Federico García Lorca

Je me répète, je me répète… Et pourquoi pas ?

Lac Eden (Vermont)

Poema doble del lago Eden

Nuestro ganado pace, el viento espira.

Garcilaso

Era mi voz antigua
ignorante de los densos jugos amargos.
La adivino lamiendo mis pies
bajo los frágiles helechos mojados.

¡Ay voz antigua de mi amor,
ay voz de mi verdad,
ay voz de mi abierto costado,
cuando todas las rosas manaban de mi lengua
y el césped no conocía la impasible dentadura del caballo!

Estás aquí bebiendo mi sangre,
bebiendo mi humor de niño pasado,
mientras mis ojos se quiebran en el viento
con el aluminio y las voces de los borrachos.

Dejarme pasar la puerta
donde Eva come hormigas
y Adán fecunda peces deslumbrados.
Dejarme pasar, hombrecillo de los cuernos,
al bosque de los desperezos
y los alegrísimos saltos.

Yo sé el uso más secreto
que tiene un viejo alfiler oxidado
y sé del horror de unos ojos despiertos
sobre la superficie concreta del plato.

Pero no quiero mundo ni sueño, voz divina,
quiero mi libertad, mi amor humano
en el rincón más oscuro de la brisa que nadie quiera.
¡Mi amor humano!

Esos perros marinos se persiguen
y el viento acecha troncos descuidados.
¡Oh voz antigua, quema con tu lengua
esta voz de hojalata y de talco!

Quiero llorar porque me da la gana
como lloran los niños del último banco,
porque yo no soy un hombre, ni un poeta, ni una hoja,
pero sí un pulso herido que ronda las cosas del otro lado.

Quiero llorar diciendo mi nombre,
rosa, niño y abeto a la orilla de este lago,
para decir mi verdad de hombre de sangre
matando en mí la burla y la sugestión del vocablo.

No, no. Yo no pregunto, yo deseo,
voz mía libertada que me lames las manos.
En el laberinto de biombos es mi desnudo el que recibe
la luna de castigo y el reloj encenizado.

Así hablaba yo.
Así hablaba yo cuando Saturno detuvo los trenes
y la bruma y el Sueño y la Muerte me estaban buscando.
Me estaban buscando
allí donde mugen las vacas que tienen patitas de paje
y allí donde flota mi cuerpo entre los equilibrios contrarios.


Poeta en Nueva York. 1929-1930.
1940.

Federico García Lorca et Philip Cummings.

Philip Cummings (1906-1991), étudiant et jeune poète américain, et Federico García Lorca se rencontrent à Madrid en 1928, à la Residencia de Estudiantes. Le poète andalou arrive à New York le 25 juin 1929. Il y reste jusqu’en février 1930 , puis se rend à Cuba en mars. Il ne cesse d’écrire, mais traverse une grave crise intérieure. Il s’échappe quelque temps de New York et de ses cours d’anglais. Il vit du 17 au 26 août 1929 au bord du Lac Eden (Vermont) dans une cabane louée par la famille de son ami. Ils traduisent ensemble en anglais le recueil Canciones. La nature est magnifique, mais il pleut sans cesse. García Lorca est désespéré. Il pense à son enfance et réfléchit à sa douloureuse expérience récente. Le poète andalou aurait confié à son ami américain 53 feuilles manuscrites qu’il lui aurait demandé de détruire s’il ne les lui réclamait pas dix ans plus tard. Cummings lui aurait obéi en 1961.

Double poème du Lac Eden
Nos brebis paissent, la brise souffle.
Garcilaso

Ma voix ancienne
ignorait les sucs amers et denses.
Je la devine qui lèche mes pieds
sous les frêles fougères mouillées.

Ô voix ancienne de mon amour,
ô voix de ma vérité,
ô voix de mon flanc ouvert,
quand toutes les roses jaillissent de ma langue,
quand le gazon ne connaissait l’impassible denture du cheval!

Tu es ici à boire mon sang,
à boire mon humeur d’enfant ennuyeux,
tandis que mes yeux se brisent dans le vent
avec l’aluminium et les voix des ivrognes.

Laisse -moi passer la porte
où Eve mange des fourmis
et Adam féconde des poissons éblouis.
Laisse-moi passer, petit homme cornu,
dans le bois où l’on étire son corps
et où l’on saute gaîment.

Je sais l’usage le plus secret
d’une vieille épingle oxydée
et je sais l’horreur des yeux éveillés
sur la surface concrète de l’assiette.

Mais je veux ni monde ni songe, voix divine,
je veux ma liberté, mon amour humain,
dans le coin le plus sombre de la brise, que nul ne veuille.
Mon amour humain!

Ces chiens de la mer se poursuivent
et le vent guette des troncs négligés.
Ô voix ancienne, brûle de ta langue
cette voix de fer-blanc et de talc!

Je veux pleurer parce que j’en ai envie
comme pleurent les enfants du dernier banc,
parce que je ne suis homme, poète ni feuille,
mais pulsation blessée qui sonde les choses de l’autre côté.

Je veux pleurer en disant mon nom,
rose, enfant et sapin au bord de ce lac,
pour dire ma vérité d’homme de sang
en tuant en moi la raillerie et la suggestion du mot.

Non, non, je n’interroge pas, je désire,
ô ma voix libérée qui me lèche les mains.
Dans le labyrinthe de paravents, c’est ma nudité qui reçoit
la lune de châtiment et l’horloge couverte de cendres.

Ainsi parlais-je.
Ainsi parlais-je quand Saturne arrêta les trains
et que la brume et le Songe et la Mort me cherchaient.
Ils me cherchaient
là où mugissent les vaches qui ont de petites pattes de page
et là où mon corps flotte entre équilibres contraires.

Poésie, III. Poésie/Gallimard, 1968. Traduction Pierre Darmangeat.

New York. Rue Lafayette. Fresque murale de Raúl Ruiz, alias Sex o el Niño de las Pinturas (2016).

Federico García Lorca

Fuente Vaqueros. Calle de la Trinidad, 4. Maison natale de Federico García Lorca.

(Pour Manuel, mon fils, philosophe et apiculteur…)

Federico García Lorca est né à Fuente Vaqueros, près de Grenade, le 5 juin 1898. Son père, Federico García Rodríguez (1859-1945) est un riche et libéral propriétaire terrien de la très fertile Vega de Granada. Le futur poète passe les onze premières années de son enfance à la campagne dans une zone de longue tradition apicole. En 1906-1907, sa famille s’installe à Asquerosa, petit village tout proche, aujourd’hui appelé Valderrubio, et en 1909 à Grenade en ville (Acera del Darro, 46). Toute sa vie, il fait aussi des séjours dans la maison de campagne familiale, la Huerta de San Vicente. L’ambiance rurale est centrale dans toute son oeuvre.

