Carlos Pezoa Véliz – Roberto Bolaño

Le poète et journaliste chilien Carlos Pezoa Veliz (1879-1908), anarchiste et autodidacte, de son vrai nom Carlos Enrique Moyano Jaña, est né à Santiago le 21 juillet 1879. Il est très gravement blessé aux jambes lors du terrible tremblement de terre qui secoue Valparaíso le 16 août 1906 et cause 3000 morts et 20 000 blessés. Les murs de la pension où il habite à Viña del Mar s’écroulent sur lui. Il fait de longs séjours dans les hôpitaux de Santiago et meurt, à 28 ans, le 21 avril 1908 de tuberculose. Son œuvre complète est éditée en 1927 sous le titre de Poesías y prosas completas (Editorial Renacimiento). Sa poésie est le miroir fidèle du pathétisme de la vie des indigents, de l’angoisse économique, des douleurs physiques, c’est-à-dire de sa propre existence qui fut errante et torturée mais sans renoncement ni mélancolie.
On retrouve un peu l’influence de sa poésie rebelle, ironique et populaire chez Nicanor Parra et Roberto Bolaño (1953-2003). Ce dernier s’est toujours senti profondément poète, mais sa réputation repose essentiellement sur ses romans et ses nouvelles.

Roberto Bolaño. Paris, mars 2003. (Raphaël Gaillarde).

Carlos Pezoa Véliz escritor chileno (Roberto Bolaño)

Yo he traído ahora el caso
porque lo oí a un viejo cuque

(Carlos Pezoa Véliz)

Cómo estás. Tanto tiempo sin vernos. Qué es de tu
muerte
Bien gracias hermano hermano

Invitado al banquete de la vida. Maniquí de hierba.
Carlitos tomando pisco
e imaginando perfectos círculos
de mariguana de cáñamo cordillerano
virgen improbable:
Invitado al banquete de la vida
o sea al de los ferrocarriles, las ocho horas
(en ese tiempo eran más de once)
las calles, los árboles frutales, la poesía:
invitado a todo pero en pedacitos
uno por uno conchetumare violento
el rostro lleno de sémola

Carlitos estremecido naonato
te ame
Spleen vete de aquí vete.
Si esto es una fiesta no me eche señor garzón
y deme pisco por favor
para que Nick Guzmán diga después que a mi
alrededor
hip
sonaron los tambores magistrales de Rubén y la
adjetivación
llena de onomatopeyas de Pedro Antonio Gonzales

Para que diga que me engañaron
que me metieron a la fuerza
en un brindis byroniano
(Cositas como Invitado al banquete de la vida,
vengo a brindar, de vuestro gozo en medio,
al levantar la copa del suicida,
llena hasta el borde de espantoso tedio
me colman
el espíritu clasemediero bajo)

Mejor me voy a Valparaíso a trabajar
A mirar el mar en la tarde
Me voy precedido de palomas
Esta actitud se nos puso sospechosa
Esta vida esta hora
Evoluciona mi poesía.

Bueno, en la autopista del subdesarrollo, puaj, ve cómo
pasan
deportivos a 90 por hora, la gente risueña
como en una película
como si fuera la dorada California y no Chile
húmedo y gris

Entonces mochilero errante necesitas inscribirte en el
partido
porque los tiempos son duros para andar sin espalda.
Necesitas una compañera, una casa, una máquina
de escribir, un trabajo.
Ayúdanos a hacer la Revolución:
No puedo,
voy a Valparaíso,
voy a ser víctima del terremoto de Valparaíso.
Entienda.
Voy a quedar inválido.
Voy a morir.
Y Nicanor Parra será el antipoeta, no yo.
1907: masacraron en el norte a los obreros del salitre:
no me estoy disculpando.

Deme un pisco por favor.
Deme un pisco negro.
Mi niña es una golondrina, una golondrina
no hace verano,
cuántas mitades de genios chilenos
se nos quedaron en las manos,
ah patria de amargos pajeros.
Deme un pisco por favor.

Pasa un auto blanco. De adentro miran rápidamente
a Pezoa Véliz que está afuera.

Carlitos piensa en los peces de los muelles de Valparaíso
Va a temblar —¿Cómo vivirán esos diablos pescados?
Carlitos en todos los idiomas
¿Cómo son esos pescados negros?

Poemas dispersos, en Poesía Reunida 2018.

Carlos Pezoa Véliz écrivain chilien (Roberto Bolaño)

J’ai présenté maintenant l’affaire
Parce que j’en ai entendu parler par un vieux cuistot

(Carlos Pezoa Véliz)

Comment vas-tu. Si longtemps qu’on ne s’est vus. Comment
se passe ta mort
Bien merci mon frère mon frère

Invité au banquet de la vie. Mannequin d’herbe.
Carlitos buvant du pisco
et imaginant des cercles parfaits
de marijuana de chanvre de la cordillère
vierge improbable :
Invité au banquet de la vie
c’est à dire à celui des chemins de fer, les huit heures
(à l’époque c’était plus de onze)
les rues, les arbres fruitiers, la poésie :
invité à tout mais par petits morceaux
un par un putain-de-mère violent
le visage couvert de semoule

