Ramón Gaya

Y así nos entendimos (Correspondencia 1949-1990) María Zambrano, Ramón Gaya. editorial Pre-Textos, 2018.

Je viens de terminer la correspondance qu’ont échangée la philosophe María Zambrano et le peintre Ramón Gaya de 1949 à 1990. J’ai acheté ce livre à la Feria del Libro de Madrid au stand de la belle maison d’édition Pre-Textos, fondée à Valence en 1976. On trouve dans son catalogue des auteurs comme Gerardo Diego, Juan Ramón Jiménez, José Jiménez Lozano, Ramón Gaya, María Zambrano, Miguel de Unamuno, José Luis Pardo, Andrés Trapiello, Elias Canetti, Anton Tchekhov, Adalbert Stifter, Rudyard Kipling, Darío Jaramillo, Rafael Cadenas, Giorgio Agamben, Gilles Deleuze…

Je pense que l’oeuvre Ramón Gaya mériterait d’être mieux connue en France.

Ramón Gaya. Avignon, 1962.

Ramón Gaya est un peintre et écrivain espagnol. Il est né à Murcie le 10 octobre 1910. Son père, Salvador Gaya était un lithographe catalan. Ramón Gaya découvre dans la bibliothèque familiale des écrivains comme Tolstoï, Nietzsche et Galdós qui l’accompagneront toute sa vie. Très jeune, il commence à peindre avec deux amis de son père, les peintres Pedro Flores et Luis Garay.
En 1928, il obtient une bourse de la Municipalité de Murcie pour compléter sa formation. Il se rend à Madrid et visite le musée du Prado qu’il appellera toujours son « rocher espagnol ». Il considère Velázquez comme son maître absolu.
Il rend visite à Juan Ramón Jiménez, le grand poète de son époque, et fait la connaissance des intellectuels de la génération de 1927. Certains deviendront ses amis (Luis Cernuda, José Bergamín). Après Madrid, il se rend à Paris, visite les musées, fait la connaissance de Pablo Picasso et expose à la galerie Aux quatre chemins. Il est déçu par les pratiques de l’avant-garde et rentre en Espagne.
Á partir de 1932, il participe aux Misiones Pedagógicas. Ce projet culturel novateur de la République consiste à rapprocher la culture du monde rural, des villageois, des paysans. Ramón Gaya participe au projet du théâtre universitaire La Barraca, comme scénographe. Il réalise plusieurs copies de tableaux du musée du Prado. Il parcourt les villages d’Espagne avec un musée ambulant (El Museo del pueblo) .

Fe Sanz Molpeceres, 1934.


Le 24 juin 1936, il épouse Fe Sanz Molpeceres (1908- 1939), professeur de littérature et amie de la philosophe María Zambrano (1904-1991). La vie du peintre, comme celle de beaucoup d’Espagnols républicains, est bouleversée quand éclate la guerre civile le 18 juillet 1936. Après le bombardement de leur maison de Madrid, le couple part à Valence où naît leur fille Alicia en avril 1937.
Ramón Gaya rejoint l’Alliance des intellectuels antifascistes. Il participe au congrès de 1937 qui réunit plus d’une centaine d’intellectuels venus de tous les pays. À Valence est créee la revue Hora de España. Il fait partie de sa rédaction avec Rafael Dieste, Manuel Altolaguirre, Juan Gil Albert, Antonio Sánchez Barbudo, María Zambrano. Il y publie des poèmes et des textes en prose et surtout conçoit les vignettes qui marqueront le style de la revue. En 1937, deux de ses tableaux (Épouvante. Bombardement à Almeria et Paroles aux morts. Portrait de Juan Gil Albert) sont exposés au pavillon de la République Espagnole à l’Exposition universelle de Paris.
En 1939, après la défaite de la République, sa femme, qui essayait de gagner la France avec la population civile, meurt le 3 février 1939 dans le bombardement de la gare de Figueras. Leur fille Alicia survit par miracle. Ramón Gaya franchit les Pyrénées avec l’armée républicaine. Il est interné dans le camp de concentration de Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales). À sa libération, il séjourne à Cardesse chez son ami, le peintre anglais Cristobal Hall (1897-1949) et son épouse Trinidad Japp (1909-1989). Il confie sa fille à ce couple qui a une fille de quatre ans, Anne Pauline. Il s’embarque comme des centaines de républicains espagnols sur le navire Sinaia vers le Mexique et l’exil.
Ramón Gaya s’établit à Mexico et se consacre à nouveau à la peinture et à l’écriture. Il collabore à plusieurs revues littéraires mexicaines comme Taller, Romance, Letras de México, El Hijo pródigo, Las Españas. Il se lie d’amitié avec des poètes tels qu’ Octavio Paz, Xavier Villaurrutia, Tomás Segovia. Il fréquente d’autres exilés comme Álvaro de Albornoz, sa fille Concha de Albornoz, Juan Gil-Albert, Luis Cernuda, José Bergamín.
A partir de 1952, il voyage en Europe et visite Paris, Venise, Florence, Rome, Lisbonne. Il s’installe à Rome en 1956. Il voit régulièrement María Zambrano qui habite avec sa soeur Araceli Piazza del Popolo n°3, mais aussi des intellectuels italiens comme Elena Croce, Tomas Carini, Italo Calvino, Nicola Chiaromonte, Carlo Levi, Pietro Citati, Cristina Campo, Giorgio Agamben.
En Italie, il peint les rues de Rome, l’atmosphère de Venise, les ponts de Florence, le Tibre, l’Arno. En 1960 est publié en italien son livre Il sentimento de la Pittura.
En mars de la même année, il revient en Espagne après vingt et un ans d’exil et expose à la Galerie Mayer de Madrid. Pendant un séjour à Valence, il fait la connaissance d’Isabel Verdejo, qu’il épousera le 16 mars 1966. En 1969, il publie son ouvrage fondamental, Velázquez, pájaro solitario.
À partir des années 1970, Ramón Gaya s’installe à Barcelone d’abord, puis à Valence.

Son œuvre est largement reconnue alors dans son pays en Espagne :
1989. Exposition rétrospective au Musée d’Art Contemporain de Madrid.
10 octobre 1990. Inauguration à Murcie du musée qui lui est consacré avec une collection de plus de cinq cents œuvres. Il est dirigé par Manuel Fernández-Delgado.
1997. Il reçoit le prix national des arts plastiques.
1999. Il est nommé docteur honoris causa par l’université de Murcie.
2000. Exposition rétrospective à l’IVAM (Institut Valencien d’Art Moderne).
2002. Il reçoit le Prix Velázquez, décerné par le Ministère de la Culture espagnol pour saluer l’œuvre et le parcours d’un artiste contemporain espagnol ou hispano-américain.
2003. Exposition rétrospective au Musée national Centre d’art Reina Sofía de Madrid.

Il meurt à Valence le 15 octobre 2005 à 95 ans.

