Juan José Saer

(Merci à Colette Weibel et à Léon-Marc Lévy)

Juan José Saer, La pesquisa 1994 (L’enquête, Seuil, 1996. Points, 2002. Traduction Philippe Bataillon. Le Tripode, 2019)

Pichón Garay, personnage qui apparaît dans d’autres romans de Juan José Saer, revient à Santa Fe (Argentine) avec son fils après vingt ans d’ exil à Paris. L’été touche à sa fin. La chaleur est accablante (« Ya es el veintiséis de marzo »). Au cours d’un dîner avec des amis (Carlos Tomatis, Marcelo Soldi), il raconte l’histoire d’un tueur en série qui, dans le XI ème arrondissement de Paris, a déjà assassiné vingt-sept petites vieilles. Les commissaires Morvan et Lautret ne parviennent pas à recueillir le moindre indice. La version de l’enquête raconté par Pichón tient de la rumeur, des articles des journaux, des nombreux commentaires et des explications psychanalytiques qui ont suivi la découverte du tueur.
Son récit est interrompu par la découverte d’un énigmatique manuscrit de huit cent quinze feuillets intitulé (Sous les tentes grecques/En las tiendas griegas) conservé précieusement dans les archives d’un de leurs anciens amis (double littéraire du poète argentin Juan L. Ortiz – 1896-1978 – que Saer admirait beaucoup). La fille de cet ami, Washington Noriega, Julia veille précieusement sur les papiers laissés par son père. Les trois amis voyagent en barque sur la rivière Colastiné et le fleuve Paraná, parlent et boivent.

On retrouve certains lieux qui apparaissent aussi dans L’ancêtre (El entenado): Santa Fe , el Río Colastiné.
Le lecteur doit essayer de répondre à toute une série d’énigmes:

  • Identité du ou des narrateurs
  • Identité du coupable des meurtres en série.
  • Identité de l’auteur de Las tiendas griegas
  • Identité du père de Morvan.
  • Identité des assassins del Gato Garay, frère jumeau de Pichón Garay, et de Elisa (disparus pendant la dictature militaire.)
  • Thèmes abordés : la culpabilité, les mythes, la réalité, le rêve etc.

« Ustedes se deben estar preguntando, tal como los conozco, qué posición ocupo yo en este relato, que parezco saber de los hechos más de lo que muestran a primera vista y hablo de ellos y los transmito con la movilidad y la ubicuidad de quien posee una conciencia múltiple y omnipresente, pero quiero hacerles notar que lo que estamos percibiendo en este momento es tan fragmentario como lo que yo sé de lo que les estoy refiriendo, pero que cuando mañana se lo contemos a alguien que haya estado ausente o meramente lo recordemos, en forma organizada y lineal, o ni siquiera sin esperar hasta mañana, si simplemente nos pusiéramos a hablar de lo que estamos percibiendo, en este momento o en cualquier otro, el corolario verbal también daría la impresión de estar siendo organizado, mientras es proferido, por una conciencia móvil, ubicua, múltiple y omnipresente. Desde el principio nomás he tenido la prudencia, por no decir la cortesía, de presentar estadísticas con el fin de probarles la veracidad de mi relato, pero confieso que a mi modo de ver ese protocolo es superfluo, ya que por el solo hecho de existir todo relato es verídico, y si se quiere extraer de él algún sentido, basta tener en cuenta que, para obtener la forma que le es propia, a veces le hace falta operar, gracias a sus propiedades elásticas, cierta compresión, algunos desplazamientos, y no pocos retoques en la iconografía. »

“Comme je vous connais, vous devez vous demander quelle position j’occupe dans le récit parce que je semble savoir à propos des faits plus qu’ils ne laissent voir à première vue et que j’en parle avec la mobilité de l’ubiquité de qui dispose d’une conscience multiple et omniprésente, mais je tiens à vous faire remarquer que ce que je suis en train de vous raconter n’est pas moins fragmentaire que ce que nous percevons en ce moment même, mais si demain nous le rapportions à quelqu’un qui aurait été absent aujourd’hui au que tout simplement nous nous le rappelions de manière organisée et linéaire, ou que même si, sans attendre demain, nous nous mettons à parler de ce que nous percevons en ce moment- ci ou à n’importe quel autre, le résultat verbal donnerait lui aussi l’impression d’avoir été organisé, tandis qu’il était énoncé par une conscience douée de mobilité et d’ubiquité, multiple et omniprésente.
Depuis le commencement, j’ai eu la prudence, pour ne pas dire la courtoisie, d’énoncer des statistiques afin de vous prouver la véracité de mon récit, mais j’avoue que, de mon point de vue, ce procédé est superflu parce que, du simple fait d’exister, tout récit est véridique, et que si on désire en retirer quelque signification il suffit d’admettre que, pour atteindre la forme qui lui est propre, il lui faut parfois se plier, grâce à ses propriétés élastiques, à certaines compressions, quelques déplacements, et pas mal de retouches sur les images.”

« Alzando la cabeza, Pichón ha podido ver, en un cielo todavía claro, donde los últimos vestigios violetas habían cedido bajo el azul generalizado, las primeras estrellas. En un fulgor instantáneo —el rumor del agua, más nítido que durante el trayecto porque el motor se había detenido revelando la tranquilidad de la noche, contribuyó sin duda a su clarividencia repentina— ha entendido por qué, a pesar de su buena voluntad, de sus esfuerzos incluso, desde que llegó de París después de tantos años de ausencia, su lugar natal no le ha producido ninguna emoción: porque ahora es al fin un adulto, y ser adulto significa justamente haber llegado a entender que no es en la tierra natal donde se ha nacido, sino en un lugar más grande, más neutro, ni amigo ni enemigo, desconocido, al que nadie podría llamar suyo y que no estimula el afecto sino la extrañeza, un hogar que no es ni espacial ni geográfico, ni siquiera verbal, sino más bien, y hasta donde esas palabras puedan seguir significando algo, físico, químico, biológico, cósmico, y del que lo invisible y lo visible, desde las yemas de los dedos hasta el universo estrellado, o lo que puede llegar a saberse sobre lo invisible y lo visible, forman parte, y que ese conjunto que incluye hasta los bordes mismos de lo inconcebible, no es en realidad su patria sino su prisión, abandonada y cerrada ella misma desde el exterior —la oscuridad desmesurada que errabundea, ígnea y gélida a la vez, al abrigo no únicamente de los sentidos, sino también de la emoción, de la nostalgia y del pensamiento. »

