Fina García Marruz

Cintio Vitier – Fina García Marruz. 1997 (Consuelo Bautista).

Fina García Marruz (Josefina García-Marruz Badía), poétesse et essayiste cubaine, est décédée à 99 ans le 27 juin 2022 à La Havane. Elle était née dans cette même ville le 28 avril 1923. Elle faisait partie du groupe de poètes de la mythique revue Orígenes (40 numéros de 1944 à 1956), créée et dirigée par José Lezama Lima qui a réinventé le baroque dans la littérature contemporaine de langue espagnole.

Cette génération (Gastón Baquero, 1914-1997, Eliseo Diego, son beau-frère, 1920-1994, Cintio Vitier, son mari, 1921-2009) a été marquée par des écrivains espagnols tels que Juan Ramón Jiménez, Federico García Lorca et María Zambrano.

Une partie de ces écrivains cubains se sont opposés au régime de Fidel Castro. Elle et son mari s’en sont accommodés plus ou moins.

L’œuvre de Fina García Marruz est marquée par une spiritualité catholique, associée à un ton quotidien et intime.

Elle a fait des études supérieures et obtenu son doctorat en sciences sociales à l’université de La Havane en 1961. À partir de 1962, elle est chercheuse littéraire à la Bibliothèque nationale José-Martí de Cuba. Puis, de 1977 à 1987, elle travaille au Centro de Estudios Martianos. Elle est membre de l’équipe chargée de l’édition critique des Œuvres complètes du poète et père de l’indépendance de l’île au XIX siècle.

Elle a reçu notamment le prix national de littérature en 1990, le prix chilien Pablo Neruda de poésie ibéro-américaine en 2007, le prix Reina Sofía de poésie ibéro-américaine en 2011, le prix Ciudad de Granada Federico García Lorca la même année.

Principales œuvres :

Poésie
Las miradas perdidas. 1944-1950. Ucar García, La Havane, 1951.
Visitaciones. Unión Nacional de Escritores y Artistas de Cuba, La Habana, 1970.
Viaje a Nicaragua (avec Cintio Vitier). Letras Cubanas, La Habana, 1987.
Créditos de Charlot. Ediciones Vigía de la Casa del Escritor, Matanzas, 1990.
Habana del centro. La Havane, 1997.
El instante raro. Pre-Textos, Valence, 2010.

Essais

La familia de “Orígenes”. La Havane, 1997.

Darío, Martí y lo germinal americano. Ediciones Unión. La Havane, 2001.

Juana Borrero y otros ensayos, 14 textos. La isla infinita, 2011.

Ama la superficie casta y triste

Sé el que eres (Píndaro)

Ama la superficie casta y triste.
Lo profundo es lo que se manifiesta.
La playa lila, el traje aquel, la fiesta
pobre y dichosa de lo que ahora existe

Sé el que eres, que es ser el que tú eras,
al ayer, no al mañana, el tiempo insiste,
sé sabiendo que cuando nada seas
de ti se ha de quedar lo que quisiste.

No mira Dios al que tú sabes que eres
– la luz es ilusión, también locura –
sino la imagen tuya que prefieres,

que lo que amas torna valedera,
y puesto que es así, sólo procura
que tu máscara sea verdadera.

Cuando el tiempo ya es ido

Cuando el tiempo ya es ido, uno retorna
como a la casa de la infancia, a algunos
días, rostros, sucesos que supieron
recorrer el camino de nuestro corazón.
Vuelven de nuevo los cansados pasos
cada vez más sencillos y más lentos,
al mismo día, el mismo amigo, el mismo
viejo sol. Y queremos contar la maravilla
ciega para los otros, a nuestros ojos clara,
en donde la memoria ha detenido
como un pintor, un gesto de la mano,
una sonrisa, un modo breve de saludar.
Pues poco a poco el mundo se vuelve impenetrable,
los ojos no comprenden, la mano ya no toca
el alimento innombrable, lo real.

Yo quiero ver

Yo quiero ver la tarde conocida,
el parque aquel que vimos tantas veces.
Yo quiero oír la música ya oída
en la sala nocturna que me mece
el tiempo más veraz. Oh qué futuro
en ti brilla más fiel y esplendoroso,
qué posibilidades en tu hojoso
jardín caído, infancia, falso muro.
¡Sustancia venidera de la oscura
tarde que fue! ¡Oh instante, astro velado!
Te quiero, ayer, mas sin nostalgia impura,
no por amor al polvo de mi vida,
sino porque tan sólo tú, pasado,
me entrarás en la luz desconocida.

Habana del Centro, 1997.

 

El concurso de cante jondo de 1922

Affiche du premier Concurso de Cante Jondo, canto primitivo andaluz, Grenade, 1922 ( Manuel Ángeles Ortiz y Hermenegildo Lanz ).

En 1922, Manuel de Falla, qui vit à Grenade depuis deux ans, met sur pied, avec certains de ses amis , un événement musical exceptionnel. Il s’agit de sauver le chant primitif andalou (el cante jondo) qui était en train de disparaître en même temps que les vieux cantaores. Il était aussi menacé par la dérive commerciale de certaines tavernes.

Le 13 et le 14 juin 1922 a lieu sur la Place de los Aljibes de l’Alhambra un concours, ouvert seulement aux amateurs. Les prix s’élèvent à 8.500 pesetas. Selon l’idée un peu naïve de Falla, il va permettre de sauver cette musique pure et primitive.

Parmi les participants se trouvent Ignacio Zuloaga, Miguel Cerón Rubio, Manuel Ángeles Ortiz, Ramón Gómez de la Serna, Santiago Rusiñol et Federico García Lorca. Ce dernier lit sa conférence Importancia histórica y artística del primitivo canto andaluz, llamado cante jondo qu’il avait déjà présenté une première fois au Centre Artistique de Grenade le 19 février 1922. Il publiera en 1931 son recueil Poema del cante jondo dont les poèmes ont été rédigés en 1921. Tous ont dans l’idée de protéger cette musique populaire et pensent que le cante jondo peut être source de création innovante.

