Robert Desnos

Robert Desnos (Claude Cahun) 1930.

Merci à l’enseignante de ma petite-fille S. qui fait apprendre ce poème à ses élèves de CM2.

Demain

Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force
De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : le matin est neuf, neuf est le soir.

Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille
Á maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.

Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.

État de veille, 1942. in Destinée arbitraire. NRF Poésie/Gallimard n°112. Octobre 1975.

Charlotte Delbo

Charlotte Delbo. Paris. Boulevard Arago. Résistantes. Femmes dans la Résistance française. (C215 – Christian Guémy)

J’ai écouté en podcast sur France Culture l’émission de Marie Richeux Le Book Club : Dans la bibliothèque de la pianiste Anne Quéffelec. Elle évoque un passage d’Aucun de nous ne reviendra de Charlotte Delbo.

” Il y a beaucoup de textes de Charlotte Delbo que je ne pourrais pas lire tellement ils sont saisissants. Je n’oserais même pas le faire, parce que j’ai le sentiment qu’on ne peut que les lire en silence avec le texte ou les yeux. “

Il faut lire et relire Charlotte Delbo (Vigneux-sur-Seine, 10 août 1913 – Paris, 1 mars 1985).

Auschwitz et après.

I. Aucun de nous ne reviendra (Éditions Gonthier 1965. Éditions de Minuit, 1970)

II. Une connaissance inutile ( Éditions de Minuit, 1970)

III. Mesure de nos jours ( Éditions de Minuit, 1971)

IV. La mémoire et les jours (Berg International, 1985 . Éditions de Minuit, 1970)

Le convoi du 24 janvier (Éditions de Minuit, 1965)

Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants et autres poèmes (Éditions de Minuit, 2024)

Auschwitz et après. Tome I. Aucun de nous ne reviendra. Éditions de Minuit, 1970. Pages 97-99.

La tulipe

Au loin se dessine une maison. Sous les rafales, elle fait penser à un bateau, en hiver. Un bateau à l’ancre dans un port nordique. Un bateau à l’horizon gris.

Nous allions la tête baissée sous les rafales de neige fondu qui cinglaient au visage, piquaient comme grêle. Á chaque rafale, nous redoutions la suivante et courbions davantage la tête. La rafale s’abattait, giflait, lacérait. Une poignée de gros sel lancée à toute violence en pleine figure. Nous avancions, poussant devant nous une falaise de vent et de neige.

Où allions-nous ?

C’était une direction que n’avions jamais prise. Nous avions tourné avant le ruisseau. La route en remblai longeait un lac. Un grand lac gelé.

Vers quoi allions-nous ? Que pouvions-nous faire par là ? La question que nous posait l’aube à chaque aube. Quel travail nous attend ? Marais, wagonnets, briques, sable. Nous ne pouvions penser ces mots-là sans que le coeur nous manquât.

Nous marchions. Nous interrogions le paysage. Un lac gelé couleur d’acier. Un paysage qui ne répond pas.

La route s’écarte du lac. Le mur de vent et de neige se déplace de côté. C’est là qu’apparaît la maison. Nous marchons moins durement. Nous allons vers une maison.

Elle est au bord de la route. En briques rouges. La cheminée fume. Qui peut habiter cette maison perdue ? Elle se rapproche. On voit des rideaux blancs. Des rideaux de mousseline. Nous disons « mousseline » avec du doux dans la bouche. Et, devant les rideaux, dans l’entre-deux des doubles fenêtres, il y a une tulipe.

Les yeux brillent comme à une apparition. « Vous avez vu ? Vous avez vu ? Une tulipe. » Tous les regards se portent sur la fleur. Ici, dans le désert de glace et de neige, une tulipe. Rose entre deux feuilles pâles. Nous la regardons. Nous oublions la grêle qui cingle. La colonne ralentit. « Weiter », crie le SS. Nos têtes sont encore tournées vers la maison que nous l’avons depuis longtemps dépassée.

Tout le jour nous rêvons à la tulipe. La neige fondue tombait, collait au dos notre veste trempée et raidie. La journée était longue, aussi longue que toutes les journées. Au fond du fossé nous creusions, la tulipe fleurissait dans sa corolle délicate.