«Levant la tête, Pigeon a pu voir, dans un ciel encore clair où les derniers vestiges violets avaient cédé au bleu généralisé, les premières étoiles. En un éclair soudain – le bruit de l’eau, plus net que pendant le trajet parce que le moteur s’était arrêté révélant la tranquillité de la nuit, avait sans doute contribué à cette soudaine clairvoyance – il a compris pourquoi, malgré sa bonne volonté et même ses efforts, depuis qu’il est arrivé de Paris après tant d’années d’absence, son pays natal ne lui a procuré aucune émotion : c’est parce qu’il est enfin devenu adulte, et être adulte signifie justement en venir à comprendre que ce n’est pas dans son pays natal qu’on est né, mais dans un lieu plus vaste, plus neutre, ni ami ni ennemi, inconnu, que personne ne saurait appeler le sien et qui n’engendre pas l’attachement mais semble étranger, un refuge qui n’est ni d’espace, ni de terre, ni même de parole, mais plutôt et pour autant que ces mots puissent encore signifier quelque chose, physique, chimique, biologique, cosmique, et dont font partie l’invisible et le visible – depuis le bout des doigts jusqu’à l’univers étoilé ou ce qu’on peut arriver à savoir de l’invisible et du visible, et que cet ensemble qui contient les frontières même de l’inconcevable n’est pas son pays mais sa prison, abandonnée et elle-même fermée de l’extérieur – l’obscurité démesurée qui vagabonde, glaciale et ignée, hors de portée non seulement des sens, mais bien aussi de l’émotion, de la nostalgie et de la pensée.»

Juan José Saer, Glosa 1986( L’anniversaire, Flammarion, 1988. Points Seuil. Glose. Le Tripode 2015. Traduction Laure Bataillon)

« Que quede bien claro: el alma, como le dicen, es, pareciera, no cristalina sino pantanosa. »

«Que ce soit bien clair, l’âme, comme on dit, est, semble-t-il, non pas limpide, mais marécageuse.»

Paseo en barco por los ríos Santa Fe y Colastiné?

Christian Boltanski

Amsterdam. Oude Kerke. Exposition Na (Après).

Très triste d’apprendre la mort de Christian Boltanski. Son installation méditative (Na-Après) à l’Oude Kerk d’Amsterdam en 2017-2018 était extraordinaire. Nous l’avions visitée le premier jour de notre voyage à Amsterdam. Il faisait froid. Oude Kerk est la plus vieille église d’Amsterdam. Elle a été construite à partir de 1300 et dédiée à saint Nicolas. Elle a été restaurée en 2013. C’est un lieu de culte et d’exposition, ce qui est déjà peu banal. Elle se trouve de plus au beau milieu du quartier “rouge” d’Amsterdam, celui des prostituées en vitrine et des sex-shops. Il y a, semble-t-il, 2500 caveaux et 10 000 personnes y seraient enterrées dont Saskia van Uylenburgh (1612-1642), la première épouse de Rembrandt. Ce fut un lieu de sépulture jusqu’en 1865. Christian Boltanski disait: « Je ne suis pas croyant, mais ce que je désire faire, c’est une expérience de ce type : “Une église, la porte est ouverte, alors on entre. Il y a une odeur particulière, une légère musique, un homme les bras levés et quelques bouquets de fleurs. On la traverse sans comprendre et on retourne dans la vie.” »

Christian Boltanski (Jean-François Robert).

L’installation Animitas ou la musique des âmes se trouve dans le désert d’Atacama au Chili. Elle se compose de huit cents clochettes japonaises fixées sur de longues tiges plantées dans le sol qui sonnent au gré du vent pour faire entendre la musique des âmes et dessinent la carte du ciel la nuit de la naissance de l’artiste, le 6 septembre 1944. Le désert d’Atacama est aussi un lieu de pèlerinage à la mémoire des disparus de la dictature de Pinochet (voir Nostalgie de la lumière (Nostalgia de la luz), film documentaire franco-chilien réalisé par Patricio Guzmán et sorti en 2010). C’est également un lieu exceptionnel pour observer les étoiles grâce à la pureté du ciel : c’est là que sont installés les plus grands observatoires du monde.

Misterios (2017) est une sculpture métallique installée en Patagonie, qui a la particularité d’imiter le chant des baleines lorsque le vent s’engouffre dans ses larges trompes. Elle est située au Cap Aristizabal. Elle peut se visiter depuis Bahía Bustamante, connue pour être les Galapagos de l’Argentine.

Misterios. 2017.

Pablo Neruda

Pablo Neruda (Ricardo Eliécer Neftalí Reyes-Basoalto) est né le 12 juillet 1904 à Parral (Chili). Il entre dans la carrière diplomatique en 1927 et devient consul à Rangoun (Birmanie) . Il est en poste ensuite à Colombo (Sri Lanka), Batavia (aujourd’hui Djakarta, en Indonésie), Calcutta (Inde) et Buenos Aires (Argentine) où il fait la connaissance de Federico García Lorca. Il est consul général du Chili d’abord à Barcelone en 1934, puis à Madrid en 1935. Il dirige la revue Caballo verde para la poesía, créée par Manuel Altolaguirre (1905-1959) et Concha Méndez (1898-1986). Cette revue, à la typographie très soignée, connaîtra six numéros. Chaque numéro commence par un texte en prose de Pablo Neruda. Elle accueille des poètes espagnols (Vicente Aleixandre, Federico García Lorca, Jorge Guillén, Miguel Hernández o Leopoldo Panero), latinoaméricains ou européens, liés à la Génération de 1927. Dès le premier numéro, Pablo Neruda défend une poésie « impure » :

Sobre una poesía sin pureza. Manifiesto.

“La confusa impureza de los seres humanos se percibe en ellos, la agrupación, uso y desuso de los materiales; las huellas del pie y los dedos, la constancia de una atmósfera inundando las cosas desde lo interno y lo externo.
Así sea la poesía que buscamos, gastada como por un ácido por los deberes de la mano, penetrada por el sudor y el humo, oliente a orina y a azucena salpicada por las diversas profesiones que se ejercen dentro y fuera de la ley.
Una poesía impura como un traje, como un cuerpo, con manchas de nutrición, y actitudes vergonzosas, con arrugas, observaciones, sueños, vigilia, profecías, declaraciones de amor y de odio, bestias, sacudidas, idilios, creencias políticas, negaciones, dudas, afirmaciones, impuestos.
La sagrada ley del madrigal y los decretos del tacto, olfato, gusto, vista, oído, el deseo de justicia, el deseo sexual, el ruido del océano, sin excluir deliberadamente nada, sin aceptar deliberadamente nada.”

La Casa de las Flores bombardée.