Carlitos frissonnant né en mer
Spleen
Va-t en va-t en d’ici
Si c’est une fête ne me chassez pas monsieur le serveur
et donnez-moi du pisco s’il vous plaît
Pour que Nick Guzman dise ensuite qu’autour de moi
hip
ont résonné les tambours magistraux de Rubén et
l’adjectivation
pleine d’onomatopées de Pedro Antonio Gonzales

Pour qu’il dise qu’on m’a trompé
qu’on m’a entraîné de force
dans un toast byronien
(de petites choses comme Invité au banquet de la vie,
je viens porter un toast, au milieu de votre allégresse,
quand se lève le verre du suicidaire,
plein à ras-bord d’un épouvantable ennui
, comblent
mon esprit classe moyenne inférieure)

Je ferais mieux d’aller à Valparaíso travailler
Regarder la mer l’après-midi
Je pars précédé de colombes
Cette attitude nous a paru suspecte
Cette vie cette heure
Ma poésie évolue.

Bon sur l’autoroute du sous-développement, pouah, regarder
passer
des voitures de sport à 90 à l’heure, les gens souriants
comme dans un film
comme si c’était la Californie dorée et non le Chili
humide et gris

Alors routard errant il te faut t’inscrire au parti
parce que les temps sont durs pour vivre sans échine.
Il te faut une compagne, une maison, une machine
à écrire, un travail.
Aide-nous à faire la révolution :
Je ne peux pas
Je vais à Valparaíso,
Je vais être victime du tremblement de terre de Valparaíso.
Comprenez.
Je resterai invalide.
Je mourrai
Et Nicanor Parra sera l’antipoète, pas moi.
1907 : on a massacré dans le Nord les ouvriers du salpêtre :
Je ne suis pas en train de me disculper.

Donnez-moi un pisco s’il vous plaît.
Donnez-moi un pisco noir
Ma petite est une hirondelle, une hirondelle
ne fait pas le printemps,
combien de moitiés de génies chiliens
nous sont restés entre les mains,
ah patrie d’amers branleurs.
Donnez-moi un pisco s’il vous plaît.

Une auto blanche passe. Ses occupants regardent rapidement
Pezoa Véliz qui est dehors.

Carlitos pense aux poissons des quais de Valparaíso
Il va trembler – comment peuvent bien vivre ces diables
de poissons ?
Carlitos dans toutes les langues
Á quoi ressemblent ces poissons noirs ?

Œuvres complètes, vol. 1. Traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio et Jean-Marie Saint-Lu. L’Olivier, 1 248 p., 29 €.

                                 

Nicanor Parra

Nicanor Parra. Las Cruces (Chili), mars 2009.

Après Gonzalo Rojas, je relis Nicanor Parra qui est né le 5 septembre 1914 et a obtenu le Prix Cervantès 2011. Il est mort le 23 janvier 2018 à La Reina, près de Santiago de Chile, à l’âge tout à fait respectable de 103 ans. Nous étions alors au Chili. Les relations de Nicanor Parra avec Pablo Neruda et Gonzalo Rojas n’ont jamais été simples.

Epitafio

De estatura mediana,
Con una voz ni delgada ni gruesa,
Hijo mayor de un profesor primario
Y de una modista de trastienda;
Flaco de nacimiento
Aunque devoto de la buena mesa;
De mejillas escuálidas
Y de más bien abundantes orejas;
Con un rostro cuadrado
En que los ojos se abren apenas
Y una nariz de boxeador mulato
Baja a la boca de ídolo azteca
-Todo esto bañado
Por una luz entre irónica y pérfida-
Ni muy listo ni tonto de remate
Fui lo que fui: una mezcla
De vinagre y de aceite de comer
¡Un embutido de ángel y de bestia!

Épitaphe

De taille moyenne,
La voix ni mince ni grosse,
Fils aîné d’un instituteur
Et d’une couturière d’arrière-boutique ;
Maigre de naissance
Et pourtant dévot de la bonne table ;
Les joues creuses
Et les oreilles plutôt abondantes ;
Un visage carré
Où les yeux s’ouvrent à peine
Où un nez de boxeur mulâtre
Surmonte une bouche d’idole aztèque
– Tout cela baigné
D’une lumière entre ironique et perfide –
Ni très malin ni complètement idiot
Je fus ce que je fus : un mélange
De vinaigre et d’huile de table,
Une charcutaille d’ange et de bête !

Poèmes et antipoèmes – Anthologie (Le Seuil, 2017) Traduit de l’espagnol (Chili) par Bernard Pautrat et Felipe Tupper.

La montaña rusa

Durante medio siglo
La poesía fue
El paraíso del tonto solemne.
Hasta que vine yo
Y me instalé con mi montaña rusa.

Suban, si les parece.
Claro que yo no respondo si bajan
Echando sangre por boca y narices.

Versos de salón, 1962.

La montagne russe

Pendant un demi-siècle
La poésie fut
Le paradis de l’idiot solennel.
Jusqu’à ce que j’arrive
Et m’installe avec ma montagne russe.

Montez, si ça vous dit.
Évidemment je ne réponds de rien si vous en descendez
En saignant de la bouche et du nez.