El canto de la miel

Noviembre de 1918

(Granada)

La miel es la palabra de Cristo,
el oro derretido de su amor.
El más allá del néctar,
la momia de la luz del paraíso.

La colmena es una estrella casta,
pozo de ámbar que alimenta el ritmo
de las abejas. Seno de los campos
tembloroso de aromas y zumbidos.

La miel es la epopeya del amor,
la materialidad de lo infinito.
Alma y sangre doliente de las flores
condensada a través de otro espíritu.

(Así la miel del hombre es la poesía
que mana de su pecho dolorido,
de un panal con la cera del recuerdo
formado por la abeja de lo íntimo)

La miel es la bucólica lejana
del pastor, la dulzaina y el olivo,
hermana de la leche y las bellotas,
reinas supremas del dorado siglo.

La miel es como el sol de la mañana,
tiene toda la gracia del estío
y la frescura vieja del otoño.
Es la hoja marchita y es el trigo.

¡Oh divino licor de la humildad,
sereno como un verso primitivo!

La armonía hecha carne tú eres,
el resumen genial de lo lírico.
En ti duerme la melancolía,
el secreto del beso y del grito.

Dulcísima. Dulce. Este es tu adjetivo.
Dulce como los vientres de las hembras.
Dulce como los ojos de los niños.
Dulce como las sombras de la noche.
Dulce como una voz.
O como un lirio.

Para el que lleva la pena y la lira,
eres sol que ilumina el camino.
Equivales a todas las bellezas,
al color, a la luz, a los sonidos.

¡Oh! Divino licor de la esperanza,
donde a la perfección del equilibrio
llegan alma y materia en unidad
como en la hostia cuerpo y luz de Cristo.

Y el alma superior es de las flores,
¡Oh licor que esas almas has unido!
El que te gusta no sabe que traga
un resumen dorado del lirismo.

Libro de poemas. 1921.

Grenade, Huerta de San Vicente, calle Arabial. Parque García Lorca. Aujourd’hui: Casa-Museo de Federico García Lorca.

Le cantique au miel

Novembre 1918

(Grenade)

Le miel est la parole du Christ
L’or fondu de son amour,
L’au-delà du nectar,
La momie de la lumière du paradis.

La ruche est une chaste étoile,
Un puit d’ambre alimenté au rythme
Des abeilles. Le sein des campagnes,
Tremblant d’arômes et de bourdonnements.

Le miel est l’épopée de l’amour,
La matérialité de l’infini,
L’âme et le sang plaintif des fleurs
Condensés à travers un autre esprit.

(Et le miel de l’homme est la poésie
Qui coule de son cœur endolori,
Rayon dont la cire est le souvenir,
Façonnée par l’abeille la plus intime.)

Le miel est la bucolique lointaine
Du pasteur, la flûte et les oliviers,
Le frère du gland et du lait
Qui régnaient en l’âge d’or.

Comme le soleil du matin, le miel
A tout le charme de l’Été
Et la fraîcheur ancienne de l’Automne.
C’est la feuille morte et le blé.

Ô divine liqueur d’humilité
Aussi sereine qu’un vers primitif !

Tu es l’harmonie incarnée
Et la géniale essence du lyrisme.
En toi dort la mélancolie,
Le secret du baiser et du cri.

Ô douceur ! Le doux est ton attribut,
Doux comme le ventre des femmes,
Doux comme les yeux des enfants,
Doux comme l’ombre de la nuit,
Doux comme une voix.
Ou comme un lys.

Soleil qui éclaires les pas
De celui qui porte la peine et la lyre,
Tu équivaux à toutes les beautés,
Á la couleur, à la lumière, à la musique.

Ô divine liqueur de l’espérance
Où l’âme et la matière se marient
Dans un équilibre parfait,
Comme en l’hostie le corps du Christ et sa lumière.

Tu es des fleurs l’achèvement suprême,
Ô liqueur, en qui leurs âmes s’unissent !
Qui te goûte ne sait qu’il absorbe
L’essence dorée du lyrisme.

Poésies I Livre de poèmes Mon village. NRF. Poésie/Gallimard n° 20. 1967. Traduction : André Belamich.

Première édition de Libro de poemas. 1921.

Federico García Lorca – Sophia de Mello Breyner Andresen

Le 18 août 1936, il y a 85 ans, dans le ravin de Viznar, près de Grenade, était assassiné par les franquistes le poète Federico García Lorca.

Túmulo de Lorca (Sophia de Mello Breyner Andresen)

Em ti choramos os outros mortos todos
Os que foram fuzilados em vigílias sem data
Os que se perdem sem nome na sombra das cadeias
Tão ignorados que nem sequer podemos
Perguntar por eles imaginar seu rosto
Choramos sem consolação aqueles que sucumbem
Entre os cornos da raiva sob o peso da força

Não podemos aceitar. O teu sangue não seca
Não repousamos em paz na tua morte
A hora da tua morte continua próxima e veemente
E a terra onde abriram a tua sepultura
É semelhante à ferida que não fecha

O teu sangue não encontrou nem foz nem saída
De Norte a Sul de Leste a Oeste
Estamos vivendo afogados no teu sangue
A lisa cal de cada muro branco
Escreve que tu foste assassinado

Não podemos aceitar. O processo não cessa
Pois nem tu foste poupado à patada da besta
A noite não pode beber nossa tristeza
E por mais que te escondam não ficas sepultado

Geografía, 1967.

Tumba de Lorca

En ti lloramos todos los demás muertos
Los que fueron fusilados en vigilias sin fecha
Los que se pierden sin nombre en la sombra de las prisiones
Tan ignorados que ni siquiera podemos
Preguntar por ellos imaginar sus rostros
Lloramos sin consuelo aquellos que sucumben
Entre los cuernos de rabia bajo el peso de la fuerza

No podemos aceptar. Tu sangre no se seca
No descansamos en paz en tu muerte
La hora de tu muerte continúa cercana y vehemente
Y la tierra donde abrieron tu sepultura
Semeja una herida que no cierra

Tu sangre no halló embocadura ni salida
De norte a sur de este a oeste
Estamos viviendo ahogados en tu sangre
La lisa cal de cada muro blanco
Escribe que tú fuiste asesinado

No podemos aceptarlo. El proceso no cesa
Pues ni tú te libraste de la patada de la bestia
La noche no puede beber nuestra tristeza
Y por más que te escondan aún no estás sepultado

Lo digo para ver, Septiembre 2019. 2019. Editorial: Galaxia Gutemberg. Traducción de Ángel Campos Pámpano.

