Julio Cortázar

Je lis Salvo el crepúsculo de Julio Cortázar. J’ai trouvé ce livre d’occasion chez Gibert, il y a quelques semaines. L’auteur argentin n’est pas un très grand poète, mais ses textes me touchent encore comme dans les années 70-80.

Julio Cortazár, Crépuscule d’automne. Éditions José Corti. Collection Ibériques, 2010. Traduit par Silvia Baron Supervielle.

« Je ne sais pas ce qui rend un livre inoubliable mais je sais que, depuis que je découvris Salvo el crepúsculo, dans la première édition mexicaine, je n’ai jamais pu l’oublier. C’était en 1984, année de la mort de Cortázar. Une nouvelle édition est sortie récemment aux éditions Alfaguara, elle inclut de légères retouches faites par l’auteur sur des épreuves retrouvées. Mais il n’a rien supprimé, ni changé, ni désavoué de cet ensemble de textes d’époques diverses de sa vie, choisis et spécialement réunis par ses soins.
De quelle manière ce livre est arrivé entre mes mains, je ne saurais le dire. J’en suis tombée amoureuse et ensuite il s’est de lui-même enraciné dans mon souvenir. Car peu de temps après, je me suis mise sans succès à le chercher sur mes étagères. Depuis lors, à intervalles réguliers, je n’ai pas cessé d’essayer de le retrouver en vain. Il me semblait impossible de l’avoir perdu ou prêté à quelqu’un ; il avait disparu et je ne me consolais pas. Il m’était cher, il enfermait une signification particulière, une musique, une indépendance, une nostalgie qui trouvaient en moi une résonance pleine.
Après qu’il eut publié Rayuela (Marelle) en Argentine, Cortázar adressa une lettre à son ami Fredi Guthman, où il dit : “Maintenant les philologues, les rhétoriciens, les versés en classifications et en expertises se déchaîneront, mais nous sommes de l’autre côté, dans ce territoire libre et sauvage et délicat où la poésie est possible et arrive jusqu’à nous comme une flèche d’abeilles.… ». (Silvia Baron Supervielle).

Ley del poema (Julio Cortázar)

Amargo precio del poema,
las nueve sílabas del verso;
una de más o una de menos
lo alzan al aire o lo condenan.

Somos el ajedrez de un río,
el naipe siempre entre dos lumbres;
caen las caras y las cruces
a cada curva del camino.

Cae en el verso la palabra,
en el recuerdo llueve el llanto,
cae la noche, cae el pájaro,
todo es caída amortiguada.

¡Oh libertad de no ser libre,
golpe de dados que desata
la sigilosa telaraña
de encrucijadas y deslindes!

Como tu boca a la manzana,
como mis manos a tus senos,
irá la mariposa al fuego
para danzar su última danza.

Salvo el crepúsculo. Alfaguara, 1984.

Loi du poème

Amer est le prix du poème,
les neuf syllabes de chaque vers ;
l’une superflue, l’autre manquante
le font voler ou le condamnent.

Nous sommes l’échiquier d’un cours d’eau
la carte à jouer entre deux feux ;
tombent les faces tombent les piles
chaque fois que tourne le chemin

Tombe le rythme dans les vers,
pleuvent les larmes dans le souvenir,
tombe la nuit, tombe l’oiseau
tout est chute lente sans bruit.

Ô liberté de la prison,
coup de dés qui lance et détache
l’énigmatique toile d’araignée
des murs et des démarcations !

Comme ta bouche découvre la pomme
comme mes mains découvrent tes seins,
le papillon suivra le feu
pour sa dernière danse danser.

Crépuscule d’automne. Éditions José Corti. Collection Ibériques. 2010. Traduction de Silvia Baron Supervielle.

El interrogador

No pregunto por las glorias ni las nieves,
quiero saber dónde se van juntando las golondrinas muertas,
adónde van las cajas de fósforos usadas.
Por grande que sea el mundo
hay los recortes de uñas, las pelusas,
los sobres fatigados, las pestañas que caen.
¿Adonde van las nieblas, la borra del café,
los almanaques de otro tiempo?

Pregunto por la nada que nos mueve;
en esos cementerios conjeturo
que crece poco a poco el miedo,
y que allí empolla el Roc.

Salvo el crepúsculo. Alfaguara, 1984.

L’interrogateur

Je ne questionne pas sur les gloires ni les neiges,
je veux savoir où se retrouvent les hirondelles mortes,
où vont les boîtes d’allumettes usées.
Aussi grand que soit le monde
il y a les ongles à couper, les effiloches,
les enveloppes fatiguées, les cils qui tombent.
Où vont les brumes, le dépôt du café,
les almanachs d’un autre temps ?