Poèmes et antipoèmes – Anthologie (Le Seuil, 2017) Traduit de l’espagnol (Chili) par Bernard Pautrat et Felipe Tupper.

Antipoesía.

Gonzalo Rojas

Gonzalo Rojas. (Gorka Lejarcegi). Mars 2004.

“A une très forte majorité (près de 62 %), les Chiliens ont repoussé, le 4 septembre, un projet très ambitieux de réforme de la Constitution qui promettait de clore définitivement les années sombres de la dictature d’Augusto Pinochet.” (Le Monde, 5 septembre 2022)

J’aime beaucoup ce pays où nous sommes allés deux fois, ses gens, ses paysages. Pays de poètes : entre autres Armando Uribe, Carlos Pezoa Véliz, Enrique Lihn, Gabriela Mistral (Prix Nobel 1945), Gonzalo Rojas (Prix Cervantès 2003), Jorge Teillier, Nicanor Parra (Prix Cervantès 2011) , Oscar Hahn, Pablo de Rokha, Pablo Neruda (Prix Nobel 1971), Raúl Zurita, Roberto Bolaño, Vicente Huidobro…

Je publie à nouveau sur ce blog Contra la muerte, le poème de Gonzalo Rojas (1916-2011), mais j’ajoute la traduction de Fabienne Bradu.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/04/21/contra-la-muerte-gonzalo-rojas/

J’ai acheté ces jours-ci Nous sommes un autre soleil (2013) dans la belle collection bilingue Orphée/ La Différence. Malheureusement, la maison d’édition est en cessation de paiement depuis octobre 2021.

Contra la muerte

Me arranco las visiones y me arranco los ojos cada día que pasa.
No quiero ver ¡no puedo! ver morir a los hombres cada día.
Prefiero ser de piedra, estar oscuro,
a soportar el asco de ablandarme por dentro y sonreír
a diestra y siniestra con tal de prosperar en mi negocio.

No tengo otro negocio que estar aquí diciendo la verdad
en mitad de la calle y hacia todos los vientos:
la verdad de estar vivo, únicamente vivo,
con los pies en la tierra y el esqueleto libre en este mundo.

¿Qué sacamos con eso de saltar hasta el sol con nuestras máquinas
a la velocidad del pensamiento, demonios: qué sacamos
con volar más allá del infinito
si seguimos muriendo sin esperanza alguna de vivir
fuera del tiempo oscuro?

Dios no me sirve. Nadie me sirve para nada.
Pero respiro, y como, y hasta duermo
pensando que me faltan unos diez o veinte años para irme
de bruces, como todos, a dormir en dos metros de cemento allá abajo.

No lloro, no me lloro. Todo ha de ser así como ha de ser,
pero no puedo ver cajones y cajones
pasar, pasar, pasar, pasar cada minuto
llenos de algo, rellenos de algo, no puedo ver
todavía caliente la sangre en los cajones.

Toco esta rosa, beso sus pétalos, adoro
la vida, no me canso de amar a las mujeres: me alimento
de abrir el mundo en ellas. Pero todo es inútil,
porque yo mismo soy una cabeza inútil
lista para cortar, pero no entender qué es eso
de esperar otro mundo de este mundo.

Me hablan del Dios o me hablan de la Historia. Me río
de ir a buscar tan lejos la explicación del hambre
que me devora, el hambre de vivir como el sol
en la gracia del aire, eternamente.

Contra la muerte, 1964.

Contre la mort

Je m’arrache à mes visions et je m’arrache les yeux chaque jour qui passe.
Je ne veux pas voir, je ne peux pas voir les hommes mourir chaque jour.
Je préfère être de pierre, être sombre,
à supporter le dégoût de me ramollir en dedans et sourire
à droite et à gauche afin que prospère ma petite affaire.

Je n’ai d’autre affaire que d’être ici à dire la vérité
au milieu de la rue et à tous les vents :
la vérité d’être vivant, rien que vivant,
avec les pieds sur terre et le squelette libre dans ce monde-ci.

Que diable gagnons-nous à bondir jusqu’au soleil avec nos machines
à la vitesse de la pensée ; que gagnons-nous
à voler au-delà de l’infini
si nous continuons à mourir sans aucun espoir de vivre
hors du temps des ténèbres ?

Dieu ne me sert à rien. Personne ne me sert à rien.
Mais je respire, et je mange, et je dors même
en pensant qu’il me reste dix ou vingt ans avant de m’en aller
les pieds devant, comme tout le monde, dormir dans deux mètres de ciment sous terre.

Je ne pleure pas, je ne me pleure pas sur mon sort. Tout sera comme il se doit,
mais je ne peux pas voir des cercueils et des cercueils
passer, passer, passer, passer à chaque minute
pleins de quelque chose, emplis de quelque chose, je ne peux pas voir
le sang encore chaud dans les cercueils.

Je touche cette rose, j’embrasse ses pétales, j’adore
la vie, je ne me lasse pas d’aimer les femmes : je me nourris
d’ouvrir le monde en elles. Mais tout est inutile,
parce que moi-même je suis une tête inutile,
bonne pour l’échafaud, parce que je ne comprends pas ce que c’est
que d’attendre un autre monde depuis ce monde.