Pablo Neruda a vécu de 1934 à 1936 dans un appartement au cinquième étage de La Casa de las Flores, ensemble de bâtiments en briques de cinq étages, situé dans le quartier d’Argüelles à Madrid (calles Princesa, Hilarión Eslava, Rodríguez San Pedro, Gaztambide y Meléndez Valdés) et conçu en 1931 par l’architecte Secundino Zuazo Ugalde (1887-1971) dans un esprit rationaliste. On y trouve 288 logements et trois patios au centre. La répartition des espaces avec un couloir paysager a servi de modèle à des générations d’étudiants en architecture. Les bâtiments sont décorés de balcons et de jardinières fleuries. Le poète Rafael Alberti qui vit à l’époque dans ce même quartier trouve là un appartement libre pour son ami chilien qui vient d’être nommé à Madrid. Neruda y reçoit beaucoup. Cet ensemble a beaucoup souffert des bombardements pendant la Guerre civile, le front se situant dans cette zone de la ville, proche de la cité universitaire. Après une mission à Paris, il revient dans la capitale espagnole en 1937.
Il raconte ainsi dans ses mémoires (Confieso que he vivido, 1974) son retour dans son appartement devasté avec le poète Miguel Hernández : « Por fin llegamos a Madrid. Mientras los visitantes recibían bienvenida y alojamiento, yo quise ver de nuevo mi casa que había dejado intacta hacía cerca de un año. Mis libros y mis cosas, todo había quedado en ella. Era un departamento en el edificio llamado “Casa de las Flores”, a la entrada de la ciudad universitaria. Hasta sus límites llegaban las fuerzas avanzadas de Franco. Tanto que el bloque de departamentos había cambiado varias veces de mano.
Miguel Hernández, vestido de miliciano y con su fusil, consiguió una vagoneta destinada a acarrear mis libros y los enseres de mi casa que más me interesaban.
Subimos al quinto piso y abrimos con cierta emoción la puerta del departamento. La metralla había derribado ventanas y trozos de pared. Los libros se habían derrumbado de las estanterías. Era imposible orientarse entre los escombros. De todas maneras, busqué algunas cosas atropelladamente. Lo curioso era que las prendas más superfluas e inaprovechables habían desaparecido; se las habían llevado los soldados invasores o defensores. Mientras las ollas, la máquina de coser, los platos, se mostraban regados en desorden, pero sobrevivían, de mi frac consular, de mis máscaras de Polinesia, de mis cuchillos orientales no quedaba ni rastro.
-La guerra es tan caprichosa como los sueños, Miguel.
Miguel encontró por ahí, entre los papeles caídos, algunos originales de mis trabajos. Aquel desorden era una puerta final que se cerraba en mi vida. Le dije a Miguel:
-No quiero llevarme nada.
-¿Nada? ¿Ni siquiera un libro?
-Ni siquiera un libro –le respondí.
Y regresamos con el furgón vacío.»

L’ensemble a été restauré dans les années 40 et déclaré monument national en 1981.

La Casa de las Flores aujourd’hui.

Explico algunas cosas

Preguntaréis: Y dónde están las lilas?
Y la metafísica cubierta de amapolas?
Y la lluvia que a menudo golpeaba
sus palabras llenándolas
de agujeros y pájaros?

Os voy a contar todo lo que me pasa.

Yo vivía en un barrio
de Madrid, con campanas,
con relojes, con árboles.

Desde allí se veía
el rostro seco de Castilla
como un océano de cuero.

Mi casa era llamada
la casa de las flores, porque por todas partes
estallaban geranios: era
una bella casa
con perros y chiquillos.
Raúl, te acuerdas?
Te acuerdas, Rafael?
Federico, te acuerdas
debajo de la tierra,
te acuerdas de mi casa con balcones en donde
la luz de Junio ahogaba flores en tu boca?

Hermano, hermano!

Todo
eran grandes voces, sal de mercaderías,
aglomeraciones de pan palpitante,
mercados de mi barrio de Argüelles con su estatua
como un tintero pálido entre las merluzas:
el aceite llegaba a las cucharas,
un profundo latido
de pies y manos llenaba las calles,
metros, litros, esencia
aguda de la vida,
pescados hacinados,
contextura de techos con sol frío en el cual
la flecha se fatiga,
delirante marfil fino de las patatas,
tomates repetidos hasta el mar.

Y una mañana todo estaba ardiendo
y una mañana las hogueras
salían de la tierra
devorando seres,
y desde entonces fuego,
pólvora desde entonces,
y desde entonces sangre.

Bandidos con aviones y con moros,
bandidos con sortijas y duquesas,
bandidos con frailes negros bendiciendo
venían por el cielo a matar niños,
y por las calles la sangre de los niños
corría simplemente, como sangre de niños.

Chacales que el chacal rechazaría,
piedras que el cardo seco mordería escupiendo,
víboras que las víboras odiaran!

Frente a vosotros he visto la sangre
de España levantarse
para ahogaros en una sola ola
de orgullo y de cuchillos!

Generales
traidores:
mirad mi casa muerta,
mirad España rota:
pero de cada casa muerta sale metal ardiendo
en vez de flores,
pero de cada hueco de España
sale España,
pero de cada niño muerto sale un fusil con ojos,
pero de cada crimen nacen balas
que os hallarán un día el sitio
del corazón.

Preguntaréis por qué su poesía
no nos habla del sueño, de las hojas,
de los grandes volcanes de su país natal?

Venid a ver la sangre por las calles,
venid a ver
la sangre por las calles,
venid a ver la sangre
por las calles!

España en el corazón: himno a la glorias del pueblo en la guerra. 1937.

J’explique certaines choses

Vous allez demander : Où sont donc les lilas ?
Et la métaphysique couverte de coquelicots ?
Et la pluie qui frappait si souvent
vos paroles les remplissant
de brèches et d’oiseaux?

Je vais vous raconter ce qui m’arrive.

Je vivais dans un quartier
de Madrid, avec des cloches,
avec des horloges, avec des arbres.

De ce quartier on apercevait
le visage sec de la Castille
ainsi qu’un océan de cuir.

Ma maison était appelée
la maison des fleurs, parce que de tous côtés
éclataient les géraniums : c’était
une belle maison
avec des chiens et des enfants.
Raúl, te souviens-tu ?
Te souviens-tu, Rafael ?
Federico, te souviens-tu
sous la terre,
te souviens-tu de ma maison et des balcons où
la lumière de juin noyait des fleurs sur ta bouche ?
Frère, frère !
Tout
n’était que cris, sel de marchandises,
agglomérations de pain palpitant,
marchés de mon quartier d’Argüelles avec sa statue
comme un encrier pâle parmi les merluches :
l’huile arrivait aux cuillères,
un profond battement
de pieds et de mains emplissait les rues,
métros, litres, essence
profonde de la vie,
poissons entassés,
contexture de toits cernés d’un soleil froid dans lequel
la flèche se fatigue,
délirant ivoire des fines pommes de terre,
tomates recommencées jusqu’à la mer.