Je questionne sur le vide qui nous anime ;
je présume que dans ces cimetières
la peur pousse peu à peu
et que c’est là où couve le Rokh.

Crépuscule d’automne. Éditions José Corti. Collection Ibériques. 2010. Traduction de Silvia Baron Supervielle.

Ixelles (Belgique). Buste de Julio Cortázar (Edmund Valladares-2005) devant la maison où l’écrivain est né, à l’intersection de l’avenue Louis Lepoutre et de la place Brugmann.

Cristina Peri Rossi

Cristina Peri Rossi et Julio Cortázar.

Cristina Peri Rossi est une poétesse, traductrice, nouvelliste et romancière. Elle vient de recevoir le Prix Cervantès 2021, la récompense la plus importante pour la littérature en espagnol . Elle est la sixième femme à obtenir ce prix après María Zambrano (1988), Dulce María Loynaz (1992), Ana María Matute (2010), Elena Poniatowska (2013) et Ida Vitale (2018).

Elle est née à Montevideo le 12 novembre 1941.

Après une licence de littérature comparée, elle commence à enseigner. Son premier recueil de nouvelles, Viviendo, paraît en 1963. Elle publie ensuite un recueil de poèmes, Evohé : poemas eróticos (1971), qui fait scandale par son expression du lesbianisme.

Elle s’exile le 4 octobre 1972, sous le gouvernement autoritaire du président Juan María Bordaberry, sa vie étant menacée. En effet, elle est militante du Frente Amplio et collaboratrice de la revue progressiste Marcha. Après le coup d’état du 27 juin 1973, l’armée détient la réalité du pouvoir en Uruguay. Les livres de Cristina Peri Rossi sont interdits. Elle s’installe à Barcelone en 1974 où elle vit encore aujourd’hui. Elle obtient la nationalité espagnole en 1975, tout en conservant sa nationalité uruguayenne.

Cristina Peri Rossi a publié des nouvelles, des romans et de nombreux recueils de poèmes.

Son oeuvre fait souvent allusion à la répression en Amérique latine dans les années 70 et 80, à la dictature dans les pays du Cône Sud et à l’exil. Elle a rendu hommage à Julio Cortázar dont elle fut proche dans Julio Cortázar et Cris, 2014. J’ai relu ce livre hier soir. J’en avais déjà parlé sur ce blog.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2020/04/24/cristina-peri-rossi-julio-cortazar/

Julio Cortázar avait écrit pour elle 15 poèmes que l’on trouve dans Salvo el crepúsculo (Alfaguara, 1984) : Cinco poemas para Cris, Otros cinco poemas para Cris, Cinco últimos poemas para Cris. Ce livre a été traduit par les Éditions José Corti en 2010 (Crépuscule d’automne. Traduction: Silvia Baron Supervielle. ) Il mêle poésie et prose et avait été assemblé par Cortázar peu avant sa mort le 12 février 1984.

Ouvrages de Cristina Peri Rossi traduits en français :

1976 La tarde del dinosaurio 1980 La rebelión de los niños. Ces deux recueils de nouvelles ont été publiés ensemble sous le titre Le soir du dinosaure. Actes sud, 1985.
1988 Solitario de amor, traduit sous le titre L’Amour sans elle chez Phébus en 1997.

Cinco poemas para Cris (Julio Cortázar)

1.
Ya mucho más allá del mezzo
camin di nostra vita
existe un territorio del amor
un laberinto más mental que mítico
donde es posible ser
lentamente dichoso
sin el hilo de Ariadna delirante
si espumas ni sábanas ni muslos.
Todo se cumple en un reflejo de crepúsculo
tu pelo tu perfume tu saliva.
Y allí del otro lado te poseo
mientras tú juegas con tu amiga
los juegos de la noche.

Julio Cortázar aimait la boxe. Cristina Peri Rossi préférait le football.

Distancia justa (Cristina Peri Rossi)

En el amor y en el boxeo,
todo es cuestión de distancia.
Si te acercas demasiado me excito
me asusto
me obnubilo, digo tonterías
me echo a temblar.
Pero si estás lejos
sufro entristezco
me desvelo
y escribo poemas.

Otra vez Eros, 1994.

Juste distance
 
En amour, et dans la boxe
tout est question de distance.
Si tu t’approches trop je m’excite
m’effraie
m’obnubile, je dis des bêtises
me mets à trembler.
mais si tu es loin
je souffre deviens triste
perds le sommeil
et j’écris des poèmes.

Traduction : Colette Museur.

Palindromes (Julio Cortázar – Juan Filloy – Darío Lancini)

Julio Cortázar. Paris, 1961 (Pierre Boulat)

12/02/2021.

Jour palindrome. En espagnol “día capicúa” (du catalan “cap i cua” = tête et queue).