Sophia de Mello Breyner Andresen.

Sophia de Mello Breyner Andresen est née le 6 novembre 1919 à Porto dans une vieille famille aristocratique .
Elle suit des études de philologie classique à la Faculté des Lettres de Lisbonne.
Elle publie en 1944 un premier recueil, Poesía, publié à compte d’auteur. Elle entame alors une carrière littéraire, encouragée par Miguel Torga.
Engagée politiquement à gauche, elle a joué un rôle de premier plan dans les combats qui ont permis l’instauration de la démocratie au Portugal. Elle est élue à l’Assemblée Constituante en 1975 pour la région de Porto sur une liste du Parti Socialiste Portugais
C’est une des plus importantes poétesses portugaises du XX ème siècle. Elle a écrit aussi des essais, des nouvelles et des livres pour enfants. Elle a traduit de nombreux auteurs étrangers.
Elle a reçu le prix Camões, le plus important prix de littérature de langue portugaise en 1999 pour l’ensemble de son œuvre, et le prix Reina Sofía de poésie iberoamericaine en 2003.
Elle est morte à 84 ans le 2 juillet 2004 à Lisbonne. Elle est enterrée au Panteão Nacional de Lisbonne depuis 2014 (Église de Santa Engrácia).

Maurice Barrès – El Greco – Luis de Góngora

Vue de Tolède (El Greco), v 1604-1614. New York, Metropolitan Museum of Art.

Ces jours derniers, j’ai trouvé dans la boîte à livres qui se trouve devant le Parc de Noisiel un essai que je cherchais depuis un certain temps: Greco ou le secret de Tolède de Maurice Barrès. Le texte a beaucoup vieilli, mais il fut important à son époque pour la reconnaissance du peintre d’origine crétoise.

Le 15 juin 1924, à l’initiative de Gregorio Marañón, une rue Maurice-Barrès (calle de Mauricio Barrès) fut inaugurée à Tolède, près de la cathédrale de Santa María, en mémoire des séjours de l’auteur dans la ville espagnole, le premier en 1892.

El Greco fut redécouvert au XIX ème siècle et reconnu en France par Delacroix, Millet, Manet, Cézanne. Édouard Manet et le critique d’art Zacharie Astruc ont échangé sur ce peintre par lettres. « Deux hommes seulement, après le Maître ( Vélasquez), m’ont séduit là-bas : Greco dont l’œuvre est bizarre, des portraits fort beaux cependant (je n’ai pas été content du tout de son Christ de Burgos) et Goya» écrit Manet à Astruc le 17 septembre 1865.
« Combien de fois ne vous ai-je parlé de ce pauvre Greco. N’est-il pas vrai que son œuvre semble empreinte de quelque horrible tristesse. Avez-vous remarqué l’étrangeté de ses portraits ? Rien de plus funèbre. Il les ordonne avec deux gammes : le noir, le blanc. Le caractère en est frappant. Tolède possède deux toiles que je vous avais signalées : La Mort d’un chevalier – Jésus au milieu des soldats. Mais pourrez-vous croire, maintenant, à cette absurdité propagée, encore par Gautier, – Greco devint fou, désespéré de sa ressemblance avec Titien. Voilà bien, toujours la critique française – l’historiette. Est-il un artiste plus personnel que celui-là – personnel de ton, de forme, de conception ? » lui répond Astruc le 20 septembre 1865.

Á la fin de l’essai de Maurice Barrès, on trouve un sonnet de Luis de Góngora et sa traduction par Francis de Miomandre.

Portrait de Luis de Góngora y Argote (Diego Velázquez), 1622. Boston, Museum of Fine Arts.

Inscripción para el sepulcro de Domenico Greco, excelente pintor

Esta en forma elegante, oh peregrino,
de pórfido luciente dura llave,
el pincel niega al mundo más süave,
que dio espíritu a leño, vida a lino.

Su nombre, aun de mayor aliento dino
Que en los clarines de la Fama cabe,
el campo ilustra de ese mármol grave:
venéralo, y prosigue tu camino.

Yace el Griego. Heredó Naturaleza
arte, y el Arte, estudio. Iris, colores,
Febo, luces si no sombras Morfeo.

Tanta urna, a pesar de su dureza,
lágrimas beba, y cuantos suda olores
corteza funeral de árbol sabeo.

1614.

Au tombeau du grand maître Domenico Greco

” O passant, ce beau monument, dure voûte de brillant porphyre, dérobe désormais à l’univers le pinceau le plus doux qui ait fait frémir la vie sur le bois et la toile.
Son nom, digne d’un souffle plus puissant que celui qui remplit le clairon de la Renommée, s’étend et brille sur ce champ de marbre lourd. Révère-le et passe.
Ici gît le Greco. Si l’étude lui livra les secrets de l’art, l’art lui révéla ceux de la nature. Iris lui légua ses couleurs, Phébus sa lumière, sinon Morphée ses ombres.
Que cette urne, écorce funèbre de l’arbre sabéen, boive nos larmes et que, malgré sa dureté, elle en exsude autant d’aromates. ”

Traduction de Francis de Miomandre.

Greco ou le secret de Tolède de Maurice Barrès. La Revue bleue, 1909, puis Émile-Paul frère, 1912. Flammarion . Images et idées. Arts et métiers graphiques. 1966.

Andrés Sánchez Robayna – Jacques Ancet III

Je relis les poèmes d’Andrés Sánchez Robayna et les traductions de Jacques Ancet. Ce dernier a traduit aussi entre autres en français Vicente Aleixandre, Jorge Luis Borges, Luis Cernuda, Antonio Gamoneda, Juan Gelman, Ramón Gómez de la Serna, Luis de Góngora, San Juan de la Cruz, Roberto Juarroz, Alejandra Pizarnik, Francisco de Quevedo, José Ángel Valente, Xavier Villaurrutia, María Zambrano…

Espagne. Amandier en fleur (Prunus dulcis).

Verás, incomprensible,
blanco, casi vencido,
un almendro, de noche,
florecer junto a un muro.

Aún dura bajo el polvo,
seco, en el aire último.
Ahora muestra en silencio
sus hojas en lo oscuro.

Verás los brotes
pobres en lo negro, desnudos.
Verás ramas y tallos
en los brazos del Uno.

Sobre una confidencia del mar griego precedido de Correspondencias. 2005. Signos.

Tu verras l’amandier
blanc, incompréhensible,
presque vaincu, fleurir,
de nuit tout près d’un mur.

