César Vallejo

César Vallejo à Paris. 1925 (Armando Maribona (1894 – 1964)

César Vallejo encore et toujours…

Quisiera hoy ser feliz de buena gana,
ser feliz y portarme frondoso de preguntas,
abrir por temperamento de par en par mi cuarto, como loco,
y reclamar, en fin,
en mi confianza física acostado,
sólo por ver si quieren,
sólo por ver si quieren probar de mi espontánea posición,
reclamar, voy diciendo,
por qué me dan así tanto en el alma.

Pues quisiera en sustancia ser dichoso,
obrar sin bastón, laica humildad, ni burro negro.
Así las sensaciones de este mundo,
los cantos subjuntivos,
el lápiz que perdí en mi cavidad
y mis amados órganos de llanto.

Hermano persuasible, camarada,
padre por la grandeza, hijo mortal,
amigo y contendor, inmenso documento de Darwin:
¿a qué hora, pues, vendrán con mi retrato?
¿A los goces? ¿Acaso sobre goce amortajado?
¿Más temprano? ¿Quién sabe, a las porfías?

A las misericordias, camarada,
hombre mío en rechazo y observación, vecino
en cuyo cuello enorme sube y baja,
al natural, sin hilo, mi esperanza…

Poemas humanos, 1939.

Je voudrais aujourd’hui être tout bonnement heureux,
être heureux et porter une foison de questions,
ouvrir en grand ma chambre par envie, tel un fou,
et réclamer, enfin,
couché sur ma confiance physique,
seulement pour voir si on veut,
seulement pour voir si on veut goûter de ma position spontanée,
réclamer, dis-je,
de savoir pourquoi on frappe tant mon âme ainsi.

Car je voudrais en résumé être heureux,
agir sans bâton, laïque humilité, et sans âne noir.
De même les sensations de ce monde,
les chants subjonctifs,
le crayon que j’ai perdu dans ma cavité
et mes chers organes à pleurer.

Frère possible, camarade,
père par la grandeur, fils mortel,
ami et combattant, immense document de Darwin :
à quelle heure, donc, viendra-t-on avec mon portrait ?
à l’heure des jouissances ? Peut-être vers celle du plaisir enseveli ?
Plus tôt ? Qui sait, à l’heure des acharnements ?

À celle des miséricordes, camarade,
homme mon ami à distance et en observation, voisin
au cou énorme où monte et descend,
au naturel, sans fil, mon espérance…

Poésie complète de César Vallejo. Flammarion, 2009. Traduction : Nicole Réda-Euvremer.

Luis Cernuda

J’aimerais tant que Luis Cernuda soit mieux connu en France. Jacques Ancet est un excellent traducteur et un très bon poète. cf. Luis Cernuda, Poètes d’aujourd’hui n°207. Éditions Seghers. Une étude de Jacques Ancet, avec un choix de textes, des illustrations, une chronologie bibliographique: Luis Cernuda et son temps …Paris, 1972.

Adolescente fui en días idénticos a nubes,
cosa grácil, visible por penumbra y reflejo,
y extraño es, si ese recuerdo busco,
que tanto, tanto duela sobre el cuerpo de hoy.

Perder placer es triste
como la dulce lámpara sobre el lento nocturno;
aquél fui, aquél fui, aquél he sido;
era la ignorancia mi sombra.

Ni gozo ni pena; fui niño
prisionero entre muros cambiantes;
historias como cuerpos, cristales como cielos,
sueño luego, un sueño más alto que la vida.

Cuando la muerte quiera
una verdad quitar de entre mis manos,
las hallará vacías, como en la adolescencia
ardientes de deseo, tendidas hacia el aire.

Donde habite el olvido, 1932-33.

Je fus adolescent en des jours pareils aux nuages,
Chose gracile visible à travers pénombre et reflet,
Et c’est étrange, si je cherche ce souvenir,
Qu’il fasse tant, tant souffrir le corps d’aujourd’hui.

Il est triste de perdre le plaisir
Comme la douce lampe sur le lent nocturne ;
Cela je le fus, je le fus, je l’ai été ;
Et l’ignorance était mon ombre.

Ni plaisir ni peine ; je fus enfant
Prisonnier entre des murs changeants ;
Histoires comme des corps, vitres comme des cieux,
Et puis un songe, un songe plus haut que la vie.

Quand la mort voudra
Ôter une vérité de mes mains,
Elle les trouvera vides, comme en l’adolescence
Ardentes de désir et tendues vers le ciel.

Où habitera l’oubli. Traduction : Jacques Ancet.

La revue El Cultural a publié le 27 septembre 2021 un bon article de Rafael Narbona sur les personnalités de Luis Cernuda et de Juan Ramón Jiménez: Luis Cernuda y Juan Ramón Jiménez: humanos, demasiado humanos.

https://elcultural.com/luis-cernuda-y-juan-ramon-jimenez-humanos-demasiado-humanos

Juan Ramón Jiménez et Luis Cernuda.

Antonio Gamoneda

Abdulrazak Gurnah. 2017.