Nous attendons la naissance de Gabriel à Madrid ce jour. Notre petit-fils va naître un jour palindrome…

Le plus célèbre palindrome espagnol est anonyme: «Dábale arroz a la zorra el abad.» («Il lui donnait du riz, à la renarde, l’abbé»)

Une nouvelle de Julio Cortázar, Satarsa, (Deshoras, 1982. Heures indues, Gallimard, 1986) tourne autour du palindrome Atar a la rata (Attacher le rat). On trouve en épigraphe un autre palindrome, de Juan Filloy celui-là: Adán y raza, azar y nada.

Dans Lejana (Bestiario 1951. Gîtes, Gallimard, 1968), le personnage principal, Alina Reyes, commente le fait qu’elle passe son temps à faire des jeux de mots et à répéter des palindromes: “Los fáciles, salta Lenin el atlas; amigo, no gima; los más difíciles y hermosos, átale, demoníaco Caín, o me delata; Anás usó tu auto, Susana”.

Juan Filloy.

Le roi du palindrome semble bien être l’écrivain et juriste argentin Juan Filloy (1894-2000), décédé à Córdoba (Argentine) à plus de 105 ans. Il en aurait écrit 8 000. Par exemple:
Acaso hubo búhos acá.
Adán y raza, azar y nada.
Allí va Ramón y no maravilla.
Al reparto, otra perla.
Amad a la dama.
Amada dama.
A Mercedes ese de crema.
Amargor pleno con el programa.
Amigo, no gima.
Amó la paloma.
Amo la pacífica paloma.
Amor a Roma.
Ana lava lana.
Ana lleva al oso la avellana.
Ana lleva nenes al abad, al reconocerla, dábala Senén avellana.
Anás usó tu auto, Susana.
Anita lava la tina.
Anita, la gorda lagartona, no traga la droga latina.
Anita patina.
A ruda metralla he de hallarte madura.
Así le ama Elisa.
Así mal oirá Sor Rosario la misa.
Así Ramona va, no Marisa.
A sor Paloma Fidel le difamó la prosa.
A su margen negra musa.
Atale, demoníaco Caín, o me delata.
Atar a la rata.
Ateo por Arabia iba raro poeta.
De cera pareced.
Échele leche.
Edipo lo pide.
Ella te dará detalle.
Ese bello sol le bese.
Eso lo dirá mi marido, lo sé.
Eva usaba rimel y le miraba suave.
Isaac no ronca así.
La moral, claro, mal.
La ruta natural.
La ruta nos aportó otro paso natural.
Le avisará Sara si va él.
Le vino dote de todo nivel.
Luz azul.
No bajará Sara el jabón.
No di mi decoro, cedí mi don.
Nos ideó Edison.
No traces en ese cartón.
Obeso, lo sé: sólo sebo.
O dolor o lodo.
Oír a Darío.
Oirás orar a Rosario.
¡Ojo! corre poco perro cojo.
O rey o joyero.
Robaba oro a babor.
Roza las alas al azor.
Saca tú butacas.
Sale el as.
Salta Lenin el Atlas.
Sarita Sosa es idónea en odiseas o sátiras.
Se es o no se es.
Se laminan animales.
Sí, lo sé Solís.
Si peca Hebe donde su sed no debe, hace pis…
Si tragar era gratis…
Sólo di sol a los ídolos.
Sólo diseca la fe de falaces ídolos.
Sometamos o matemos.
Somos o no somos.
Sor Rebeca hace berros.
¡Sosa ya pagó su soga, payasos!
Subo tu autobús.
¡Y él alababa la ley!
Yo de lo mínimo le doy.

Le poète vénézuélien Darío Lancini (1932-2010) fait preuve lui aussi d’une remarquable agilité verbale. Il est connu pour son oeuvre Oír a Darío (Monte Ávila Editores, 1975) qui réunit trente de ses palindromes. Le plus court n’ a que quatre mots: «Yo hago yoga hoy». L’un d’eux, fait unique en espagnol, en comporte 750, un record (Ubú Rey).

Après la publication de son livre, Julio Cortázar lui écrivit cette lettre admirative:

París 13/3/77

Amigo Darío Lancini, acabo de recibir por Sergio Pitol su maravilloso OÍR A DARÍO. Gracias, muchas gracias por estas horas fascinantes que he pasado con su libro. Un libro interminable porque se vuelve a él una y otra vez, a solas y con los amigos, en plena calle, en pleno sueño.

Me ha hecho usted un regalo que no olvidaré nunca. Al mostrarnos así las dos caras del espejo, nos enriquece en poesía, nos entraña aún más en el vértigo de la palabra. Gracias.

Con un abrazo,

Su amigo
Julio Cortázar.