On me parle de Dieu ou on me parle de l’Histoire. Je me moque bien
d’aller chercher si loin l’explication de la faim
qui me dévore, la faim de vivre comme le soleil
dans la grâce du ciel, éternellement.

Nous sommes un autre soleil. Orphée/ La Différence, 2013. Traduction Fabienne Bradu.

Títos Patríkios

Titos Patrikios.

Préparation d’un voyage en Grèce annulé en juin 2020 pour cause de pandémie. Lecture des poètes contemporains grecs que je connais très mal sauf les grands noms : Constantin Cavafy, Georges Séféris, Yannis Ritsos, Odysséas Elytis.

J’avais emprunté à la bibliothèque l’Anthologie de la poésie grecque contemporaine 1945-2000. NRF Poésie/Gallimard n°353, 2000. Choix et traduction Michel Volkovitch. Préface Jacques Lacarrière. Je l’ai achetée hier chez Gibert.

Títos Patríkios a attiré mon attention. Jacques Lacarrière, dans la préface, cite une anecdote de 1990 :

” Á ce propos, je tiens à rappeler ici une rencontre qui eut lieu il y a quelques années à la Bibliothèque publique de Dijon entre Títos Patríkios et les auditeurs dijonnais. C’était, je me souviens, à l’occasion des ” Belles Étrangères ” consacrées à la Grèce en 1990. Un auditeur ayant demandé à Patríkios : “Peut-on vraiment, quand on a connu l’épreuve de la déportation, revivre ensuite comme avant et surtout ne pas en tenir compte dans son oeuvre ? “, Patríkios lui répondit ceci : ” En France, juste après la guerre, on vit participer aux cérémonies du 14 juillet des survivants des camps défilant dans leurs habits de déportés. Mais le problème se posa très vite, après seulement quelques années : un tel défilé gardait-il son sens avec l’éloignement du souvenir, n’allait-il pas à l’encontre de ses intentions primitives ? De plus, la plupart des habits tombaient en loques et leurs porteurs ayant grossi, ils n’arrivaient plus à les mettre ! Alors que faire : retailler des habits neufs sur mesure ou supprimer le défilé ? La première solution était franchement grotesque, la seconde excessive. On décida donc pour finir que les anciens déportés continueraient de défiler mais en civil. C’est un peu la même chose qui se produit avec une oeuvre. Ne jamais oublier ce qui fut vécu mais ne pas faire de sa mémoire un sarcophage. Ne jamais utiliser ses anciennes épreuves pour en faire un fonds de poésie, comme on dit un fonds de commerce.”

Soirée de carnaval

Dans la cellule obscure
j’avais un furieux désir de voir un arbre, une chose vivante.
Aux murs moisis mon regard sombrait
dans des adieux désespérés, des noms de fusillés
qui s’effondraient avec le plâtre
comme à nouveau fauchés parmi les rires, les harmonicas
des masques ignorant de tout qui passaient dans la rue.
Je n’avais pas encore compris ceci : la nature commençant par moi
les gardiens ne pouvaient rien me prendre.

Février 1955.

Désaccords. 1981. Traduction Michel Volkovitch.

Ma langue

J’ai eu du mal à préserver ma langue
parmi celles qui viennent l’engloutir
mais c’est dans ma langue seule que j’ai toujours compté
par elle j’ai ramené le temps aux dimensions du corps
par elle j’ai multiplié jusqu’à l’infini le plaisir
par elle je me rappelle un enfant
et sur son crâne rasé la marque d’un caillou.
Je me suis efforcé de ne pas en perdre un mot
car tous me parlent dans cette langue — même les morts.

La volupté des prolongations. 1992. Traduction : Michel Volkovitch.

Títos Patríkios est né en 1928. Résistant dans les rangs de l’EAM , il faillit être exécuté en 1944 par des collaborateurs de l’occupant allemand.déporté à Makronissos puis à Aï-Stratis (1951-53). Yannis Ritsos le pousse à écrire des poèmes. Il a vécu en exil à Paris et à Rome de 1954 à 1964, puis de 1967 ) 1975. Il a vécu toutes les souffrances desmiltants de la gauche grecque. Ses poèmes courts, discrets, lucides, élégants, sont un journal de bord, les jalons d’un apprentissage, d’un cheminement vers une certaine sagesse.

Federico García Lorca

Huerta de San Vicente. Vega de Granada.

Diván del Tamarit est le recueil du retour de Federico García Lorca à Grenade. Lors d’un dîner avec des amis au cours de l’été 1934, il annonce au célèbre arabisant Emilio García Gómez (1905-1995, auteur de Poemas arabigosandaluces, 1930), présent ce jour-là qu’il a composé une collection de casidas et de gacelas, c’est à dire un Divan en l’honneur des vieux poètes musulmans de Grenade (comme par exemple Ibn Zamrak, 1333-1393, dont les vers décorent les vasques et les murs de l’Alhambra). Il veut l’appeler Tamarit du nom d’une maison de campagne de sa famille où plusieurs d’entre elles furent écrites. En réalité, c’est un oncle du poète, Francisco García, qui avait une propriété nommée la Huerta del Tamarit, près du Genil. Le Tamarit désignait dans la langue des conquérants venus d’Afrique du Nord le quartier où se trouvait également la Huerta de San Vicente, appartenant à la famille de García Lorca. Le vieil ami du poète, Antonio Gallego Burín (1895-1961), doyen de la faculté de Lettres de Grenade promet de le faire publier par l’université. Emilio García Gómez rédigera une préface. Les fortes tensions politiques en Espagne à partir de 1934 ne permettront pas cette publication. Emilio García Gómez et Antonio Gallego Burín appartiennent à l’extrême-droite.
Amour, érotisme et mort se retrouvent au centre de ces poèmes (12 gacelas, 9 casidas).