Au retour, bien avant d’arriver à la maison du lac, nos yeux la guettaient. Elle était là, sur le fond des rideaux blancs. Coupe rose entre les feuilles pâles. Et pendant l’appel, à des camarades qui n’étaient pas avec nous, nous disions : « Nous avons vu une tulipe. »

Nous ne sommes plus retournées à ce fossé. D’autres ont dû l’achever. Le matin, au croisement d’où partait la route du lac, nous avions un moment d’espoir.

Quand nous avons appris que c’était la maison du SS qui commandait la pêcherie, nous avons haï notre souvenir et cette tendresse qu’ils n’avaient pas encore séchée en nous.

William Butler Yeats 1865 – 1939

Portrait de W. B. Yeats (John Singer Sargent). 1908. Collection privée.

Nous regardons un peu par hasard une mini-série policière anglaise de Sean Cook, Redemption (2022). C’est aussi un drame familial. Colette Cunningham, enquêtrice au sein de la brigade criminelle de Liverpool, est une femme forte. Elle reçoit un appel inattendu de Dublin. Un corps a été retrouvé. Colette est indiquée comme son parent le plus proche. Elle s’envole pour Dublin afin d’identifier sa fille, Kate, disparue depuis vingt ans. Plein de chagrin et de culpabilité, Colette décide de rester en Irlande pour s’occuper des deux enfants de Kate et de travailler pour la Garda, la police irlandaise. Elle essaie de reconstituer la vérité sur la mort de sa fille. Elle veut résoudre le mystère qui entoure sa mort.

Lors de l’enterrement, Colette lit un poème de W.B. Yeats que sa fille aimait particulièrement :

Au bas des jardins de saules

Au bas des jardins de saules je t’ai rencontrée, mon amour.
Tu passais les jardins de saules d’un pied qui est comme neige.
Tu me dis de prendre l’amour simplement, ainsi que poussent les feuilles,
Mais moi j’étais jeune et fou et je n’ai pas voulu te comprendre.

Dans un champ près de la rivière nous nous sommes tenus, mon amour,
Et sur mon épaule penchée tu posas ta main qui est comme neige.
Tu me dis de prendre la vie simplement, comme l’herbe pousse sur la levée,
Mais moi j’étais jeune et fou et depuis lors je te pleure.

Quarante-cinq poèmes suivis de La Résurrection présentés et traduits par Yves Bonnefoy. Hermann, 1989. NRF Poésie/Gallimard n°273, 2004.

Down by the salley gardens

Down by the salley gardens my love and I did meet ;
She passed the salley gardens with little snow-white feet.
She bid me take love easy, as the leaves grow on the tree ;
But I, being young and foolish, with her would not agree.

In a field by the river my love and I did stand,
And on my leaning shoulder she laid her snow-white hand.
She bid me take life easy, as the grass grows on the weirs ;
But I was young and foolish, and now am full of tears.

Emilio Prados – Manuel Altolaguirre – Sur – Litoral

Malaga commémore le centenaire de l’imprimerie Sur, fondée en octobre 1925 par le poète Emilio Prados (1899-1962). Il collabora avec Manuel Altolaguirre (1905-1959) et plus tard brièvement avec José María Hinojosa (1904-1936).

Du 6 mars au 23 mai 2025, une exposition célèbre ce centenaire au centre culturel María Victoria Atencia de Malaga (Calle Ollerías, 34) : Imprenta Sur (1925-2025). Cien años, Cien objetos. Le commissaire de l’exposition est Rafael Inglada.

Jardin vertical. Place Pepe Mena. Malaga.

On peut voir dans deux salles des dessins, des photographies, des machines d’imprimerie d’époque, des objets personnels et bien sûr des éditions de Sur et de Litoral. Cette mythique revue fut remplacée en 1937, après l’occupation de la ville par les troupes franquistes, par Dardo.

Des œuvres d’Emilio Prados (Tiempo), Federico García Lorca (Canciones), Luis Cernuda (Perfil del aire) Rafael Alberti, Juan Gris ou Pablo Picasso furent imprimées là. Dans la revue Litoral, créée une année plus tard, en 1926, publièrent entre autres Juan Ramón Jiménez, Jorge Guillén, José Bergamín, Gerardo Diego, Federico García Lorca, Rafael Alberti, Luis Cernuda, Vicente Aleixandre, Salvador Dalí, Juan Gris, Manuel de Falla. Le peintre María Ángeles Ortiz conçut la première page de cette magnifique revue. Son poisson devint un des symboles de la Génération de 1927.