Le prix Nobel de littérature 2021 a été attribué le jeudi 7 octobre au romancier tanzanien Abdulrazak Gurnah, né le 20 décembre 1948 dans l’île de Zanzibar. Il est un peu connu en France pour son roman Paradise (1994. Denoël, 1997). Il est arrivé au Royaume-Uni en tant que réfugié à la fin des années 1960. Il est l’auteur de dix romans, dont Près de la mer (2001), et de nouvelles. Il vit à Brighton et a enseigné à l’université du Kent jusqu’à sa récente retraite la littérature anglaise et postcoloniale. Comme beaucoup, je n’avais jamais entendu parler de cet auteur qui ne figurait pas dans les listes qui circulent habituellement avant l’attribution du prix.

Dans le Club de La Cause Littéraire, Léon-Marc Lévy et Marien Defalvard ont cité le poète espagnol Antonio Gamoneda (né en 1931 et Prix Cervantès 2006) que j’aime depuis longtemps. J’ai donc relu ses poèmes.

tp://www.lesvraisvoyageurs.com/2020/02/28/antonio-gamoneda/

Antonio Gamoneda. Photo de jeunesse.

Il a publié deux tomes de mémoires: Un armario lleno de sombra (2009) et La pobreza (2020). Galaxia Gutemberg. Círculo de Lectores.

Después de veinte años

Cuando yo tenía catorce años
me hacían trabajar hasta muy tarde.
Cuando llegaba a casa, me cogía
la cabeza mi madre entre sus manos.

Yo era un muchacho que amaba el sol y la tierra
y los gritos de mis camaradas en el soto
y las hogueras en la noche
y todas las cosas que dan salud y amistad
y hacen crecer el corazón.

A las cinco del día, en el invierno,
mi madre iba hasta el borde de mi cama
y me llamaba por mi nombre
y acariciaba mi rostro hasta despertarme.

Yo salía a la calle y aún no amanecía
y mis ojos parecían endurecerse con el frío.

Esto no es justo, aunque era hermoso
ir por las calles y escuchar mis pasos
y sentir la noche de los que dormían
y comprenderlos como a un solo ser,
como si descansaran de la misma existencia,
todos en el mismo sueño.

Entraba en el trabajo.
La oficina
olía mal y daba pena.
Luego,
llegaban las mujeres.
Se ponían
a fregar en silencio.

Veinte años.
He sido
escarnecido y olvidado.
Ya no comprendo la noche
ni el canto de los muchachos sobre las praderas.
Y, sin embargo, sé
que algo más grande y más real que yo
hay en mí, va en mis huesos:

Tierra incansable,
firma
la paz que sabes.
Danos
nuestra existencia a
nosotros
mismos.

Blues castellano (1961-1966), Colección AEDA, Gijón, Noega, 1982.


Francisco de Quevedo

Coup de fatigue et de blues du jeudi. On peut relire Quevedo et se reporter à deux éditions bilingues bien utiles. Clin d’oeil : Quevedo et Góngora se détestaient…

Miré los muros de la patria mía (Francisco de Quevedo)

Miré los muros de la patria mía,
si un tiempo fuertes, ya desmoronados,
de la carrera de la edad cansados,
por quien caduca ya su valentía.

Salíme al campo, vi que el sol bebía
los arroyos del hielo desatados ;
y del monte quejosos los ganados,
que con sombras hurtó su luz al día.

Entré en mi casa : vi que amancillada,
de anciana habitación era despojos;
mi báculo, más corvo y menos fuerte.

Vencida de la edad sentí mi espalda,
y no hallé cosa en que poner los ojos
que no fuese recuerdo de la muerte.

Ce sonnet aurait été écrit en 1613. Certains critiques affirment qu’il date de la fin de la vie du poète, mort en 1645. Il a été publié dans El Heraclito cristiano, Salmo XVII et ensuite dans El parnaso español en 1648. L’épigraphe Enseña cómo todas las cosas avisan de la muerte (On enseigne comment toutes les choses nous avisent de la mort)
a été rajouté par José González de Salas, grand ami de l’auteur.


J’ai regardé les murs de ma patrie,
un temps puissants, déjà démantelés,
par la course de l’âge exténués
qui voue enfin leur vaillance à l’oubli ;

je sortis dans les champs, le soleil vis
qui buvait l’eau des glaces déliées,
et dans les monts les troupeaux désolés,
le clair du jour par leurs ombres ravi.

J’entrai dans ma maison, je ne vis plus
que les débris d’un séjour bien trop vieux ;
et mon bâton plus courbé et moins fort.

J’ai senti l’âge et mon épée vaincue,
et n’ai trouvé pour reposer mes yeux
rien qui ne fût souvenir de la mort.

Les furies et les peines, 102 sonnets de Quevedo, Poésie/Gallimard, n° 463. 2010. Traduction Jacques Ancet.

Quevedo y los esqueletos de Juan de la Encina y el rey Perico (Leonaert Bramer 1596-1674), 1659.

Vicente Aleixandre

Vicente Aleixandre.

Vicente Aleixandre est un grand poète méconnu de la génération de 1927. Il naît le 26 avril 1898 à Séville, la même année qu’un autre andalou, Federico García Lorca. Il est élevé à Málaga (“la ciudad del paraíso”). Il souffre toute sa vie des conséquences d’une néphrite tuberculeuse. En 1932, il subit une extraction du rein droit. À cause de sa “mauvaise santé de fer”, il sort peu de sa maison de Madrid (Velintonia, 3, aujourd’hui, Vicente Aleixandre), située près de la Cité Universitaire. À la fin de la Guerre d’Espagne, et malgré ses idées progressistes, il ne s’exile pas. Il aide souvent les jeunes poètes espagnols de l’après-guerre qui le considèrent comme un maître. Il obtient le Prix Nobel de littérature en 1977 et meurt à Madrid le 13 décembre 1984. La Asociación de Amigos de Vicente Aleixandre (Velintonia 3) essaie depuis plus de 25 ans de sauver cet endroit de la destruction et de créer une Maison de la Poésie.