Un autre exemple remarquable de Darío Lancini:

Amor Azul

Amor azul
Ramera, de todo te di.
Mariposa colosal, sí,
yo de todo te di.
Poda la rosa, Venus.
El átomo como tal
es un evasor alado.
Pide, todo te doy: isla,
sol, ocaso, pirámide.
Todo te daré: mar, luz, aroma.

(Merci à Jean-François M. et à Nathalie de C.)

In girum imus nocte et consumimur igni . Guy Debord, édition critique (Éditions Gérard Lebovici, 1990).

Julio Cortázar

La Toussaint (Jules Bastien-Lepage) v 1882 Musée des Beaux-Arts de Budapest.

Aujourd’hui, dimanche de la Toussaint, un poème de Julio Cortázar:

Los amigos
En el tabaco, en el café, en el vino,
al borde de la noche se levantan
como esas voces que a lo lejos cantan
sin que se sepa qué, por el camino.

Livianamente hermanos del destino,
dióscuros, sombras pálidas, me espantan
las moscas de los hábitos, me aguantan
que siga a flote en tanto remolino.

Los muertos hablan más pero al oído,
y los vivos son mano tibia y techo,
suma de lo ganado y lo perdido.

Así un día en la barca de la sombra,
de tanta ausencia abrigará mi pecho
esta antigua ternura que los nombra.

Salvo el crepúsculo, 1984.

Les amis
Dans le tabac, le café ou l’alcool,
au bord de la nuit ils se redressent
comme ces voix lointaines qui entonnent
une mélodie inconnue sur le chemin.

Comme s’ils étaient des frères du destin,
les ombres pâles des dioscures chassent
les mouches des habitudes et me maintiennent
à la surface d’un tourbillon constant.

Les morts aiment parler mais à l’oreille,
et les vivants sont une main et un toit
qui totalisent le gain et la perte.

Ainsi, un jour, dans la barque de l’ombre,
l’absence de ma poitrine sera habitée
par l’ancienne tendresse qui les nomme.

Crépuscule d’automne. Traduction: Silvia Baron Supervielle. Editions: José Corti. 2010.

Edith Aron – Julio Cortázar

Édith Aron.

Edith Aron est décédée à Londres le 25 mai 2020. Elle avait 96 ans. Julio Cortázar avait utilisé certains aspects de sa personnalité pour construire le personnage de La Sibylle (La Maga) dans son roman Marelle (Rayuela. 1963).

Elle était née dans une famille juive à Hombourg en Sarre en 1923, mais avait émigré avec sa mère en Argentine avant la Seconde Guerre Mondiale. Elle vécut toute sa jeunesse à Buenos Aires. Elle avait rencontré l’écrivain argentin en 1950 dans le bateau qui les menait en France. Elle revenait alors en Europe pour revoir son père qui avait survécu en France à la guerre.

Elle épousa le peintre britannique John Bergin en 1968. Ils eurent une fille Joanna, chanteuse et photographe. Édith Aron et John Bergin vécurent en Argentine, puis en Angleterre. Ils se séparèrent en 1976. Elle traduisit Julio Cortázar en allemand, mais aussi Jorge Luis Borges, Octavio Paz et Silvina Ocampo. Elle vivait dans un petit appartement du quartier St. John’s Wood à Londres.

Rayuela. 1963.

«¿Encontraría a la Maga? Tantas veces me había bastado asomarme, viniendo por la rue de Seine, al arco que da al Quai de Conti, y apenas la luz de ceniza y olivo que flota sobre el río me dejaba distinguir las formas, ya su silueta delgada se inscribía en el Pont des Arts, a veces andando de un lado a otro, a veces detenida en el pretil de hierro, inclinada sobre el agua. Y era tan natural cruzar la calle, subir los peldaños del puente, entrar en su delgada cintura y acercarme a la Maga que sonreía sin sorpresa, convencida como yo de que un encuentro casual era lo menos casual en nuestras vidas, y que la gente que se da citas precisas es la misma que necesita papel rayado para escribirse o que aprieta desde abajo el tubo de dentífrico.»

“Horacio y la Maga no tenían nada que ver, él analizaba demasiado todo, ella sólo vivía”.

Elle disait: “Yo no soy La Maga. Yo soy mi propia persona”.

Marelle (Rayuela) a été publié en France chez Gallimard en 1967. Traduction: Laure Guille-Bataillon et Françoise Rosset. Réédition: Collection L’Imaginaire n° 51, Gallimard 1979.