Oeuvres :

El sentimiento de la pintura. Editorial Arion, Madrid, 1960.
Velázquez, pájaro solitario. Editorial R.M., Barcelona, 1969. Traduction : Vélasquez oiseau solitaire. Paris, Quai Voltaire, 2009.
Diario de un pintor, 1952–1953. Pre-Textos, Valencia, 1984.
Obra completa, tomo I. Pre-Textos, Valencia, 1990.
Obra completa, tomo II. Pre-Textos, Valencia, 1992.
Obra completa, tomo III. Pre-Textos, Valencia, 1994.
Obra completa, tomo IV (cartas a Juan Guerrero, con prólogo de Nigel Dennis). Pre-Textos, Valencia, 2000.
Ramón Gaya de viva voz (entrevistas, edición y prólogo de Nigel Dennis). Pre-Textos, Valencia, 2007.
Obra completa. Edición de Nigel Dennis e Isabel Verdejo, prólogo de Tomás Segovia, Pre-Textos, Valencia, 2010, 1.000 págs.
Cartas a sus amigos. Edición de Isabel Verdejo y Nigel Dennis, prólogo de Andrés Trapiello, Pre-Textos, Valencia, 2016, 728 págs.

Homenaje a Vincent, con un limón, 1987.

Diario de Ramón Gaya. 1953. París, viernes 16 de enero: “Van Gogh no buscó un estilo, sino una forma de expresión, una forma de expresión que tampoco era una manera. Cae, a veces, en una manera, pero, como los grandes artistas, huye enseguida; los otros, los pequeños, cuando caen en una manera creen haber encontrado un estilo. El gran artista huye del estilo también, porque el estilo es la no expresión, la inmovilidad, una especie de expresión, quieta, de sí mismo.”

Del Sentimiento de la pintura. 1959.

“Ser pintor no es gustar de lo pictórico -como supone un extendido error moderno- ser pintor no es más que una forma como otra de ser hombre, una de las encarnaciones posibles del hombre.”

“(para algunos de amigos pintores)… la pintura es un fin en sí misma, mientras que para mí no es más que un medio, claro está, que me tiraniza, que me ha tiranizado siempre, pero que nunca he podido considerar como un fin. Y no sólo la pintura; el arte todo, con su grandeza indudable, jamás pudo parecerme sino un tránsito que lo reclamaba todo del artista, que actuaba en él como una fatalidad, que lo minaba, que se lo comía entero, pero que no era un fin. En ese mismo carácter implacable veía yo su transitoriedad.”

El hombre moderno ha envejecido tanto que apenas si recuerda algunos trazos de su ser original y le es ya muy difícil reconocer y escuchar esa voz rica de la ignorancia y, sin embargo, hoy sabemos que es indispensable para él, pues sólo será un hombre vivo, es decir, actual, en la medida que pueda y sepa obedecer, ser fiel a esa voz de origen”.

Anotación sobre los problemas del artista.

“El artista se plantea problemas humanos, de conducta, de conciencia, porque en él, ser hombre es un deber más que una… fatalidad. En cambio, no debe plantearse problemas artísticos, porque lo artístico es en él un valor humano.”

Velázquez, pájaro solitario, 1969.

“En la obra de Velázquez la realidad ha entrado, con gustosa mansedumbre, como en un redil abierto, libre, y si permanece en él, no es porque haya quedado atrapada, encerrada, sino precisamente para poder dar testimonio continuado, constante, de su libertad.”

“El niño de Vallecas es todo él como una elevación, como una ascensión. Todos los retratos velazqueños vienen a ser como altares, pero El niño de Vallecas es el altar mayor de su obra, el escalón supremo de su obra desde donde poder saltar, pasar al otro lado de todo, más allá de todo. En ese rostro tierno, manso, santo, animado por una sutil mueca agridulce, es donde con más limpieza parece producirse el sacrificio de la realidad, y también el sacrificio del arte.”

El Niño de Vallecas, 1987.

“Pintar es asomarse a un precipicio,
entrar en una cueva, hablarle a un pozo
y que el agua responda desde abajo.
Pintura no es hacer, es sacrificio,
es quitar, desnudar, y trozo a trozo
el alma irá acudiendo sin trabajo”.

«El arte no es una religión sino una fe, y el artista no es un sacerdote sino un creyente. Ser artista no es oficiar sino creer».

Balcón español Madrid

«El encanto de Madrid es muy secreto. Se ha pensado en la simpatía, en la gracia, hasta en el agua de Lozoya; todo esto es verdad y, claro, contribuye a conquistarnos, pero lo que hace de Madrid una ciudad única es el aire, el aire de sierra, de montería, de lugar de caza. Su frío es muy limpio, no subterráneo como el de París, sino de piedra viva, de piedra cumbre. En París —una de las ciudades más bellas que existen— nunca he podido librarme de una penosa sensación de sótano, de rata húmeda, de cañería, de alcantarilla, de tinta, de mancha ciudadana, de albañal romántico, mientras que Madrid, a pesar de sus barrios bajos, de sus pobres, de sus traperos, de sus almonedas, no nos da nunca; todo lo salva, lo levanta eso: el aire. Pero un elemento así, tan incorpóreo, es muy difícil de ver; sin la ayuda de Velázquez creo que nunca lo habría descubierto del todo. Delante de sus retratos de caza fue donde se me reveló Madrid; recuerdo que venía de contemplar en Goya algo mucho más visible, o sea, el madrileñismo, un madrileñismo que es cierto, pero que no es esencial. El madrileñismo no es Madrid, sino su marco, el marco que lo caracteriza, que lo facilita, pero el carácter no es nunca la esencia de nada. La esencia de Madrid es el aire. Y sólo el gran sevillano —la sensibilidad más serena, más invulnerable que ha existido— podía darnos esa versión tan desnuda. Porque Velázquez nunca se dejó deslumbrar por esa primer corteza que tiene el mundo —esa corteza que permite a las cosas vivir su intemperie—, sino que su mirada llegó hasta el centro mismo de la vida. Por eso, en su retrato de Madrid no hay nada, sino aire, un aire azulado, aristocrático, de altura. Velázquez comprendió y nos hizo comprender que Madrid es el Guadarrama.»

Blanca Varela 1926 – 2009

Blanca Varela. Années 1970. (Mariella Agois)

Je reprends un texte de la poétesse péruvienne Blanca Varela déjà publié sur ce blog en juillet 2023. Il s’agit d’ une des grandes figures de la poésie latino-américaine du XX ème siècle

Morir cada día un poco más
recortarse las uñas
el pelo
los deseos
aprender a pensar en lo pequeño
y en lo inmenso
en las estrellas más lejanas
e inmóviles
en el cielo
manchado como un animal que huye
en el cielo
espantado por mí.

Concierto animal, 1999. Valencia-Lima, Pre-Textos/PEISA, 1999.

Mourir chaque jour un peu plus
couper ses ongles
ses cheveux
ses désirs
apprendre à penser à ce qui est petit
et à ce qui est immense
aux étoiles les plus lointaines
et immobiles
dans le ciel
taché comme un animal qui fuit
dans le ciel
effrayé à ma vue

Concert animal.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2023/07/03/blanca-varela/

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2022/05/08/blanca-varela-1926-2009/

Manuel Altolaguirre 1905 – 1959

Manuel Altolaguirre. Placa en el jardín vertical y monumento conmemorativo a la Antigua Imprenta Sur en la plaza Pepe Mena, Málaga.

Retour à la poésie de la Génération de 1927 avec Manuel Altolaguirre, un des poètes de Málaga. Il perdit son père (Manuel Altolaguirre Álvarez, juge de première instance, écrivain, directeur du journal El Imparcial ) en 1910, puis sa mère (Concepción Bolín Gómez de Cádiz) en 1926. L’idée de la mort, la perte des êtres chers sont au centre de toute son œuvre.

Antes
A mi madre.

Hubiera preferido
ser huérfano en la muerte,
que me faltaras tú
allá, en lo misterioso,
no aquí, en lo conocido.