Mar del paraíso

Heme aquí frente a ti, mar, todavía…
Con el polvo de la tierra en mis hombros,
impregnado todavía del efímero deseo apagado del hombre,
heme aquí, luz eterna,
vasto mar sin cansancio,
última expresión de un amor que no acaba,
rosa del mundo ardiente.

Eras tú, cuando niño,
la sandalia fresquísima para mi pie desnudo.
Un albo crecimiento de espumas por mi pierna
me engañara en aquella remota infancia de delicias.
Un sol, una promesa
de dicha, una felicidad humana, una cándida correlación de luz
con mis ojos nativos, de ti, mar, de ti, cielo,
imperaba generosa sobre mi frente deslumbrada
y extendía sobre mis ojos su inmaterial palma alcanzable,
abanico de amor o resplandor continuo
que imitaba unos labios para mi piel sin nubes.

Lejos el rumor pedregoso de los caminos oscuros
donde hombres ignoraban tu fulgor aún virgíneo.
Niño grácil, para mí la sombra de la nube en la playa
no era el torvo presentimiento de mi vida en su polvo,
no era el contorno bien preciso donde la sangre un día
acabaría coagulada, sin destello y sin numen.
Más bien, como mi dedo pequeño, mientras la nube detenía su paso,
yo tracé sobre la fina arena dorada su perfil estremecido,
y apliqué mi mejilla sobre su tierna luz transitoria,
mientras mis labios decían los primeros nombres amorosos:
cielo, arena, mar…

El lejano crujir de los aceros, el eco al fondo de los bosques partidos por los hombres,
era allí para mí un monte oscuro, pero también hermosos
Y mis oídos confundían el contacto heridor del labio crudo
del hacha en las encinas
con un beso implacable, cierto de amor, en ramas.

La presencia de peces por las orillas, su plata núbil,
el oro no manchado por los dedos de nadie,
la resbalosa escama de la luz, era un brillo en los míos.
No apresé nunca esa forma huidiza de un pez en su hermosura,
la esplendente libertad de los seres,
ni amenacé una vida, porque amé mucho: amaba
sin conocer el amor; solo vivía…

Las barcas que a lo lejos
confundían sus velas con las crujientes alas
de las gaviotas o dejaban espuma como suspiros leves,
hallaban en mi pecho confiado un envío,
un grito, un nombre de amor, un deseo para mis labios húmedos,
y si las vi pasar, mis manos menudas se alzaron
y gimieron de dicha a su secreta presencia,
ante el azul telón que mis ojos adivinaron,
viaje hacia un mundo prometido, entrevisto,
al que mi destino me convocaba con muy dulce certeza.

Por mis labios de niño cantó la tierra; el mar
cantaba dulcemente azotado por mis manos inocentes.
La luz, tenuamente mordida por mis dientes blanquísimos,
cantó; cantó la sangre de la aurora en mi lengua.

Tiernamente en mi boca, la luz del mundo me iluminaba por dentro.
Toda la asunción de la vida embriagó mis sentidos.
Y los rumorosos bosques me desearon entre sus verdes frondas,
porque la luz rosada era en mi cuerpo dicha.

Por eso hoy, mar,
con el polvo de la tierra en mis hombros,
impregnado todavía del efímero deseo apagado del hombre,
heme aquí, luz eterna,
vasto mar sin cansancio,
rosa del mundo ardiente.
Heme aquí frente a ti, mar, todavía…

Sombra del Paraíso, (1939-1943). 1944.

Mer du paradis

Me voici face à toi, mer, encore…
La poussière de la terre sur les épaules,
encore imprégné de l’éphémère désir épuisé de l’homme,
me voici, lumière éternelle,
vaste mer infatigable,
ultime expression d’un amour sans limites,
rose du monde ardent.

Lorsque j’étais enfant,
c’était toi la sandale si fraîche à mon pied nu.
Une blanche montée d’écume au long de ma jambe
doit m’égarer en cette lointaine enfance de délices.
Un soleil, une promesse
de bonheur, une félicité humaine, une candide corrélation de lumière
avec les yeux d’autrefois, de toi, mer, de toi, ciel,
régnaient, généreux sur mon front ébloui,
étendant sur mes yeux leur immatérielle mais accessible palme,
éventail d’amour ou éclat continu
qui imitait des lèvres pour ma peau sans nuages.

Au loin la rumeur pierreuse des sombres chemins
où les hommes ignoraient leur fulguration vierge encore.
Pour moi, enfant gracile, l’ombre du nuage sur la plage
n’était pas le pressentiment menaçant de ma vie dans sa poussière,
ce n’était pas le contour bien précis où le sang un jour
finirait par se figer, sans éclair, sans divinité.
Comme mon petit doigt, plutôt, tandis que le nuage suspendait sa course,
je traçai sur le sable fin son profil ému,
et j’appuyai ma joue sur sa tendre lumière transitoire,
tandis que mes lèvres disaient les premiers noms d’amour :
ciel, sable, mer…

Le grincement au loin des aciers, l’écho tout au long des arbres
fendus par les hommes,
c’était pour moi là-bas un bois sombre mais beau.
Et mes oreilles confondaient le contact blessant de la lèvre
crue, de la hache sur les chênes
avec un implacable baiser, sûrement d’amour, dans les branches.