Julio Cortázar

Paris. Métro ligne 14. Station Bibliothèque François-Mitterrand. Passage de la nouvelle Axototl. “…el tanteo de las finas patas en las piedras…”

«¿Encontraría a la Maga? Tantas veces me había bastado asomarme, viniendo por la rue de Seine, al arco que da al Quai de Conti, y apenas la luz de ceniza y olivo que flota sobre el río me dejaba distinguir las formas, ya su silueta delgada se inscribía en el Pont des Arts, a veces andando de un lado a otro, a veces detenida en el pretil de hierro, inclinada sobre el agua. Y era tan natural cruzar la calle, subir los peldaños del puente, entrar en su delgada cintura y acercarme a la Maga que sonreía sin sorpresa, convencida como yo de que un encuentro casual era lo menos casual en nuestras vidas, y que la gente que se da citas precisas es la misma que necesita papel rayado para escribirse o que aprieta desde abajo el tubo de dentífrico.»

Marelle. 1967. Gallimard. Traduction: Laure Guille Bataillon.

« Allais-je rencontrer la Sibylle? Il m’avait tant de fois suffit de déboucher sous la voûte qui donne Quai Conti en venant de la rue de Seine pour voir, dès que la lumière cendre olive au-dessus du fleuve me permettait de distinguer les formes, sa mince silhouette s’inscrire sur le Pont des Arts, parfois allant et venant, parfois arrêtée contre la rampe de fer, penchée au dessus de l’eau. Et c’était tout naturel de traverser la rue, de monter les marches du pont, d’entrer dans sa mince ceinture et de m’approcher de la Sibylle qui souriait sans surprise, persuadée comme moi qu’une rencontre fortuite était ce qu’il y avait de moins fortuit dans la vie et que les gens qui se donnent des rendez-vous précis sont ceux qui écrivent sur du papier rayé et pressent leur tube de dentifrice par le fond.»

Julio Cortázar (1914-1984) est surtout un grand nouvelliste. Mais son roman Marelle (Rayuela), publié en 1963, a marqué beaucoup d’Hispano-américains et d’Espagnols et a eu une grande influence sur les écrivains de la fin du siècle dernier. Son importance est mise en cause parfois aujourd’hui, mais moi j’aime toujours ce roman.
«Marelle est une sorte de capitale, un de ces livres du XXe siècle auquel on retourne plus étonné encore que d’y être allé, comme à Venise. Ses personnages entre ciel et terre, exposés aux résonances des marées, ne labourent ni ne sèment ni ne vendangent : ils voyagent pour découvrir les extrémités du monde et ce monde étant notre vie c’est autour de nous qu’ils naviguent. Tout bouge dans son reflet romanesque, la fiction se change en quête, le roman en essai, un trait de sagesse zen en fou rire, le héros, Horacio Oliveira, en son double, Traveler, l’un à Paris, l’autre à Buenos Aires.
Le jazz, les amis, l’amour fou – d’une femme, la Sibylle, en une autre, la même, Talita -, la poésie sauveront-ils Oliveira de l’échec du monde ? Peut-être… car Marelle offre plusieurs entrées et sorties. Un mode d’emploi nous suggère de choisir entre une lecture suivie, “rouleau chinois” qui se déroulera devant nous, et une seconde, active, où en sautant de case en case nous accomplirons une autre circumnavigation extraordinaire. Le maître de ce jeu est Morelli, l’écrivain dont Julio Cortázar est le double. Il cherche à ne rien trahir en écrivant et c’est pourquoi il commence à délivrer la prose de ses vieillesses, à “désécrire” comme il dit. D’une jeunesse et d’une liberté inconnues, Marelle nous porte presque simultanément au paradis où on peut se reposer et en enfer où tout recommence.» (Florence Delay.)

Julio Cortázar – Manuel Vicent

Julio Cortázar.

L’écrivain et journaliste Manuel Vicent a publié dans El País le 27 août 2006 un bel article qui montre l’importance de cet écrivain pour les gens de notre génération.

Con el sonido y la libertad del jazz

Tenía las piernas demasiado largas para ser ciclista, pero se paseaba por París montado en una bicicleta que había bautizado con el nombre de Aleluya, por aquel París que de buena mañana, con las calles recién regadas, olía a croasán y a pan caliente. Vivía como un estudiante y no era un estudiante; daba la sensación de estar exiliado y no era un exiliado; queda por saber si Julio Cortázar era realmente argentino y no un ser desarraigado, que había convertido la literatura fantástica, el jazz, la pintura de vanguardia, el boxeo y el cine negro en su única patria y París en una metáfora, en una cartografía íntima. Si ser argentino consiste en estar triste y en estar lejos, Julio Cortázar hizo de su parte todo lo posible por responder a ese modelo, que cada lector podía armar y desarmar a su manera.