Pastora Pavón “La Niña de los Peines”, Antonio Chacón, Ramón Montoya, La Gazpacha, Manolo Caracol (Manuel Ortega Juárez), Manuel Torre sont présents. C’est Diego Bermúdez Cala “El Tenazas de Morón” qui remporte la plus haute récompense.

“Ce furent de grandes journées au cours desquelles non seulement des intellectuels de tout le pays, mais aussi des personnalités de grande influence dans la culture européenne se sont réunis dans la ville pour exalter et ennoblir la richesse de l’art flamenco et lui donner la visibilité et la valeur nécessaires pour promouvoir sa conservation et mettre une si belle manifestation culturelle au même niveau que les autres arts reconnus comme tels”.

L’historien Maurice Legendre (1878-1955), un des initiateurs de l’hispanisme, ami de Miguel de Unamuno et proche de Manuel Falla, declare dans la revue catholique Le Correspondant du 10 juillet 1922 : “Ahora podemos decir que el canto hondo de España está salvado. El gramófono ha grabado lo que nuestra notación musical no puede captar”.

Banquet du 16 juin 1922 dans les locaux de la Asociación de Periodistas de Granada.

Raymond Carver

Raymond Carver est né Le 25 mai 1938 à Clatskanie (Oregon). Il est mort le 2 août 1888 à Port Angeles (état de Washington) d’un cancer du poumon. « Je souhaite que, sur ma tombe, on grave les mots “Poète, nouvelliste, essayiste”, dans cet ordre précis », a-t-il dit. La poésie occupe une place fondamentale dans son œuvre.

Rain

Woke up this morning with
a terrific urge to lie in bed all day
And read. Fought against it for a minute.

Then looked out the window at the rain.
And gave over. Put myself entirely
in the keep of this rainy morning.

Would I live my life over gain?
Make the same unforgivable mistakes?
Yes, given half a chance. Yes.

Where Water comes Together with Other Water, 1985.

Pluie

Me suis réveillé ce matin avec
un besoin terrible de passer la journée au plumard
à lire. Y ai résisté une minute.

Puis j’ai regardé par la fenêtre la pluie.
Et abandonné. Me suis entièrement confié
à la garde de ce matin pluvieux.

Est-ce que je revivrais ma vie ?
Commettrais-je les mêmes erreurs impardonnables ?
Oui, à la moindre occasion. Oui.

Oeuvres complètes 9. Poésie. Traduction: Jacqueline Huet, Jean-Pierre Carasso et Emmanuel Moses.

Juan Rulfo

Autoportrait de Juan Rulfo. Années 40.

Juan Rulfo (Juan Nepomuceno Carlos Pérez Rulfo Vizcaíno) est né à Apulco, district de Sayula ( état de Jalisco), le 16 mai 1917.

Enfant, il a assisté à la très violente Guerre des Cristeros (Cristiada, 1926-1929). Son père fut assassiné en juin 1923 et sa mère est morte peu après, en novembre 1927. Il se retrouve orphelin à 10 ans.

Cet écrivain mexicain est célèbre pour son recueil de nouvelles El Llano en llamas (1953) et son roman Pedro Páramo (1955). Son influence a été essentielle sur les écrivains latino-américains du XX ème siècle.

Jorge Luis Borges a dit : ” Pedro Páramo es una de las mejores novelas de las literaturas de lengua hispánica, y aun de toda la literatura. ” Gabriel García Márquez a raconté ainsi sa découverte de cet auteur : « Álvaro Mutis subió a grandes zancadas los siete pisos de mi casa con un paquete de libros, separó del montón el más pequeño y corto, y me dijo muerto de risa: ¡Lea esa vaina, carajo, para que aprenda! Era Pedro Páramo. Aquella noche no pude dormir mientras no terminé la segunda lectura. Nunca, desde la noche tremenda en que leí la Metamorfosis de Kafka en una lúgubre pensión de estudiantes de Bogotá —casi diez años atrás— había sufrido una conmoción semejante. Al día siguiente leí El llano en llamas, y el asombro permaneció intacto. » (Breves nostalgias sobre Juan Rulfo in Juan Rulfo. Toda la obra. Archivos, CSIC, Madrid, 1992.)

C’était aussi un excellent photographe. Il a également été scénariste et adaptateur pour le cinéma et la télévision. À partir de 1962 il a travaillé à l’Instituto indigenista de Mexico, organisation au service des communautés primitives indiennes dont il a dirigé ensuite le département éditorial.

Il est mort à Mexico le 8 janvier 1986.

Juan Rulfo, Pedro Páramo.

“No lo sé, Juan Preciado. Hacía tantos años que no alzaba la cara, que se me olvidó el cielo. Y aunque lo hubiera hecho, ¿qué habría ganado? El cielo está tan alto, y mis ojos tan sin mirada, que vivía contenta con saber dónde quedaba la tierra. ”

« Je n’en sais rien, Juan Preciado ; je n’ai plus levé la tête depuis tant d’années que j’ai oublié le ciel. D’ailleurs, si je l’avais fait, qu’y aurais-je gagné ? Le ciel était si haut et ma vue si basse que je m’estimais déjà heureuse de savoir où se trouvait la terre. »

Voir sur ce blog:

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/10/02/juan-rulfo-1917-1986-3/

Juan Rulfo, Clocher devant Zempoaltépetl (Oaxaca) 1955.

Guernica – Pablo Picasso – Paul Éluard

Guernica, 1937.