Haberme muerto antes
para sentir tu ausencia
en los aires difíciles.

Tú, entre grises aceros,
por los verdes jardines,
junto a la sangre ardiente,
continuarías viviendo,
personaje continuo
de mi sueño de muerto.

Soledades juntas. 1931.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/01/15/manuel-altolaguirre-1905-1959/

Santa Marina (Francisco de Zurbarán). Vers 1640-50. Málaga, Museo Carmen Thyssen.

Francisco de Quevedo

Buste de Quevedo. León, Parque de Quevedo. Il se trouve près du Convento de San Marcos, aujourd’hui Parador Nacional, où il fut emprisonné.

Soneto enviado desde su Torre de Juan Abad a don José de Salas (Musa, II, 109)

Desde La Torre

Retirado en la paz de estos desiertos,
con pocos, pero doctos libros juntos,
vivo en conversación con los difuntos
y escucho con mis ojos a los muertos.

Si no siempre entendidos, siempre abiertos,
o enmiendan, o secundan mis asuntos,
y en músicos, callados contrapuntos
al sueño de la vida hablan despiertos.

Las grandes almas que la muerte ausenta,
de injurias de los años vengadora,
libra, ¡ oh gran don Iosef, docta la emprenta.

En fuga irrevocable huye la hora;
pero aquélla el mejor cálculo cuenta
que en la lección y estudios nos mejora.

Retiré dans la paix des déserts,
Je vis avec de doctes et rares livres dans les mains.
Je vis en conversation avec des morts.
J’écoute les morts avec les yeux. 

De La Torre

Dans ces déserts et leur paix retiré,
de rares et doctes livres entre les mains,
je vis dans le commerce des défunts,
et de mes yeux, j’entends les morts parler.

Sinon compris, sans cesse fréquentés,
ils amendent ou fécondent mes desseins ;
et par muets contrepoints musiciens
au songe de la vie parlent éveillés.

L’imprimerie, oh ! Grand Joseph, nous rend
les grands esprits effacés par la mort ;
elle venge les injures des ans.

L’heure s’enfuit en fuite sans remords
mais il faut la marquer d’un caillou blanc
celle qui par l’étude rend plus fort.

Les Furies et les Peines 102 sonnets. NRF Poésie/Gallimard n°463. 2010. Traduction Jacques Ancet.

La Torre de Juan Abad, petit village au sud de la Manche, au nord de la Sierra Morena, où Quevedo avait une maison dans laquelle il venait fuir l’agitation de la Cour. C’est de là qu’il envoie ce sonnet à Josef Antonio González de Salas qui fait le commentaire suivant : « Quelques années avant son dernier emprisonnement (décembre 1639), il m’envoya cet excellent sonnet, depuis La Torre » (1637). Quevedo fut emprisonné quatre ans au couvent de San Marcos de Valladolid dans une cellule humide qui ruina sa santé. il était accusé d’écrire des libelles hostiles au gouvernement du comte-duc d’Olivarès, valido et ministre de Felipe IV, après l’avoir longuement soutenu. L’écrivain était aussi intervenu dans la polémique relative au choix d’un saint patron pour l’Espagne. Ses faveurs s’étaient portées vers Saint Jacques de Compostelle au détriment de sainte Thérèse d’Avila. Il sortit de prison diminué en 1644 et mourut en 1645.

Convento de San Marcos (Juan de Orozco iglesia, Martín de Villarreal fachada – Juan de Badajoz el Mozo claustro y sacristía) 1515-1716 (Photo :CFA). Aujourd’hui luxueux Parador National *****. “Entre juillet 1936 y 1940 camp de concentration pour 6700 prisonniers républicains : 791 fusillés, 1563 tués sommairement, 598 sans précision (exécutés, tués sommairement ou morts dans les camps).

De La Torre

Retiré dans la paix de ces doctes retraites,
Avec un rare choix de bons livres anciens,
Les morts ont avec moi d’infinis entretiens,
Et j’écoute des yeux leurs paroles muettes.

Mal compris quelquefois, mais jamais oubliés,
Ils donnent à mes soins le blâme ou l’espérance,
Et dans des contrepoints d’harmonieux silence
Au songe de la vie ils parlent éveillés.

La docte Imprimerie, ô grand Joseph, délivre
Les grandes âmes que la mort tient dans la nuit,
Et du temps outrageux les venge par le Livre.

Et si l’heure de l’homme, invincible, s’enfuit,
Celle qu’un bon calcul persuade et conduit
Par l’étude et par la leçon nous fait mieux vivre.

1648. Traduction Jean-Pierre Bernès.

Jorge Gaitán Durán 1924-1962

Jorge Gaitán Durán .

Dans Los nombres de Feliza (Alfaguara, 2025), la biographie romancée de Juan Gabriel Vásquez, un des personnages évoqués est Jorge Gaitán Durán.

Cet écrivain était un célèbre poète et journaliste colombien. Il faisait partie du groupe des Cuadernícolas avec Fernando Charry Lara, Álvaro Mutis, Rogelio Echavarría, Guillermo Payán Archer, Jaime Ibáñez, Maruja Vieira et Fernando Arbeláez.

Il fonda la revue Mito avec l’essayiste Hernando Valencia Goelkel (1928-2004). Entre mai 1955 et juin 1962, ils publièrent 42 numéros. Cette revue eut une grand influence sur la littérature colombienne. Elle publia, entre autres, des auteurs comme Alfonso Reyes, Gabriel García Márquez (Pas de lettre pour le colonel en 1958), Octavio Paz, Jorge Luis Borges, Julio Cortázar, Eduardo Cote Lamus, Carlos Fuentes, Alejandra Pizarnik.

Jorge Gaitán Durán participa au mouvement de la jeunesse colombienne favorable à la candidature du libéral Jorge Eliécer à la présidence de la République. Ce dernier fut assassiné le 9 avril 1948 à Bogotá.

Il voyagea en Europe en 1950 (France, Italie, Espagne, Belgique, Pays-bas, Union Soviétique) et en l’Asie (Chine). Pendant ces voyages, il rencontra Nazim Hikmet, José Manuel Caballero Bonald, Vicente Aleixandre, Mao Tse Toung. Il épousa Dina Moscovici qu’il connut en Italie. Leur fille, Paula, naquit à Paris en novembre 1952. Le couple divorça en 1958. Jorge Gaitán Durán vécut ensuite avec la sculptrice Feliza Bursztyn (1933-1982)

Ses écrits sur Sade en 1955 firent scandale dans son pays : Sade contemporáneo (Diálogo entre un sacerdote y un moribundo) et Monsieur Le Six – Marqués de Sade (préface de Gilbert Lely).

Il publia les œuvres poétiques suivantes :

1946 Insistencia en la tristeza.
1947 Presencia del hombre.
1951 Asombro.
1959 Amantes.
1962 Si mañana despierto (Anthologie)

Le 21 juin 1962, il mourut à 38 ans dans un accident d’avion. Le vol Air France 117 qui reliait Paris à Santiago via Lisbonne, Santa Maria (Açores), Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), Bogota et Lima s’écrasa lors de l’atterrissage en Guadeloupe sur le morne du Dos d’Âne à Deshaies. Bilan : 113 morts.

La revue Érudit (Volume 45, numéro 3 (261), septembre 2003, La poesía tiene la palabra) a publié deux poèmes traduits en français de cet auteur.