La présence de poissons près du bord, leur argent nubile,
l’or non souillé encore par les doigts de personne,
la glissante écaille de la lumière, c’était comme un éclat dans les miens.
Jamais je ne serrai cette forme fuyante d’un poisson dans toute sa beauté,
la resplendissante liberté des êtres,
ni ne menaçai une vie, parce que j’aimais beaucoup: j’aimais
sans connaître l’amour ; je vivais seulement…
Les barques qui au loin
confondaient leurs voiles avec les crissantes ailes des mouettes
ou laissaient une écume pareille à des soupirs légers,
trouvaient dans ma poitrine confiante un envoi,
un cri, un nom d’amour, un désir pour mes lèvres humides,
et si je les voyais passer, mes petites mains se levaient
et gémissaient de bonheur à leur secrète présence,
devant le rideau bleu que mes yeux devinaient,
voyage vers un monde promis, entrevu,
auquel mon destin me conviait avec très douce certitude.

Sur mes lèvres d’enfant chanta la terre ; la mer
chantait doucement fouettée par mes mains innocentes.
La lumière, faiblement mordue par mes dents très blanches,
chanta ; sur ma langue chanta le sang de l’aurore.

Tendrement dans ma bouche, la lumière du monde m’illuminait.
Toute la montée de la vie grisa mes sens.
Et les bois murmurants me désirèrent parmi leurs verts feuillages,
car la lumière rose était le bonheur dans mon corps.

C’est pourquoi aujourd’hui, mer,
la poussière de la terre sur les épaules,
encore imprégné de l’éphémère désir épuisé de l’homme,
me voici, lumière éternelle,
vaste mer infatigable,
rose du monde ardent.
Me voici face à toi, mer, encore…

Ombre du paradis. Gallimard, 1980. Traduction : Claude Couffon et Roger Noël-Mayer.

Jorge Luis Borges

Jorge Luis Borges (Adolf Hoffmeister), 1965.

Prólogo

« A nadie puede maravillar que el primero de los elementos, el fuego, no abunde en el libro de un hombre de ochenta y tantos años. Una reina, en la hora de su muerte, dice que es fuego y aire; yo suelo sentir que soy tierra, cansada tierra. Sigo, sin embargo, escribiendo. ¿Qué otra suerte me queda, qué otra hermosa suerte me queda? La dicha de escribir no se mide por las virtudes o flaquezas de la escritura. Toda obra humana es deleznable, afirma Carlyle, pero su ejecución no lo es.
No profeso ninguna estética. Cada obra confía a su escritor la forma que busca: el verso, la prosa, el estilo barroco o el llano. Las teorías pueden ser admirables estímulos (recordemos a Whitman) pero asimismo pueden engendrar monstruos o meras piezas de museo. Recordemos el monólogo interior de James Joyce o el sumamente incómodo Polifemo.
Al cabo de los años he observado que la belleza, como la felicidad, es frecuente. No pasa un día en que no estemos, un instante, en el paraíso. No hay poeta, por mediocre que sea, que no haya escrito el mejor verso de la literatura, pero también los más desdichados. La belleza no es privilegio de unos cuantos nombres ilustres. Sería muy raro que este libro, que abarca unas cuarenta composiciones, no atesorara una sola línea secreta, digna de acompañarte hasta el fin.
En este libro hay muchos sueños. Aclaro que fueron dones de la noche o, más precisamente, del alba, no ficciones deliberadas. Apenas si me he atrevido a agregar uno que otro rasgo circunstancial, de los que exige nuestro tiempo, a partir de Defoe.
Dicto este prólogo en una de mis patrias, Ginebra.

J.L.B

9 de enero de 1985.”

Los conjurados, 1985.

Prologue

” Nul ne s’étonnera si le premier des éléments, le feu, n’abonde guère dans le livre d’un homme qui a plus de quatre-vingts ans. A l’heure de sa mort, une reine dit qu’elle est air et feu ; je ressens, pour ma part, que je suis terre, terre lasse. Je continue, cependant, à écrire. Quelle autre chance me reste-t-il, quelle autre merveilleuse chance ? La fortune d’écrire ne se mesure pas aux vertus ou aux faiblesses de l’écriture. Toute oeuvre humaine est périssable, affirme Carlyle, mais son exécution ne l’est pas.

Je ne fais profession d’aucune esthétique. Chaque œuvre accorde à son auteur la forme qu’il recherche : le vers, la prose, le style baroque ou simple. Les théories peuvent être d’admirables stimulants ( songeons à Whitman ) mais elles peuvent tout pareillement engendrer des monstres ou de pures pièces de musée. Souvenons-nous du monologue intérieur ou du très encombrant Polyphème.

J’ai remarqué, au cours des ans, que la beauté, tout comme le bonheur, est chose fréquente. Pas un jour ne s’écoule sans que nous ne vivions, un instant, au paradis. Pas un poète, si médiocre soit-il, qui n’ait écrit le meilleur vers de la littérature, mais aussi les plus déplorables. La beauté n’est pas l’apanage de quelques noms illustres. Il serait bien surprenant que ce livre, où se retrouvent une quarantaine de compositions, ne renferme pas une seule ligne secrète, digne de t’accompagner jusqu’à la fin.