Le lundi 26 avril 1937, jour de marché, a lieu une attaque aérienne contre la petite ville de Guernica, capitale sprituelle du Pays basque . Sous le nom de code opération Rügen, 44 avions de la Légion Condor allemande nazie et 13 avions de l’Aviation Légionnaire italienne fasciste procèdent au bombardement de la ville . L’attaque commence à 16 h 30, aux bombes explosives puis à la mitrailleuse pendant plus de trois heures. Après avoir lâché quelque cinquante tonnes de bombes incendiaires, les derniers avions quittent le ciel de Guernica vers 19 h 45. Après le bombardement, un cinquième de la ville est en flammes. Le feu se propage au deux tiers des habitations. Le gouvernement basque fait état de 1 654 morts et 889 blessés.  Il s’agit du premier raid de l’histoire de l’aviation militaire moderne sur une population civile sans défense. La contre-propagande fasciste a accusé les habitants d’avoir eux-mêmes fomenté cette opération. Aujourd’hui encore, des militants du parti fasciste espagnol Vox nie les faits.

Pablo Picasso a réalisé, dans son atelier de la rue des Grands-Augustins à Paris, son plus célèbre tableau (349,31 × 776,61 cm) du 1 mai au 4 juin 1937. Il l’ a exposé à l’Exposition internationale de Paris du 12 juillet 1937 à la fin de l’année 1937. Il s’agissait d’un commande du gouvernement de la République espagnole.

Le tableau a été conservé au MoMa de New York pendant la dictature franquiste. Il a été transféré en Espagne le 11 septembre 1981 et installé dans le Casón del Buen Retiro à Madrid. Il est alors protégé par des vitres anti-balles et par la Garde civile. Depuis 1992, le tableau est exposé au Musée national centre d’art Reina Sofía. Depuis 1995, il n’y a plus de vitres anti-balles.

L’amitié entre Paul Éluard et Pablo Picasso a été très forte entre 1935 et 1952, date de la mort du poète.

La victoire de Guernica (Paul Éluard)

I
Beau monde des masures
De la nuit et des champs

II
Visages bons au feu visages bons au fond
Aux refus à la nuit aux injures aux coups

III
Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d’exemple

IV
La mort cœur renversé

V
Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l’eau le sommeil
Et la misère
De votre vie

VI
Ils disaient désirer la bonne intelligence
Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
Faisaient l’aumône partageaient un sou en deux
Ils saluaient les cadavres
Ils s’accablaient de politesses

VII
Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde

VIII
Les femmes les enfants ont le même trésor
De feuilles vertes de printemps et de lait pur
Et de durée
Dans leurs yeux purs

IX
Les femmes les enfants ont le même trésor
Dans les yeux
Les hommes le défendent comme ils peuvent

X

Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre son sang

XI
La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile

XII
Hommes pour qui ce trésor fut chanté
Hommes pour qui ce trésor fut gâché

XIII
Hommes réels pour qui le désespoir
Alimente le feu dévorant de l’espoir
Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l’avenir

XIV
Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison.

Cours naturel, 1938.

Paul Éluard – Pablo Picasso, Juan-les-Pins. Septembre 1937. (Eileen Agar)

Sant Jordi – Día del libro – Federico García Lorca

Barcelona. Casa Batlló (Antoni Gaudí). 1904-1906.

23 avril : sant Jordi. Día del Libro.

Discurso de Federico García Lorca en la inauguración de la biblioteca de su pueblo, Fuentevaqueros (septiembre de 1931).

” Cuando alguien va al teatro, a un concierto o a una fiesta de cualquier índole que sea, si la fiesta es de su agrado, recuerda inmediatamente y lamenta que las personas que él quiere no se encuentren allí. «Lo que le gustaría esto a mi hermana, a mi padre», piensa, y no goza ya del espectáculo sino a través de una leve melancolía. Ésta es la melancolía que yo siento, no por la gente de mi casa, que sería pequeño y ruin, sino por todas las criaturas que por falta de medios y por desgracia suya no gozan del supremo bien de la belleza que es vida y es bondad y es serenidad y es pasión.

Por eso no tengo nunca un libro, porque regalo cuantos compro, que son infinitos, y por eso estoy aquí honrado y contento de inaugurar esta biblioteca del pueblo, la primera seguramente en toda la provincia de Granada.

No sólo de pan vive el hombre. Yo, si tuviera hambre y estuviera desvalido en la calle no pediría un pan; sino que pediría medio pan y un libro. Y yo ataco desde aquí violentamente a los que solamente hablan de reivindicaciones económicas sin nombrar jamás las reivindicaciones culturales que es lo que los pueblos piden a gritos. Bien está que todos los hombres coman, pero que todos los hombres sepan. Que gocen todos los frutos del espíritu humano porque lo contrario es convertirlos en máquinas al servicio de Estado, es convertirlos en esclavos de una terrible organización social.

Yo tengo mucha más lástima de un hombre que quiere saber y no puede, que de un hambriento. Porque un hambriento puede calmar su hambre fácilmente con un pedazo de pan o con unas frutas, pero un hombre que tiene ansia de saber y no tiene medios, sufre una terrible agonía porque son libros, libros, muchos libros los que necesita y ¿dónde están esos libros?

¡Libros! ¡Libros! Hace aquí una palabra mágica que equivale a decir: «amor, amor», y que debían los pueblos pedir como piden pan o como anhelan la lluvia para sus sementeras. Cuando el insigne escritor ruso Fedor Dostoyevsky, padre de la revolución rusa mucho más que Lenin, estaba prisionero en la Siberia, alejado del mundo, entre cuatro paredes y cercado por desoladas llanuras de nieve infinita; y pedía socorro en carta a su lejana familia, sólo decía: «¡Enviadme libros, libros, muchos libros para que mi alma no muera!». Tenía frío y no pedía fuego, tenía terrible sed y no pedía agua: pedía libros, es decir, horizontes, es decir, escaleras para subir la cumbre del espíritu y del corazón. Porque la agonía física, biológica, natural, de un cuerpo por hambre, sed o frío, dura poco, muy poco, pero la agonía del alma insatisfecha dura toda la vida.

Ya ha dicho el gran Menéndez Pidal, uno de los sabios más verdaderos de Europa, que el lema de la República debe ser: «Cultura». Cultura porque sólo a través de ella se pueden resolver los problemas en que hoy se debate el pueblo lleno de fe, pero falto de luz.”