Sous la poussière sèche,
il dure à l’air ultime.
Il montre dans l’obscur
en silence ses feuilles.

Tu verras les bourgeons
pauvres et nus dans le noir.
Tu verras branches et tiges
entre les bras de l’Un.

Sur une confidence de la mer grecque précédé de Correspondances. Gallimard , 2008. Traduction : Jacques Ancet.

Rome. Cimetière du Testaccio. Tombe de John Keats.

Cementerio del Testaccio

Caminaste, una sombra apenas por la hierba,
hasta la piedra escrita. La mañana
verdeaba en lo húmedo, en el barro
mojado por la lluvia. Las palabras,

en la piedra, fijaban
un breve tiempo de dolor, el nombre
que fue escrito en el agua. Más allá,
pero casi cercana, se diría

a unos pasos tan sólo, pero dónde,
otra piedra perdida,
la de un niño en el barro, sin memoria.
Y otra piedra sin nombre, en la que sólo había,

simple, sin obra apenas, un ánfora labrada
toscamente. Que el agua
de la lluvia te alcance, piedra de la ignorancia,
que su rumor proteja la tierra sosegada.

Sobre una confidencia del mar griego precedido de Correspondencias. 2005. Signos.

Cimetière du Testaccio

Tu es venu, ombre à peine dans l’herbe,
jusqu’à la pierre écrite. Le matin
verdoyait dans l’humide, dans la boue
trempée de pluie. Sur la pierre les mots
retenaient

la brièveté d’un temps de douleur,
le nom qui fut écrit sur l’eau. Plus loin,
mais à côté presque, juste à quelques pas

aurait-on dit, mais où?, une autre pierre
égarée, celle
d’un enfant, sans mémoire, dans la boue.
Et, sans nom, une autre pierre, où il n’y avait,

simple, à peine ébauchée, qu’une amphore sculptée
grossièrement. Que l’eau
de la pluie te touche, pierre de l’ignorance,
que sa rumeur protège la terre apaisée.

Sur une confidence de la mer grecque précédé de Correspondances. Gallimard , 2008. Traduction : Jacques Ancet.

Anakena. Moaïs. Parc National de Rapa Nui. Île de Pâques.

Las nubes

Pasan las nubes blancas. En la tierra
indescifrable, el matorral oscuro,
la fijeza del tojo. Arriba, el cuerpo errante
del cúmulo en el nudo de la luz.

Pasar, como las nubes,
los cielos arrasados del verano tardío,
atravesar la claridad, herido,
en los ojos dolor, un cardo entre las manos.

Sobre una piedra extrema. 1995.

Les nuages

Passent les nuages blancs. Sur la terre
indéchiffrable, la broussaille obscure,
la raideur de la ronce. Plus haut le corps errant
nomade dans le nœud de la lumière.

Passer, comme les nuages,
les ciels nivelés de l’été tardif,
passer à travers la clarté, blessé,
dans les yeux la douleur, un chardon dans les mains.

Sur une pierre extrême. 1995. Traduction : Jacques Ancet.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/08/12/andres-sanchez-robayna-jacques-ancet-i/

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/08/12/andres-sanchez-robayna-jacques-ancet-ii/

Federico García Lorca

Hombre y joven marinero, 1929.

Federico García Lorca séjourne à Columbia University (New York) du 25 juin 1929 au 4 mars 1930. En 1931, il présente ainsi Poeta en Nueva York qui ne paraît de manière posthume qu’en 1940 : “una interpretación personal, abstracción impersonal, sin lugar ni tiempo, de aquella ciudad mundo. Un símbolo patético: sufrimiento. Pero de revés, sin dramatismo”.

Panorama ciego de Nueva York

Si no son los pájaros
cubiertos de ceniza,
si no son los gemidos que golpean las ventanas de la boda,
serán las delicadas criaturas del aire
que manan la sangre nueva por la oscuridad inextinguible.
Pero no, no son pájaros,
porque los pájaros están a punto de ser bueyes.
Pueden ser rocas blancas con la ayuda de la luna,
y son siempre muchachos heridos
antes de que los jueces levanten la tela.

Todos comprenden el dolor que se relaciona con la muerte
pero el verdadero dolor no está presente en el espíritu.
No está en el aire ni en nuestra vida,
ni en estas terrazas llenas de humo.
El verdadero dolor que mantiene despiertas las cosas
es una pequeña quemadura infinita
en los ojos inocentes de los otros sistemas.

Un traje abandonado pesa tanto en los hombros,
que muchas veces el cielo los agrupa en ásperas manadas;
y las que mueren de parto saben en la última hora
que todo rumor será piedra y toda huella, latido.
Nosotros ignoramos que el pensamiento tiene arrabales
donde el filósofo es devorado por los chinos y las orugas
y algunos niños idiotas han encontrado por las cocinas
pequeñas golondrinas con muletas
que sabían pronunciar la palabra amor.

No, no son los pájaros.
No es un pájaro el que expresa la turbia fiebre de laguna,
ni el ansia de asesinato que nos oprime cada momento,
ni el metálico rumor de suicidio que nos anima cada madrugada;
es una cápsula de aire donde nos duele todo el mundo,
es un pequeño espacio vivo al loco unisón de la luz,
es una escala indefinible donde las nubes y rosas olvidan
el griterío chino que bulle por el desembarcadero de la sangre.
Yo muchas veces me he perdido
para buscar la quemadura que mantiene despiertas las cosas
y sólo he encontrado marineros echados sobre las barandillas
y pequeñas criaturas del cielo enterradas bajo la nieve.
Pero el verdadero dolor estaba en otras plazas
donde los peces cristalizados agonizaban dentro de los troncos,
plazas del cielo extraño para las antiguas estatuas ilesas
y para la tierna intimidad de los volcanes.

No hay dolor en la voz. Sólo existen los dientes,
pero dientes que callarán aislados por el raso negro.
No hay dolor en la voz. Aquí sólo existe la Tierra.
La Tierra con sus puertas de siempre
que llevan al rubor de los frutos.

Poeta en Nueva York, 1940.

Panorama aveugle de New York

Si ce ne sont les oiseaux
couverts de cendre,
si ce ne sont les gémissements qui frappent aux fenêtres de la noce,
ce seront les délicates créatures de l’air
qui feront jaillir le sang neuf dans l’obscurité inextinguible.
Mais non, ce ne sont pas les oiseaux,
parce que les oiseaux sont en passe d’être des bœufs.
Ce peuvent être des roches blanches avec l’aide de la lune,
et ce sont toujours des jeunes filles blessées
avant que les juges ne soulèvent le voile.