Et un matin tout était en feu
et un matin les bûchers
sortaient de terre
dévorant les êtres vivants,
et dès lors ce fut le feu,
ce fut la poudre,
et ce fut le sang.
Des bandits avec des avions, avec des maures,
des bandits avec des bagues et des duchesses,
des bandits avec des moines noirs pour bénir
tombaient du ciel pour tuer des enfants,
et à travers les rues le sang des enfants
coulait simplement, comme du sang d’enfants.

Chacals que le chacal repousserait,
pierres que le dur chardon mordrait en crachant,
vipères que les vipères détesteraient !

Face à vous j’ai vu le sang
de l’Espagne se lever
pour vous noyer dans une seule vague
d’orgueil et de couteaux !

Généraux
de trahison :
regardez ma maison morte,
regardez l’Espagne brisée :
mais de chaque maison morte surgit un métal ardent
au lieu de fleurs,
mais de chaque brèche d’Espagne
surgit l’Espagne,
mais de chaque enfant mort surgit un fusil avec des yeux,
mais de chaque crime naissent des balles
qui trouveront un jour l’endroit
de votre coeur.

Vous allez demander pourquoi votre poésie
ne parle-t-elle pas du rêve, des feuilles,
des grands volcans de votre pays natal ?

Venez voir le sang dans les rues,
venez voir
le sang dans les rues,
venez voir le sang
dans les rues !

Résidence sur la Terre, Éditions Gallimard, 1969. Traduction : Guy Suarès.

Enrique Santos Discépolo 1901 – 1951

Enrique Santos Discépolo (Annemarie Heinrich), années 40.

Cambalache

Que el mundo fue y será una porquería
ya lo sé…
(¡En el quinientos seis
y en el dos mil también!).
Que siempre ha habido chorros,
maquiavelos y estafaos,
contentos y amargaos,
valores y dublé…
Pero que el siglo veinte
es un despliegue
de maldá insolente,
ya no hay quien lo niegue.
Vivimos revolcaos
en un merengue
y en un mismo lodo
todos manoseaos…

¡Hoy resulta que es lo mismo
ser derecho que traidor!…
¡Ignorante, sabio o chorro,
generoso o estafador!
¡Todo es igual!
¡Nada es mejor!
¡Lo mismo un burro
que un gran profesor!
No hay aplazaos
ni escalafón,
los inmorales
nos han igualao.
Si uno vive en la impostura
y otro roba en su ambición,
¡da lo mismo que sea cura,
colchonero, rey de bastos,
caradura o polizón!…

¡Qué falta de respeto, qué atropello
a la razón!
¡Cualquiera es un señor!
¡Cualquiera es un ladrón!
Mezclao con Stavisky va Don Bosco
y “La Mignón”,
Don Chicho y Napoleón,
Carnera y San Martín…
Igual que en la vidriera irrespetuosa
de los cambalaches
se ha mezclao la vida,
y herida por un sable sin remaches
ves llorar la Biblia
contra un calefón…

¡Siglo veinte, cambalache
problemático y febril!…
El que no llora no mama
y el que no afana es un gil!
¡Dale nomás!
¡Dale que va!
¡Que allá en el horno
nos vamo a encontrar!
¡No pienses más,
sentate a un lao,
que a nadie importa
si naciste honrao!
Es lo mismo el que labura
noche y día como un buey,
que el que vive de los otros,
que el que mata, que el que cura
o está fuera de la ley…

Paroles et musique: Enrique Santos Discépolo, 1934.

https://www.youtube.com/watch?v=vH6_jzFlkFg

Buenos Aires. Parque Chacabuco. Santos Discépolo ( 1982, Plaza Enrique Santos Discépolo)

Luis Buñuel – Jean-Claude Carrière

La revue Positif n° 724 (juin 2021) publie un dossier sur l’écrivain et scénariste Jean-Claude Carrière, décédé le 8 février 2021, à 89 ans. Y figurent neuf lettres de Luis Buñuel à son scénariste et une à Louis Malle. Elles sont traduites de l’anglais par Alain Masson, membre du comité de rédaction de la revue et ancien professeur de Lettres au Lycée Janson de Sailly (Paris XVI). Cette correspondance a été publiée en anglais en 2015 et en espagnol en 2018. Elle n’existe pas en français.

Jo Evans – Breixo Viejo. Luis Buñuel. A Life in Letters. Bloomsbury Academic, 2015.

Jo Evans – Breixo Viejo. Luis Buñuel. Correspondencia escogida. Cátedra, Signo e Imagen, 2018.

Jean-Claude Carrière. 2006.

Jean-Claude Carrière fait la connaissance de Luis Buñuel en 1963 au Festival de Cannes. Leur collaboration va durer dix-neuf ans, de 1964 à la mort du réalisateur, le 29 juillet 1983. Les deux hommes travaillent ensemble une première fois pour l’adaptation du roman d’Octave Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre (1964). Le film, avec Jeanne Moreau comme vedette, est le premier que Buñuel réalise en France depuis le classique surréaliste L’Âge d’or (1930).
Carrière et Buñuel vont travailler ensemble sur cinq autres films: Belle de jour (1967), adapté du roman de Joseph Kessel (1928), La voie lactée (1969), Le Charme discret de la bourgeoisie (1972), oscar du meilleur film étranger en 1973, La fantôme de la liberté (1974), Cet obscur objet de désir (1977)

Ils passent de longues périodes ensemble quand ils écrivent leurs scénarios. A Madrid, Buñuel loge à l’hôtel Torre de Madrid, Plaza de España. Ils se retirent souvent dans les environs, à Rascafría au Real Monasterio de Santa María de El Paular dont une partie a été reconvertie en hôtel après la Guerre civile.

On trouve 73 lettres de Buñuel adressées à Carrière et 18 du scénariste. Elles sont conservées à la Filmoteca Española de Madrid. Les lettres de Buñuel sont écrites en français ou en espagnol. La première date du 6 novembre 1965 et concerne le scénario du Moine (d’après Matthew Gregory Lewis). Le film sera tourné en 1972 par Ado Kyrou. La dernière date du 10 avril 1983. C’est peut-être la dernière que Buñuel ait écrite.