Había nacido en Bruselas, en 1914, hijo de madre francesa y de un diplomático argentino, agregado comercial de la embajada de su país en Bélgica, que los abandonó al poco tiempo. Pasó la infancia en Banfield, una barriada al sur de la capital porteña, y en la adolescencia una enfermedad le permitió comerse mil libros; luego se graduó de maestro y fue profesor en la universidad de Cuyo, en Mendoza, pero su espíritu refinado acabó por chocar contra lo más grasiento del peronismo. Hubo otros enredos. Por la pasión con una de sus alumnas, Nelly Martín, aquellos burgueses de provincias lo aislaron con un cordón sanitario, y el hecho de que un día se negara en público a besar el anillo del nuncio Serafini acabó por convertirlo en un proscrito. Estaba ya listo para decir adiós a todo aquello.

El joven Cortázar conoció a la traductora Aurora Bernárdez, hija de emigrantes gallegos, que sería su primera mujer; en 1951 consiguió una beca del gobierno francés y con ese pretexto se instaló definitivamente en París. Ya había escrito Bestiario, el primer libro de cuentos, ponderado por Borges, que se convertiría en el germen de su fama. Realmente, se sentía muy lejos. Podías imaginarlo sentado en la terraza de cualquier café del Barrio Latino midiendo con la mente la distancia que lo separaba de Buenos Aires, mientras escribía Rayuela, su obra maestra, sin ahorrarse un gramo de melancolía. Tal vez por allí cruzaban los grandes del jazz, de paso por París, que después de una noche de gloria en la sala Pleyel volvían a llenar el depósito de whisky en el mercadillo callejero de la rue de Seine, antes de irse a la cama en el hotel La Louisiane, donde se hospedaban. En esa calle empieza la acción de Rayuela, por allí va Oliveira hasta el arco del Quai de Conti para encontrarse con la Maga. En ese hotel vivieron Sartre y Simone de Beauvoir. Y también Albert Camus y Juliette Greco. Ahora, en su angosto ascensor, unas chicas molonas que soñaban con ser modelos de Yves Saint Laurent se entreveraban con Miles Davis y Charlie Parker, uno con la trompeta y otro con el saxo a cuestas.

Amar a Cortázar fue el oficio obligado de toda una generación. En él se reconoció una tribu, que a mitad de los años sesenta había descubierto con sorpresa que en castellano también se podía escribir con la misma libertad con que suena el jazz, rompiendo el principio de causalidad, o de la manera con que Duchamp cambiaba de sitio los objetos cotidianos y los colocaba en un lugar imprevisto para que una mirada nueva los convirtiera en arte. Un argentino con acento francés que arrastraba guturalmente las erres podía ser muy seductor, y si encima usaba gafas de carey negro como Roger Vadim sin necesitarlas, y aún tenía la cara de joven universitario de la Sorbona a los 50 años y el jersey de cuello vuelto le hacía juego con el mechón de pelo que le sombreaba la frente y aparecía en las fotos tocando la trompeta y se comportaba con una ética personal coherente con lo que escribía, no es extraño que produjera estragos entre los lectores libres e imaginativos de entonces. No había ninguna chica que, después de leer Rayuela, no soñara con ser la Maga.

Cuando en 1981 Mitterrand le concedió la nacionalidad francesa, en una pared de Buenos Aires apareció esta pintada: “Volvé, Julio, qué te cuesta”. Cortázar volvió a Buenos Aires para visitar a su madre muy enferma y se le vio vagar por el aeropuerto de Eceiza como un extraño, sin que nadie hubiera acudido a recibirle. Nunca fue aceptado por ninguna autoridad establecida. Hoy, en el barrio de Palermo de Buenos Aires hay una plazoleta con su nombre, de la que arranca la calle dedicada a Jorge Luis Borges y muy cerca se alarga un paredón donde en la oscuridad se sacrifican los travestis.

Conoció otros amores. La lituana Ugnė Karvelis forzó su divorcio con Aurora y lo concienció políticamente, y a partir de entonces hubo el otro Cortázar: el que bajó de la torre de marfil al barro para comprometerse con las causas perdidas, el que firmaba manifiestos, presidía tribunales contra las tiranías de Videla y de Pinochet, el que amaba a Salvador Allende y el sandinismo de Nicaragua; esta actitud militante, unida a su estética de vanguardia, fue una mezcla explosiva para sus lectores de izquierdas, pero acabó por distanciarlo de algunos viejos amigos y colegas latinoamericanos que antepusieron su ideología a su admiración. Luego su pasión por Carol Dunlop le hizo cabalgar en otros viajes, uno de los cuales fue el que los llevó al más allá. Carol partió primero a causa de la leucemia y dos años después esta misma enfermedad acabó también con el escritor. A medida que envejecía su rostro lampiño iba recobrando las facciones de un niño, con sus mismas piernas interminables. Murió el 12 de febrero de 1984 en el hospital de St Lazare y la gallega Aurora Bernárdez, que había vuelto a su lado, lo acompañó hasta el final durmiendo en una colchoneta en el suelo.