“Llámase casida en árabe a todo poema de cierta longitud, con determinada arquitectura interna (…) y en versos monorrimos, medidos con arreglo a normas escrupulosamente estereotipada. La gacela —empleada principalmente en la lírica persa— es un corto poema, de asunto con preferencia erótico, ajustado a determinadas técnicas y cuyos versos son más de cuatro y menos de quince. Diván es la colección de las composiciones de un poeta, generalmente catalogadas por orden alfabético de rimas.” (Emilio García Gómez, Nota al Diván del Tamarit.)

(d’après Federico García Lorca, Oeuvres complètes I. Bibliothèque de la Pléiade NRF. 1981)

Gacela del amor imprevisto

Nadie comprendía el perfume
de la oscura magnolia de tu vientre.
Nadie sabía que martirizabas
un colibrí de amor entre los dientes.

Mil caballitos persas se dormían
en la plaza con luna de tu frente,
mientras que yo enlazaba cuatro noches
tu cintura, enemiga de la nieve.

Entre yeso y jazmines, tu mirada
era un pálido ramo de simientes.
Yo busqué, para darle, por mi pecho
las letras de marfil que dicen siempre.

siempre, siempre: jardín de mi agonía,
tu cuerpo fugitivo para siempre,
la sangre de tus venas en mi boca,
tu boca ya sin luz para mi muerte.

Diván del Tamarit. Numéros 3-4 de la Revista Hispánica Moderna, Columbia University, juillet-octobre 1940.

Gacela de l’amour imprévu

Nul ne comprenait le parfum
du magnolia sombre de ton ventre.
Nul ne savait que tu martyrisais
un colibri d’amour entre tes dents.

Mille petits chevaux perses s’endormaient
sur la place baignée de lune de ton front,
tandis que moi, quatre nuits, j’enlaçais
ta taille, ennemie de la neige.

Entre plâtre et jasmins, ton regard
était un bouquet pâle de semences.
Dans mon coeur je cherchais pour te donner
les lettres d’ivoire qui disent toujours,

toujours, toujours : jardin de mon agonie,
ton corps fugitif pour toujours
le sang de tes veines dans ma bouche,
ta bouche sans lumière déjà pour ma mort.

Divan du Tamarit, Gallimard 1961. Traduction : Claude Couffon et Bernard Sesé.

Lecture par Laurent Stocker de la Comédie Française.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/poeme-du-jour-avec-la-comedie-francaise/federico-garcia-lorca-divan-du-tamarit-3478658

Casida de los ramos

Por las arboledas del Tamarit
han venido los perros de plomo
a esperar que se caigan los ramos,
a esperar que se quiebren ellos solos.

El Tamarit tiene un manzano
con una manzana de sollozos.
Un ruiseñor apaga los suspiros
y un faisán los ahuyenta por el polvo.

Pero los ramos son alegres,
los ramos son como nosotros.
No piensan en la lluvia y se han dormido,
como si fueran árboles, de pronto.

Sentados con el agua en las rodillas
dos valles esperaban al otoño.
La penumbra con paso de elefante
empujaba las ramas y los troncos.

Por las arboledas de Tamarit
hay muchos niños de velado rostro
a esperar que se caigan mis ramos,
a esperar que se quiebren ellos solos.

Diván del Tamarit. Numéros 3-4 de la Revista Hispánica Moderna, Columbia University, juillet-octobre 1940.

Casida des branches

Sous les arbres du Tamarit
sont arrivés les chiens de plomb,
attendant que tombent les branches,
attendant que seules se brisent.

Le Tamarit a un pommier
et une pomme de sanglots.
Un rossignol tait les soupirs
qu’un faisan chasse par la poussière.

Mais les branches ont leur gaieté,
les branches sont comme nous sommes.
Oublient la pluie, et puis s’endorment
telles des arbres, rapidement.

L’eau étalée sur leurs genoux
deux vallées attendaient l’automne.
La pénombre au pas d’éléphant
poussait les branches et les troncs.

Sous les arbres du Tamarit
il est beaucoup d’enfants voilés,
attendant que tombent mes branches,
attendant que seules se brisent.

Divan du Tamarit, Gallimard 1961. Traduction: Claude Couffon et Bernard Sesé.

André Gide – Charles Baudelaire

Portrait d’André Gide (Paul Albert Laurens) 1924. Paris, Musée d’Orsay.

Retour à André Gide.

Albert-Marie Schmidt, Á Pontigny, La NRF, Hommage à André Gide, novembre 1951.