Premier numéro de la revue Litoral. 1926. Dessin de María Ángeles Ortiz.

L’imprimerie s’ installa d’abord Calle Tomás Heredia, n°24, puis Calle de San Lorenzo, n°12.

Manuel Altolaguirre l’évoqua ainsi : « …Nuestra imprenta tenía forma de barco, con sus barandas, salvavidas, faroles, vigas de azul y blanco, cartas marítimas, cajas de galletas y vino para los naufragios. Era una imprenta llena de aprendices, uno manco, aprendices como grumetes, que llenaban de alegría el pequeño taller, que tenía flores, cuadros de Picasso, música de don Manuel de Falla, libros de Juan Ramón Jiménez en los estantes. Imprenta alegre como un circo […]. Entre otras cosas, teníamos en un rincón una escafandra de buzo y en la vitrina una mano de madera articulada, de las que sirven para agrandar los guantes. Son recuerdos prosaicos. Pero la imprenta era un verdadero rincón de poesía. Con muy pocas máquinas, con muchos sillones, con más conversación que trabajo, casi siempre desinteresado, artístico, porque Emilio era y es el hombre más generoso del mundo. »

Antigua Imprenta Sur. Málaga.

L’imprimerie Sur fonctionne toujours grâce à une famille d’imprimeurs, les Andrade, bien qu’elle ait connu de nombreuses vicissitudes. Elle est gérée depuis 2000 par le Centro Generación del 27 de la Diputación de Málaga. De même, la revue Litoral a pu réapparaître à Torremolinos en 1968 grâce à José María Amado et à la société Revista Litoral, S.A.​ Son directeur actuel est le peintre Lorenzo Saval Prados et sa directrice adjointe María José Amado, son épouse.

Revista Litoral. S.A. Ediciones Litoral.
Urbanización La Roca, Local 8. 29620 Torremolinos Málaga.
litoral@edicioneslitoral.com
[+34] 952 388 257

https://edicioneslitoral.com/?v=11aedd0e4327

Litoral n°1. Mai 1968.

Maruja Mallo 1902 – 1995 – Manuel Vicent

Maruja Mallo, Josefina Carabias. Antro de fósiles (Maruja Mallo) . Madrid, 1931. (Guillermo de Osma)

La peintre Maruja Mallo (Ana María Gómez González) est née à Vivero (Lugo – Galice) le 5 janvier 1902.

Son père, Justo Gómez Mallo, est fonctionnaire des douanes. Sa mère s’appelle María del Pilar González Lorenzo. Ils auront 14 enfants. Le sculpteur Cristino Mallo (1905-1989) est un de ses frères.

En 1922, elle entre à l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando de Madrid la même année que Salvador Dalí qui sera son ami. Elle en sort diplômée en 1926. Lui en sera exclu pour avoir causé plusieurs scandales.

Elle a une liaison avec le sculpteur Emilio Aladrén (1906-1944) qui la quitte pour devenir l’amant de Federico García Lorca. (“Era un festejante mío (como dicen en Argentina) y Federico me lo quitó, entre otras cosas porque tenía un temperamento ruso y le decía tantas cosas que, claro, Emilio se enardeció y se fue con él”)

Elle fréquente les artistes de la Génération de 1927 : Concha Méndez, Gregorio Prieto, Federico García Lorca, Margarita Manso, Luis Buñuel, María Zambrano. Elle a une longue et complexe relation avec le poète Rafael Alberti ( entre 1925 et 1930).

À partir de 1927, elle fait partie du groupe de la première École de Vallecas (Alberto Sánchez, Benjamín Palencia, Pancho Lasso, Juan Manuel Caneja, Luis Castellanos).

Sa première exposition dans les salons de la Revista de Occidente en 1928 à Madrid est un succès. Elle obtient l’aval de José Ortega y Gasset et la protection de Ramón Gómez de la Serna. Elle devient une figure majeure de l’avant-garde espagnole de l’époque.