Tout le monde comprend la douleur qui est liée à la mort,
mais la vraie douleur n’est pas présente dans l’esprit.
Elle n’est pas dans l’air ni dans notre vie,
ni sur ces terrasses pleines de fumée.
La véritable douleur qui tient éveillées les choses
est une petite brûlure infinie
dans les yeux innocents des autres systèmes.

Un vêtement abandonné pèse tellement sur les épaules,
que bien souvent le ciel les regroupe en âpres troupeaux ;
et celles qui meurent en couches savent, à leur dernière heure,
que tout bruit sera pierre et toute trace, élancement.
Nous, nous ignorons que la pensée a des faubourgs
où le philosophe est dévoré par les Chinois et les chenilles
et certains enfants idiots ont trouvé dans les cuisines
de petites hirondelles avec des béquilles
qui savaient prononcer le mot amour.

Non, ce ne sont pas les oiseaux.
Ce n’est pas un oiseau qui exprime la trouble fièvre de la lagune
ni l’ardent désir de meurtre qui nous oppresse à chaque instant
ni la métallique rumeur de suicide qui nous anime chaque matin :
c’est une capsule d’air où nous fait mal le monde entier,
c’est un petit espace vivant à l’unisson fou avec la lumière,
c’est une échelle indéfinissable où nuages et roses oublient
les cris incohérents qui grouillent dans le débarcadère du sang.
Moi maintes fois je me suis perdu
en cherchant la brûlure qui tient éveillées les choses
et je n’ai guère trouvé que des marins échoués sur les parapets
et de petites créatures du ciel ensevelies sous la neige.
Mais la véritable douleur était sur d’autres places
où les poissons cristallisés agonisaient à l’intérieur des troncs,
des places de ciel étranger pour les antiques statues indemnes
et pour la tendre intimité des volcans.

Il n’y a pas de douleur dans la voix. Existent seulement les dents,
mais des dents qui se tairont, isolées par le satin noir.
Il n’y a pas de douleur dans la voix. Ici existe seulement la Terre.
La Terre avec ses portes de toujours
qui mènent à la rougeur des fruits.

Poésie, III 1926-1936. Poésie/Gallimard n°30, 1968. Traduction : Pierre Darmangeat.

Antonio Machado

Patio central du Palacio de las Dueñas (Séville).

Antonio Machado est né le 26 juillet 1875 au palais de Las Dueñas à Séville. C’est le deuxième enfant d’Antonio Machado Álvarez, folkloriste célèbre, et d’Ana Ruiz Hernández. Son frère aîné, Manuel, né le 29 août 1874, est un poète moderniste avec qui il collabore à de nombreuses reprises. Á huit ans, il part à Madrid avec ses parents. Il reçoit l’éducation de l’Institution libre d’enseignement. Il a gardé toute sa vie une grande affection et gratitude pour ses maîtres qui ont eu un rôle si important dans la modernisation de l’enseignement en Espagne à la fin du XIX ème siècle et au début du XX ème.

XCVII
Retrato

Mi infancia son recuerdos de un patio de Sevilla,
y un huerto claro donde madura el limonero;
mi juventud, veinte años en tierras de Castilla;
mi historia, algunos casos que recordar no quiero.

Ni un seductor Mañara, ni un Bradomín he sido
—ya conocéis mi torpe aliño indumentario—,
mas recibí la flecha que me asignó Cupido,
y amé cuanto ellas puedan tener de hospitalario.

Hay en mis venas gotas de sangre jacobina,
pero mi verso brota de manantial sereno;
y, más que un hombre al uso que sabe su doctrina,
soy, en el buen sentido de la palabra, bueno.

Adoro la hermosura, y en la moderna estética
corté las viejas rosas del huerto de Ronsard;
mas no amo los afeites de la actual cosmética,
ni soy un ave de esas del nuevo gay-trinar.

Desdeño las romanzas de los tenores huecos
y el coro de los grillos que cantan a la luna.
A distinguir me paro las voces de los ecos,
y escucho solamente, entre las voces, una.

¿Soy clásico o romántico? No sé. Dejar quisiera
mi verso, como deja el capitán su espada:
famosa por la mano viril que la blandiera,
no por el docto oficio del forjador preciada.

Converso con el hombre que siempre va conmigo
—quien habla solo espera hablar a Dios un día—;
mi soliloquio es plática con ese buen amigo
que me enseñó el secreto de la filantropía.

Y al cabo, nada os debo; debéisme cuanto he escrito.
A mi trabajo acudo, con mi dinero pago
el traje que me cubre y la mansión que habito,
el pan que me alimenta y el lecho en donde yago.

Y cuando llegue el día del último vïaje,
y esté al partir la nave que nunca ha de tornar,
me encontraréis a bordo ligero de equipaje,
casi desnudo, como los hijos de la mar.

Campos de Castilla, 1907-17.

Palacio de las Dueñas (Séville). Azulejo à la mémoire d’Antonio Machado.

XCVII
Portrait

Enfance, souvenirs d’un patio de Séville,
d’un clair jardin où mûrit le citronnier,
ma jeunesse, vingt ans en terre de Castille ;
Mon histoire, quelques faits que je ne veux pas rappeler.

Ni un séducteur Mañara, ni un Marquis de Bradomín,
– vous connaissez mon piètre accoutrement – ;
mais j’ai reçu la flèche que me destina Cupidon,
et j’ai aimé tout ce qu’elles ont d’accueillant.

Il coule dans mes veines du sang de jacobin,
mais mon vers jaillit d’une source sereine ;
et plus qu’un homme à la mode qui sait son catéchisme,
je suis, dans le bon sens du mot, un homme bon.

J’adore la beauté, et dans la moderne esthétique
j’ai cueilli les anciennes roses du jardin de Ronsard ;
mais je n’aime pas les fards de l’actuelle cosmétique,
ni ne suis un de ces oiseaux au nouveau gazouillis.

Méprisant la romance des ténors à voix creuse
et le choeur des grillons qui chantent à la lune,
je cherche à démêler les voix des échos ;
parmi toutes les voix, je n’en écoute qu’une.

Classique ou romantique ? Je ne sais. Je voudrais
laisser mon poème ainsi que son épée le capitaine :
fameuse par la main virile qui la brandissait
et non pour l’art savant du forgeur appréciée.

Je converse avec l’homme qui toujours m’accompagne
– qui parle seul espère à Dieu parler un jour – ;
mon soliloque est entretien avec ce bon ami
qui m’apprit le secret de la philanthropie.