” La nuit tombée, il se plaisait à organiser des divertissements collectifs. Superficiel à force de profondeur, ayant horreur de la pesante gravité des chefs d’école, il se jouait à lui-même la farce de se parodier. Il transformait les pans de sa jaquette en queue de chat-huant, arrondissait ses bras comme des ailerons rognés et déclamait d’une voix rauque et râpeuse Les Hiboux de Baudelaire, provoquant dans le parc, en réponse, la plainte rapide d’une hulotte. Il taillait dans une feuille de papier bristol une auréole dérisoire ; il en couronnait son front chauve et, se nichant à croupetons sous le manteau d’une cheminée, il prenait la pose cafarde et morigénée d’un saint qui trouve l’éternité trop étroite. “

Les hiboux (Charles Baudelaire)

Sous les ifs noirs qui les abritent,
Les hiboux se tiennent rangés,
Ainsi que des dieux étrangers,
Dardant leur oeil rouge. Ils méditent.

Sans remuer, ils se tiendront
Jusqu’à l’heure mélancolique
Où poussant le soleil oblique,
Les ténèbres s’établiront.

Leur attitude au sage enseigne,
Qu’il faut en ce monde qu’il craigne
Le tumulte et le mouvement.

L’homme ivre d’une ombre qui passe
Porte toujours le châtiment
D’avoir voulu changer de place.

Les Fleurs du mal, 1857.

Les hiboux – Eau-forte en couleur de Henry Chapront tirée des Fleurs du Mal, 1911,
Collection Librairie des Argonautes, Paris.

Federico García Lorca – Antonio Machado

Georges Soria-Federico García Lorca (Chim – David Seymour). Madrid, Plaza Mayor. Printemps-été 1936.

Le poète fut arrêté dans sa ville de Grenade le 16 août 1936. Il s’était réfugié dans la maison de la famille Rosales Camacho, calle Angulo número 1 . Il s’y croyait à l’abri puisque les fils de cette famille étaient des membres influents de la Phalange, l’organisation fasciste de José Antonio Primo de Rivera. Federico était très ami avec le poète Luis Rosales (1910-1992, Prix Cervantès 1982), le plus jeune des frères. Dans la nuit du 17 au 18 août 1936, probablement vers deux heures du matin, il fut transféré en voiture jusqu’au village de Viznar, à neuf kilomètres de là. Peu de temps après, il fut assassiné près du village voisin d’Alfacar avec trois autres personnes : l’instituteur de Pulianas Dióscoro Galindo González et deux banderilleros célèbres de de Grenade: Francisco Galadí Melgar (“el Colores”) et Joaquín Arcollas Cabezas (“Magarza”), membres du syndicat anarchiste CNT. L’historien anglais Paul Preston estime qu’il y eut 5000 exécutions à Grenade pendant la Guerre civile.

La publication dans un hors-série du « Figaro » (28 juillet 2022) d’un entretien de huit pages de la journaliste Isabelle Schmitz avec l’essayiste d’extrême droite Pío Moa, pour qui les gauches sont entièrement responsables du déclenchement de la guerre civile en Espagne en 1936, a suscité l’indignation de nombreux historiens. Comment peut-on publier en France un livre de ce pseudo-historien engagé dans sa jeunesse dans les GRAPO (Groupes de résistance antifasciste du premier octobre), groupuscule terroriste d’inspiration maoïste et condamné par la justice espagnole en 1983 ? Les Éditions L’Artilleur ont pourtant traduit et édité son livre révisionniste Les Mythes de la guerre civile 1936-1939, sorti en Espagne en 2003.

Antonio Machado écrivit ce poème au mois d’octobre 1936. Il en donna une lecture publique, à Valence, sur la Place Castelar.

El crimen fue en Granada (Antonio Machado)

A Federico García Lorca

I

El crimen

Se le vio, caminando entre fusiles,
por una calle larga,
salir al campo frío,
aún con estrellas, de la madrugada.
Mataron a Federico
cuando la luz asomaba.
El pelotón de verdugos
no osó mirarle la cara.
Todos cerraron los ojos;
rezaron: ¡ni Dios te salva!
Muerto cayó Federico
– sangre en la frente y plomo en las entrañas –
…Que fue en Granada el crimen
sabed – ¡pobre Granada! -, en su Granada.

II

El poeta y la muerte

Se le vio caminar solo con Ella,
sin miedo a su guadaña.
– Ya el sol en torre y torre, los martillos
en yunque – yunque y yunque de las fraguas.
Hablaba Federico,
requebrando a la muerte. Ella escuchaba.
“Porque ayer en mi verso, compañera,
sonaba el golpe de tus secas palmas,
y diste el hielo a mi cantar, y el filo
a mi tragedia de tu hoz de plata,
te cantaré la carne que no tienes,
los ojos que te faltan,
tus cabellos que el viento sacudía,
los rojos labios donde te besaban…
Hoy como ayer, gitana, muerte mía,
qué bien contigo a solas,
por estos aires de Granada, ¡mi Granada!”

III

Se le vio caminar…
Labrad, amigos,
de piedra y sueño, en el Alhambra,
un túmulo al poeta,
sobre una fuente donde llore el agua,
y eternamente diga:
el crimen fue en Granada, ¡en su Granada!