Cette artiste de talent, excentrique et républicaine est l’incarnation de la nouvelle femme espagnole, libre et émancipée. “Un buen día, a Federico, a Dalí, a Margarita Manso —otra estudiante— y a mí se nos ocurrió quitarnos el sombrero. Y al atravesar la Puerta del Sol nos apedrearon, insultándonos como si hubiésemos hecho un descubrimiento como Copérnico o Galileo.” Plus tard, on appellera les femmes libérées de cette génération, Las Sinsombrero.

En 1932, elle obtient une bourse de la Junta para Ampliación de Estudios e Investigaciones Científicas et se rend à Paris, où elle rencontre les artistes surréalistes (René Magritte, Max Ernst, Joan Miró, Giorgio de Chirico, André Breton, Paul Éluard). Ils influenceront radicalement et immédiatement sa peinture, comme en témoigne une de ses œuvres essentielles, Espantapájaros [1929], qu’achète André Breton en 1932 à la galerie Pierre Loeb où elle expose seize oeuvres de sa série Cloacas y campanarios.

Sa présence à une exposition collective d’art espagnol à Paris en 1935 lui vaut d’entrer dans les collections du Jeu de Paume.

Elle a aussi une relation passionnée avec le poète Miguel Hernández. Elle lui inspire certains des poèmes de El rayo que no cesa.

Elle participe aux Misiones pedagógicas et enseigne l’art et le dessin.

La Guerre civile la surprend dans sa région natale où elle vit avec le militant syndicaliste et communiste Alberto Fernández “Mezquita” (1898-1968). Elle réussit à passer au Portugal grâce à l’aide de Gabriela Mistral, ambassadrice du Chili au Portugal, et à s’exiler en Argentine. Elle y arrive le 9 février 1937.

Elle ne revient définitivement en Espagne qu’en 1965 et s’installe à Madrid. Elle meurt le 6 février 1995 à 93 ans.

La verbena (Maruja Mallo). 1927. Madrid, Centro de arte Reina Sofía.

“Maruja Mallo, entre verbena y espantajo toda la creación del mundo cabe dentro de un ojo. Estos cuadros son los cuadros que he visto pintados con más imaginación, con más gracia, con más ternura y con más sensualidad.” (Federico García Lorca, 1930)

“Las creaciones extrañas de Maruja Mallo, entre las más considerables de la pintura actual, son una revelación poética y plástica. Original, Cloacas y Campanarios aparecen comoprecursores de la nueva visión plástica informalista”. (Paul Eluard, 1932)

” Tú,

tú que bajaste a las cloacas donde las flores son ya unos tristes salivazos sin sueños

y mueres por las alcantarillas que desembocan a las verbenas desiertas

para resucitar al filo de una piedra mordida por un hongo estancado,

dime por qué las lluvias pudren las horas y las maderas.

Aclárame esta duda que tengo sobre los paisajes.

Despiértame …”

(Rafael Alberti, Ascensión de Maruja Mallo al subsuelo, La Gaceta Literaria 61, 1 de junio, de 1929.)

Il y a en ce moment une grande exposition de cette artiste à Santander au Centre Botín, Maruja Mallo : Máscara y compás. (12 avril-14 septembre 2025).

Estrella de mar (Maruja Mallo), 1952. Colección de arte Abanca.

Je prends toujours beaucoup de plaisir à lire les articles de Manuel Vicent dans El País.

El País, 26/04/2025

¿Quién se llevó al río a Maruja Mallo? (Manuel Vicent)

En aquella época a las mujeres solo se les permitía el surrealismo de llevar colgado del pecho un escapulario de la Virgen de Perpetuo Socorro

Habíamos tomado un taxi para ir a comer. Iba sentada a mi lado, era pequeñita, las piernas le colgaban en el asiento, pesaría no más de 50 kilos incluidos todos los arreos que llevaba encima, dijes, pulseras, plumas, gasas, el sombrero y un reloj de patata. Decía que su reloj funcionaba bajo el agua y servía para cronometrar alguna carrera de salmonetes. Me hablaba del guapo escultor Emilio Aladrén, que fue su novio y la dejó para hacerse amante de García Lorca. Yo veía en el retrovisor la cara de asombro que ponía el taxista al oír las cosas que decía aquella mujer, llamada Maruja Mallo. Por otra parte, no había forma de que nos pusiéramos de acuerdo para elegir un restaurante porque Maruja no podía olvidar que era una pintora surrealista y prefería contarme las locuras de su juventud, cuando allá en tiempos de la República entró montada en bicicleta en la iglesia de Arévalo durante la misa mayor el día del patrón del pueblo. Atravesó la nave central, se dio una vuelta alrededor del presbiterio y pedaleando tranquilamente abandonó el templo y se fue por donde había entrado, dejando al obispo, a los canónigos y a todos los fieles boquiabiertos. Se comprenderá que en aquel tiempo en que se apedreaba a los hombres que no llevaban sombrero, epatar a los burgueses era muy fácil para aquel grupo de surrealistas, capitaneados por Dalí y Buñuel. Bastaba con pasearse con un clavel en la pipa y se armaba un escándalo. Pero Maruja Mallo iba siempre más allá, aunque lo tenía más fácil por ser mujer.

