Federico García Lorca à Cuba

Víctor Amela (1960) est un écrivain et journaliste qui écrit pour le quotidien La Vanguardia de Barcelone depuis 1984. Il a publié en 2018 Yo pude salvar a Lorca (Destino). J’avais apprécié à l’époque ce roman qui respectait la vérité historique. Le biographe du poète de Grenade Ian Gibson avait, lui aussi, défendu le livre et sa précision historique.
Dans une interview publiée dans son journal, Víctor Amela affirmait que le poète de Grenade est le disparu le plus recherché et le plus aimé au monde : « Lorca, ¡el desaparecido más buscado y amado del mundo! » ). Il disait aussi : « La sangre de Lorca no se seca nunca. »
C’est peut-être pour cela qu’il publie aujourd’hui dans la même veine Si yo me pierdo (Destino, 2022). Il évoque les jours passées par Federico à Cuba en 1930 : « Los días más felices de mi vida »
Le poète écrivait à ses parents le 5 avril 1930 : « Esta isla es un paraíso. Cuba. Si yo me pierdo que me busquen en Andalucía o en Cuba. »
Il était parti en Amérique avec son ami, l’homme politique socialiste Fernando de los Ríos en juin 1929. Il connaissait une véritable dépression après sa rupture douloureuse avec son compagnon d’alors, le sculpteur Emilio Alandrén (1906-1944), et les critiques exprimées par ses amis, Luis Buñuel et Salvador Dalí, contre les poèmes du Romancero gitano. Il passa dix mois aux États-Unis. Il assista au krach de la Bourse de New York en octobre 1929 et aux suicides que celui-ci entraîna. Il supporta mal la froideur anglo-saxonne et protestante, la dureté de la modernité capitaliste et le sort des pauvres et des noirs dans ce pays.
Federico García Lorca resta à Cuba 3 mois, du 7 mars au 12 juin 1930, 98 jours exactement. Il produisit beaucoup (des poèmes, sa pièce de théâtre El Público, drame homosexuel où il affirma son identité, des dessins) et se réconcilia avec la vie. Il retrouva sa langue, la lumière, la chaleur, les couleurs. Il apprécia particulièrement la musique des musiciens noirs, le rhum, les glaces et les cocktails de La Havane, la beauté des paysages et celle des hommes et des femmes. Il avait 32 ans.
Il devait donner trois conférences en une semaine, en réalité il en prononça neuf. Il assista aussi à des cérémonies de santería. Il fréquenta les intellectuels cubains (Les 4 enfants de la famille Loynaz : Enrique, Carlos Manuel, Dulce María – Prix Cervantès 1992 – et Flor, mais aussi José Lezama Lima, le futur auteur du mythique roman Paradiso, publié en 1966). Ses conférences eurent beaucoup de succès et il put vivre sa sexualité bien plus librement qu’en Espagne ou aux États-Unis.
Il revint pourtant à Cadix à bord du navire Manuel Arnús le 30 juin 1930. Poeta en Nueva York fut publié en 1940 après sa mort par José Bergamín. Le dernier poème de ce recueil est Son de negros en Cuba qu’il écrivit lors d’un voyage en train qui lui fit traverser toute l’île de La Havane à Santiago fin avril 1930.

Miguel Poveda, Son de negros en Cuba. 2017. Video officielle.

https://www.youtube.com/watch?v=J8YqGl155n0

Autoportrait de Federico García Lorca pour Poeta en Nueva York. 1929-30.

Son de negros en Cuba

Cuando llegue la luna llena iré a Santiago de Cuba,
iré a Santiago,
en un coche de agua negra
iré a Santiago.
Cantarán los techos de palmera
iré a Santiago.
Cuando la palma quiere ser cigüeña,
iré a Santiago
y cuando quiere ser medusa el plátano,
iré a Santiago.
Iré a Santiago
con la rubia cabeza de Fonseca.
Iré a Santiago.
Y con el rosa de Romeo y Julieta
iré a Santiago.
Mar de papel y plata de monedas.
Iré a Santiago.
¡Oh Cuba! ¡Oh ritmo de semillas secas!
Iré a Santiago.
¡Oh cintura caliente y gota de madera!
Iré a Santiago.
Arpa de troncos vivos.Caimán. Flor de tabaco.
Iré a Santiago.
Siempre he dicho que yo iría a Santiago
en un coche de agua negra.
Iré a Santiago.
Brisa y alcohol en las ruedas,
iré a Santiago.
Mi coral en la tiniebla,
iré a Santiago.
El mar ahogado en la arena,
iré a Santiago.
Calor blanco, fruta muerta
iré a Santiago.
¡Oh bovino frescor de cañavera!
¡Oh Cuba! ¡Oh curva de suspiro y barro!
Iré a Santiago.

Publicado en Informaciones, 17 de marzo de 1932.

Poeta en Nueva York, 1940.

Chant nègre de Cuba

Quand viendra la pleine lune j’irai à Santiago de Cuba,
j’irai à Santiago,
dans une calèche d’eau noire
J’irai à Santiago.
Chanteront les toits de palme
J’irai à Santiago.
Quand le palmier veut être cigogne,
j’irai à Santiago.
Et quand veut être méduse le bananier
j’irai à Santiago.
J’irai à Santiago.
Avec la tête blonde de Fonseca.
J’irai à Santiago.
Avec la rose de Roméo et Juliette
j’irai à Santiago.
Ô Cuba ! Ô rythme de graines sèches !
J’irai à Santiago.
Ô ceinture chaude et goutte de bois !
J’irai à Santiago.
Harpe de troncs vivants. Caïman. Fleur de tabac.
J’irai à Santiago.
J’ai toujours dit que j’irais à Santiago
dans une calèche d’eau noire.
J’irai à Santiago.
Brise et alcool dans les roues,
j’irai à Santiago.
Mon corail dans la ténèbre,
j’irai à Santiago.
La mer noyée dans le sable,
j’irai à Santiago.
Chaleur blanche, fruit mort,
j’irai à Santiago.
Ô bovine fraîcheur des champs de canne !
Ô Cuba ! Ô courbe de soupir et de boue !
J’irai à Santiago.

Poète à New York. Poésies III, 1926-1936. Traduction de Pierre Darmangeat.

Le Poète à New York. Fata Morgana. Édition, 2008. Poèmes traduits en 1948 par Guy Levis-Mano. Dessins : Alecos Fassianos.

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