Dada 1: Dada Africa

Motifs abstraits: Masques (Sophie Taeuber-Arp) 1917

Grande actualité Dada cette année aussi dans le prolongement du centenaire de ce mouvement.

Au Musée de l’Orangerie (Paris) «Dada Africa, sources et influences extra-occidentales» du 18 octobre 2017 au19 février 2018.

Après «Qui a peur des femmes photographes?», «Apollinaire, le regard du poète», et «La peinture américaine des années 1930», nous y avons vu une autre belle exposition sur un sujet méconnu. Le musée de l’Orangerie est né de la collection du marchand d’art Paul Guillaume. C’était un grand marchand d’art africain. Il a joué un rôle de premier plan dans la confrontation entre art moderne et arts premiers.

Dada fut un mouvement artistique subversif mais divers. Il naît à Zürich pendant la Guerre de 14-18 et se déploie ensuite à Berlin, Paris, New York… Par leurs œuvres nouvelles – poésie sonore, danse, collages, performance –, les artistes dadaïstes interrogent la société occidentale aux prises avec la Grande Guerre, et s’approprient les formes culturelles et artistiques de cultures non occidentales (Afrique, Océanie, Amérique). Gauguin, Picasso et les artistes de Die Brücke avaient fait de même.

Le Musée de l’Orangerie a proposé une exposition sur ces échanges en confrontant œuvres africaines, amérindiennes et asiatiques et celles, dadaïstes, de Hannah Höch, Jean Arp, Sophie Taeuber-Arp, Marcel Janco, Hugo Ball, Tristan Tzara, Raoul Hausmann, Man Ray, Francis Picabia…

Diversité, inventivité et radicalité des productions Dada – textiles, graphisme, affiches, assemblages, reliefs en bois, poupées et marionnettes – face à la beauté étrange et la rareté d’œuvres non occidentales…

Une place particulière a été donnée à Hannah Höch (1889-1978), une des compagnes de Raoul Hausmann (1886-1971). Elle a réussi à préserver une partie des archives du dadaïsme de la destruction nazie. Il faut noter que la critique de la guerre et du bellicisme fut davantage le fait des artistes allemands (Grosz, Heartfield, Hausmann) que des français. «Nous cherchions un art élémentaire qui devait, pensions-nous, sauver les hommes de la folie furieuse de ces temps», déclarait Hans (Jean) Arp en 1940.

Hannah Höch

Horace

«Caelum, non animum mutant qui trans mare currunt.»

«Ils changent de ciel mais pas d’âme, ceux qui courent au-delà des mers.»

Horace (en latin Quintus Horatius Flaccus) (Vénose, 8 décembre 65 av. J.C. – Rome 27 novembre 8 av. J.C. ) , Epîtres, Livre 1., Epître 11 (19 ou 18 av. J.C.)

Dostoïevski – Tourgueniev

«Il y a, dans la vie de Dostoïevski, certains faits extrêmement troubles. Un, en particulier, auquel il est déjà fait allusion dans Crime et châtiment (t. II, p. 23) et qui semble avoir servi de thème à certain chapitre des Possédés, qui ne figure pas dans le livre, qui est resté inédit, même en russe, qui n’a été, je crois, publié jusqu’à présent qu’en Allemagne, dans une édition hors commerce. Il y est question du viol d’une petite fille. L’enfant souillée se pend dans une pièce, tandis que dans la pièce voisine, le coupable, Stavroguine, qui sait qu’elle se pend, attend qu’elle ait fini de vivre. Quelle est dans cette sinistre histoire la part de la réalité ? C’est ce qu’il ne m’importe pas ici de savoir. Toujours est-il que Dostoïevski, après une aventure de ce genre, éprouva ce que l’on est bien forcé d’appeler des remords. Ses remords le tourmentèrent quelque temps, et sans doute se dit-il à lui-même ce que Sonia disait à Raskolnikov. Le besoin le prit de se confesser, mais point seulement à un prêtre. Il cherche celui devant qui cette confession devait lui être le plus pénible; c’était incontestablement Tourgueniev. Dostoïevski n’avait pas revu Tourgueniev depuis longtemps, et était avec lui en fort mauvais termes. M. Tourgueniev était un homme rangé, riche, célèbre, universellement honoré. Dostoïevski s’arma de tout son courage, ou peut-être céda-t-il à une sorte de vertige, à un mystérieux et terrible attrait. Figurons-nous le confortable cabinet de travail de Tourgueniev. Celui-ci à sa table de travail. – On sonne. – Un laquais annonce Theodor Dostoïevski. – Que veut-il? – On le fait entrer, et tout aussitôt, le voici qui commence à raconter son histoire. – Tourgueniev l’écoute avec stupeur. Qu’a-t-il à faire avec tout cela? Sûrement, l’autre est fou! Après qu’il a raconté, grand silence. Dostoïevski attend de la part de Tourgueniev un mot, un signe… Sans doute croit-il que, comme dans ses romans à lui, Tourgueniev va le prendre dans ses bras, l’embrasser en pleurant, se réconcilier avec lui… mais comme rien ne vient:
«Monsieur Tourgueniev, il faut que je vous dise: je me méprise profondément…»
Il attend encore. Toujours le silence. Alors Dostoïevski n’y tient plus et furieusement il ajoute:
«Mais je vous méprise encore davantage. C’est tout ce que j’avais à vous dire…» et il sort en claquant la porte. Tourgueniev était décidément trop européanisé pour le bien comprendre.»