México DF, 22 de abril de 1966
Mi querido Jean Claude:
Me hizo ilusión recibir su carta de hace tres meses, como todas las suyas. No respondí porque, después de todo, no había nada que contestar. Así que…discúlpeme.
Tengo una propuesta prácticamente aceptada – increíble – de Robert Hakim a través de CIMURA. Entre nosotros, es un tema absurdo, pero tentador. Puse como condición sine qua non realizar la adaptación en El Escorial con usted, si acepta. Se trata de Belle de jour, de Kessel. Un ensayo sobre putas con espantosos conflictos entre el superyó y el ello. Sería interesante ver lo que podemos sacar de ahí. ¡Ah! Ni pizca de humor, así que mejor para nosotros, para purgarnos un poco de El monje.
Paulette le hablará de ello, pues le he escrito al respecto. Lea el libro antes que nada. Todo lo contrario de lo que pretende el cine moderno: un argumento muy, muy trabado, de una artificialidad muy tentadora.
Un afectuoso abrazo de mi parte a Auguste y a mi sobrinita, su hija, y para usted un gran abrazo.
Luis
P.S. Desde hace ocho meses no hago nada, absolutamente nada. La ociosidad es maravillosa. Nunca cansa.

México DF, 10 de abril de 1983
Muy querido Jean Claude:

Aunque brevemente y con gran dificultad, me lanzo a escribirle a máquina. IMPORTANTE: le ruego que le diga a Laffont que en adelante me envíe únicamenente DOS EJEMPLARES de cada edición que se publique en el extranjero de mi famoso libro. Recibí diez ejemplares de la portuguesa que pensé en quemar, pero que finalmente terminé enviando ocho a la Embajada portuguesa. No se olvide por favor de hablarle.
He pasado dos meses muy malos, pero me voy restableciendo paulatinamente, aunque disto mucho de quedar como antes. La diabetes la tengo completamente controlada gracias a un excelente médico que tengo. Mi campo visual no es malo, pero el foco central de la vista, nulo. De ahí mi dificultad para leer y escribir.
De Serge no tengo noticias, aunque hace seis meses me dijo que me iba a pagar beneficios de mis dos últimos films, que son en los únicos que llevo el 10 por ciento de los beneficios.
Lo veo, como siempre, lleno de actividad. Dichoso usted. Yo ya no salgo de casa, respirando polvo con excrementos, año terrible en México, como nadie ha conocido. Todo está contra este país.
Mucho me alegraré de verlo por aquí si se decide a venir, aunque mis deficiencias físicas y mentales, sobre todo, intenten ahuyentarlo de mi lado.
Besos múltiples para madre e hija, y los que sobren, para usted.
Luis
[PS.] No releo esta carta. Allá va, esté como esté.

  • Joseph Kessel (1898-1979).
  • Roger Hakim (1907-1992), producteur français d’origine égyptienne, codirecteur de Paris Film Production avec son frère Raymond (1909- 1980).
  • Serge Silberman (1917-2003), producteur français d’origine polonaise .Il a fondé la société de production Greenwich Films en 1966.
  • Nicole Janin (1931-2002), peintre sous le pseudonyme d’Augusta Bouy (ou Auguste Bouy), première épouse de Jean-Claude Carrière avec qui il a eu une fille Iris en 1962.
Rascafría (Comunidad de Madrid). Real Monasterio de Santa María de El Paular.

Gustave Flaubert – Ivan Tourgueniev

Gustave Flaubert et Ivan Tourgueniev se rencontrent le 23 février 1863 à Paris, au dîner Magny, où se réunissent auteurs et critiques. Flaubert a 42 ans, Tourgueniev 45. Une amitié se noue entre ces deux géants (1m 85 et 1m 91). Ils s’écriront pendant dix-sept ans. Tourgueniev traduit Trois contes en russe. Il envoie aussi à Flaubert Guerre et Paix de Tolstoï, qui vient d’être traduit en français. Tourgueniev essaie de l’aider à la fin de sa vie. Il intervient auprès de Gambetta pour lui faire obtenir un poste à la Bibliothèque Mazarine, mais en vain.

En juillet 1877, Tourgueniev rapporte à son ami de Russie une très belle robe de chambre.

Flaubert, de Croisset, le remercie le 27 juillet 1877:
« Splendide !
J’en reste béant. Merci ! mon bon cher vieux ! Ça, c’est un cadeau !
Je vous aurais répondu plus vite si le chemin de fer apportait les paquets jusques ici ! Il n’en est rien, ce qui a fait 24 heures de retard, ou peut-être 36. Le chef de gare m’a écrit hier soir seulement.
Ce royal vêtement me plonge dans des rêves d’absolutisme – et de luxure! Je voudrais être tout nu, dedans, – et y abriter des Circassiennes !
– Bien qu’il fasse actuellement un temps d’orage et que j’aie trop chaud, je porte la susdite couverture – en songeant à l’utilité dont elle me sera cet hiver. Franchement vous ne pouviez me faire un plus beau don !
Je prépare la géologie de B. & P. [Bouvard et Pécuchet]. Et lundi je me remets à écrire. Quand j’aurai fini ce chapitre-là je pousserai un beau ouf (…)

PS. Décidément, je succombe sous le poids de votre magnificence. Je vais retirer la robe de chambre.
Quel est son nom indigène ? et sa patrie ? Boukhara, n’est-ce pas ? »

Tourgueniev envoie plus tard à Croisset du saumon et du caviar.

Flaubert lui écrit le 28 décembre 1879:

« Hier soir, j’ai reçu la boîte. Le saumon est magnifique, mais le caviar me fait pousser des cris de volupté.
Quand en mangerons-nous ensemble ? Je voudrais que vous fussiez parti et revenu. Là-bas, au moins, écrivez-moi.
Ce soir, il a l’air de dégeler. Serait-ce vrai ?
Quant au roman de Tolstoï, faites-le remettre chez ma nièce. Commanville me l’apportera.
Tout à vous, mon cher vieux.
Votre VIEUX
vous embrasse

Dimanche soir.

Croisset, Mardi soir 6 janvier 1880

Merci ! Trois fois merci !
Ô S[ain]t Vincent de Paul des Comestibles ! Ma parole d’honneur ! Vous me traitez en bardache ! C’est trop de friandises.
Eh bien, sachez que, le caviar, je le mange à peu près sans pain, comme des confitures.
————————–
Quant au roman, ses trois volumes m’effraient – trois volumes, maintenant, en dehors de mon travail, c’est rude. N’importe, je vais m’y mettre. Comme à la fin de la semaine prochaine je compte avoir terminé mon chapitre (!!!) avant de commencer l’autre, ce sera une distraction.
Quand partez-vous, ou plutôt quand revenez-vous ? C’est bête de s’aimer comme nous faisons et de se voir si peu.
Je vous embrasse.
Votre vieux

Croisset, mercredi 21 janvier 1880.