Merci à Rosa Mari Gabriel. Tarragona.

Discours de Federico Garcia Lorca lors de l’inauguration de la bibliothèque de Fuente Vaqueros, sa ville natale. (Septembre 1931)

« Quand quelqu’un va au théâtre, à un concert ou à une fête quelle qu’elle soit, si le spectacle lui plaît il évoque tout de suite ses proches absents et s’en désole : « Comme cela plairait à ma soeur, à mon père ! » pensera-t-il et il ne profitera dès lors du spectacle qu’avec une légère mélancolie. C’est cette mélancolie que je ressens, non pour les membres de ma famille, ce qui serait mesquin, mais pour tous les êtres qui, par manque de moyens et à cause de leur propre malheur ne profitent pas du suprême bien qu’est la beauté, la beauté qui est vie, bonté, sérénité et passion.

C’est pour cela que je n’ai jamais de livres. A peine en ai-je acheté un, que je l’offre. j’en ai donné une infinité. Et c’est pour cela que c’est un honneur pour moi d’être ici, heureux d’inaugurer cette bibliothèque du peuple, la première sûrement de toute la province de Grenade.

L’homme ne vit pas que de pain. Moi si j’avais faim et me trouvais démuni dans la rue, je ne demanderais pas un pain mais un demi-pain et un livre. Et depuis ce lieu où nous sommes, j’attaque violemment ceux qui ne parlent que revendications économiques sans jamais parler de revendications culturelles : ce sont celles-ci que les peuples réclament à grands cris. Que tous les hommes mangent est une bonne chose, mais il faut que tous les hommes accèdent au savoir, qu’ils profitent de tous les fruits de l’esprit humain car le contraire reviendrait à les transformer en machines au service de l’état, à les transformer en esclaves d’une terrible organisation de la société.

J’ai beaucoup plus de peine pour un homme qui veut accéder au savoir et ne le peut pas que pour un homme qui a faim. Parce qu’un homme qui a faim peut calmer facilement sa faim avec un morceau de pain ou des fruits. Mais un homme qui a soif d’apprendre et n’en a pas les moyens souffre d’une terrible agonie parce que c’est de livres, de livres, de beaucoup de livres dont il a besoin, et où sont ces livres ?

Des livres ! Des livres ! Voilà un mot magique qui équivaut à clamer: « Amour, amour », et que devraient demander les peuples tout comme ils demandent du pain ou désirent la pluie pour leur semis. Quand le célèbre écrivain russe Fédor Dostoïevski, père de la révolution russe bien davantage que Lénine, était prisonnier en Sibérie, retranché du monde, entre quatre murs, cerné par les plaines désolées, enneigées, il demandait secours par courrier à sa famille éloignée, ne disant que : « Envoyez-moi des livres, des livres, beaucoup de livres pour que mon âme ne meure pas ! ». Il avait froid ; ne demandait pas le feu, il avait une terrible soif, ne demandait pas d’eau, il demandait des livres, c’est-à-dire des horizons, c’est-à-dire des marches pour gravir la cime de l’esprit et du coeur. Parce que l’agonie physique, biologique, naturelle d’un corps, à cause de la faim, de la soif ou du froid, dure peu, très peu, mais l’agonie de l’âme insatisfaite dure toute la vie.

Le grand Menéndez Pidal, l’un des véritables plus grands sages d’Europe, , l’a déjà dit : « La devise de la République doit être la culture ». La culture, parce que ce n’est qu’à travers elle que peuvent se résoudre les problèmes auxquels se confronte aujourd’hui le peuple plein de foi mais privé de lumière. N’oubliez pas que l’origine de tout est la lumière. »

José Hierro 1922-2002

Retrato de José Hierro (Rafael Cidoncha). 1998. Biblioteca Nacional de España.

Le poète espagnol José Hierro aurait eu 100 ans hier. Il est né le 3 avril 1922 à Madrid, mais a passé son enfance et son adolescence à Santander. Il a toujours eu la passion de la mer et a gardé un lien très fort avec sa région d’origine, Cantabria. Il doit abandonner ses études au début de la Guerre Civile. Son père, Joaquín Hierro, fonctionnaire du télégraphe, est emprisonné de 1937 à 1941. Lui-même se retrouve en prison pour avoir donné son appui à une organisation d’aide aux prisonniers politiques. Il est jugé deux fois et condamné à douze ans et un jour de réclusion. Il connaîtra les prisons de Madrid (Comendadoras, Torrijos, Porlier), Palencia, Santander, Segovia et Alcalá de Henares.

Son expérience poétique part de l’expérience extrême de l’après-guerre civile et de la prison. Ses maîtres sont Lope de Vega, San Juan de la Cruz, Rubén Darío et Juan Ramón Jiménez. Il donnera le prénom de ce dernier à un de ses fils. Il a aussi beaucoup lu les poètes de la Génération de 1927 ainsi que Baudelaire, Mallarmé et Paul Valéry.

Á sa sortie de prison le premier janvier 1944, José Hierro occupe de nombreux emplois alimentaires. Il épouse en 1949 María de los Ángeles Torres (décédée le 17 juin 2020). Ils auront quatre enfants.

Il obtient en Espagne les plus importants prix littéraires :
1947 Premio Adonáis (Alegría).
1981 Premio Príncipe de Asturias de las Letras.
1995 Premio Reina Sofía de Poesía Iberoamericana
1998 Premio Cervantes, le plus prestigieux de la littérature hispanique.

Il devient membre de la Real Academia Española en 1999.

Son recueil Cuaderno de Nueva York (Le Cahier de New York), publié en 1998 et qui regroupe trente trois poèmes, devient en Espagne un véritable best-seller.

Il meurt le 21 décembre 2002 dans un hôpital madrilène à l’âge de 80 ans d’une insuffisance respiratoire.

La critique espagnole lui rend un hommage unanime.

L’oeuvre de José Hierro est peu traduite en français.