Le crime a eu lieu à Grenade

A Federico García Lorca

I

Le crime

On le vit, avançant au milieu des fusils,
Par une longue rue,
Sortir dans la campagne froide,
Sous les étoiles, au point du jour.
Ils ont tué Federico
Quand la lumière apparaissait.
Le peloton de ses bourreaux
N’osa le regarder en face.
Ils avaient tous fermé les yeux ;
Ils prient : Dieu même n’y peut rien !
Et mort tomba Federico
– Du sang au front, du plomb dans les entrailles –
… Apprenez que le crime a eu lieu à Grenade
– Pauvre Grenade! – , sa Grenade…

II

Le poète et la mort

On le vit s’avancer seul avec Elle,
Sans craindre sa faux.
– Le soleil déjà de tour en tour, les marteaux
Sur l’enclume – sur l’enclume des forges.
Federico parlait ;
Il courtisait la mort. Elle écoutait
« Puisque hier, ma compagne, résonnaient dans mes vers
Les coups de tes mains desséchées,
Qu’à mon chant tu donnas ton froid de glace
Et à ma tragédie le fil de ta faucille d’argent,
Je chanterai la chair que tu n’as pas,
Les yeux qui te manquent,
Les cheveux que le vent agitait,
Les lèvres rouges que l’on baisait…
Aujourd’hui comme hier, ô gitane, ma mort,
Que je suis bien, seul avec toi,
Dans l’air de Grenade, ma Grenade !»

III

On le vit s’avancer…
Élevez, mes amis,
Dans l’Alhambra, de pierre et de songe,
Un tombeau au poète,
Sur une fontaine où l’eau gémira
Et dira éternellement :
Le crime a eu lieu à Grenade, sa Grenade !

Poésie de guerre, 1936-1939. Traduction : Bernard Sesé.

Baeza (Jaén), calle san Pablo. Statue d’ Antonio Machado (Antonio Pérez Almahan) (2009).

Jorge Guillén 1893 – 1984

Málaga. Paseo marítimo Ciudad de Melilla. Monument à Jorge Guillén (Jesús Martínez Labrador, 1982)

Muerte de unos zapatos

¡Se me mueren! Han vivido
con fidelidad: cristianos
servidores que se honran
y disfrutan ayudando,
complaciendo a su señor,
un caminante cansado,
a punto de preferir
la quietud de pies y ánimo.
Saben estas suelas. Saben
de andaduras palmo a palmo,
de intemperies descarriadas
entre barros y guijarros…
Languidece en este cuero
triste su matiz, antaño
con sencillez el primor
de algún día engalanado
Todo me anuncia una ruina
que se me escapa. Quebranto
mortal corroe el decoro.
Huyen. ¡Espectros-zapatos!

Clamor : Maremágnum, 1957.

Chaussures. Septembre 1886. Amsterdam, Musée Van Gogh.

Mort d’une paire de chaussures

Elles se meurent ! Elles ont vécu
fidèlement : en chrétiennes
très dévouées qui s’honorent
et jouissent lorsqu’elles aident,
et complaisent à leur maître,
un marcheur bien fatigué,
sur le point de préférer
la paix des pieds et de l’âme.
Elles en ont vu, ces semelles,
des marches laborieuses,
du mauvais temps qui conduit
dans la boue et les cailloux.
Le charme d’une journée
passée et magnifiée
se languit là, dans ce cuir
défraichi, tout simplement.
Tout m’annonce une ruine
qui m’échappe. Délabrement
fatal, offense à la décence.
Elles fuient. Chaussures-spectres !

Traduction de Daniel Lecler.

Les Poètes de 27. Anthologie bilingue, Juan Carlos Baeza Soto et Emmanuel Le Vagueresse (dir.), Épure, Université de Reims, 2019, 405 p.

Pablo Neruda

Pablo Neruda.

Je continue de lire les poèmes posthumes de Pablo Neruda repris en Poésie/Gallimard et traduits par Claude Couffon.

” Les huit livres réunis dans le présent volume constituent l’oeuvre poétique posthume de Pablo Neruda. Dans La rose détachée, Neruda s’interroge sur le mystère des statues de l’île de Pâques «entourées par le silence bleu». Jardin d’hiver est une émouvante méditation sur l’homme vieillissant, admirablement complétée par les souvenirs et fables guillerettes égrenés dans Le coeur jaune. 2000 poursuit l’interrogation commencée dans Fin de monde : à quels événements, à quelle mutation assistera le squelette du poète en cet « an 2000 à l’an 1000 pareil » ? Élégie est consacré aux rues et aux curiosités de Moscou et surtout à l’évocation des figures présentes ou disparues des amis russes ou exilés en Union soviétique : Ehrenbourg, Maïakovski et Lily Brik, Evtouchenko, Nazim Hikmet… La mer et les cloches présente de nouveaux aspects de la retraite chère à Neruda : l’Île Noire.Enfin, Défauts choisis réclame avec humour le droit aux faiblesses et aux erreurs, sans lesquelles l’homme ne serait plus l’homme. ” ( Quatrième de couverture de l’édition de 1979. Texte repris sur le site Gallimard)

Otro castillo (Pablo Neruda)

No soy, no soy el ígneo,
estoy hecho de ropa, reumatismo,
papeles rotos, citas olvidadas,
pobres signos rupestres
en lo que fueron piedras orgullosas.