Deux mots seulement, mon bon cher vieux.
1° Quand partez-vous ? ou plutôt non : quand revenez-vous ? – Êtes-vous moins inquiet sur les conséquences de votre voyage ?
2° Merci de m’avoir fait lire le roman de Tolstoï. C’est de premier ordre ! Quel peintre et quel psychologue ! Les deux premiers volumes sont sublimes. Mais le 3e dégringole affreusement. Il se repète ! et il philosophise ! – Enfin on voit le monsieur, l’auteur, et le Russe, tandis que jusque-là on n’avait vu que la Nature et l’Humanité. – Il me semble qu’il a parfois des choses à la Shakespeare ? – Je poussais des cris d’admiration pendant cette lecture – et elle est longue !
Parlez-moi de l’auteur. Est-ce son premier livre ? En tout cas il a des boules ! Oui ! C’est bien fort ! bien fort!
———————————–
J’ai fini ma Religion et je travaille au plan de mon dernier chapitre : l’éducation.
———————————–
Ma nièce est venue passer ici trois jours pleins. – Elle est repartie ce matin, – Et elle gémit sur l’abandon où la laisse notre grand ami, le grand Tourgueneff
que j’embrasse tendrement.
Son vieux

Flaubert meurt le 8 mai 1880 à 58 ans. Tourgueniev se trouve en Russie. A son retour, C’est lui que Maupassant charge de la publication posthume de Bouvard et Pécuchet. Il collecte aussi de l’argent pour faire ériger un monument à la mémoire de son ami. Il meurt le 3 septembre 1883 à Bougival, à 64 ans

Alphonse Daudet peint ainsi l’union des deux écrivains.
« Il y avait un lien, une affinité de naïve bonté entre ces deux natures géniales. Flaubert, hâbleur, frondeur, Don Quichotte, avec sa voix de trompette aux gardes, la puissante ironie de son observation, ses allures de Normand de la conquête, est bien la moitié virile de ce mariage d’âmes. Mais qui donc, dans cet autre colosse aux sourcils d’étoupe, aux méplats immenses, aurait deviné la femme, cette femme à délicatesses aiguës que Tourgueniev a peinte dans ses livres, cette Russe nerveuse, alanguie, passionnée, endormie comme une Orientale, tragique comme une force en révolte ? »

Datcha d’Ivan Tourgueniev à Bougival, aujourd’hui Musée Ivan-Tourgueniev.

Manuel Bandeira 1886 – 1968

Manuel Bandeira. 1931. (Cândido Portinari 1903-1962)

Desencanto

Eu faço versos como quem chora
De desalento… de desencanto…
Fecha o meu livro, se por agora
Não tens motivo nenhum de pranto.

Meu verso é sangue. Volúpia ardente…
Tristeza esparsa… remorso vão…
Dói-me nas veias. Amargo e quente,
Cai, gota a gota, do coração.

E nestes versos de angústica rouca,
Assim dos lábios a vida corre,
Deixando um acre sabor na boca.

Eu faço versos como quem morre.

Teresópolis, 1912.

As Cinzas das Horas. 1917.

Désenchantement

J’écris des vers comme on pleure
De découragement… de désenchantement…
Ferme mon livre, si ce jour
Tu n’as aucune raison de pleurer.

Mon vers est sang. Volupté ardente…
Tristesse éparse… Remords vain…
Il me brûle les veines. Amer et chaud,
Il coule, goutte à goutte, de mon coeur.

Et dans ces vers de rauque angoisse
Comme des lèvres la vie s’en va,
Laissant une âcre saveur dans la bouche.

– J’écris des vers comme on meurt.

Teresópolis, 1912.

Les cendres des heures.

Manuel Carneiro de Sousa Bandeira Filho est né à Recife (Brésil) le 19 Avril 1886. Il fait des études d’architecture qu’il doit interrompre. Atteint de tuberculose, il part se soigner en juin 1913 dans le sanatorium de Clavadel, en Suisse. Il y fait la connaissance d’Eugène Grindel (Paul Éluard) également en traitement. Une lettre d’Éluard indique que c’est Bandeira qui l’a révélé à lui-même comme poète et non pas le contraire. Étant tuberculeux à une époque où cette maladie était incurable, la poésie devient pour lui une « fatalité ». Ce qu’il ne peut vivre, il le rêve en poésie. On l’a surnommé le saint Jean-Baptiste du modernisme au Brésil. Son premier recueil poétique, Les Cendres des heures (1917), est imprégné par la mélancolie due à la maladie et aux deuils familiaux. En 1921, il fait la connaissance de Mário de Andrade (1893-1945) avec qui il entretient une relation durable. Il devient professeur de littérature au Collège Pedro II en 1938, puis à l’Université de São Paulo en 1943. Il est élu à l’Académie Brésilienne des Lettres en 1940. Il a été aussi critique d’art et traducteur (William Shakespeare, Friedrich Schiller, Bertolt Brecht, E.E. Cummings)
Il meurt le 13 octobre 1968 à Rio de Janeiro.

Manuel Bandeira, Poèmes. Seghers, 1960. Traduction: Luis Annibal Falcao, F.H. Blank-Simon et l’auteur.

Enrique Badosa 1927 – 2021

Enrique Badosa à Salamine.

Le poète, traducteur, éditeur et journaliste Enrique Badosa, né à Barcelone le 21 mars 1927, est décédé dans sa ville natale le 31 mai 2021. il avait 94 ans. Ce poète fait partie des auteurs de la Génération de 1950. Néanmoins, son catholicisme et un certain conservatisme le différenciaient des écrivains de ce groupe. Il est mort très peu de temps après les poètes de la même génération, José Manuel Caballero Bonald et Francisco Brines. Il a traduit Horace, Ramon Llull, Ausiàs March, J.V. Foix (Josep Viçenc), Salvador Espriu, Joan Margarit, mais aussi les Cinq grandes odes de Paul Claudel en 1955.

Salamina

Por esto ha sido escrito el Partenón
con la más bella tinta de la tierra.
Por esto se ha labrado el pensamiento
en la piedra más sabia y perdurable.
Por esto estás hablando en lengua libre.

Salamine

C’est pour cela que le Parthénon a été écrit
avec la plus belle encre de la terre.
C’est pour cela que la pensée a été taillée
dans la pierre la plus sage et la plus durable.
C’est pour cela que tu parles dans une langue libre.

Ce poème, traduit en grec, figure sur un monolithe dans la zone qui commémore la bataille entre les Grecs et les Perses (480 avant J.C.)

“Mi poesía no está más comprometida con el fondo que con la forma porque todo poema exige, siempre, el doble logro entre lo estético y lo conceptual”

Oeuvres
1956 Más allá del tiempo.
1959 Tiempo de esperar, tiempo de esperanza.
1963 Baladas para la paz.
1968 Arte poética.
1970 En román paladino.
1971 Historias en Venecia.
1973 Cuadernos de Ínsulas Extrañas. Poèmes en prose.
1976 Dad este escrito a las llamas.
1979 Mapa de Grecia.
1986 Cuadernos de barlovento.
1989 Epigramas convencionales.
1994 Relación verdadera de un viaje americano.
1998 Marco Aurelio, 14.
2000 Epigramas de la Gaya Ciencia.
2002 Parnaso funerario.
2004 Otra silva de varia lección.
2006 Ya cada día es más noche.
2010 Trivium. Poesía 1956-2010.