En aquella época a las mujeres solo se les permitía el surrealismo de llevar colgado del pecho un escapulario de la Virgen del Perpetuo Socorro. En una foto aparece vestida de algas en una playa de Chile, en otra lleva una media colgando entre calaveras de vacas en un vagón de mercancías. También era la más imaginativa a la hora de disfrazarse en las fiestas morunas que montaban en la casa de las Flores de Madrid, donde vivía Pablo Neruda. De hecho, Maruja siempre ganaba el concurso de blasfemias que se celebraba todos los años en un bar de la plaza de la Cebada.

Ahora en el taxi yo insistía en enumerarle todos los restaurantes del barrio de Salamanca, pero al ver que no había forma de llegar a un acuerdo, el taxista se permitió participar en el debate.
—¿Puedo dar mi opinión? —preguntó.
—Diga, diga.
—Me han asegurado que donde mejor se come es en la cafetería del frenopático.
—Haberlo dicho antes, buen señor. Vamos para allá —exclamó Maruja.
Por fin encontramos un restaurante propicio del barrio de Salamanca y una vez sentados, después de pedir la primera cerveza, le pregunté:
—Maruja, ¿tú crees en Dios?
—¿Que si creo en Dios? Pero cómo voy a creer en Dios, si con estas prisas mortíferas de hoy en día no hay tiempo para nada. A mí el que me gusta es Moisés del Antiguo Testamento, un tipo musculoso y revolucionario que escribió él solo el Pentateuco y cruzó a nado el mar Rojo. También me gusta otro que se llama… A ver si me acuerdo… caray, ¿cómo se llamaba?… tiene el mismo nombre que un israelita que era mi marchante en Buenos Aires y tiene una joyería en Madrid, ah, sí… Samuel, ese era un tío con toda la barba. Buda me parece un cenizo que decía que vivir es sufrir. Después vino el judío que dijo que cuanto más sufres, mejor. Lo mío sería Zoroastro, que es la religión de los magos. Yo creo que Cristo era un mito o una cosa parecida a Tierno Galván, que es un infeliz, el pobre.

La Generación del 27 no estaba formada solo por poetas. También había músicos, arquitectos y pintores. Maruja Mallo, sin duda, era la más dotada para captar el espíritu de los tiempos. Pese a la bohemia con que vivía y todos los disparates con que adornaba su vida, la obra de Maruja Mallo es de una personalidad y consistencia extraordinarias. Tenía enamorados a toda aquella tropa de poetas, pero fue Alberti quien se la llevó al río, en este caso al río Manzanares, donde ella le lavaba los calzoncillos. Y también los de Miguel Hernández. En 1932 se fue a París y allí conoció a Bretón, a Paul Éluard, a Aragón, a Picasso. Expuso en la galería de Pierre Loeb. Después de la Guerra Civil se fue exiliada a Buenos Aires. Regresó a España en 1962 y después de pasar por un periodo de oscuridad, su figura recuperó el primer plano y hoy Maruja Mallo ocupa un lugar privilegiado entre aquel grupo de surrealistas que sabían que el surrealismo solo funciona como improvisación, actuando. Entre su obra destacan las verbenas que comenzó a pintar el año 28, los cuerpos voladores, los espantapájaros, las norias, los carruseles y tiovivos. Sucede que el extraordinario talento de esta pintora está oscurecido por las anécdotas, pero en cualquier exposición allí donde se cuelgue un cuadro de esta pintora, dada su misteriosa energía magnética, atraerá con fuerza todas las miradas.