Cortázar está enterrado en la misma tumba de Carol, en el cementerio de Montparnasse, y sus fieles, cuando la visitan, cumplen con el rito de dejar sobre la nubecilla grabada en la losa un vaso de vino y un papel con el dibujo de una rayuela, ese juego de los niños en la calle. Sin premios, ni medallas, ni academias, ni ropones severos, se fue al otro mundo sólo con la pasión de sus lectores. En Cortázar amábamos lo que París tenía de libertad y a toda una lista de amores, personajes y lugares secretos, que uno podía confeccionar en un minuto, y también a todas las chicas que pasaban en bicicleta, con la baguette y un libro en la cestilla del manillar y que podían ser la Maga.

Manuel Vicent.

Cristina Peri Rossi – Julio Cortázar

J’ai lu avec intérêt le livre de souvenirs de la romancière et poète uruguayenne Cristina Peri Rossi Julio Cortázar y Cris. (Ediciones Cálamo, 2014). Elle rend hommage à Julio Cortázar qu’elle rencontra en 1974. Ils vécurent à Paris et Barcelone une relation intense d’amitié amoureuse jusqu’à la mort de l’écrivain argentin à l’hôpital saint-Lazare le 12 février 1984. Celui-ci écrivit Quince poemas de amor a Cris, publiés en 1984 dans Salvo el crepúsculo (Alfaguara, 1984). Ce livre a été édité en français sous le titre Crépuscule d’automne. Traduction: Silvia Baron Supervielle. Paris, José Corti, 2010.

Quelques citations:

«No me gusta viajar, me gustan las personas»

«La provincia literatura es la provincia vida, son el mismo país.»

«Desde entonces pienso que tendríamos que conservar la voz de nuestros seres queridos como conservamos las fotografías o los objetos fetiche.»

«El tiempo real es el pasado, el tiempo inmediato es el pasado.»

«¿Quién que lee no es un melancólico, quién que escribe no lo es?»

«Lo cierto es que ni a vos ni a mí nos atraía mucho la cala, aunque nos gustaba mirar el mar; más bien nos repelía la arena, ese lugar donde se crían bichos conchudos.»

«-¿Sabés una cosa? A los pocos días de la muerte de Carol, levanté el teléfono y escuché un mensaje grabado. Era de Onetti. Decía: «El de arriba es un Hijo de Puta.»

«Los paranoicos son los únicos que comprenden el misterio de la vida.»

Texte lu à la Maison de l’Améerique Latine en espagnol par Julio Cortázar et en français Laure Bataillon un soir des années 80 après la mort de Carol Dunlop.

Las líneas de la mano (Julio Cortázar)

“De una carta tirada sobre la mesa sale una línea que corre por la plancha de pino y baja por una pata. Basta mirar bien para descubrir que la línea continúa por el piso de parqué, remonta el muro, entra en una lámina que reproduce un cuadro de Boucher, dibuja la espalda de una mujer reclinada en un diván y por fin escapa de la habitación por el techo y desciende en la cadena del pararrayos hasta la calle. Ahí es difícil seguirla a causa del tránsito, pero con atención se la verá subir por la rueda del autobús estacionado en la esquina y que lleva al puerto. Allí baja por la media de nilón cristal de la pasajera más rubia, entra en el territorio hostil de las aduanas, rampa y repta y zigzaguea hasta el muelle mayor y allí (pero es difícil verla, solo las ratas la siguen para trepar a bordo) sube al barco de turbinas sonoras, corre por las planchas de la cubierta de primera clase, salva con dificultad la escotilla mayor y en una cabina, donde un hombre triste bebe coñac y escucha la sirena de partida, remonta por la costura del pantalón, por el chaleco de punto, se desliza hasta el codo y con un último esfuerzo se guarece en la palma de la mano derecha, que en ese instante empieza a cerrarse sobre la culata de una pistola.”

Historias de cronopios y de famas, 1962.

Les lignes de la main

D’une lettre jetée sur la table s’échappe une ligne qui court sur la veine d’une planche et descend le long d’un pied. Si l’on regarde attentivement, on s’aperçoit qu’à terre la ligne suit les lames du parquet, remonte le long du mur, entre dans une gravure de Boucher, dessine l’épaule d’une femme allongée sur un divan et enfin s’échappe de la pièce par le toit pour redescendre dans la rue par le câble du paratonnerre. Là il est difficile de la suivre à cause du trafic mais si l’on s’en donne la peine, on la verra remonter sur la roue d’un autobus arrêté qui va au port… Elle monte sur le bateau aux sonores turbines, glisse sur les planches du pont de première classe, franchit avec difficulté la grande écoutille et, dans une cabine où un homme triste boit du cognac, elle remonte la couture de son pantalon, gagne son pull-over, se glisse jusqu’au coude et, dans un dernier effort, se blottit dans la paume de sa main droite qui juste à cet instant saisit un revolver.