1951 Poèmes (Pierre Seghers). Traduction Roger Noël-Mayer
2014 Tout ce que je sais de moi (Circé). Traduction Emmanuel Le Vagueresse.

Je me souviens d’avoir croisé le vieux poète au visage buriné à Madrid, Paseo de Recoletos, dans les années 1990-2000. Il marchait encore avec une grande vitalité.

El encuentro (José Hierro)

A Rafael Alberti

Diré un día: bienvenido
a la casa. Esta es tu lumbre.
Bebe en tu copa de vino,
mira el cielo, parte el pan.
Cuánto has tardado. Anduviste
bajo las constelaciones
del Sur, navegaste ríos
de son diferente. Cuánto
duró tu viaje. Te noto
cansado. No me preguntes.
Da de comer a tus perros,
oye la canción del álamo.
No me preguntes por nada,
no me preguntes.

Si hablase,
llorarías. Si enfrentases
tus espectros al espejo,
seguro que no verías
imágenes reflejadas.
Lo vivo lejano ha muerto:
lo mató el tiempo. Tú solo
puedes enterrarlo. Dale
tierra mañana, después de
descansar. Bienvenido
a tu casa. No preguntes
nada. Mañana hablaremos.

Libro de las alucinaciones, 1964.

La Rencontre

A Rafael Alberti

Un jour je dirai : bienvenue
à la maison. Voici ton feu.
Bois ton vin dans ton verre,
Regarde le ciel, romps le pain.
Comme tu as été long. Tu as erré
sous les constellations
du Sud, navigué sur les fleuves
aux sonorités multiples. Que
ton voyage a été long. Je te trouve
fatigué. Ne me demande rien.
Donne à manger à tes chiens,
entends la chanson du peuplier.
Ne me pose aucune question,
ne me demande rien.

Si je parlais,
tu pleurerais. Si tu mettais
tes spectres face au miroir,
tu ne verrais sans doute
aucune image reflétée.
La vie lointaine est morte :
le temps l’a tuée. Toi seul
peux l’enterrer. Jettes-y
de la terre demain, quand
tu te seras reposé. Bienvenue
chez toi. Ne demande
rien. Demain nous parlerons.

Traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.

Lamentación

Hemos tenido tantas cosas
que decir, y no se dijeron!

Prodigiosas palabras jóvenes
para herir los oídos viejos.
Maravillosas melodías,
cantos inéditos.
Hemos cantado todos juntos
y hemos llorado en el silencio.
Aprendimos muy dura ciencia
a costa de los propios sueños.

¡Hemos tenido tantas cosas
que decir, y no se dijeron!
¡Hemos salvado tan alegres
los sombríos presentimientos!
Hemos amado cada tallo,
cada frío harapo de invierno,
cada gota de madrugada
con tan loca avidez, sabiendo
que éramos carne de una fábula
que alguien vivía en el misterio!
Tan hermosas canciones! Ráfagas
tan ardientes que nos hirieron.

Música de astros interiores
que nacían en nuestro reino.
Flautas tañidas, en la tarde,
por las manos vagas del sueño.
¡Y tantas limpias hermosuras
como cayeron!
Y girar sin fin en el alba
con la oscura palabra dentro,
con el cantar a flor de vida
ignorando el remoto término.

¡Hemos tenido tantas cosas
que decir, y no se dijeron!
Y miramos cómo en el aire
vuela la música sin dueño,
sin que podamos apresarla
con nuestros torpes instrumentos.

Alegría. Adonáis, 1947.

Lamentation

Nous avons eu tant de choses
à dire, qui n’ont pas été dites !

Prodigieuses paroles jeunes
pour heurter les ouïes vieilles.
Merveilleuses mélodies,
chants inédits.
Nous avons chanté tous ensemble
et nous avons pleuré dans le silence.
Nous avons appris une dure science
au détriment de nos propres rêves.

Nous avons eu tant de choses
à dire, qui n’ont pas été dites !
Nous avons évité si gaiement
les sombres pressentiments !
Nous avons aimé chaque pousse,
chaque froide guenille d’hiver,
chaque goutte de petit matin
avec une avidité si folle, conscients
que nous étions la chair d’une fable
vécue par quelqu’un dans le mystère !
Tant de belles chansons ! des rafales
si ardentes qu’elles nous ont blessés

Musiques d’astres intérieurs
qui naissaient dans notre royaume.
Flûtes jouées, le soir venu,
par les mains vagues du rêve.
Et tant de beautés si limpides
qui sont tombées!
Et tourner sans fin dans l’aube
avec la sombre parole au-dedans,
avec le chant à fleur de vie,
ignorants de la fin lointaine.

Nous avons eu tant de choses
à dire, qui n’ont pas été dites !
Et nous regardons dans l’air
voler la musique sans maître,
sans que nous puissions la saisir
avec nos instruments maladroits.

Traduction Claude de Frayssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945-1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.

Las nubes

Inútilmente interrogas.
Tus ojos miran al cielo.
Buscas, detrás de las nubes,
huellas que se llevó el viento.

Buscas las manos calientes,
los rostros de los que se fueron,
el círculo donde yerran
tocando sus instrumentos.

Nubes que eran ritmo, canto
sin final y sin comienzo,
campanas de espumas pálidas
volteando su secreto,

palmas de mármol, criaturas
girando al compás del tiempo,
imitándole a la vida
su perpetuo movimiento.
Inútilmente interrogas
desde tus párpados ciegos.
¿Qué haces mirando a las nubes,
José Hierro?

Cuanto sé de mí. Ágora, 1957.

La Bibliothèque Nationale à Madrid, dans le cadre de son centenaire, organisera du 20 octobre 2022 au 22 février 1923, une exposition intitulée: Cuanto sé de mí. José Hierro en su centenario (1922-2022). On y découvrira aussi son talent méconnu de dessinateur.