Se juntan desnudos (Jorge Gaitán Durán)

Dos cuerpos que se juntan desnudos
Solos en la ciudad donde habitan los astros
Inventan sin reposo al deseo.
No se ven cuando se aman, bellos
O atroces arden como dos mundos
Que una vez cada mil años se cruzan en el cielo.
Solo en la palabra, luna inútil, miramos
Cómo nuestros cuerpos son cuando se abrazan,
Se penetran, escupen, sangran, rocas que se destrozan,
Estrellas enemigas, imperios que se afrentan.
Se acarician efímeros entre mil soles
Que se despedazan, se besan hasta el fondo,
Saltan como dos delfines blancos en el día,
Pasan como un solo incendio por la noche.

Amantes, 1959.

Unis dans la nudité

Deux corps nus qui s’entrelacent
Seuls dans la ville habitée par les astres
Sans repos ils inventent le désir.
Sans se voir quand ils s’aiment, dans leur beauté
Ou dans l’horreur, ils brûlent comme deux mondes
Qui traversent le ciel une fois tous les mille ans.
Seulement dans le mot, lune inutile, nous voyons
Comment sont nos corps lorsqu’ils s’étreignent,
Se pénètrent, crachent, saignent, des roches qui se fracassent.
Étoiles ennemies, empires qui s’affrontent.
Ils se caressent éphémères entre mille soleils
Qui se déchirent, s’embrassent jusqu’aux abîmes.
Sautent comme des dauphins blancs en plein jour.
Ils passent comme un incendie seul au milieu de la nuit.

Amantes (Jorge Gaitan Duran)

Somos como son los que se aman.
Al desnudarnos descubrimos dos monstruosos
Desconocidos que se estrechan a tientas,
Cicatrices con que el rencoroso deseo
Señala a los que sin descanso se aman :
El tedio, la sospecha que invencible nos ata
En su red, como en la falta dos dioses adúlteros.
Enamorados como dos locos,
Dos astros sanguinarios, dos dinastías
Que hambrientas se disputan un reino,
Queremos ser justicia, nos acechamos féroces,
Nos engañamos, nos inferimos las viles injurias
Con que el cielo afrenta a los que se aman.
Solo para que mil veces nos incendie
El abrazo que en el mundo son los que se aman
Mil veces morimos cada dia.

Amantes, 1959.

Amants

Nous sommes comme ceux qui s’aiment.
Nous dénudant nous découvrons deux inconnus
Monstrueux qui s’étreignent à tâtons.
Cicatrices par lesquelles le désir rancunier
Révèle ceux qui s’aiment sans repos :
L’ennui, le soupçon qui invincible nous attrape
Dans son filet, comme dans la faute deux dieux adultères.
Amoureux comme deux fous,
Deux astres sanguinaires, deux dynasties
Qui affamées se disputent un règne,
Nous voulons être la justice, nous nous harcelons féroces,
Nous nous dupons, nous lançant de viles injures
Avec lesquelles le ciel punit ceux qui s’aiment.
Seulement pour que mille fois nous enflamme
L’étreinte qui dans le monde est à ceux qui s’aiment
Mille fois nous mourons chaque jour.

Juan Gabriel Vásquez – Feliza Bursztyn

Je viens de terminer la lecture de la biographie romancée de Juan Gabriel Vásquez (Bogotá 1973), Los nombres de Feliza (Alfaguara, 2025). Elle sera publiée en France en 2026.

Je dois recommander aussi la lecture des autres romans et essais de cet auteur colombien :
El ruido de las cosas al caer. Alfaguara, 2011. (Le Bruit des choses qui tombent. Seuil 2012 Points n°P3084, 2013.)
Las reputaciones. Alfaguara, 2013. (Les Réputations, Seuil 2014 Points n°P4179, 2015.)
La forma de las ruinas, Alfaguara, 2015. (Le Corps des ruines. Seuil, 2017. Points, 2018.)
Volver la vista atrás. Alfaguara, 2020. (Une rétrospective. Seuil, 2022.)
La traducción del mundo. Alfaguara, 2023. (La Traduction du monde, les conférences Weidenfeld. 2022. Seuil, 2025.

«…Nos embarcamos en ese impulso que siempre es imperfecto : la reconstrucción del pasado, ese lugar incómodo que sólo existe mientras lo contamos. » (page19)

« El mundo nos hiere, nos persigue, nos envilece, recordó Feliza: eran las palabras que Jorge le había dicho en otro avión, no llegando a Guadalupe sino alejándose de la isla, cuando los dos creían, como ángeles equivocados, que su destino común era la felicidad. » (page 151)

Juan Gabriel Vásquez.

Plaidoyer pour la fiction, avec Juan Gabriel Vásquez. Le Bookclub. France Culture. Mercredi 19 mars 2025.

” Dans son dernier essai, Juan Gabriel Vásquez défend la capacité du genre romanesque à “traduire” la complexité des vies humaines et à éclairer les zones d’ombre de l’Histoire. En convoquant Zadie Smith, García Márquez, Yourcenar et d’autres, l’auteur colombien livre un plaidoyer pour la fiction. “

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-book-club/plaidoyer-pour-la-fiction-avec-juan-gabriel-vasquez-8029344

El Espectador, 04/02/2025

Feliza Bursztyn: Datos que posiblemente no sabes de la escultora bogotana

Nació en 1933 en Bogotá y fue criada en una familia de orígen judío. A sus padres nunca les pareció infortunado el hecho de que ella quisiera dedicarse a algo tan liberal como era considerado el arte a mediados del siglo pasado.

En Estados Unidos estudió pintura en el Art Students League de Nueva York, y escultura en la Academie de la Grande Chaumière de París. Allá conoció al artista ruso Ossip Zadkine, con el que aprendió a hacer esculturas en barro y bronce.

Al caer la dictadura de Rojas Pinilla, Feliza regresó a Bogotá para continuar su carrera. Y cuando se dio cuenta de que los talleres de fundición eran escasos y los costos para trabajar el bronce eran altos, le quedaron dos opciones: o se cambiaba de país o trabajaba con los materiales que tuviera a su alcance. Así fue como se le ocurrió usar la chatarra como materia prima para crear esculturas sarcásticas, hermosas, con un alto valor estético, pero también con claras connotaciones agresivas y rudas.

Feliza trabajaba incansablemente. Nunca se supo si se demoraba más recorriendo a pie todas las chatarrerías de la ciudad o construyendo sus obras con lo que allí encontraba. Soldaba sola, usaba abrigos de piel mientras utilizaba los sopletes, destruía algunas obras para armar otras nuevas y su frase de batalla era “mientras los hombres se van de putas, yo me voy de talleres”.

En su selecto grupo de amigos se encontraban Gabriel García Márquez, Álvaro Cepeda Samudio, Marta Traba y Fanny Mickey.

Con Marta Traba se le ocurrió proyectar cortometrajes en sus exposiciones; por su personalidad transgresora fue que usó motores de tocadiscos para crear Las histéricas, esculturas con movimiento que chillan y se sacuden; gracias a su filosofía que consistía en que el espectador también puede aportarle a una obra hizo las Minimáquinas, pequeñas esculturas silenciosas y estáticas con palancas y botones que cambiaban su estructura original.

La tacharon de guerrillera, la detuvieron en una caballeriza y la obligaron a emigrar nuevamente para escapar de una persecución política durante el gobierno de Julio César Turbay Ayala. Al poco tiempo, con 49 años a cuestas, murió de un ataque cardiaco fulminante en un restaurante ruso en París ante la mirada estupefacta de Enrique Santos Calderón, María Teresa Rubino, Pablo Leyva, Mercedes Barcha y Gabriel García Márquez.