2016 Sine tradire. Essai.

“-Una parte fundamental de su producción está relacionada con la idea del viaje. ¿Es el viaje una forma de conocimiento?
-Todo viaje es iniciático por cuanto siempre te lleva no sólo a un lugar lejano, sino a un posible lugar lejano dentro de ti mismo. Por lo tanto, lodo viaje es también un medio o forma de conocimiento. En mi caso, ese autoconocimiento se ha producido siempre, aunque no siempre haya escrito sobre los lugares que he visitado. (Santiago Martínez entrevista a Enrique Badosa .» (La Vanguardia, 14 de marzo de 1998)

Puesto que cada día es más de noche…

Puesto que cada día es más de noche,
vuelve al placer de tus primeros libros,
acaricia las cosas familiares
que sientes extraviadas por cercanas,
recuerda el conversar de tus mayores,
sus gestos que te amparan todavía,
aquel mirar que te enseñaba a ver,
repósate en los nombres con que amaste,
vuelve a tus oraciones cuando niño
y con la sencillez de la confianza
saluda a Dios y espera en su amistad.

Ya cada día es más noche. 2006.

Antonio Porchia 1885-1968

Il y a quelques semaines, Antonio Porchia n’était pour moi qu’un nom. La lecture de Poésie et création de Roberto Juarroz (Librairie José Corti, Collection Ibériques 2010) m’a poussé à rechercher ses textes. En effet, Juarroz disait que c’était le poète dont il se sentait le plus proche:
« Je crois que Porchia est sur la ligne fondamentale où se rejoignent la pensée et l’image, la poésie et la philosophie, dont la séparation artificielle constitue peut-être un de nos plus grands lests ».

«Pour lui la réalité consistait aussi bien à aller acheter des légumes au marché, à travailler dans son jardin, ou à prendre avec des amis un verre de vin, un morceau de fromage ou du salami, qu’à déterminer les ultimes instances du possible et de l’impossible, du réel et de l’irréel. La vie humaine, pour moi, devrait être telle, et non cette chose infime, minuscule, de celui qui se limite à ce qui se trouve à portée de main.»

Antonio Porchia partageait avec ses amis ses aphorismes qu’ils nommaient lui-même, ses Voix.

«Jamás digan que escribo aforismos. Me sentiría humillado»
« Qu’on ne dise jamais que j’écris des aphorismes. Je me sentirais humilié. » (Antonio Porchia)
« L’antipathique de l’aphorisme : celui qui l’énonce sait, ou croit qu’il sait, et donne à entendre qu’il sait (la plupart du temps, avec un excès d’emphase). La poésie ne sait pas. Les meilleurs « aphorismes » ne sont pas tels, ils sont poésie ». (Jorge Reichmann)

Biographie.
Antonio Porchia est né le 13 novembre 1885 à Conflenti, en Calabre. Il est l’aîné d’une famille modeste et nombreuse (quatre garçons, trois filles). Son père, Francisco Porchia, meurt en 1900. Antonio abandonne alors ses études pour subvenir aux besoins de sa famille. En 1906, celle-ci émigre en Argentine et s’installe dans le quartier de Barracas, puis à San Telmo. Antonio exerce de nombreux métiers manuels, puis s’établit comme typographe. Avec son frère Nicolás, il ouvre un petit atelier. Il y travaille de 1918 à 1936. Il fréquente les milieux anarchisants. Il publie la première édition de Voces en 1943 (près de trois cents aphorismes, très brefs). Une seconde édition, augmentée, paraît en 1948. Il ne s’est jamais marié, n’a jamais voyagé. Le succès rencontré par son livre le met en relation avec certains écrivains étrangers. Roger Caillois, hébergé par Victoria Ocampo pendant le seconde guerre mondiale et membre du comité de rédaction de la revue Sur, lit la première édition de Voces. Il est son premier traducteur en français. Porchia vit toujours dans un certain dénuement dans la banlieue de Buenos Aires. Il meurt le 9 novembre 1968 à Vicente López (Buenos Aires) à 83 ans. Quelque temps auparavant, il a enregistré certains de ses aphorismes pour une station de radio locale, qui les diffuse en fin de soirée, à raison d’un poème chaque soir.
Des auteurs comme André Breton, Jorge Luis Borges, Alejandra Pizarnik et Henry Miller ont reconnu son importance.
Principales éditions espagnoles :
Voces. Editorial Impulso, 1943.
Voces. Editorial Impulso, 1948.
Voces. Editorial Sudamericana, 1956.
Voces, augmentées de Nuevas voces. Sélection. Hachette (Argentine)1966.
Voces reunidas. Pre-Textos. Valence, Espagne, 2006. Alción, 2006. Argentine.

Editions françaises :
Voix, Paris, collection G.L.M 1949. Traduction : Roger Caillois. Voix et autres voix. Fata Morgana, 1992.
Voix, suivi de Autres voix. Traduction : Roger Munier. Fayard, collection Documents spirituels. 1978.
Voix inédites. 1986. Éditions Unes. Bilingue. Traduction : Roger Munier.
Voix abandonnées. 1991. Bilingue. Traduction : Fernand Verhesen, Éditions Unes.
Voix réunies. Éditions Erès, collection Po&Psy in Extenso 2013, 1190 pages. Bilingue. Traduction: Danièle Fougeras. 1182 voix.

Voces

Antes de recorrer mi camino yo era mi camino.

Avant de parcourir mon chemin, j’étais mon chemin.

Creo que nos habitamos unos a otros, pero no habitados. Porque no podríamos habitarnos unos a otros, habitados.
Je pense que nous nous habitons les uns les autres, mais pas habités. Parce que nous ne pourrions pas nous habiter les uns les autres, habités.

Cuando creo entender un poco qué es la vida, la vida no es ni un misterio.
Quand je crois comprendre un peu ce qu’est la vie, la vie cesse d’être un mystère.

Cuando tú y la verdad me hablan, no escucho a la verdad. Te escucho a ti.

Quand toi et la vérité me parlent, je n’écoute pas la vérité. Je t’écoute toi.

Cuando yo muera, no me veré morir, por primera vez.
Quand je mourrai, je ne me verrai pas mourir, pour la première fois.

El dolor no nos sigue: camina adelante.
La douleur ne nous suit pas: elle marche en avant.

Éramos yo y el mar. Y el mar estaba solo y solo yo. Uno de los dos faltaba.

Nous y étions, la mer et moi.. Et la mer était seule, et moi, j’étais seul. Un de nous manquait.