Luis Cernuda – Paco Ibáñez

Á 87 ans, le chanteur Paco Ibáñez va commencer une nouvelle tournée en Espagne et en France. Elle s’appellera : «¡Nos queda la palabra!». Elle commencera au Teatro Coliseum de Madrid le 4 avril. Il chantera aussi à Barcelone, où il vit actuellement, à Valence, où il est né le 20 novembre 1934, à Palma de Mallorca au mois de juin et dans quatre villes françaises. Il chantera en castillan, catalan, galicien, français et italien.  Il sera accompagné par Mario Mas à la guitare, Joxan Goikoetxea à l’ accordéon et César Stroscio au bandonéon.

«Me apetecen mucho todos estos conciertos que hemos programado porque, en este momento tan negro que estamos viviendo, es reconfortante reencontrarme con otras almas que, como la mía, necesitan alimento».

«Porque al alma también hay que alimentarla y yo ofrezco mi repertorio a la gente para que les ayude a vivir entre tanta miseria moral y cultural».

” La palabra no sólo reconforta, también te recuerda tus valores, te da criterio, te da voluntad y te ayuda a decir ‘no, por aquí no paso’».

«Las canciones tienen que apuntar a la eternidad. Las que no saben volar no valen la pena. Si haces una canción es para que dure toda la vida».

https://www.youtube.com/watch?v=B-q1BoBV2QU

En prime, un poème peu connu du grand Luis Cernuda :

Vientres sentados (Luis Cernuda)

Con satisfacción
Como quienes saben
Como quienes tienen en su puño la verdad
Bien apresada para que no escape
Y con orgullo
Como vigilantes de vosotros mismos
Domináis a lo largo a lo ancho de la tierra
Vosotros vientres sentados.

No hay gas
No hay plomo
Que tanto levante que tanto lastre proporcione
Como vuestra seguridad deletérea
Esa seguridad de sentir vuestro saco
Bien resguardado por vuestro trasero.

Miráis a un lado y a otro
Sonreís rasgando maliciosamente la hedionda boca
Y desde allí emitís como el antiguo oráculo
Henchidas necedades
Dictámenes que se escurren entre las rendijas como ratas

Alado el pie vigoroso
El pie juvenil y vigoroso
Que derrumbará bien pronto
Ese saco henchido de fango de maldad de injusticia
Arrastrando consigo vuestro trasero y vientre
Vuestra triste persona que mancha el aire
El aire limpio y justo
Donde hoy nos levantamos
Contra vosotros todos
Contra vuestra moral contra vuestras leyes
Contra vuestra sociedad contra vuestro dios
Contra vosotros mismos vientres sentados
Con una firme espiga
A quien su propia fuerza empuja desde la tierra
Para que se abra al sol
Para que dé su fruto
Fruto de odio y de alegría
Fruto de lucha y de reposo.

La verdad está en lucha y en ella os aguardamos
Vientres sentados
Vientres tendidos
Vientres muertos.

Otros Poemas publicados e inéditos – V. Poesía completa– Volumen I.

Luis Cernuda. Séville, La Torre del Oro au bord du Guadalquivir.

Miguel Hernández

Miguel Hernández (1910-1942)

Le poète Miguel Hernández est mort de tuberculose le 28 mars 1942 dans la prison Reformatorio de Alicante, il y a 80 ans. Aujourd’hui, l’aéroport d’Alicante-Elche porte son nom, ainsi que l’Université d’Elche et la récente gare TGV (AVE) d’Orihuela, sa ville natale. Le maire conservateur de Madrid, José Luis Martínez-Almeida (Partido Popular), lui, n’a rien trouvé de mieux que de détruire le monument qui, au cimetière de La Almudena, rappelait qu’entre 1939 et 1945 plus de 2500 personnes condamnées à mort par les tribunaux militaires furent fusillées là. On pouvait aussi y lire des vers du poète.

V. A Miguel Hernández, asesinado en los presidios de España (Pablo Neruda)

Llegaste a mí directamente del Levante. Me traías,
pastor de cabras, tu inocencia arrugada,
la escolástica de viejas páginas, un olor
a Fray Luis, a azahares, al estiércol quemado
sobre los montes, y en tu máscara
la aspereza cereal de la avena segada
y una miel que medía la tierra con tus ojos.

También el ruiseñor en tu boca traías.
Un ruiseñor manchado de naranjas, un hilo
de incorruptible canto, de fuerza deshojada.
Ay, muchacho, en la luz sobrevino la pólvora
y tú, con ruiseñor y con fusil, andando
bajo la luna y bajo el sol de la batalla.

Ya sabes, hijo mío, cuánto no pude hacer, ya sabes
que para mí, de toda la poesía, tú eras el fuego azul.
Hoy sobre la tierra pongo mi rostro y te escucho,
te escucho, sangre, música, panal agonizante.

No he visto deslumbradora raza como la tuya,
ni raíces tan duras, ni manos de soldado,
ni he visto nada vivo como tu corazón
quemándose en la púrpura de mi propia bandera.

Joven eterno, vives, comunero de antaño,
inundado por gérmenes de trigo y primavera,
arrugado y oscuro como el metal innato,
esperando el minuto que eleve tu armadura.

No estoy solo desde que has muerto. Estoy con los que te buscan.
Estoy con los que un día llegarán a vengarte.
Tú reconocerás mis pasos entre aquellos
que se despeñarán sobre el pecho de España
aplastando a Caín para que nos devuelva
los rostros enterrados. (…)

Primera publicación: Cultura y democracia (París). Febrero de 1950.
Canto general, XII, Los ríos del canto. 1950.

V. A Miguel Hernández, assassiné dans les prisons d’Espagne

Tu vins à moi. Tu arrivais droit du Levant. Tu m’apportais,
ô chevrier, ton innocence pleine de rides,
la scolastique de vieilles pages, un doux relent
de Fray Luis, d’orangers en fleur, de fumier
brûlé sur les collines, et sur ton masque
la céréale aspérité de l’avoine fauchée,
un miel qui mesurait la terre avec les yeux.