“Bursztyn fue importante porque hizo su arte de manera libre y comenzó la apertura de caminos que muchos artistas no se atrevían a recorrer. Se arriesgó a explorar materiales distintos a los clásicos, tenía una mirada diferente dentro del medio y a pesar de que su vida estuvo llena de dramas, siempre lució sonriente. Tal vez por eso su obra no contiene ese humor que genera un chiste, sino más bien un humor con una gran tristeza por debajo”, explicaron Camilo Leyva, Manuela Ochoa y Juan Carlos Osorio en una exposición póstuma de su obra en el Museo Nacional.

Gabriel García Márquez escribió en una columna en El País el 20 de enero de 1982 Los 166 días de Feliza.

El País, 20/01/1982

Los 166 días de Feliza (Gabriel García Márquez)

La escultora colombiana Feliza Bursztyn, exiliada en Francia, se murió de tristeza a las 10.15 de la noche del pasado viernes 8 de enero, en un restaurante de París. El diario El Tiempo, de Bogotá, dio la noticia en primera página en su edición del domingo. Y explicó a sus lectores, en tres líneas, por qué la escultora no estaba en Colombia: “Feliza había viajado hacía dos meses a París en compañía de su esposo, y antes había estado varias semanas en México”. Nada más. Pero al día siguiente apareció una nota editorial firmada con unas iniciales que coinciden con las del director del periódico, Hernando Santos, y en la cual se hacían dos preguntas sobre Feliza Bursztyri: “¿Por qué tuvo que irse? ¿Por qué fue víctima de un exilio incomprensible al cual hubiera podido escapar con dos sencillas palabras?”. Pero la nota no dice cuáles fueron esas palabras mágicas que acaso hubieran prolongado la vida…De méritos tan grandes como sus carcajadas, la amiga más querida de sus amigos de todas partes, que no sólo hubiera dicho dos palabras simples, sino cuantas fueran necesarias para volver al único país donde siempre quiso vivir. Si alguien le hubiera hecho la caridad de decírselas a tiempo, tal vez hubiera podido cumplir su deseo y ejercer su derecho de morirse en su cama de Bogotá, rodeada de sus poetas locos, y no tirada por los suelos en un restaurante tapizado de espejos, ante la tenacidad estéril de seis médicos bomberos que trataban de despertarla y el espanto de su esposo y cuatro amigos que la sabíamos muerta para siempre desde el primer instante.

Nadie sabe mejor que mi familia y yo cómo fue la vida de Feliza Bursztyn, minuto a minuto, en los 166 días de su exilio mortal. En nuestra casa de México, donde vivió casi tres meses desde que salió de Bogotá bajo la protección diplomática de la embajada mexicana, hasta cuando pudo viajar a París, no sólo tuvimos tiempo de sobra para hablar de su drama, sino que sólo pudimos hablar de eso, porque Feliza quedó en una especia de estupor de disco rayado que no le permitía hablar de otra cosa. Infinidad de veces, guiada por mi curiosidad invencible de periodista y escritor, me contó hasta los detalles más ínfimos de su mal recuerdo; llenamos juntos las grietas vacías, tratamos de entender lo incomprensible, ansiosos de tocar fondo en un misterio que no parecía tenerlo. En París, a donde llegamos el pasado octubre con muy pocos días de diferencia, nos seguimos viendo con frecuencia. De modo, que considero como un derecho, e inclusive como un deber de sanidad social, que sea yo quien trate de dar respuesta Pública a las dos preguntas de H. S., aunque sólo sea para que sus Iectores no sucumban también en la peste del olvido.

Feliza Bursztyn tuvo que escapar de Colombia -como hubiera podido hacerlo el protagonista de El proceso, de Franz Kafka- para no ser encarcelada por un delito que nunca le fue revelado. El viernes 24 de julio de 1981 una patrulla de militares al mando de un teniente se presentó a su casa de Bogotá a las cuatro de la madrugada. Todos vestían de civil, con ruanas largas, debajo de las cuales llevaban escondidas las metralletas, y estaban autorizados por una orden de allanamiento de un juez militar. Su comportamiento fue correcto, amable inclusive, y la requisa que hicieron de la casa duró casi cuatro horas, pero fue más ritual que minuciosa. Feliza y su esposo, Pablo Leyva, tuvieron la impresión de que eran unos muchachos inexpertos que no sabían lo que buscaban ni tenían demasiado interés en encontrarlo. Lo único que registraron a fondo fue la cama matrimonial, hasta el extremo de que la desarmaron y la volvieron a armar. “Tal vez buscaban mis polvos perdidos”, comentó más tarde Feliza con su humor bárbaro. Otra cosa que les llamó la atención fue una caja de fotografías que Feliza había llevado de La Habana, pocos días antes, a donde había viajado para asistir a una exposición de sus obras en la Casa de las Américas. Eran las fotos de una exposición colectiva de fotógrafos colombianos que se había realizado en La Habana el año anterior, también bajo el patrocinio de la Embajada de Colombia en Cuba, y con asistencia de sus funcionarios. La Casa de las Américas le había pedido a Feliza el favor de que las devolviera a sus autores, cuyos nombres y direcciones estaban escritos al dorso de cada foto. Los soldados les echaron una ojeada superficial a casi un centenar y pusieron aparte tres, que se llevaron. Feliza, que ni siquiera había tenido tiempo de abrir el paquete, no pudo ver muy bien qué fotos eran, pero le pareció que alguna la había visto publicada en la Prensa de Colombia. También se llevaron una pistola Beretta inservible que un amigo le había regalado a Feliza en 1964, en una época en que vivía sola en Bogotá, pues todavía no se había casado con Pablo Leyva. “No me atreví ni a tocarla nunca”, me dijo Feliza, “por temor de sacarme un ojo”. Fue todo cuanto se llevaron. Es cierto que Feliza no encontró después dos cadenas y tres anillos que había puesto en su mesa de noche antes de dormirse, y que eran las únicas cosas de oro, pero también las que costaban menos en su paraíso de chatarra. Pero siempre insistió, con su buena fe inquebrantable, que no podía suponer algo que no había visto.

Terminada la requisa, Feliza fue llevada, sin su esposo, a las caballerizas de la Brigada de Institutos Militares. Permaneció sentada, sin comer ni beber, durante las once horas del interrogatorio. Le vendaron los ojos y le pegaron en el pecho una banda adhesiva con su número de presidiaria: 5. Ese parche, con ese número, está todavía pegado en la pared de la cocina en su casa de Bogotá . Siempre insistió en que la trataron con mucha corrección, que le pidieron excusas por tener que vendarla, y que ninguna de las incontables preguntas le permitió vislumbrar de qué la acusaban. Se lo preguntó a uno de sus interrogadores invisibles, y éste le dio una respuesta deslumbrante:
-Lo vamos a saber ahora por lo que usted nos diga.

Es sorprendente que hubiera resistido aquella prueba con tanta fortaleza, porque Feliza tenía una limitación pulmonar muy seria, debido a las sustancias tóxicas con que trabajaba, y además una lesión de la columna vertebral de la que no se recuperó nunca. Pero no perdió el sentido del humor en ningún momento de aquellas once horas desgraciadas de nuestra historia patria.