Manuel Vicent (Castellón, 1936)

Charles Baudelaire

Les bons chiens

À M. Joseph Stevens

Je n’ai jamais rougi, même devant les jeunes écrivains de mon siècle, de mon admiration pour Buffon ; mais aujourd’hui ce n’est pas l’âme de ce peintre de la nature pompeuse que j’appellerai à mon aide. Non.
Bien plus volontiers je m’adresserais à Sterne, et je lui dirais : « Descends du ciel, ou monte vers moi des champs Élyséens, pour m’inspirer en faveur des bons chiens, des pauvres chiens, un chant digne de toi, sentimental farceur, farceur incomparable ; reviens à califourchon sur ce fameux âne qui t’accompagne toujours dans la mémoire de la postérité ; et surtout que cet âne n’oublie pas de porter, délicatement suspendu entre ses lèvres, son immortel macaron ! »
Arrière la Muse académique ! Je n’ai que faire de cette vieille bégueule. J’invoque la Muse familière, la citadine, la vivante, pour qu’elle m’aide à chanter les bons chiens, les pauvres chiens, les chiens crottés, ceux-là que chacun écarte, comme pestiférés et pouilleux, excepté le pauvre dont ils sont les associés, et le poète qui les regarde d’un œil fraternel.
Fi du chien bellâtre, de ce fat quadrupède, danois, king-charles, carlin ou gredin, si enchanté de lui-même qu’il s’élance indiscrètement dans les jambes ou sur les genoux du visiteur, comme s’il était sûr de plaire, turbulent comme un enfant, sot comme une lorette, quelquefois hargneux et insolent comme un domestique ! Fi surtout de ces serpents à quatre pattes, frissonnants et désœuvrés, qu’on nomme levrettes, et qui ne logent même pas dans leur museau pointu assez de flair pour suivre la piste d’un ami, ni dans leur tête aplatie assez d’intelligence pour jouer au domino !
À la niche, tous ces fatigants parasites ! Qu’ils retournent à leur niche soyeuse et capitonnée ! Je chante le chien crotté, le chien pauvre, le chien sans domicile, le chien flâneur, le chien saltimbanque, le chien dont l’instinct, comme celui du pauvre, du bohémien et de l’histrion, est merveilleusement aiguillonné par la nécessité, cette si bonne mère, cette vraie patronne des intelligences !
Je chante les chiens calamiteux, soit ceux qui errent, solitaires, dans les ravines sinueuses des immenses villes, soit ceux qui ont dit à l’homme abandonné, avec des yeux clignotants et spirituels : « Prends-moi avec toi, et de nos deux misères nous ferons peut-être une espèce de bonheur ! »
« Où vont les chiens » disait autrefois Nestor Roqueplan dans un immortel feuilleton qu’il a sans doute oublié, et dont moi seul, et Sainte-Beuve peut-être, nous nous souvenons encore aujourd’hui.
Où vont les chiens, dites-vous, hommes peu attentifs ? Ils vont à leurs affaires. Rendez-vous d’affaires, rendez-vous d’amour. À travers la brume, à travers la neige, à travers la crotte, sous la canicule mordante, sous la pluie ruisselante, ils vont, ils viennent, ils trottent, ils passent sous les voitures, excités par les puces, la passion, le besoin ou le devoir. Comme nous, ils se sont levés de bon matin, et ils cherchent leur vie ou courent à leurs plaisirs.
Il y en a qui couchent dans une ruine de la banlieue et qui viennent, chaque jour, à heure fixe, réclamer la sportule à la porte d’une cuisine du Palais-Royal ; d’autres qui accourent, par troupes, de plus de cinq lieues, pour partager le repas que leur a préparé la charité de certaines pucelles sexagénaires, dont le cœur inoccupé s’est donné aux bêtes, parce que les hommes imbéciles n’en veulent plus.
D’autres qui, comme des nègres marrons, affolés d’amour, quittent, à de certains jours, leur département pour venir à la ville, gambader, pendant une heure, autour d’une belle chienne, un peu négligée dans sa toilette, mais fière et reconnaissante.
Et ils sont tous très exacts, sans carnets, sans notes et sans portefeuilles.
Connaissez-vous la paresseuse Belgique, et avez-vous admiré comme moi tous ces chiens vigoureux attelés à la charrette du boucher, de la laitière ou du boulanger, et qui témoignent, par leurs aboiements triomphants, du plaisir orgueilleux qu’ils éprouvent à rivaliser avec les chevaux ?