Il y a beaucoup de rêves dans ce livre. Ce furent, je le précise, les dons de la nuit, où plus exactement, de l’aube, et non des fictions délibérées. Á peine me suis-je hasardé à leur adjoindre tel ou tel trait de circonstance, ceux que notre temps, depuis Defoe, réclame.
Je dicte cette préface dans une de mes patries, Genève. »

J.L.B

9/1/1985

Les conjurés précédé de Le chiffre. Gallimard. 1988. Traduction Claude Esteban.

Francisco de Quevedo

Madrid. Biblioteca Nacional.

Marie Paule et Raymond Farina ont publié aujourd’hui sur Facebook un extrait du dernier poème rédigé par Octavio Paz (1914-1998), Respuesta y reconciliación. Diálogo con Francisco de Quevedo. Il est daté du 20 avril 1996. Ce grand poète mexicain a obtenu le Prix Cervantès en 1981 et le Prix Nobel de Littérature en 1990. Je me souviens de sa triste fin de vie. Son appartement et une partie de sa bibliothèque partirent en fumée lors d’un incendie le dimanche 22 décembre 1996 (México, calle Río Elba, colonia Cuauhtémoc). Il était déjà malade, mais cet accident accéléra sa dépression et sa maladie: “Los libros se van como se van los amigos”

https://d3atisfamukwh6.cloudfront.net/sites/default/files/files6/files/pdfs_articulos/Vuelta-Vol22_259_01RspRcOPz.pdf

Je me suis replongé dans les poèmes de Quevedo en passant par Octavio Paz. Le premier vers de Respuesta y reconciliación reprend le premier vers de Represéntase la brevedad de lo que se vive y cuán nada parece lo que se vivió.

Ce sonnet est un des plus célèbres de Quevedo. La vie est interpellée comme s’il s’agissait de l’enceinte d’une maison, d’une auberge. “Soy un fue, y un será, y un es cansado.” Ce vers est des plus impressionnants de la poésie espagnole.

[Represéntase la brevedad de lo que se vive y cuán nada parece lo que se vivió.]

“¡Ah de la vida!”… ¿Nadie me responde?
¡Aquí de los antaños que he vivido!
La fortuna mis tiempos ha mordido;
las Horas mis locuras las esconde.

¡Que sin poder saber cómo ni adónde
la salud y la edad se hayan huido!
Falta la vida, asiste lo vivido,
y no hay calamidad que no me ronde.

Ayer se fue; mañana no ha llegado;
hoy se está yendo sin parar un punto:
soy un fue, y un será, y un es cansado.

En el hoy y mañana y ayer, junto
pañales y mortaja, y he quedado
presentes sucesiones de difunto.

Nous avons la chance de pouvoir lire ce poème traduit en français par Claude Esteban et Jacques Ancet, deux grands poètes, deux grands traducteurs.

[Où l’on se représente la briéveté de ce qu’on vit, et le néant que semble ce que l’on a vécu]

Ho de la vie ! … Personne qui réponde ?
À l’aide, ô les antans que j´ai vécus !
Dans mes années, la Fortune a mordu ;
les Heures, ma folie les dissimule.

Quoi ! sans pouvoir savoir où ni comment
L’âge s’est évanoui et la vigueur !
Manque la vie, le vécu seul subsiste ;
Nulle calamité, autour, qui ne m’assiège.

Hier s’en est allé, Demain n´est pas encore,
Et Aujourd´hui s’en va sans même s’arrêter.
Je suis un Fut, un Est, un Sera harassé.

Dans l´aujourd´hui, l´hier et le demain j’unis
Les langes au linceul, et de moi ne demeurent
Que les successions d’un défunt.

Monuments de la mort. Traduction Claude Esteban. Paris, Deyrolle, 1992.

[Où l’on se représente la briéveté de ce qu’on vit, et le néant que semble ce que l’on a vécu]

“Hé là ! la vie !” … Personne ne m´entend ?
À moi, les autrefois que j´ai vécus !
Dans mes années, la fortune a mordu ;
les heures, ma folie leur fait écran.

Et sans pouvoir savoir où ni comment
ma vigueur et mon âge ont disparu !
La vie manque, demeure le vécu,
je ne suis assiégé que de tourments.

Hier a fui et demain n´est pas là ;
aujourd´hui passe, et il passe sans fin.
Suis un fut, un sera, un est trop las.

Dans l´aujourd´hui, l´hier et le demain
je joins linge et linceul ; reste de moi
une suite présente de défunts.

Les Furies et les Peines 102 sonnets. Choix, présentation et traduction de Jacques Ancet, Poésie/ Gallimard. Edition bilingue, 2010.

(Merci une fois de plus à Marie Paule et à Raymond)

Octavio Paz.

Luis Cernuda

(Merci à David Rey Fernández)

Luis Cernuda, un des plus grands poètes du XX ème siècle.

Retrato de Luis Cernuda (Ramán Gaya), 1932.

Epílogo

Playa de la Roqueta:
Sobre la piedra, contra la nube,
Entre los aires estás, conmigo
Que invisible respiro amor en torno tuyo.
Mas no eres tú, sino tu imagen.