Le preguntaron si conocía a algún escritor, y contestó que sí: a Hernando Valencia Goelkel. Le preguntaron si no conocía a otros, y contestó que sí, pero que no los mencionaba porque eran muy malos escritores. Le preguntaron si no temía que la violaran, y contestó que no, porque toda mujer casada está acostumbrada a que la violen todas las noches. Sin embargo, los, distintos interrogadores que nunca pudo ver coincidieron en poner en duda su nacionalidad colombiana. Nunca, en las horas interminables de su exilio, Feliza pareció olvidar que alguien en su propio país le hiciera esa ofensa. “Soy más colombiana que el presidente de la República”, solía decir en sus últimos días. Más aún: mucho antes de que tuviera que abandonar a Colombia, una revista les preguntó a varios artistas colombianos en qué ciudad del mundo querían vivir, y Feliza fue la única que contestó: “En Bogotá”.

Dos días después del interrogatorio, cuando ya se consideraba a salvo de toda sospecha, Feliza fue citada por un juez militar, que la acusó de tener en su casa un arma sin licencia. El juez le mostró la disposición según la cual aquel delito tenía prevista una pena de cinco años de cárcel. Le hizo firmar una notificación, la citó para dos días más tarde y le advirti6que no podía moverse de Bogotá. Dos días después, con todo el dolor de su alma, se asiló en la sede de la Embajada de México.

No es comprensible, pues, que alguien se pregunte ahora por qué se fue Feliza de Colombia.

El mismo Hernando Santos, que fue uno de sus amigos más queridos, tuvo la entereza de llamar por teléfono al ministro de la Defensa, general Camacho Leyva, para interceder en favor de ella, cuando todavía estaba detenida. El general le contestó que no podía hacer nada, porque había contra Feliza una denuncia concreta. Pocos días después, sin embargo, cuando todavía Feliza estaba asilada en la Embajada de México, la Cancillería colombiana dijo, en un comunicado oficial, que no había ningún cargo contra ella, que podía viajar sin salvoconducto a donde quisiera y volver a Colombia con toda libertad. Pero otros días más tarde, el redactor de asuntos militares de El Espectador, de Bogotá, publicó una declaración muy explícita de un alto oficial de las Fuerzas Armadas de Colombia, que nunca se identificó, pero que tampoco ha sido desmentido por nadie. Este militar sin nombre afirmaba tener pruebas de que Feliza Bursztyn era correo, entre los dirigentes cubanos y el M-19, pero que se le había tratado con la mayor consideración por ser mujer y artista. Otras gestiones que amigos de Feliza han hecho después ante autoridades militares han recibido la misma respuesta. Es alarmante, pero ya se sabe: en Colombia, los militares guardan secretos que las autoridades civiles no conocen.

Feliza no estaba en París por placer. Su propósito original era viajar a Estados Unidos, donde viven sus tres hijas, su hermana y su madre, todas ellas de nacionalidad norteamericana. Pero el consulado de Estados Unidos en México, después de consultarlo con el de Bogotá, le negó la visa. Amigos de Feliza le consiguieron entonces, con el Ministerio de Cultura de Francia, una beca de duración indefinida, con un estudio para que siguiera haciendo sus chatarras, y tarjeta de la Seguridad Social para que se vigilara mejor su mala salud. En París la encontró su esposo apenas diez días antes de su muerte, cuando vino de Bogotá a pasar Con ella el último año nuevo de su vida.

La mujer que Pablo Leyva encontró en París no era la misma que había despedido en Bogotá. Estaba atónita y distante, y su risa explosiva y deslenguada se había apagado para siempre. Sin embargo, un examen médico muy completo había establecido que no tenía nada más que un agotamiento general, que es el nombre científico de la tristeza. El viernes 8 de enero, a nuestro regreso de Barcelona, Mercedes y yo los invitamos a cenar, junto con Enrique Santos Calderón y su esposa, María Teresa. Era una noche glacial de este invierno feroz y triste, y había rastros de nieve congelada en la calle, pero todos quisimos irnos caminando hasta un restaurante cercano. Feliza, sentada a mi izquierda, no había acabado de leer la carta para ordenar la cena, cuando inclinó la cabeza sobre la mesa, muy despacio, sin un suspiro, sin una palabra ni una expresión de dolor, y murió en el instante. Se murió sin saber siquiera por qué, ni qué era lo que había, hecho para morirse así, ni cuáles eran las dos palabras sencillas que hubiera podido decir para no haberse muerto tan lejos de su casa.

Untitled, issu de la série Las Histéricas [Les Hystériques], 1968, chutes d’acier inoxydable.
Untitled, Minimáquinas [Minimachines], 1973, pièces de métal de machine à écrire.

Emilio Prados – Manuel Altolaguirre – Sur – Litoral

Malaga commémore le centenaire de l’imprimerie Sur, fondée en octobre 1925 par le poète Emilio Prados (1899-1962). Il collabora avec Manuel Altolaguirre (1905-1959) et plus tard brièvement avec José María Hinojosa (1904-1936).

Du 6 mars au 23 mai 2025, une exposition célèbre ce centenaire au centre culturel María Victoria Atencia de Malaga (Calle Ollerías, 34) : Imprenta Sur (1925-2025). Cien años, Cien objetos. Le commissaire de l’exposition est Rafael Inglada.

Jardin vertical. Place Pepe Mena. Malaga.

On peut voir dans deux salles des dessins, des photographies, des machines d’imprimerie d’époque, des objets personnels et bien sûr des éditions de Sur et de Litoral. Cette mythique revue fut remplacée en 1937, après l’occupation de la ville par les troupes franquistes, par Dardo.

Des œuvres d’Emilio Prados (Tiempo), Federico García Lorca (Canciones), Luis Cernuda (Perfil del aire) Rafael Alberti, Juan Gris ou Pablo Picasso furent imprimées là. Dans la revue Litoral, créée une année plus tard, en 1926, publièrent entre autres Juan Ramón Jiménez, Jorge Guillén, José Bergamín, Gerardo Diego, Federico García Lorca, Rafael Alberti, Luis Cernuda, Vicente Aleixandre, Salvador Dalí, Juan Gris, Manuel de Falla. Le peintre María Ángeles Ortiz conçut la première page de cette magnifique revue. Son poisson devint un des symboles de la Génération de 1927.

Premier numéro de la revue Litoral. 1926. Dessin de María Ángeles Ortiz.

L’imprimerie s’ installa d’abord Calle Tomás Heredia, n°24, puis Calle de San Lorenzo, n°12.

Manuel Altolaguirre l’évoqua ainsi : « …Nuestra imprenta tenía forma de barco, con sus barandas, salvavidas, faroles, vigas de azul y blanco, cartas marítimas, cajas de galletas y vino para los naufragios. Era una imprenta llena de aprendices, uno manco, aprendices como grumetes, que llenaban de alegría el pequeño taller, que tenía flores, cuadros de Picasso, música de don Manuel de Falla, libros de Juan Ramón Jiménez en los estantes. Imprenta alegre como un circo […]. Entre otras cosas, teníamos en un rincón una escafandra de buzo y en la vitrina una mano de madera articulada, de las que sirven para agrandar los guantes. Son recuerdos prosaicos. Pero la imprenta era un verdadero rincón de poesía. Con muy pocas máquinas, con muchos sillones, con más conversación que trabajo, casi siempre desinteresado, artístico, porque Emilio era y es el hombre más generoso del mundo. »

Antigua Imprenta Sur. Málaga.