Et ta bouche apportait aussi le rossignol.
Un rossignol taché d’oranges, le filet
d’un chant incorruptible, d’une force effeuillée.
Hélas ! dans la clarté on vit surgir la poudre et
l’on te vit porter rossignol et fusil
sous la lune et sous le soleil de la bataille.

Tu sais, Miguel, tout ce que j’ai pu faire, tu sais bien
que de toute la poésie tu étais pour moi le feu bleu.
Aujourd’hui contre terre je colle mon visage et j’écoute,
je t’écoute, musique, sang, rayon de ruche agonisant.

Je n’ai vu race plus éblouissante que la tienne,
ni racines plus dures, ni mains plus dures de soldat,
je n’ai rien vu de plus vivant que ton coeur quand
il brûla dans la pourpre de mon propre drapeau.

Jeune éternel, tu vis, comunero d’antan,
inondé de germes de blé et de printemps,
plissé, obscur comme le métal né,
en attendant l’instant de lever ton armure.

Non, je ne suis pas seul depuis que tu es mort.
Je suis avec ceux qui te cherchent.
Avec ceux qui un jour arriveront pour te venger.
Tu reconnaîtras mes pas au milieu des pas
qui, déferlant sur la poitrine de l’Espagne,
écraseront Caïn pour qu’il nous rende les visages enterrés. (…)

Chant général. XII, Les Fleuves du Chant.
Gallimard, 1977. Traduction Claude Couffon.

Mar Campelo Moreno, la petite-fille de la soeur du poète, Elvira, a publié le 26 mars une belle lettre à sa grand-mère dans le journal d’information numérique, Público.

Miguel Hernández en la memoria

A Elvira Hernández Gilabert, mi abuela

Querida abuela:

Hace más de 25 años que te fuiste y hoy se cumplen 80 de la última vez que viste a tu hermano Miguel con vida, pero no he olvidado las anécdotas que me contaste una y otra vez desde que era una niña hasta que la maldita enfermedad se llevó tus recuerdos; aunque, incluso cuando habías perdido la capacidad de expresarte, abrías los ojos y algo se removía dentro de ti si veías una foto de tu hermano.

Cómo te reías cuando me contabas las regañinas que le echabas cada vez que “se le iba el santo al cielo” en sus excursiones a la sierra de Orihuela para leer o escribir y tenías que justificarlo con cualquier excusa, o cuando clavaste las contraventanas para que no las abriera en las horas de calor.

También se reía él cuando leías sus poemas y le hacías que te explicara lo que se escondía en cada juego retórico, no descansabas hasta que lo entendías todo. Y cuando lo reprendías por sus expresiones subidas de tono. Siempre sonreías cuando hablabas de vuestra niñez y juventud, se te iluminaban los ojos reviviéndolo y dibujabas la imagen de un muchacho alegre, espontáneo, cariñoso y vital, con una enorme empatía con el sufrimiento ajeno.

Fuisteis compañeros de juegos y siempre cómplices, amigos. Te hablaba de sus lecturas, de su pasión creadora –fuiste la primera lectora de muchos de sus poemas-, de su deseo vehemente de ir a Madrid, pero también de sus vivencias, de sus amigos, de las mujeres a las que amó… Con esa atención al detalle que tenías que reprimir entre risas pudorosas: “Miguel, no me cuentes esas cosas”.

Con esa sonrisa tuya de medio lado, me contabas que tu madre y tú ordeñabais las cabras por segunda vez para sacar unas perricas que le enviabais a Miguel para que sobreviviera en Madrid.

Te casaste y te fuiste a Madrid con tu marido y tu hija (mi madre); el tío Miguel volvió a Madrid en esa misma época y, aunque vivía en una pensión, iba casi a diario a tu casa a comer y a que le lavaras la ropa.

Cuando leíste la elegía que le escribió a su amigo Manolo, que había muerto ahogado, le pediste que no la publicara porque causaría más dolor y te la regaló para que hicieras con ella lo que quisieras. Tú la guardaste en tu carpeta de los tesoros, la que contenía todos los recortes de prensa en los que se hablaba de él; esa carpeta que fue creciendo durante el resto de tu vida con cada carta suya, cada foto, cada publicación, cada referencia a tu hermano por mínima que fuera.

¿Por qué tuvo que volver a Orihuela cuando acabó la guerra? ¿Por qué no escuchó a vuestro padre cuando le dijo “vete, Miguel, que ahora viene el exterminio”? Porque quería abrazar a su familia y se sabía inocente. Y lo encarcelaron en el Seminario, en esa sierra en la que le gustaba perderse para escribir, para leer, para empaparse de naturaleza.

Sus cartas desde la cárcel trataban de transmitir esperanza, incluso se permitía alguna broma; os ocultó que lo habían condenado a muerte hasta que le conmutaron la pena por cadena perpetua. Esas cartas que llegaban censuradas o escondidas en el borde de las lecheras, escritas en papel higiénico. Y tú escribías o visitabas a cualquiera que pudiera interceder para su excarcelación.

Ya vivías en Alicante cuando lo trasladaron al Reformatorio de Adultos, la que sería su última cárcel. Caminabas hasta allí cada vez que se permitía una “comunicación” y le llevabas los alimentos que enviaban tus padres desde Orihuela y los que podías conseguir a través del estraperlo; esas lecheras que tanto costaba llenar y que los carceleros dejaban caer.

El día de las Mercedes los niños podían visitar a los presos y entraban su hijo y los tres tuyos. Mi madre, con siete años, era la mayor y le hacías memorizar los mensajes que querías transmitirle. Cuando salían, la interpelabas para que repitiera cada palabra de tu hermano.

Me hablabas de aquel día que fuiste a verlo con Josefina: no tenía fuerzas para caminar y se apoyaba en dos compañeros. Cuando os vio, se irguió, hinchó el pecho y sonrió:

  • Miguel, qué bien te veo, ¿estás mejor?
  • Han venido a ofrecerme dinero y la libertad si me retracto de todo lo que he escrito y pongo mi pluma al servicio del régimen.
  • ¡Habrás dicho que sí!
  • He dicho que no.