¿En qué quedó el castillo de la lluvia,
la adolescencia con sus tristes sueños
y aquel propósito entreabierto
de ave extendida, de águila en el cielo,
de fuego heráldico?

No soy, no soy el rayo
de fuego azul, clavado como lanza
en cualquier corazón sin amargura.

La vida no es la punta de un cuchillo,
no es un golpe de estrella,
sino un gastarse adentro de un vestuario,
un zapato mil veces repetido,
una medalla que se va oxidando
adentro de una caja oscura, oscura.

No pido nueva rosa ni dolores,
ni indiferencia es lo que me consume,
sino que cada signo se escribió,
la sal y el viento borran la escritura
y el alma ahora es un tambor callado
a la orilla de un río, de aquel río
que estaba allí y seguirá estando.

Defectos ecogidos. Losada, 1974.

Autre château

Je ne suis pas, je ne suis pas de braise ardente,
je suis fait de linge et de rhumatismes,
de papiers déchirés, de rendez-vous manqués,
de modestes signes rupestres
sur ce qui fut pierres d’orgueil.

Que reste-t-il du château de la pluie,
de cette adolescente avec ses tristes rêves,
de cette intention entrouverte
d’être aile déployée, d’être un aigle en plein ciel,
une flamme héraldique ?

Je ne suis pas, je ne suis pas l’éclair de feu
bleu, planté comme un javelot,
dans le coeur de quiconque échappe à l’amertume.

La vie n’est pas la pointe d’un couteau
ni le heurt d’une étoile,
elle est vieillissement dans une garde-robe,
soulier mille fois répété,
médaille qui rouille
dans les ténèbres d’un écrin.

Je ne demande ni rose nouvelle ni douleurs,
ni indifférence, elle me consume,
chaque signe a été écrit,
le sel avec le vent effacent l’écriture
et l’âme est maintenant un tambour muet
au bord d’un fleuve, de ce fleuve
qui continuera de couler où il coulait.

La rose détachée et autres poèmes. Gallimard, 1979. NRF Poésie/Gallimard n°394. 2004. Traduction de Claude Couffon.

Axelle Ropert – Paul Verlaine

Vu hier soir en DVD Petite Solange d’Axelle Ropert (2021). Scén. : Axelle Ropert. Dir. photo : Sébastien Bachmann. Mus. :Benjamin Esdraffo. Int. : Jade Springer, Léa Drucker, Philippe Katherine, Grégoire Montana, Chloé Astor. 1 h 25. Prix Jean Vigo 2021.

Un petit film, agréable à voir. Une collégienne de 13 ans (Jade Springer, très crédible), mélancolique et introvertie. La ville de Nantes toujours photogénique. On voit bien sûr le passage Pommeraye qui rappelle Jacques Demy et Lola (1961). L’adolescente est aimée par sa famille, mais livrée à elle-même. Ses parents se disputent et vont se séparer. Elle est seule. Elle marche dans la grande ville. Elle croise des gens, des tramways, elle se fait bousculer. Son grand frère Romain, étudiant, choisit la fuite à Madrid et l’abandonne. Le film fait discrètement allusion au beau mélodrame de Luigi Comencini, L’Incompris (1966). La petite Solange récite en classe La Chanson de Gaspard Hauser de Verlaine. Elle éclate en sanglots.

https://www.youtube.com/watch?v=ahOUdU77jWc

Portrait de Verlaine (Louis Anquetin). 1893. Albi, Musée Toulouse-Lautrec;

La chanson de Gaspard Hauser (Paul Verlaine)

Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes :
Ils ne m’ont pas trouvé malin.

À vingt ans un trouble nouveau
Sous le nom d’amoureuses flammes
M’a fait trouver belles les femmes :
Elles ne m’ont pas trouvé beau.

Bien que sans patrie et sans roi
Et très brave ne l’étant guère,
J’ai voulu mourir à la guerre :
La mort n’a pas voulu de moi.

Suis-je né trop tôt ou trop tard ?
Qu’est-ce que je fais en ce monde ?
Ô vous tous, ma peine est profonde :
Priez pour le pauvre Gaspard !

Sagesse, 1881.

Paul Verlaine a sûrement écrit ce poème en prison lors de son séjour en Belgique. Lors de leur voyage à Bruxelles, Verlaine tire sur Rimbaud à deux reprises, un coup le manquant, l’autre le blessant légèrement au poignet. Il était sous l’emprise de l’absinthe au moment des faits. D’abord enfermé à Bruxelles (du 11 juillet au 24 octobre 1873) jusqu’à son procès, il sera ensuite condamné et transféré à Mons où il passera un peu plus de deux ans (du 25 octobre 1873 au 16 janvier 1875) .

Ansbach (Bavière). Kaspar’s Tree. (Jaume Plensa). 2007. La sculpture est située devant la maison dans laquelle a vécu Kaspar Hauser de décembre 1831 jusqu’à sa mort en 1833.