André Gide, Dostoïevski, dans Essais critiques, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1999, p. 583-584.

Aharon Appelfeld

Le romancier israélien Aharon Appelfeld est mort le 4 janvier 2018 à l’âge de 85 ans.

Il était né en 1932 à Jadova, près de Czernowitz en Bucovine (aujourd’hui Tchernivtsi, en Ukraine) dans une famillle aisée. Compatriote du poète Paul Celan (1920-1970) qu’il rencontrera plus tard.

Sa mère fut assassinée en 1940. Il entendait encore, disait-il, la détonation du coup de feu qui la tua.

Il connut le ghetto, puis la séparation d’avec son père (qu’il ne reverra qu’en 1957) et la déportation dans un camp à la frontière ukrainienne, en Transnistrie, en 1941. Il parvint à s’évader à l’automne 1942 et se cacha dans les forêts pendant plusieurs mois. Il trouva refuge pour l’hiver chez des paysans qui lui donnèrent un abri et de la nourriture contre du travail, mais fut obligé de cacher qu’il était juif. Il fut ensuite recueilli par l’Armée rouge. Il traversa l’Europe pendant des mois avec un groupe d’adolescents orphelins, arriva en Italie et, grâce à une association juive, s’embarqua clandestinement pour la Palestine où il arriva en 1946.

Il commença à écrire dans les années 60.

L’écriture me rend à moi-même, et me rend mon père, ma mère, et la première maison où j’ai vu le jour. C’est presque toujours de cette maison que je pars vers mes voyages imaginaires. Franchir le seuil de ce lieu qui n’existe plus me procure la stabilité nécessaire, et l’assurance que mon entreprise sera fructueuse.
J’avoue : l’écriture ne me pousse pas à écrire sur mon quotidien, mes liens sociaux ou politiques. Je pars à la recherche d’une musique qui me conduira vers les visions de mon enfance qui me purifient, et me permettent de prendre conscience d’autres pans de ma vie. La musique est mon guide.” (La musique des mots simples, publié dans Le Monde, 13/03/2018).

Il se définissait comme “un écrivain juif” en Israël.

Il fut l’ami de Philip Roth et apparaît dans le roman de celui-ci: Opération Shylock : Une confession, 1993.
Voir aussi l’entretien de Philip Roth avec Aharon Appelfeld dans Parlons travail, Gallimard, 2006. “Appelfeld est l’écrivain déplacé d’une fiction déplacée qui a fait du déplacement et de la désorientation un sujet qui lui est propre.

Romans à lire absolument (très bien traduits par Valérie Zenatti):
Histoire d’une vie, 1999 (publié aux éditions de l’Olivier en 2004. Prix Médicis étranger)
Les partisans, 2015 (Editions de l’Olivier).

Paris Librairie Les Cahiers de Colette. 23 Rue Rambuteau, 75004 Paris.