En voici deux qui appartiennent à un ordre encore plus civilisé ! Permettez-moi de vous introduire dans la chambre du saltimbanque absent. Un lit, en bois peint, sans rideaux, des couvertures traînantes et souillées de punaises, deux chaises de paille, un poêle de fonte, un ou deux instruments de musique détraqués, oh ! le triste mobilier ! Mais regardez, je vous prie, ces deux personnages intelligents, habillés de vêtements à la fois éraillés et somptueux, coiffés comme des troubadours ou des militaires, qui surveillent, avec une attention de sorciers l’œuvre sans nom qui mitonne sur le poêle allumé, et au centre de laquelle une longue cuiller de bois se dresse, plantée comme un de ces mâts aériens qui annoncent que la maçonnerie est achevée.
N’est-il pas juste que de si zélés comédiens ne se mettent pas en route sans avoir lesté leur estomac d’une soupe puissante et solide ? Et ne pardonnerez-vous pas un peu de sensualité à ces pauvres diables qui ont à affronter tout le jour l’indifférence du public et les injustices d’un directeur qui se fait la grosse part et mange à lui seul plus de soupe que quatre comédiens ?
Que de fois j’ai contemplé, souriant et attendri, tous ces philosophes à quatre pattes, esclaves complaisants, soumis ou dévoués, que le dictionnaire républicain pourrait aussi bien qualifier d’officieux, si la république trop occupée du bonheur des hommes, avait le temps de ménager l’honneur des chiens.
Et que de fois j’ai pensé qu’il y avait peut-être quelque part (qui sait, après tout ?), pour récompenser tant de courage, tant de patience et de labeur, un paradis spécial pour les bons chiens, les pauvres chiens, les chiens crottés et désolés. Swedenborg affirme bien qu’il y en a un pour les Hollandais et un pour les Turcs !
Les Bergers de Virgile et de Théocrite attendaient, pour prix de leur chant alterné, un bon fromage, une flûte du meilleur faiseur, ou une chèvre aux mamelles gonflées. Le poète qui a chanté les pauvres chiens a reçu pour récompense un beau gilet, d’une couleur, à la fois riche et fanée, qui fait penser aux soleils d’automne, à la beauté des femmes mûres et aux étés de la Saint-Martin.
Aucun de ceux qui étaient présents dans la taverne de la rue Villa-Hermosa n’oubliera avec quelle pétulance le peintre s’est dépouillé de son gilet en faveur du poète, tant il a bien compris qu’il était bon et honnête de chanter les pauvres chiens.
Tel un magnifique tyran italien, du bon temps, offrait au divin Arétin soit une dague enrichie de pierreries, soit un manteau de cour, en échange d’un précieux sonnet ou d’un curieux poème satirique.
Et toutes les fois que le poète endosse le gilet du peintre, il est contraint de penser aux bons chiens, aux chiens philosophes, aux étés de la Saint-Martin et à la beauté des femmes très mûres.

Le Spleen de Paris, 1869.

Paris. Cimetière du Montparnasse. Cénotaphe de Baudelaire (José de Charmoy) 1902.

” Les bons chiens est un hommage au peintre animalier Joseph Stevens (1816-1892), frère du marchand d’art Arthur Stevens et du peintre de genre Alfred Stevens. Baudelaire a fréquenté les trois frères durant son séjour en Belgique (avril 1864-juin 1866). Il a vu des peintures de Joseph Stevens et des ” chiens habillés ” dans la collection Crabbe. (…)

L‘Indépendance belge du 21 juin 1865 révèle que Joseph Stevens avait offert son gilet à Baudelaire ” sous la condition qu’il écrirait quelque chose sur les chiens des pauvres “.

(Baudelaire, Oeuvres complètes II. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. 2024. Notices, notes et variantes. Page 1586.)

https://www.youtube.com/watch?v=5EKtP4QahR8

Les bons chiens. Extrait lu par Michel Piccoli. Baudelaire : Petits poèmes en prose (Le Spleen de Paris). Frémeaux & Associés. 2009.

Intérieur du saltimbanque (Joseph Stevens). 1850.