L’imprimerie Sur fonctionne toujours grâce à une famille d’imprimeurs, les Andrade, bien qu’elle ait connu de nombreuses vicissitudes. Elle est gérée depuis 2000 par le Centro Generación del 27 de la Diputación de Málaga. De même, la revue Litoral a pu réapparaître à Torremolinos en 1968 grâce à José María Amado et à la société Revista Litoral, S.A.​ Son directeur actuel est le peintre Lorenzo Saval Prados et sa directrice adjointe María José Amado, son épouse.

Revista Litoral. S.A. Ediciones Litoral.
Urbanización La Roca, Local 8. 29620 Torremolinos Málaga.
litoral@edicioneslitoral.com
[+34] 952 388 257

https://edicioneslitoral.com/?v=11aedd0e4327

Litoral n°1. Mai 1968.

César Vallejo

Mario Vargas Llosa. Madrid, février 2003 (Miguel Gener)

Mario Vargas Llosa, l’« homme-plume », Prix Nobel de Littérature en 2010, est mort à Lima dimanche 13 avril 2025. Il avait 89 ans. Nous l’avions croisé un jour dans l’aéroport de Barajas à Madrid. Échange de sourires. Beaucoup d’articles dans la presse…

Je me souviens pourtant aujourd’hui du grand poète péruvien César Vallejo.

Il est né à Santiago de Chuco le 16 mars 1892. Il est mort à Paris le 15 avril 1938.

Il avait écrit dans Pierre noire sur une pierre blanche

Me moriré en París con aguacero,
un día del cual tengo ya el recuerdo.
Me moriré en París -y no me corro-
tal vez un jueves, como es hoy de otoño.

Poemas humanos, 1939.

Pierre noire sur une pierre blanche

Je mourrai à Paris par temps de pluie,
un jour dont j’ai déjà le souvenir.
Je mourrai à Paris – pourquoi rougir –
en automne, un jeudi, comme aujourd’hui.

Poèmes humains, 1939. Traduction Jacques Ancet.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/04/17/cesar-vallejo/

Un autre poème de Vallejo…

El poeta a su amada

Amada, en esta noche tú te has crucificado
sobre los dos maderos curvados de mi beso;
y tu pena me ha dicho que Jesús ha llorado
y que hay un viernesanto más dulce que ese beso.

En esta noche rara que tanto me has mirado
la Muerte ha estado alegre y ha cantado en su hueso
En esta noche de Setiembre se ha oficiado
mi segunda caída y el más humano beso.

Amada, moriremos los dos juntos, muy juntos;
se irá secando a pausas nuestra excelsa amargura;
y habrán tocado a sombra nuestros labios difuntos

Y ya no habrá reproches en tus ojos benditos
ni volveré a ofenderte. Y en una sepultura
los dos dormiremos, como dos hermanitos.

Los heraldos negros, 1918.

Le poète à son aimée

Aimée, cette nuit tu t’es crucifiée
sur les deux madriers cintrés de mon baiser ;
et ta peine m’a dit que Jésus avait pleuré
et qu’il est un Vendredisaint plus doux que ce baiser.

En cette nuit étrange où tant tu m’as regardé ,
la Mort a été joyeuse et a sifflé dans son os.
En cette nuit de Septembre on a célébré
ma seconde chute et le plus humain des baisers.

Aimée, nous mourrons tous deux ensemble, très unis ;
de loin en loin se desséchera notre suprême amertume ;
et nos lèvres défuntes auront sonné un glas d’ombre.

Et il n’y aura plus de reproche dans tes yeux bénits ;
et je ne t’offenserai plus. Et dans une même sépulture
nous dormirons tous deux, comme frère et soeur.

Poésie complète 1919-1937. Flammarion, 2009. Traduction Nicole Réda-Euvremer.

Paco Ibáñez a chanté une partie de ce poème dans son Album “Por una canción” (PDI, 1990).

https://www.youtube.com/watch?v=xCDerd6Ci3I

Ángeles Santos (1911 – 2013) – Juan Ramón Jiménez

Autorretrato (Ángeles Santos). 1928. Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía.

Ángeles Santos Torroella est née le 7 novembre 1911 à Portbou (Gérone) en Catalogne.

Cette artiste peintre espagnole d’avant-garde a eu une trajectoire fugace, mais a marqué l’évolution de la peinture en Espagne au XX ème siècle.

Fille aînée d’une famille de huit enfants, elle a résidé dans diverses villes espagnoles selon les mutations de son père qui était fonctionnaire des douanes (Julián Santos Estévez) .

Tertulia (Ángeles Santos). 1929. Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía.

Á Valladolid en 1929, alors qu’elle n’a pas encore 18 ans, elle peint ses deux œuvres majeures : Un mundo (Un monde) et Tertulia (Le Cabaret). Elle y travaille d’avril à septembre 1929 et les présente au Salon d’Automne de Madrid en octobre. Son grand talent est reconnu par des écrivains tels que Ramón Gómez de la Serna, Jorge Guillén, Federico García Lorca, Vicente Huidobro.

Ramón Gómez de la Serna : “En el Salón de Otoño, que es como submarino del Retiro, náufrago de hojas y barro, ha surgido una revelación: la de una niña de diez y siete años. Ángeles Santos, que aparece como Santa Teresa de la pintura, oyendo palomas y estrellas que le dictan el tacto que han de tener sus pinceles”.

Juan Ramón Jiménez : «Alguno se acerca curioso a un lienzo y mira por un ojo y ve a Ángeles Santos corriendo gris y descalza orilla del río. Se pone hojas verdes en los ojos, le tira agua al sol, carbón a la luna. Huye, viene, va. De pronto, sus ojos se ponen en los ojos de las máscaras pegados a los nuestros. Y mira, la miramos. Mira sin saber a quién. La miramos. Mira». (Españoles de tres mundos. Viejo mundo, nuevo mundo, otro mundo. Caricatura lírica (1914-1940)

Son désir de modernité et de nouveauté dans la création (surréalisme, réalisme magique, expressionnisme) s’oppose fortement à l’environnement provincial dans lequel elle vit au jour le jour. Elle peint Niños y plantas en 1930, qui crée un scandale à Valladolid (les deux enfants représentés étaient nus pendant les séances de pose).

Sa famille insiste pour l’interner dans un centre de santé à Madrid pendant un mois et demi pour « crise de personnalité ». Ramón Gómez de la Serna proteste dans La Gaceta Literaria (1 avril 1930) : «La genial pintora Ángeles Santos en un sanatorio».

Elle s’installe ensuite en Catalogne où elle épouse le peintre post-impressionniste Emili Grau i Sala (1911-1975) le 15 janvier 1936. Elle a en 1937 un fils, qui sera lui aussi peintre, Julián Grau Santos. Elle ne peint plus que par intermittence et s’éloigne totalement des thématiques des années 20 et 30 qu’elle trouve lugubres et qui l’ont fait souffrir.

Son frère Rafael Santos Torroella (1914-2002) était un critique d’art célèbre, spécialiste entre autres de l’œuvre de Salvador Dalí.

Longtemps oubliée, elle a retrouvé sa place lorsque le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía de Madrid a fait entrer en 1937 dans ses collections Un mundo et Tertulia.

Elle est décédée à Madrid le 3 octobre 2013 à 101 ans.

Un mundo est probablement son chef d’oeuvre. C’est un très grand tableau (290 x 310 cm). Ángeles Santos a affirmé qu’un poème de Juan Ramón Jiménez l’a inspirée.