Tu imagen de hace años,
Hermosa como siempre, sobre el papel, hablándome,
Aunque tan lejos yo, de ti tan lejos hoy
En tiempo y en espacio.
Pero en olvido no, porque al mirarla,
Al contemplar tu imagen de aquel tiempo,
Dentro de mí la hallo y lo revivo.

Tu gracia y tu sonrisa,
Compañeras en días a la distancia, vuelven
Poderosas a mí, ahora que estoy,
Como otras tantas veces
Antes de conocerte, solo.

Un plazo fijo tuvo
Nuestro conocimiento y trato, como todo
En la vida, y un día, uno cualquiera,
Sin causa ni pretexto aparente,
Nos dejamos de ver. ¿Lo presentiste?
Yo sí, que siempre estuve presintiéndolo.

La tentación me ronda
De pensar, ¿para qué todo aquello:
El tormento de amar, antiguo como el mundo,
Que unos pocos instantes rescatar consiguen?
Trabajos del amor perdidos.

No. No reniegues de aquello,
Al amor no perjures.
Todo estuvo pagado, sí, todo bien pagado,
Pero valió la pena,
La pena del trabajo
De amor, que a pensar ibas hoy perdido.

En la hora de la muerte
(Si puede el hombre para ella
Hacer presagios, cálculos),
Tu imagen a mi lado
Acaso me sonría como hoy me ha sonreído,
Iluminando este existir oscuro y apartado
Con el amor, única luz del mundo.

Poemas para un cuerpo, 1957.

Poème écrit entre le 11 et le 17 septembre 1961 à San Francisco.

Épilogue

Plage de la Roqueta :
Sur la pierre, devant les nuages,
Dans le vent, tu es là, avec moi
Qui respire, invisible, autour de toi l’amour
mais ce n’est pas toi, rien que ton image.

Ton image des années passées
Belle comme toujours, sur le papier, me parle
Alors que je suis loin, si loin de toi
Dans le temps et l’espace.
Mais non pas dans l’oubli, car si je la regarde,
Si je contemple ton image de ces jours,
Au fond de moi je la retrouve, je les revis.

Ta grâce et ton sourire,
Compagnons en ces jours lointains, reviennent
M’envahir maintenant que je suis,
Comme tant d’autres fois
Avant de te connaître, seul.

Une échéance était fixée
Á notre relation comme à tout
Dans la vie et un jour, un jour quelconque,
Sans raison ni cause apparente,
Nous avons cessé de nous voir. L’avais-tu pressenti ?
Moi, oui, depuis toujours je le savais.
La tentation me hante
De penser : à quoi bon tout cela,
Ce tourment d’aimer, vieux comme le monde,
Que seuls quelques instants rachètent ?
Peines d’amour perdues.
Non, ne les renie pas,
N’insulte pas l’amour.
Tout s’est payé, oui, cher payé,
Mais cela en valait la peine,
La peine du mal d’amour
Qui te semble aujourd’hui perdue.

Á l’heure de la mort
(Si l’on peut à son propos
Risquer présages ou calculs),
Ton image à mon côté
Comme aujourd’hui me sourira peut-être,
Illuminant cette existence obscure et solitaire
D’amour, seule clarté du monde.

Poèmes pour un corps. 1957. Traduction Bruno Roy. Fata Morgana, 1985.

Illustrations de Luis Caballero.

Claudio Rodríguez 1934 – 1999

Claudio Rodriguez. 1998. (Gorka Lejarcegi).

Ajeno

Largo se le hace el día a quien no ama
y él lo sabe. Y él oye ese tañido
corto y duro del cuerpo, su cascada
canción, siempre sonando a lejanía.
Cierra su puerta y queda bien cerrada;
sale y, por un momento, sus rodillas
se le van hacia el suelo. Pero el alba,
con peligrosa generosidad,
le refresca y le yergue. Está muy clara
su calle, y la pasea con pie oscuro,
y cojea en seguida porque anda
sólo con su fatiga. Y dice aire:
palabras muertas con su boca viva.
Prisionero por no querer, abraza
su propia soledad. Y está seguro,
más seguro que nadie porque nada
poseerá; y él bien sabe que nunca
vivirá aquí, en la tierra. A quien no ama,
¿cómo podemos conocer o cómo
perdonar? Día largo y aún más larga
la noche. Mentirá al sacar la llave.
Entrará. Y nunca habitará su casa.

Alianza y condena. Revista de Occidente, Madrid, 1965.

Étranger

Longue est la journée de qui n’aime pas
et le sait. Il entend les accents
durs et courts de son corps, sa chanson
éraillé, sonnant toujours à lointain.
Il ferme sa porte, la voilà bien fermée ;
il sort et, pour un moment, ses genoux
vont heurter le sol. Mais l’aube
avec une dangereuse générosité,
le rafraîchit et le redresse. Très claire
est sa rue, il l’arpente d’un pied sombre,
et il boîte aussitôt parce qu’il est accompagné
de sa seule fatigue. Et il se voue à l’air :
paroles mortes dans sa bouche vivante.
Prisonnier de ne pas aimer, il étreint
sa propre solitude. Et il est sûr de lui,
plus sûr que quiconque car il ne possédera
rien; et il sait bien que jamais
il ne vivra ici, sur la terre. Comment
connaître celui qui n’aime pas, comment
lui pardonner ? Longue journée et plus longue
nuit. Il mentira en sortant sa clé.
Il entrera. Et jamais il n’habitera sa maison.