“Ése era mi hermano”, concluías.

Su salud empeoraba. Recorrías Alicante de punta a punta sin descanso buscando una recomendación que traspasara el bloqueo para que lo visitara un médico, hasta que lo conseguiste. Lo ayudó a respirar mejor aunque, sin los medios suficientes, no podía hacer más. Lo ideal era trasladarlo al sanatorio para tuberculosos de Porta Coeli, donde, fuera de la insalubridad de la prisión, se recuperaría. Pero mientras tu hermano no accediera a volver al seno de la iglesia, era imposible.

Se te rompía el corazón cuando entrabas a visitarlo a la enfermería y lo encontrabas ahogándose entre suciedad. Lo lavabas, lo vestías con ropa limpia y le extraías el líquido de los pulmones como te había enseñado el médico.

Consciente de que se acercaba el final, accedió a casarse por la iglesia, postrado en la cama, para proteger a su familia (los matrimonios civiles habían quedado invalidados). Pocos días después se aprobó el traslado a Porta Coeli, pero ya era tarde.

La noche del 27 de marzo fuiste a visitarlo con Josefina, se te quebraba la voz cuando me contabas que lo aseaste y lo ayudaste a respirar por última vez. Murió esa madrugada.

Y llegaron los años del silencio, del miedo a pronunciar su nombre, de la hipocresía, de los libros de Losada llegados misteriosamente desde Argentina, de las conversaciones a media voz. Te indignaba la injusticia, el odio y las mentiras, siempre las mentiras. Me hablabas del tío Miguel entre murmullos y me pedías que bajara la voz cuando te pedía detalles: “No cuentes nada”, “no te signifiques”. Pues ahora lo estoy contando, abuela, mi memoria es tu memoria.

Ya en democracia, ibas a todos los actos y accedías a casi cualquier entrevista. Te quedabas exhausta, pero era tu “deber” homenajear y propagar el nombre y la obra de tu hermano. Esa fue la labor de toda tu vida.

Te habría encantado saber que 2017 fue el “Año de Miguel Hernández”, a ti que te preocupaba tanto que lo hicieran desaparecer. Que de vez en cuando doy una charla sobre ese legado de recuerdos que me regalaste. Que publiqué la elegía a Manolo, como tú querías. Que la cama de tu hermano (que te acompañó a todos los lugares donde viviste) está ahora en su cuarto, en la casa de la calle de Arriba, que ahora se llama de Miguel Hernández, y que es su casa-museo. No lo han olvidado, abuela, hasta la estación de tren lleva su nombre, y un aeropuerto, y una universidad, y colegios, y centros culturales.

Descansa en paz, abuela, la poesía de tu hermano resuena en todo el mundo; su nombre está marcado a fuego; y yo seguiré compartiendo este legado que me transmitiste hasta dejarlo grabado en mi memoria. Miguel Hernández es, indiscutiblemente, un gran poeta; pero para mí siempre será el tío Miguel.

Elvira Hernández, la soeur du poète (1908-1996), fleurit la tombe du poète.

Ludmila Oulitskaïa

Ludmila Oulitskaïa.

Le Nouvel Observateur, 25/02/2022

Ludmila Oulitskaïa contre la guerre en Ukraine : « Le destin du pays est dirigé par la folie d’un seul homme »

Aujourd’hui, 24 février 2022, la guerre a éclaté. Je pensais que ma génération, celle qui est née pendant la Seconde Guerre mondiale, avait de la chance, et que nous allions vivre sans avoir connu de guerre jusqu’à notre mort qui serait, comme promis dans les Évangiles, « paisible, sans douleur et sans reproche ». Mais non. On dirait bien que ce ne sera pas le cas. Et nul ne sait à quoi vont aboutir les événements de cette journée dramatique.

Le destin du pays est dirigé par la folie d’un seul homme et de ses complices dévoués. On ne peut que faire des suppositions sur ce que les manuels d’histoire en diront dans cinquante ans. De la douleur, de la peur, de la honte – voilà les sentiments que l’on éprouve aujourd’hui.

De la douleur, parce que la guerre s’en prend au vivant, à l’herbe et aux arbres, aux animaux et à leur descendance, aux êtres humains et à leurs enfants.

De la peur, parce qu’il existe chez tous les êtres vivants un instinct de conservation biologique qui les pousse à protéger leur vie et celle de leur descendance.

De la honte, parce que la responsabilité des dirigeants de notre pays dans le développement de cette situation pouvant entraîner d’immenses malheurs pour toute l’humanité est évidente.

Cette responsabilité, nous la partageons tous nous aussi, qui sommes contemporains de ces événements dramatiques et qui n’avons pas su les prévoir ni les arrêter. Il faut absolument stopper cette guerre qui se déchaîne de plus en plus à chaque minute qui passe, et résister à la propagande mensongère dont tous les médias inondent notre population.

(Texte traduit du russe par Sophie Benech)

Ce n’était que la peste. Scénario. Traduction: Sophie Benech. Hors série Littérature, Gallimard, 2021.
Moscou, 1939. Le biologiste Rudolf Mayer a parcouru plus de huit cents kilomètres pour présenter aux autorités ses recherches sur une souche hautement virulente de la peste. Ce n’est qu’après cette réunion qu’il comprend qu’il a été contaminé, et que toutes les personnes qu’il a croisées peuvent l’être également.
La police soviétique déploie alors un très efficace plan de mise en quarantaine. Mais en ces années de Grandes Purges, une mise à l’isolement ressemble à une arrestation politique, et les réactions des uns et des autres peuvent être surprenantes.
Ce texte date de 1988. Ludmila Oulitskaïa donne à voir ce qui peut se passer lorsqu’une épidémie éclate au cœur d’un régime totalitaire. Ce texte inédit a été découvert en Russie au printemps 2020.

(Site Gallimard)