Cronopes et fameux, Gallimard, Collection du Monde entier, 1977. Traduction: Laure Guille-Bataillon. Folio n° 2435, 1992.

Édition hongroise. Institut Cervantes de Budapest.

Julio Cortázar

Julio Cortázar. Madrid, 1980.

Dans cette lourde période de confinement, quelques textes légers du “grand” Julio Cortázar.

Historias de Cronopios y de Famas. 1962. Editorial Minotauro.

Flor y Cronopio

Un cronopio encuentra una flor solitaria en medio de los campos. Primero la va a arrancar,
pero piensa que es una crueldad inútil
y se pone de rodillas a su lado y juega alegremente con la flor, a saber: le acaricia los pétalos, la sopla para que baile, zumba como una abeja, huele su perfume, y finalmente se acuesta debajo de la flor y se duerme envuelto en una gran paz.
La flor piensa: «Es como una flor».

Viajes

Cuando los famas salen de viaje, sus costumbres al pernoctar en una ciudad son las siguientes: Un fama va al hotel y averigua cautelosamente los precios, la calidad de las sábanas y el color de las alfombras. El segundo se traslada a la comisaría y labra un acta declarando los muebles e inmuebles de los tres, así como el inventario del contenido de sus valijas. El tercer fama va al hospital y copia las listas de los médicos de guardia y sus especialidades.

Terminadas estas diligencias, los viajeros se reúnen en la plaza mayor de la ciudad, se comunican sus observaciones, y entran en el café a beber un aperitivo. Pero antes se toman de las manos y danzan en ronda. Esta danza recibe el nombre de “Alegría de los famas”.

Cuando los cronopios van de viaje, encuentran los hoteles llenos, los trenes ya se han marchado, llueve a gritos, y los taxis no quieren llevarlos o les cobran precios altísimos. Los cronopios no se desaniman porque creen firmemente que estas cosas les ocurren a todos, y a la hora de dormir se dicen unos a otros: “La hermosa ciudad, la hermosísima ciudad”. Y sueñan toda la noche que en la ciudad hay grandes fiestas y que ellos están invitados. Al otro día se levantan contentísimos, y así es como viajan los cronopios.

Las esperanzas, sedentarias, se dejan viajar por las cosas y los hombres, y son como las estatuas que hay que ir a verlas porque ellas ni se molestan.

El canto de los cronopios

Cuando los cronopios cantan sus canciones preferidas, se entusiasman de tal manera que con frecuencia se dejan atropellar por camiones y ciclistas, se caen por la ventana, y pierden lo que llevaban en los bolsillos y hasta la cuenta de los días.

Cuando un cronopio canta, las esperanzas y los famas acuden a escucharlo aunque no comprenden mucho su arrebato y en general se muestran algo escandalizados. En medio del corro el cronopio levanta sus bracitos como si sostuviera el sol, como si el cielo fuera una bandeja y el sol la cabeza del Bautista, de modo que la canción del cronopio es Salomé desnuda danzando para los famas y las esperanzas que están ahí boquiabiertos y preguntándose si el señor cura, si las conveniencias. Pero como en el fondo son buenos (los famas son buenos y las esperanzas bobas), acaban aplaudiendo al cronopio, que se recobra sobresaltado, mira en torno y se pone también a aplaudir, pobrecito.

Jean-Paul Sartre

Le 3 juin 1943 a lieu, au Théâtre de la Cité — ex-Théâtre Sarah-Bernhardt, débaptisé par les Allemands pour cause de judaïté —, la création des Mouches de Jean-Paul Sartre. Charles Dullin, metteur en scène de la pièce, incarne Jupiter. Olga Dominique (Kosakiewicz) , Électre.

Je retrouve dans l’oeuvre critique de Julio Cortázar, publiée en poche par Debolsillo en 2017, l’influence de Sartre. Elle est claire chez Mario Vargas Llosa qui l’ a revendiquée très souvent. “Je suis resté un enfant de Sartre : j’ai toujours cru que les écrivains pouvaient changer la société.” (2010) Elle est moins évidente chez Cortázar, grand lecteur des surréalistes et des poètes anglo-saxons.

Les Mouches. 1943.

JUPITER : Pauvres gens ! Tu vas leur faire cadeau de la solitude et de la honte, tu vas arracher les étoffes dont je les ai couverts, et tu leur montreras soudain leur existence, leur obscène et fade existence, qui leur est donnée pour rien.

ORESTE : Pourquoi leur refuserais-je le désespoir qui est en moi, puisque c’est leur lot ?

JUPITER : Qu’en feront-ils ?

ORESTE : Ce qu’ils voudront : ils sont libres, et la vie humaine commence de l’autre côté du désespoir.