Poésie espagnole, Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995. Traduction Claude de Frayssinet.

Claudio Rodríguez est né à Zamora (Castilla y León) le 30 janvier 1934.
Ce poète est l’une des grandes voix de l’Espagne de la seconde moitié du XX ème siècle.
Dans la bibliothèque paternelle, Claudio Rodríguez découvre la poésie : les poètes mystiques (Santa Teresa de la Cruz, San Juan de la Cruz, Fray Luis de León), la poésie française (Rimbaud, Mallarmé), mais aussi les poètes espagnols (Juan Ramón Jiménez, Antonio Machado). 
Il fait ses études supérieures à Madrid et obtient sa licence (Filología Románica) en 1957.
En mars 1953, il envoie à Vicente Aleixandre (1898-1984) , le futur Prix Nobel de Littérature (1977), le manuscrit de Don de la ebriedad. C’est le début d’une grande amitié. Il obtient cette année-là l’important prix Adonáis.
Il participe aux mouvements étudiants antifranquistes de 1956 à l’Université de Madrid.
Il choisit une certaine forme d’exil en devenant lecteur d’Espagnol à l’Université de Nottingham (1958-1960), puis à l’université de Cambridge (1960-1964). Il épouse Carmen Miranda en 1959. En Grande-Bretagne, il se lie d’amitié avec le poète Francisco Brines (1932-2021), récemment décédé, qui est lecteur à l’Université d’Oxford.
Á son retour en Espagne, il se consacre à l’enseignement de la littérature espagnole et à la traduction (T.S.Eliot).
Il est considéré comme un membre de la Génération de 1950 (Carlos Barral, Francisco Brines, José María Caballero Bonald, Jaime Gil de Biedma, José Agustín Goytisolo, Ángel González, José Ángel Valente ). Il appelle pourtant ce groupe “El archipiélago “(L’archipel), étant donné la diversité de ces auteurs. Il n’aime pas la vie littéraire. Il préfère la marche, la nature, la lumière, la Castille, les personnes simples. Il déteste le protocole (“Hoy hay mucho protoculo”  “¿Pero qué es esa expresión horrible del cultivo de la imagen? Una persona es una persona, no una imagen”). Il ne manquait pas d’humour: «Si yo estuviera en un país comunista me expulsarían por falta de producción»
Sa sœur María del Carmen est assassinée en 1974. C’est le fait le plus tragique de sa vie (cf. Herida en cuatro tiempos in El vuelo de la celebración. 1976)
Il entre à la Real Academia Española en 1987.
Il obtient le Prix Príncipe de Asturias en 1993 pour l’ensemble de son œuvre et la même année le Prix Reina Sofía de Poésie Ibéroaméricaine.
Il meurt à Madrid le 22 juillet 1999.

Bibliographie
Don de la ebriedad, Madrid, Adonáis, 1953. (Premio Adonáis)
Conjuros, Torrelavega, Ed. Cantalpiedra, 1958.
Alianza y condena, Madrid, Revista de Occidente, 1965. (Premio de la Crítica)
El vuelo de la celebración, Madrid, Visor, 1976.
Casi una leyenda, Barcelona, Tusquets, 1991.
Aventura, (edición facsímil), Salamanca, Tropismos, 2005.
Poemas laterales. Lanzarote, Fundación César Manrique. 2006.

En français :
Quatre chants de Don de l’ébriété. Traduction : Laurence Breysse-Chanet, Polyphonies, n° 1, hiver-printemps 1992.
Poèmes traduits par Lionel Destremau. Prétexte n° 2, janvier-février 1995
Ballet de papier, in Anthologie bilingue de la poésie espagnole, La Pléiade, 1995, p. 944-947. Traduction Nadine Ly.
Poesia/poesie. Traduction et présentation de Laurence Breysse-Chanet, Ed. Hispanogalias, n° 2, 2005 (choix de dix poèmes de trois recueils de Claudio Rodriguez).
Don de l’ébriété. Traduction et présentation de Laurence Breysse-Chanet. Préface de Antonio Gamoneda, Arfuyen, 2008.

Carmen Laforet – Juan Ramón Jiménez

La romancière espagnole Carmen Laforet est née il y a tout juste 100 ans le 6 septembre 1921 à Barcelone.
Elle reçoit le 6 janvier 1945 le Prix Nadal pour son roman Nada. Elle avait alors 23 ans. Ce roman reflète assez bien l’ atmosphère étouffante de l’après-guerre civile.
Elle se marie en 1948 avec le journaliste et critique Manuel Cerezales. Elle aura cinq enfants : Marta, Cristina, Silvia, Manuel, Agustín. Ils se séparent à la fin de l’été 1970.
Elle meurt le 28 février 2004 à Majadahonda (Communauté de Madrid) à 82 ans.

Oeuvres principales :
1944 Nada (Prix Nadal 1944) — Traduction française : Rien, Éditions Bartillat, 2004. Traducteurs : Marie-Madeleine Peignot Mathilde Pomès, Maria Guzmán.
1950 La isla y los demonios — Traduction française : L’île et ses démons, Éditions Bartillat, 2006. Traducteur : André Gabastou.
1955 La mujer nueva (Prix national de Narration 1955) — Traduction française : Une nouvelle femme, Éditions Bartillat, 2009. Traducteur : André Gabastou.
1963 La insolación.
2003 Puedo contar contigo (1965-1975) Correspondance avec Ramón J. Sender.
2004 Al volver la esquina.

