goutte de bois !
J’irai à Santiago.
Harpe de troncs vivants. Caïman. Fleur de tabac.
J’irai à Santiago.
J’ai toujours dit que j’irais à Santiago
dans une calèche d’eau noire.
J’irai à Santiago.
Brise et alcool dans les roues,
j’irai à Santiago.
Mon corail dans la ténèbre,
j’irai à Santiago.
La mer noyée dans le sable,
j’irai à Santiago.
Chaleur blanche, fruit mort,
j’irai à Santiago.
Ô bovine fraîcheur des champs de canne !
Ô Cuba ! Ô courbe de soupir et de boue !
J’irai à Santiago.

Poète à New York. Poésies III, 1926-1936. Traduction de Pierre Darmangeat.

Le Poète à New York. Fata Morgana. Édition, 2008. Poèmes traduits en 1948 par Guy Levis-Mano. Dessins : Alecos Fassianos.

Federico García Lorca

Federico García Lorca avec ses neveux, Manuel (1932-2013) et Vicenta (Tica) Fernández-Montesinos. Huerta de San Vicente (Grenade). Été 1935. (Eduardo Blanco Amor 1897-1979)

Víctor Fernández a publié le 9 octobre dans le journal La Razón un article où Il évoque la nièce de Federico García Lorca, Tica Fernández-Montesinos dont j’ai déjà parlé dans ce blog (15 décembre 2020).

Tica Fernández-Montesinos: “Claro que me gustaría llevar flores a la tumba de mi tío Federico García Lorca”
Hija de Manuel Fernández-Montesinos y Concha García Lorca, habla de sus recuerdos alrededor del autor de “Poeta en Nueva York”

https://www.larazon.es/cultura/literatura/20221009/pplylwd72rgl7aztnw2eroakw4.html

Vicenta (Tica) Fernández-Montesinos García.

Vicenta (Tica) Fernández-Montesinos García est née à Grenade en décembre 1930. Federico García Lorca, son oncle, a choisi son prénom : elle s’appelle Vicenta comme sa grand-mère.

Tica est la fille aînée de Manuel Fernández-Montesinos Lustau, médecin et maire socialiste de Grenade en 1935, fusillé le 16 août 1936 contre les murs du cimetière de Grenade, et de Concha García Lorca, la sœur du poète. Le même jour, a las cinco de la tarde, des hommes en armes, menés par l’ancien député de droite de Grenade (CEDA), Ramón Ruiz Alonso, arrêtèrent Federico, au domicile de la famille du poète phalangiste, Luis Rosales, calle Angulo n°5. Peu de temps après, il était assassiné quelque part entre Víznar et Alfacar.

Elle eut une petite enfance heureuse dans la maison de campagne de la famille, la Huerta de San Vicente. Mais, elle souffrit d’une très forte otite qui la laissa partiellement sourde. Son l’oncle Federico l’adorait. Il la faisait rire, lui apprit à chanter et à danser. « Fui para tío Federico la hija que no tendría. » dit-elle.

Le mois d’août 1936 bouleversa la vie de cette famille aisée de la Vega de Grenade. Elle avait cinq ans et sept mois quand les fascistes assassinèrent son père et son oncle.

Ses grands-parents et sa mère durent s’exiler à New York. Ils y arrivèrent le 30 juillet 1940. Quand il partit de Bilbao à bord du Marqués de Comillas, son grand-père Federico García Rodríguez dit: “No quiero volver a ver este jodío país en mi vida”. Il mourut le 15 septembre 1945 à 86 ans.

Tica fit des études de philologie anglaise dans de prestigieux établissements libéraux des États-Unis et revint en 1952 à Madrid. Elle travailla pour la maison d’édition Aguilar qui employaient de nombreux anciens républicains. Elle se maria avec le peintre de Séville Antonio de Casas puis divorça, eut deux fils (Miguel, Claudio) et sept petits-enfants.

En 2011, elle a publié ses souvenirs Notas deshilvanadas de una niña que perdió la guerra (Comares) et en 2017 la suite El sonido del agua en las acequias (Dauro) .

Elle a aujourd’hui 91 ans, bientôt 92, et vit dans une maison de retraite dans les environs de Madrid. Víctor Fernández nous dit qu’elle est la dernière personne encore en vie à avoir connu de près le poète.

« Claro que me gustaría llevarle flores a mi tío a su tumba. Pero no tengo con quién. No sé dónde está. Eso es un misterio. Es el misterio. ». Elle ajoute : « Me gustaría llevarle flores a mi tío Federico ».

René Char

Les Dentelles de Montmirail. (CF) Été 2013.

Les Dentelles de Montmirail

Au sommet du mont, parmi les cailloux, les trompettes de terre cuite des hommes des vieilles gelées blanches pépiaient comme de petits aigles.

Pour une douleur drue, s’il y a douleur.

La poésie vit d’insomnie perpétuelle.

Il semble que ce soit le ciel qui ait le dernier mot. Mais il le prononce à voix si basse que nul ne l’entend jamais.

Il n’y a pas de repli ; seulement une patience millénaire sur laquelle nous sommes appuyés.

Dormez, désespérés, c’est bientôt jour, un jour d’hiver.

Nous n’avons qu’une ressource avec la mort : faire de l’art avant elle.

La réalité ne peut être franchie que soulevée.

Aux époques de détresse et d’improvisation, quelques-uns ne sont tués que pour une nuit et les autres pour l’éternité : un chant d’alouette des entrailles.

La quête d’un frère signifie presque toujours la recherche d’un être, notre égal, à qui nous désirons offrir des transcendances dont nous finissons à peine de dégauchir les signes.