Après tout, je ne vous dois rien ; c’est vous qui me devez ce que j’ai écrit.
J’accomplis mon labeur, de mes deniers, je paie
l’habit qui me couvre, la demeure où j’habite,
le pain qui me nourrit, la couche où je repose.

Et quand viendra le jour du dernier voyage,
quand partira la nef qui jamais ne revient,
vous me verrez à bord, et mon maigre bagage,
quasiment nu, comme les enfants de la mer.

Champs de Castille (1907-1917). Gallimard, 1973. Traduction: Sylvie Léger et Bernard Sesé.

Antonio Machado par Manuel Tuñón de Lara (1915-1997). 1960. Pierre Seghers éditeur, Poètes d’aujourd’hui n°75.

Jorge Luis Borges

Buenos Aires. Rosedal de Palermo. Paseo de los poetas.

Comme je le disais hier, le prologue, les poèmes Descartes et El hacedor (La cifra, 1981) de Jorge Luis Borges ont été publiés dans le numéro n° 419 de La NRF (03/12/1987) . J’ai pu retrouver aujourd’hui la traduction intégrale de El Hacedor (Le créateur), celle de Claude Esteban.

El hacedor

Somos el río que invocaste, Heráclito.
Somos el tiempo. Su intangible curso
acarrea leones y montañas,
llorado amor, ceniza del deleite,
insidiosa esperanza interminable,
vastos nombres de imperios que son polvo,
hexámetros del griego y del romano,
lóbrego un mar bajo el poder del alba,
el sueño, ese pregusto de la muerte,
las armas y el guerrero, monumentos,
las dos caras de Jano que se ignoran,
los laberintos de marfil que urden
las piezas de ajedrez en el tablero,
la roja mano de Macbeth que puede
ensangrentar los mares, la secreta
labor de los relojes en la sombra,
un incesante espejo que se mira
en otro espejo y nadie para verlos,
láminas en acero, letra gótica,
una barra de azufre en un armario,
pesadas campanadas del insomnio,
auroras y ponientes y crepúsculos,
ecos, resaca, arena, liquen, sueños.

Otra cosa no soy que esas imágenes
que baraja el azar y nombra el tedio.
Con ellas, aunque ciego y quebrantado,
he de labrar el verso incorruptible
y (es mi deber) salvarme.

La cifra, 1981.

Le créateur

Nous sommes le fleuve que tu invoquais, Héraclite.
Nous sommes le temps. Son cours intangible
entraîne avec lui montagnes et lions,
amour pleuré, plaisir en cendre,
insidieuse espérance interminable,
immenses noms d’empires en poussière,
hexamètres du grec et du romain,
sombre la mer sous le pouvoir de l’aube,
et le sommeil, cet avant-goût de la mort,
les armes et le guerrier, les monuments,
les deux visages de Janus qui s’ignorent,
les labyrinthes qu’inventent dans l’ivoire
les pièces du jeu sur l’échiquier,
la main rougie de Macbeth qui peut
ensanglanter les mers, la secrète
avancée des horloges dans l’ombre,
un miroir incessant qui se regarde
dans un autre, et jamais personne pour les voir,
gravures sur acier, écritures gothiques,
une barre de soufre dans un meuble,
battements lourds de l’insomnie,
aurores et couchants et crépuscules,
échos, sables, ressacs, lichens et rêves.
Je ne suis rien que ces images
que brasse le hasard et nomme l’ennui.
Avec elles, pourtant, aveugle, exténué,
il me faut travailler le vers incorruptible
et (tel est mon devoir) me sauver.

NRF n°419. 1 décembre 1987.

Le Chiffre, 1988. Gallimard. Traduction: Claude Esteban.

Juan José Saer – Jorge Luis Borges

Plaque rendant hommage à Juan José Saer. Il vécut dans cette maison de Santa Fe de 1948 à 1952.

J’ai pris le temps d’écouter hier soir la dernière rencontre entre Juan José Saer et ses lecteurs de Santa Fe. Cette vidéo fut enregistrée le 26 septembre 2002, trois ans avant la mort du grand écrivain argentin.

https://vimeo.com/260284306

Les propos de Juan José Saer m’ont paru très intéressants et m’ont confirmé ce dont je me doutais: Saer était un grand écrivain et une personne sensée. Il affirme avec justesse, me semble-t-il, que sa génération n’avait pas à choisir entre Jorge Luis Borges et Roberto Artl.

Valérie Rapaud sur Facebook a posté quelques vers du poème Descartes de Jorge Luis Borges (Le chiffre, 1981). Ce texte ainsi que le prologue et El hacedor ont été publiés dans le numéro n° 419 de La NRF (03/12/1987) dans une très bonne traduction de Claude Esteban (1935-2006), mon ancien professeur à l’Institut Hispanique (31 Rue Gay-Lussac, 75005 Paris). Je publie ici les deux premiers textes. Je n’ai pas pu trouver pour le moment la traduction intégrale du poème El Hacedor (Le créateur).

Prólogo (Jorge Luis Borges)

El ejercicio de la literatura puede enseñaros a eludir equivocaciones, no a merecer hallazgos. Nos revela nuestras imposibilidades, nuestros severos límites. Al cabo de los años, he comprendido que me está vedado ensayar la cadencia mágica, la curiosa metáfora, la interjección, la obra sabiamente gobernada o de largo aliento. Mi suerte es lo que suele denominarse poesía intelectual. La palabra es casi un oxímoron; el intelecto (la vigilia) piensa por medio de abstracciones, la poesía (el sueño), por medio de imágenes, de mitos o de fábulas. La poesía intelectual debe entretejer gratamente esos dos procesos. Así lo hace Platón en sus diálogos; así lo hace también Francis Bacon en su enumeración de los ídolos de la tribu, del mercado de la caverna y del teatro. El maestro del género es, en mi opinión, Emerson; también lo han ensayado, con diversa felicidad, Browning y Frost, Unamuno y, me aseguran, Paul Valéry.

Admirable ejemplo de una poesía puramente verbal es la siguiente estrofa de Jaimes Freyre:

Peregrina paloma imaginaria
que enardeces los últimos amores;
alma de luz, de música y de flores,
peregrina paloma imaginaria.

No quiere decir nada y a la manera de la música dice todo.

Ejemplo de poesía intelectual es aquelle silva de Luis de León, que Poe sabía de memoria:

Vivir quiero conmigo,
gozar quiero del bien que debo al Cielo,
a solas, sin testigo,
libre de amor, de celo,
de odio, de esperanza, de recelo.