En épigraphe de son célèbre roman Nada, on trouve la première strophe de ce poème de Juan Ramón Jiménez qui appréciera beaucoup le livre comme Azorín.

Nada

A veces un gusto amargo,
un olor malo, una rara
luz, un tono desacorde,
un contacto que desgana,
como realidades fijas
nuestros sentidos alcanzan
y nos parece que son
la verdad no sospechada.

Volvemos luego a lo otro
y, baja, la nube ¿pasa?
No es posible gustar ya,
oler, ver, oír, tocar la
miseria que nos sumía
en sus profundas entrañas.
Pero hay un fondo vano
donde todo aquello para,
y aunque no se sepa, sigue
allí, sucia la amenaza.

« Felicidad (dice el día)
tu gloria está terminada ».
El corazón y la frente
lo repiten : «¡Terminada!».
Pero en el nadir más triste,
por su cuenta, no en palabras
repite un eco soez :
«¡Nada, nada, nada, nada!»

Canción, 1916.

Juan Ramón Jiménez, Prix Nobel de Littérature en 1956 écrira cette lettre à la jeune romancière:

“Querida Carmen Laforet:
Acabo de leer “Nada”, este primer libro suyo, que me llegó, en segunda edición, de Madrid. Le escribo para decirle que le agradezco la belleza tan humana de su libro, belleza de su sentimiento; mucha parte, sin duda, un libro es uno mismo más de lo que suele creerse, sobre todo un libro como el de usted, que se le ve nutrirse, hoja tras hoja, de la sustancia propia de la escritora.
… El primer libro de una muchacha y en particular el suyo… está hecho, es claro, de pedazos entrañables, como todo lo que hace la juventud, y con tanta jenerosidad de ofrecimiento público…En los libros juveniles hay siempre algo relijioso, esa fresca espontaneidad de un noviciado libre, y en su caso, de una novicia de la novela…
Yo siempre he sido un gozador del defecto… Bendito el llamado defecto, que no lo es, ¡y que nos salva de la odiosa perfección! En su libro me gustan los defectos… Y he pensado muchas veces que me gustaría que toda mi obra fuese como un defecto de un andaluz. ¡Qué horror esos muchachos que empiezan a escribir “correctos”!… Porque ¡Dios del verbo, del sustantivo y del adjetivo, ¿cómo escribirán Pérez de Ayala y Jorge Guillén cuando tengan (y que Dios se los dé) 80 años!
Le quiero señalar, entre lo que considero más completo de su “Nada”, el extraordinario capítulo 4, con su diálogo tan natural y revelador, entre la abuela y Gloria; el 15, que es un cuento absoluto, como lo son también otros. A mí me parece que su libro no es una novela en el sentido más usual de la palabra… sino una serie de cuentos tan hermosos alguno de ellos como los de Gorki, Eça de Queiróz, Unamuno o Hemingway…
Necesito volver a lo del estilo. ¿Qué es un estilo cuidado? ¿En qué consiste ese cuidado?… Creo yo que son los de los novelistas del 98, que no solamente acertaron en su juventud, sino que mejoraron con el tiempo. Azorín, por ejemplo, escribe mejor cada vez, y en los libros últimos de Pío Baroja hay pájinas magníficas…Miguel de Unamuno murió escribiendo en plena hermosura… Y son buenos y bellos porque consiguen su propósito estético de síntesis idiomáticas. Y Ramón Gómez de la Serna, de la jeneración siguiente a Miró, sigue siendo tan profundamente natural y verde como una higuera…
Siempre me ha obsesionado el asunto del estilo. Ahora yo, que estoy repasando toda mi obra escrita para una edición definitiva (y no mirarla más), me deleito en quitar todas las palabras menos naturales, “estío” por verano… “gualdo” por amarillo… “albo” por blanco… Y he vuelto a poner repeticiones que eran necesarias donde las había quitado. Yo creo que el estilo se hace con la expresión, hablando; escribiendo, con los puntos y las comas. Con puntos y comas se adornan todos los estilos. Por eso gente del pueblo que no sabe escribir según ella cree, ha puesto a veces todos los puntos y las comas al final de una carta, para que el lector los coloque donde los necesite. Y por eso ilustres filólogos que yo conozco, dejan la puntuación al cuidado de un exijente corrector de pruebas…
Se me olvidaba decirle que “Nada” la hemos leído mi mujer y yo juntos. Muchas veces leemos juntos cuando el libro es novela o teatro. La poesía o el ensayo requieren para mí lectura individual y ojos. A mí se me pegan tanto los ojos a cualquier libro, que a veces tardo meses en leer veinte pájinas. Cuando leo con otra persona, releo luego con los ojos lo que recuerdo más con el oído, y este modo de leer tiene para mí la ventaja a veces de comprobar sólo lo mejor.
Vamos a ver si podemos interesar a algún editor norteamericano en su libro y que sea traducido y publicado aquí. Para eso necesito dos o tres ejemplares de “Nada”. Me parece que gustaría de veras, porque “Nada”, como todo lo auténtico, es de aquí también, y de hoy, y será de mañana.
Juan Ramón. Washington, marzo de 1946.”

Juan Ramón Jiménez.