Estar en compañía no es estar con alguien, sino estar en alguien.
Être en compagnie, ce n’est pas être avec quelqu’un mais être en quelqu’un.

La estrella y el insecto. Nada más. Para la estrella el insecto y para el insecto la estrella. Y nadie quiere ser el insecto. ¡Qué extraordinario!
L’étoile et l’insecte. Rien d’autre. Pour l’étoile, l’insecte et pour l’insecte l’étoile. Et personne ne veut être l’insecte. Comme c’est extraordinaire !

Las heridas son nidos de flores.
Les blessures sont des nids de fleurs.

Más llanto que llorar es ver llorar.
Plus pleurs que pleurer c’est voir pleurer.

Muchas palabras, montañas de palabras. Y amar es una sola palabra. ¡Qué poco es amar!
Beaucoup de mots, des montagnes de mots. Et aimer est un seul mot. Que c’est peu de chose, aimer !

No me hables. Quiero estar contigo.
Ne me parle pas. Je veux être avec toi.

Quisieras poder detenerte, para detenerte en algo. Pero ¿hay algo que puede detenerse, para detenerte en algo?
Tu voudrais pouvoir t’arrêter, pour t’arrêter dans quelque chose. Mais y a-t-il quelque chose qui puisse s’arrêter, pour que tu t’arrêtes dans quelque chose ?

Saber morir cuesta la vida.

Savoir mourir nous coûte la vie.

Ser es obligarse a ser. Y obligarse a ser es obligarse a ser. No es ser.
Être, c’est s’obliger à être. Et s’obliger à être, c’est s’obliger à être. Ce n’est pas être.

Se vive con la esperanza de llegar a ser un recuerdo.

On vit avec l’espérance d’arriver à être un souvenir.

Si crees que no tienes nada para ofrecer, a nadie, creo que no deseas ver a nadie.
Si tu crois que tu n’as rien à offrir, à personne, je crois que tu ne désires voir personne.

Si no levantas los ojos, creerás que eres el punto más alto.

Si tu ne lèves pas tes yeux, tu croiras être le point le plus haut.

Sólo quien vive muriendo puede resolver sus problemas.
Seul celui qui vit en mourant peut résoudre ses problèmes.

Tenemos un mundo para cada uno, pero no tenemos un mundo para todos.

Nous avons un monde pour chacun, mais nous n’avons pas un monde pour tous.

Uno siempre puede sentir lo que es a veces, no lo que siempre es.

On peut sentir ce qui est parfois, pas ce qui est toujours.

Vemos hombres y hombres y hombres casi siempre, y sólo alguna vez vemos un hombre.
Nous voyons des hommes et des hommes et des hommes presque tout le temps, et quelquefois seulement nous voyons un homme.

Bob Dylan – José Emilio Pacheco

Bob Dylan.

Poeta con guitarra (José Emilio Pacheco)

A la muerte de Faulkner —dice Thomas Meehan en el «New York Times»— los críticos se dieron a buscar quién podría reemplazarlo como primer escritor de Norteamérica. Robert Lowell, Saul Bellow y Norman Mailer llegaron a finales. Pero a fines del año pasado un grupo de estudiantes afirmó que el único escritor contemporáneo a quien admiran es Bob Dylan (24 años), cantante y compositor cuyas creaciones de protesta social y personal hablan de las cosas que preocupan a los más jóvenes. “La angustia de «Herzog» [novela de Saul Bellow] nos tiene sin cuidado, así como las fantasías privadas de Norman Mailer. Lo que nos importa es la amenaza de una guerra nuclear, el movimiento en pro de los derechos civiles, la creciente plaga de conformismo, deshonestidad e hipocresía en los Estados Unidos, especialmente en Washington. Y Bob Dylan es el único que trata esos temas en una forma que tiene sentido para nosotros. Como poesía moderna creemos que sus canciones poseen gran calidad literaria. Estética y socialmente, cualesquiera de ellas —”A hard rain’s gonna fall”, por ejemplo— nos interesa más que todo un libro de Lowell.”
Naturalmente, las opiniones no alcanzan unanimidad. Un estudiante de Harvard considera “absurdo” tomar en serio la literatura de Dylan. El hecho es que Bob se ha convertido en gran personaje de la canción norteamericana, ídolo adolescente, símbolo generacional. Su aspecto es el de un beatnik con mayúscula. Parece una combinación de Harpo Marx, Carol Burnett y la juventud de Beethoven. Canta acompañándose con la guitarra o en dúo con Joan Baez y entre estrofa y estrofa, toca la armónica.
Hijo de un farmacéutico, Bob Zimmerman nació en 1941 cerca de la frontera canadiense. Su admiración por el gran poeta pre-beatnik Dylan Thomas lo hizo adoptar su nombre. A los quince años compuso su primera “folk song”, una balada de amor en homenaje a la perdurable Brigitte Bardot. En 1962 accedió a la celebridad con “Blowin’ in the wind”, himno del movimiento pro derechos civiles, entre otras canciones antibélicas y de protesta contra las injusticias sociales. Acaso Bob Dylan ha sido la influencia decisiva en la inesperada radicalización de los jóvenes y su noble rebeldía contra el racismo y la guerra en Vietnam.
Basta lo anterior para hacer admirable a Bob Dylan, para considerar seriamente sus canciones. Si el prestigio de Dylan radica más en sus letras que en sus melodías, como estilista Bob es un tanto anacrónico a juicio de sus críticos: recuerda el pseudolirismo, social de los años 30. En 1937 Clifford Odets o Maxwell Anderson pudieron haber escrito los versos de “Masters of war”, la más célebre composición antibélica de Dylan. Nadie niega que se trata de un joven de extraordinaria inteligencia y sensibilidad que además ha leído muchísimo, sobre todo poesía · clásica y moderna. Quizá su fascinación sobre los jóvenes (y los ya no tan jóvenes) radica en su altivo desafío a toda autoridad e hipocresía cotidiana. La gente “seria” lo desprecia, lo inscribe en la cultura pop y asegura que con las modas de 1966 será borrado. Los poetas, en cambio, lo aceptan y ven un signo positivo en que Bob Dylan haya puesto la poesia a la intemperie y al alcance de todos. El arte popular ha coexistido siempre con el otro. La elevación del gusto de las masas favorece el surgimiento de una gran poesia, etcétera. Mientras tanto, una canción anti-intelectualista de Bob Dylan (por consiguiente muy de acuerdo con nuestra época), “The times they are a-changin”, se ha convertido en una especie de himno subversivo de la joven generación. Nada impide que la poesia termine por donde comenzó: Bob Dylan puede ser el mero Homero de nuestros sesenta. ~

La Cultura en México, n° 205, 19 de enero de 1966, p. XVIII.

José Emilio Pacheco.