Un mundo (Ángeles Santos). 1929. Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía.

Alba (Juan Ramón Jiménez)

Se paraba
la rueda
de la noche…

Vagos ánjeles malvas
apagaban las verdes estrellas.

Una cinta tranquila
de suaves violetas
abrazaba amorosa
a la pálida tierra.

Suspiraban las flores al salir de su ensueño,
embriagando el rocío de esencias.

Y en la fresca orilla de helechos rosados,
como dos almas perlas,
descansaban dormidas
nuestras dos inocencias
– ¡oh que abrazo tan blanco y tan puro!-
de retorno a las tierras eternas.

Ninfeas, 1900 / Ninfea del Pantano (1896-1902)

L’aube

La roue
de la nuit
s’arrêtait…

De vagues anges mauves
éteignaient les vertes étoiles.

Un ruban tranquille
de douces violettes
embrassait amoureusement
la terre pâle.

Les fleurs soupiraient en sortant de leur rêverie,
enivrant la rosée d’essences.

Et sur le frais rivage de fougères roses,
comme deux âmes nacrées,
reposaient endormies
nos deux innocences
– oh quelle étreinte si blanche et si pure ! –
de retour aux terres éternelles.

Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía. Antiguo Hôpital General y de la Pasión. (Francisco Sabatini – José de Hermosilla y Sandoval), 1755. (CFA)

Francis Ponge – Pablo Neruda

Francis Ponge et Pablo Neruda, deux auteurs bien différents. Un point commun, l’éloge de la pomme de terre.

Jeune fille épluchant des pommes de terre (Albert Anker 1831-1910). 1886. Collection privée.

« Au Paradis, nous nous lasserons peut-être un jour de la musique des anges et pour leur expliquer qu’il y avait là-bas, sur terre, quelque chose qui en valait la peine, j’ai écrit ces textes sur les plus ordinaires des choses : la pomme de terre, le savon, le galet, – pour montrer aux anges ce que je veux dire » Jesper Svenbro. Rencontre avec Francis Ponge (1979).

La pomme de terre (Francis Ponge)

Peler une pomme de terre bouillie de bonne qualité est un plaisir de choix.
Entre le gras du pouce et la pointe du couteau tenu par les autres doigts de la même main, l’on saisit – après l’avoir incisé – par l’une de ses lèvres ce rêche et fin papier que l’on tire à soi pour le détacher de la chair appétissante du tubercule.
L’opération facile laisse, quand on a réussi à la parfaire sans s’y reprendre
à trop de fois, une impression de satisfaction indicible.
Le léger bruit que font des tissus en se décollant est doux à l’oreille, et la
découverte de la pulpe comestible réjouissante.
Il semble, à reconnaître la perfection du fruit nu, sa différence, sa
ressemblance, sa surprise – et la facilité de l’opération – que l’on ait accompli
là quelque chose de juste, dès longtemps prévu et souhaité par la nature, que l’on
a eu toutefois le mérite d’exaucer.
C’est pourquoi je n’en dirai pas plus, au risque de sembler me satisfaire d’un
ouvrage trop simple. Il ne me fallait – en quelques phrases sans effort – que
déshabiller mon sujet, en en contournant strictement la forme : la laissant intacte
mais polie, brillante et toute prête à subir comme à procurer les délices de sa
consommation.

… Cet apprivoisement de la pomme de terre par son traitement à l’eau bouillante durant vingt minutes, c’est assez curieux (mais justement tandis que j’écris des
pommes de terre cuisent – il est une heure du matin – sur le fourneau devant moi).
Il vaut mieux, m’a-t-on dit que l’eau soit salée, sévère : pas obligatoire, mais
c’est mieux.
Une sorte de vacarme se fait entendre, celui des bouillons de l’eau. Elle est en
colère, au moins au comble de l’inquiétude. Elle se déperd furieusement en
vapeurs, bave, grille aussitôt, pfutte, tsitte : enfin, très agitée sur ces charbons
ardents.
Mes pommes de terre, plongées là-dedans, sont secouées de soubresauts,
bousculées, injuriées, imprégnées jusqu’à la moelle.
Sans doute la colère de l’eau n’est-elle pas à leur propos, mais elles en
supportent l’effet – et ne pouvant se déprendre de ce milieu, elles s’en trouvent
profondément modifiées (j’allais écrire s’entr’ouvrent…).
Finalement, elles y sont laissées pour mortes, ou du moins très fatiguées. Si
leur forme en réchappe (ce qui n’est pas toujours), elles sont devenues molles,
dociles. Toute acidité a disparu de leur pulpe : on leur trouve bon goût.
Leur épiderme s’est aussi rapidement différencié : il faut l’ôter (il n’est plus
bon à rien), et le jeter aux ordures…
Reste ce bloc friable et savoureux, – qui prête moins qu’à d’abord vivre,
ensuite à philosopher.

Paru dans Confluences n°18. Mars 1943.

Pièces. 1962. Poésie / Gallimard n°73 1971.

Francis Ponge lit “Le pain” et “La pomme de terre”. France Culture, 9 mars 2018. (Durée : 3’14) Archives INA – Radio France.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/francis-ponge-lit-le-pain-et-la-pomme-de-terre-6977360

https://www.youtube.com/watch?v=p9NhHzxdB4c

Oda a la papa (Pablo Neruda)

Papa
te llamas,
papa
y no patata,
no naciste con barba,
no eres castellana:
eres oscura
como
nuestra piel,
somos americanos,
papa,
somos indios.
Profunda
y suave eres,
pulpa pura, purísima
rosa blanca
enterrada,
floreces
allá adentro
en la tierra,
en tu lluviosa
tierra
originaria,
en las islas mojadas
de Chile tempestuoso,
en Chiloé marino,
en medio de la esmeralda que abre
su luz verde
sobre el austral océano.

Papa,
materia
dulce,
almendra
de la tierra,
la madre
allí
no tuvo
metal muerto,
allí en la oscura
suavidad de las islas
no dispuso
el cobre y sus volcanes
sumergidos,
ni la crueldad azul
del manganeso,
sino que con su mano,
como en un nido
en la humedad más suave,
colocó tus redomas,
y cuando
el trueno
de la guerra
negra,
España
inquisidora,
negra como águila de sepultura,
buscó el oro salvaje
en la matriz
quemante
de la araucanía,
sus uñas
codiciosas
fueron exterminadas,
sus capitanes
muertos,
pero cuando a las piedras de Castilla
regresaron
los pobres capitanes derrotados
levantaron en las manos sangrientas
no una copa de oro,
sino la papa
de Chiloé marino.
Honrada eres
como
una mano
que trabaja en la tierra,
familiar
eres
como
una gallina,
compacta como un queso
que la tierra elabora
en sus ubres
nutricias,
enemiga del hambre,
en todas
las naciones
se enterró su bandera
vencedora
y pronto allí,
en el frío o en la costa
quemada,
apareció
tu flor
anónima
enunciando la espesa
y suave
natalidad de tus raíces.

Universal delicia,
no esperabas
mi canto,
porque eres sorda
y ciega
y enterrada.
Apenas
si hablas en el infierno
del aceite
o cantas
en las freidurías
de los puertos,
cerca de las guitarras,
silenciosa,
harina de la noche
subterránea,
tesoro interminable
de los pueblos.

Nuevas odas elementales. Losada,1963.

Chiloé (Chile). Janvier 2018 (CFA).