Le probe tombeau : une meule de blé. Le grain au pain, la paille pour le fumier.

Ne regardez qu’une fois la vague jeter l’ancre dans la mer.

L’imaginaire n’est pas pur ; il ne fait qu’aller.

Les grands ne se perpétuent que par les grands. On oublie. La mesure seule est blessée.

Qu’est-ce qu’un nageur qui ne saurait se glisser entièrement sous les eaux ?

Avec des poings pour frapper, ils firent de pauvres mains pour travailler.

Les pluies sauvages favorisent les passants profonds.

L’essentiel est ce qui nous escorte, en temps voulu, en allongeant la route. C’est aussi une lampe sans regard, dans la fumée.

L’écriture d’un bleu fanal, pressée, dentelée, intrépide, du Ventoux alors enfant, courait toujours sur l’horizon de Montmirail qu’à tout moment notre amour m’apportait, m’enlevait.

Des débris de rois d’une inexpugnable férocité.

Les nuages ont des desseins aussi fermés que ceux des hommes.

Ce n’est pas l’estomac qui réclame la soupe bien chaude, c’est le cœur.

Sommeil sur la plaie pareil à du sel.

Une ingérence innommable a ôté aux choses, aux circonstances, aux êtres, leur hasard d’auréole. Il n’y a d’avènement pour nous qu’à partir de cette auréole. Elle n’immunise pas.

Cette neige, nous l’aimions, elle n’avait pas de chemin, elle découvrait notre faim.

La parole en archipel, Gallimard, 1962.

NRF. Collection Poésie/Gallimard (n° 38). Gallimard, 1969.

Île de Pâques

Moaïs sur le flanc du volcan Rano Raraku dans l’est de l’île de Pâques. Janvier 2018.

Le Monde, 8 octobre 2022

Sur l’île de Pâques, les célèbres statues moaïs ont subi des « dommages irréparables » à la suite d’un incendie

Un cinquième des sculptures moaïs, inscrites au Patrimoine mondial de l’humanité, ont été abîmées par le feu qui a ravagé le Parc national Rapa Nui.

Environ 80 statues moaïs, emblématiques de l’île de Pâques, ont été endommagées, parfois de manière « irrémédiable », par un incendie qui s’est déclaré en début de semaine dans l’île située à 3 500 kilomètres des côtes chiliennes. « L’incendie de la carrière du volcan Rano Raraku a été éteint (…), causant toutefois des dommages irréparables au Patrimoine culturel de l’humanité », a déclaré vendredi 7 octobre le président chilien, Gabriel Boric.

Une centaine d’hectares du Parc national Rapa Nui ont été dévastés. Le feu a atteint la zone du volcan Rano Raraku, et la carrière où l’ancienne civilisation indigène Rapa Nui fabriquait ses statues moais. On y compte 416 de ces sculptures à différents stades de fabrication.

Les engins de pompiers n’ont pu accéder au site

En raison des flammes, de la fumée et de l’eau, environ 20 % des statues du site ont été endommagées, selon le maire de l’île, Pedro Edmunds, qui affirme que l’une d’elles a subi des « dommages irrémédiables ».

« Elle va rester là, telle quelle, jusqu’à ce que nous évaluions les dégâts, et puis nous ferons appel à l’humanité pour voir quelle solution nous pouvons envisager. » (…)

En raison de la géographie, les engins des pompiers n’ont pas pu accéder au site même de l’incendie, vraisemblablement d’origine criminelle. « Cet incendie a été provoqué par les éleveurs de bétail pour les pâturages. Tout l’indique », a déclaré le ministre de l’agriculture chilien, Esteban Valenzuela…”

Cette nouvelle me donne envie de crier.

Moaï abîmé par l’incendie de Rapa Nui, le 6 octobre 2022 (AFP).

Joan Margarit

Poema de l’últim refugi

Abans em concentrava escoltant
el pensament enmig de qualsevol estrèpit.
Ara, m’és tan difícil.
No estic cansat de viure: estic cansat
de les veus que al voltant ressonen buides.
Però sé on continua l’alegria:
si no m’he perdut mai cap paradís,
no em perdré ara el més auster,
aquest on al poema ja no hi queda
gairebé rastre de literatura.
Reconec aquest lloc, l’he buscat sempre.
L’últim refugi, el de la soledat.

Es perd el senyal. Barcelona, Proa, 2012. Col lecció “Óssa menor”

Retiradas

Antes, incluso en medio de un estrépito,
podía concentrarme en un poema.
Ahora me resulta más difícil.
No estoy cansado de vivir: lo estoy
de tantas voces que a mi alrededor
resuenan huecas.
Sé dónde continúa la alegría:
si nunca me he perdido un paraíso,
no iré a perderme ahora el más austero,
ese donde el poema no le queda
apenas rastro de literatura.
Reconozco el lugar, es el mismo de siempre.
El último refugio, el de la soledad.

Todos los poemas (1975-2015). Austral, 2018.

Le poète Joan Margarit est né le 11 mai 1938 à Sanaüja (Lérida) en Catalogne. il est mort le 16 février 2021 à Sant Just Desvern dans sa maison de la banlieue de Barcelone. Architecte, professeur et poète, il écrivait principalement en catalan. Il a obtenu le Prix Cervantès, le Prix Nobel des langues castillanes en 2019.

«Soy un poeta catalán, pero también castellano, coño» avait-il affirmé en 2019 en déposant ses archives à l’Instituto Cervantes de Madrid.

Madrid. Instituto Cervantes. Calle de Alcalá n°49. Edificio de las Cariátides (o antiguo Banco Español del Río de la Plata) (Antonio Palacios Ramilo-Joaquín Otamendi) 1911-1918.