No hay una sola imagen. No hay una sola hermosa palabra, con la excepción dudosa de testigo, que no sea una abstracción.
Estas páginas buscan, no sin incertidumbre, una vía media.

J.L.B

Buenos Aires, 29 de abril de 1981

La Cifra, 1981.

Prologue

L’exercice de la littérature peut nous apprendre à éviter des erreurs, non à mériter des trouvailles. Il nous révèle nos incapacités, nos limites sévères. Au fil des ans,j’ai fini par comprendre qu’il m’était interdit d’essayer la cadence magique, la métaphore étrange, l’interjection, l’oeuvre savamment gouvernée ou de longue haleine. Le sort qui me revient est ce que l’on nomme, d’ordinaire, poésie intellectuelle. L’expression est quasiment un oxymoron. L’intellect (la conscience vigile) pense par abstractions la poésie (le rêve), par images, mythes ou fables. La poésie intellectuelle doit entrelacer avec bonheur ces deux manières. Ainsi le fait Platon dans ses dialogues; ainsi le fait encore Francis Bacon dans son énumération des idoles de la tribu, du marché, de la caverne et du théâtre. Le maître du genre, à mon avis, est Emerson. S’y sont essayés également, avec des fortunes diverses, Browning et Frost, Unamuno et, m’assure-t-on, Paul Valéry.

Admirable exemple d’une poésie purement verbale est le quatrain suivant de Jaimes Freyre :
Voyageuse colombe imaginaire,
toi qui ravives le dernier amour;
âme de fleurs, de musique et de jour,
voyageuse colombe imaginaire.

Cela ne veut rien dire, et à la façon de la musique, cela dit tout.

Exemple de poésie intellectuelle est cette strophe de Luis de Leôn, que Poe savait par coeur :

Je veux vivre avec moi,
je veux goûter ce bien qu’un Ciel me donne,
sans témoin, sans personne,
libre d’amour, d’émoi,
de haines ou d’espoirs, de désarroi.

Il n’y a pas une seule image. Il n’y a pas un seul mot superbe, à l’exception, peut-être, de témoin, qui ne soit pas une abstraction.
Ces pages cherchent, non sans incertitude, une voie médiane.

J.L.B

Buenos Aires, 29 avril 1981

La NRF n°419. 1 décembre 1987.

Le Chiffre, 1988. Gallimard. Traduction: Claude Esteban

Descartes (Jorge Luis Borges)

Soy el único hombre en la tierra y acaso no haya tierra ni hombre.
Acaso un dios me engaña.
Acaso un dios me ha condenado al tiempo, esa larga ilusión.
Sueño la luna y sueño mis ojos que perciben la luna.
He soñado la tarde y la mañana del primer día.
He soñado a Cartago y a las legiones que desolaron a Cartago.
He soñado a Lucanoo.
He soñado la colina del Gólgota y las cruces de Roma.
He soñado la geometría.
He soñado el punto, la línea, el plano y el volumen.
He soñado el amarillo, el azul y el rojo.
He soñado mi enfermiza niñez.
He soñado los mapas y los reinos y aquel duelo en el alba.
He soñado el inconcebible dolor.
He soñado mi espada.
He soñado a Elisabeth de Bohemia.
He soñado la duda y la certidumbre.
He soñado el día de ayer.
Quizá no tuve ayer, quizá no he nacido.
Acaso sueño haber soñado.

Siento un poco de frío, un poco de miedo.

Sobre el Danubio está la noche.

Seguiré soñando a Descartes y a la fe de sus padres.

La cifra, 1981.

Descartes

Je suis le seul homme sur la Terre et peut-être n’y a-t-il ni Terre ni homme.
Peut-être qu’un dieu me trompe .
Peut-être qu’un dieu m’a condamné au temps, cette longue illusion.
Je rêve la lune et je rêve mes yeux
qui la perçoivent
J’ai rêvé le soir et le matin du premier jour.
J’ai rêvé Carthage et les légions qui devastèrent Carthage.
J’ai rêvé Lucain.
J’ai rêvé la colline du Golgotha et les croix de Rome.
J’ai rêvé la géométrie.
J’ai rêvé le point, la ligne, le plan et le volume.
J’ai rêvé le jaune, le rouge et le bleu.

J’ai rêvé mon enfance maladive.
J’ai rêvé les mappemondes et les royaumes et le deuil à l’aube.
J’ai rêvé la douleur inconcevable.

J’ai rêvé mon épée.

J’ai rêvé Elisabeth de Bohême.
J’ai rêvé le doute et la certitude.
J’ai rêvé la journée d’hier.
Peut-être n’ai-je pas eu d’hier, peut-être ne suis pas né.
Je rêve, qui sait, d’avoir rêvé.

J’éprouve un peu froid, un peu de crainte.

La nuit s’étend sur le Danube.

Je continuerai de rêver à Descartes et à la foi de ses pères.

La NRF n°419. 1 décembre 1987.

Le Chiffre, 1988. Gallimard. Traduction: Claude Esteban.

Luis Cernuda – Federico García Lorca

Vicente Aleixandre, Luis Cernuda, Federico García Lorca. 1931.

Il y a 85 ans, le vendredi 17 juillet 1936 au Maroc, alors protectorat, et le samedi 18 juillet 1936 en Espagne, des généraux félons (Sanjurjo, Franco, Mola) se soulevaient contre la République. C’était le début de la Guerre civile en Espagne. Une occasion de relire Luis Cernuda évoquant Federico García Lorca.

A UN POETA MUERTO (F.G.L.)

Así como en la roca nunca vemos
La clara flor abrirse,
Entre un pueblo hosco y duro
No brilla hermosamente
El fresco y alto ornato de la vida.
Por esto te mataron, porque eras
Verdor en nuestra tierra árida
Y azul en nuestro oscuro aire.

Leve es la parte de la vida
Que como dioses rescatan los poetas.
El odio y destrucción perduran siempre
Sordamente en la entraña
Toda hiel sempiterna del español terrible,
Que acecha lo cimero
Con su piedra en la mano.

Triste sino nacer
Con algún don ilustre
Aquí, donde los hombres
En su miseria sólo saben
El insulto, la mofa, el recelo profundo
Ante aquel que ilumina las palabras opacas
Por el oculto fuego originario.

La sal de nuestro mundo eras,
Vivo estabas como un rayo de sol,
Y ya es tan sólo tu recuerdo
Quien yerra y pasa, acariciando
El muro de los cuerpos
Con el dejo de las adormideras
Que nuestros predecesores ingirieron
A orillas del olvido.

Si tu ángel acude a la memoria,
Sombras son estos hombres
Que aún palpitan tras las malezas de la tierra;
La muerte se diría
Más viva que la vida
Porque tú estás con ella,
Pasado el arco de tu vasto imperio,
Poblándola de pájaros y hojas
Con tu gracia y tu juventud incomparables.

Aquí la primavera luce ahora.
Mira los radiantes mancebos
Que vivo tanto amaste
Efímeros pasar junto al fulgor del mar.
Desnudos cuerpos bellos que se llevan
Tras de sí los deseos
Con su exquisita forma, y sólo encierran
Amargo zumo, que no alberga su espíritu
Un destello de amor ni de alto pensamiento.

Igual todo prosigue,
Como entonces, tan mágico,
Que parece imposible
La sombra en que has caído.
Mas un inmenso afán oculto advierte
Que su ignoto aguijón tan sólo puede
Aplacarse en nosotros con la muerte,
Como el afán del agua,
A quien no basta esculpirse en las olas,
Sino perderse anónima
En los limbos del mar.

Pero antes no sabías
La realidad más honda de este mundo:
El odio, el triste odio de los hombres,
Que en ti señalar quiso
Por el acero horrible su victoria,
Con tu angustia postrera
Bajo la luz tranquila de Granada,
Distante entre cipreses y laureles,
Y entre tus propias gentes
Y por las mismas manos
Que un día servilmente te halagaran.

Para el poeta la muerte es la victoria;
Un viento demoníaco le impulsa por la vida,
Y si una fuerza ciega
Sin comprensión de amor
Transforma por un crimen
A ti, cantor, en héroe,
Contempla en cambio, hermano,
Cómo entre la tristeza y el desdén
Un poder más magnánimo permite a tus amigos
En un rincón pudrirse libremente.

Tenga tu sombra paz,
Busque otros valles,
Un río donde del viento
Se lleve los sonidos entre juncos
Y lirios y el encanto
Tan viejo de las aguas elocuentes,
En donde el eco como la gloria humana ruede,
Como ella de remoto,
Ajeno como ella y tan estéril.

Halle tu gran afán enajenado
El puro amor de un dios adolescente
Entre el verdor de las rosas eternas;
Porque este ansia divina, perdida aquí en la tierra,
Tras de tanto dolor y dejamiento,
Con su propia grandeza nos advierte
De alguna mente creadora inmensa,
Que concibe al poeta cual lengua de su gloria
Y luego le consuela a través de la muerte.

Poème écrit à Valence du 19 au 23 avril 1937. Il a été publié une première fois sous le titre Elegía a un poeta muerto dans la revue Hora de España VI. Valencia, junio de 1937.

Las nubes, 1937-1940. Buenos Aires, 1943.

La sixième strophe a été censurée lors de la première publication sous l’influence de Wenceslao Roces, communiste et Subsecretario de instrucción Pública du gouvernement républicain.

A un poète mort (F.G.L.)

Comme on ne voit jamais sur le rocher
La claire fleur s’épanouir,
Ainsi ne brille en sa beauté
Parmi un peuple hargneux et dur
L’ornement frais et noble de la vie.
C’est pourquoi ils t’ont tué: tu étais
verdure de notre terre aride,
Azur de notre ciel obscur.

Légère est la part de la vie
Que tels des dieux rachètent les poètes.
La destruction, la haine habitent pour toujours
Sourdement les entrailles
Toute de fiel de l’Espagnol terrible
Qui épie le sublime
Une pierre à la main.

Triste destin celui de naître
Avec un don illustre
Ici, où les hommes
Dans leur misère ne gardent
Qu’insulte, moquerie et défiance profonde
Pour celui qui éclaire les paroles opaques
Du feu secret originel.

Tu étais sel de notre monde,
Vivant tu étais un rayon de soleil,
Et seul voici ton souvenir
Qui passe errant et qui caresse
Le mur des corps
De la saveur de ces pavots
Que nos prédécesseurs ont ingérés
Aux rives de l’oubli.

Si vient ton ange à ta mémoire,
Ce sont des ombres, ces hommes
Qui palpitent encore dans les broussailles de la terre;
On dirait que la mort
Est plus vivante que la vie,
Parce que tu es chez elle,
Passé le porche de son vaste empire,
Et tu la peuples d’oiseaux et de feuilles
Avec ta grâce et ta jeunesse incomparables.

Ici le printemps brille en ce moment.
Vois les radieux garçons
Que vivant tu as tant aimés,
Éphémères passer dans la lueur marine.
Belles nudités qui traînent
Après elles les désirs
Avec leur forme exquise, et ne renferment
Qu’un suc amer, car leur esprit n’habite
Ni lumière d’amour ni hauteur de pensée.

Tout continue de même
Et, comme alors, magique,
Si bien que paraît impossible
L’ombre où tu es tombé.
Mais une immense aspiration secrète nous prévient
Que son aiguillon ignoré ne se peut
Émousser en nous qu’avec la mort,
Comme l’aspiration de l’eau
Á qui ne suffit pas de se sculpter en vagues,
Mais anonyme se veut perdre
Aux limbes de la mer.

Mais avant tu ne connaissais pas
La plus profonde réalité de ce monde:
La haine, la triste haine des humains,
Qui en toi voulut marquer
Par l’horreur de l’acier sa victoire,
Avec ton angoisse ultime
Sous la calme lumière de Grenade,
Lointain parmi cyprès et lauriers,
Parmi les tiens,
Et par les mêmes mains
Qui serviles un jour t’avaient flatté

La mort pour le poète est la victoire;
Un vent démoniaque le pousse dans la vie,
Et si une force aveugle
Sans compréhension ni amour
Par un crime te change,
Toi chanteur, en héros,
Considère en revanche, frère,
Comme dans la tristesse et le dédain
Un pouvoir plus magnanime permet à tes amis
de pourrir dans un coin librement.

Paix à ton ombre,
Qu’elle cherche d’autres vallées,
Une rivière où le vent
Pour une musique parmi les joncs
Et les iris avec le charme
Si vieillot de cette eau éloquente,
Où l’écho telle la gloire humaine roule,
Comme elle en un lointain
Étranger tout comme elle et stérile.

Trouve ton grand désir dépossédé
Le pur amour d’un dieu adolescent
dans la verdeur des roses éternelles;
Car ce désir divin, perdu sur notre terre
Après tant de douleur et d’abandon,
Nous révèle en sa propre grandeur
Je ne sais quel esprit immense et créateur
Qui du poète a fait la langue de sa gloire
Et par-delà la mort ensuite le console.

Les nuages. Traduction: Pierre Darmangeat.

1998. Traduction d’Anthony Bellanger.