Carlos Pezoa Véliz – Roberto Bolaño

Le poète et journaliste chilien Carlos Pezoa Veliz (1879-1908), anarchiste et autodidacte, de son vrai nom Carlos Enrique Moyano Jaña, est né à Santiago le 21 juillet 1879. Il est très gravement blessé aux jambes lors du terrible tremblement de terre qui secoue Valparaíso le 16 août 1906 et cause 3000 morts et 20 000 blessés. Les murs de la pension où il habite à Viña del Mar s’écroulent sur lui. Il fait de longs séjours dans les hôpitaux de Santiago et meurt, à 28 ans, le 21 avril 1908 de tuberculose. Son œuvre complète est éditée en 1927 sous le titre de Poesías y prosas completas (Editorial Renacimiento). Sa poésie est le miroir fidèle du pathétisme de la vie des indigents, de l’angoisse économique, des douleurs physiques, c’est-à-dire de sa propre existence qui fut errante et torturée mais sans renoncement ni mélancolie.
On retrouve un peu l’influence de sa poésie rebelle, ironique et populaire chez Nicanor Parra et Roberto Bolaño (1953-2003). Ce dernier s’est toujours senti profondément poète, mais sa réputation repose essentiellement sur ses romans et ses nouvelles.

Roberto Bolaño. Paris, mars 2003. (Raphaël Gaillarde).

Carlos Pezoa Véliz escritor chileno (Roberto Bolaño)

Yo he traído ahora el caso
porque lo oí a un viejo cuque

(Carlos Pezoa Véliz)

Cómo estás. Tanto tiempo sin vernos. Qué es de tu
muerte
Bien gracias hermano hermano

Invitado al banquete de la vida. Maniquí de hierba.
Carlitos tomando pisco
e imaginando perfectos círculos
de mariguana de cáñamo cordillerano
virgen improbable:
Invitado al banquete de la vida
o sea al de los ferrocarriles, las ocho horas
(en ese tiempo eran más de once)
las calles, los árboles frutales, la poesía:
invitado a todo pero en pedacitos
uno por uno conchetumare violento
el rostro lleno de sémola

Carlitos estremecido naonato
te ame
Spleen vete de aquí vete.
Si esto es una fiesta no me eche señor garzón
y deme pisco por favor
para que Nick Guzmán diga después que a mi
alrededor
hip
sonaron los tambores magistrales de Rubén y la
adjetivación
llena de onomatopeyas de Pedro Antonio Gonzales

Para que diga que me engañaron
que me metieron a la fuerza
en un brindis byroniano
(Cositas como Invitado al banquete de la vida,
vengo a brindar, de vuestro gozo en medio,
al levantar la copa del suicida,
llena hasta el borde de espantoso tedio
me colman
el espíritu clasemediero bajo)

Mejor me voy a Valparaíso a trabajar
A mirar el mar en la tarde
Me voy precedido de palomas
Esta actitud se nos puso sospechosa
Esta vida esta hora
Evoluciona mi poesía.

Bueno, en la autopista del subdesarrollo, puaj, ve cómo
pasan
deportivos a 90 por hora, la gente risueña
como en una película
como si fuera la dorada California y no Chile
húmedo y gris

Entonces mochilero errante necesitas inscribirte en el
partido
porque los tiempos son duros para andar sin espalda.
Necesitas una compañera, una casa, una máquina
de escribir, un trabajo.
Ayúdanos a hacer la Revolución:
No puedo,
voy a Valparaíso,
voy a ser víctima del terremoto de Valparaíso.
Entienda.
Voy a quedar inválido.
Voy a morir.
Y Nicanor Parra será el antipoeta, no yo.
1907: masacraron en el norte a los obreros del salitre:
no me estoy disculpando.

Deme un pisco por favor.
Deme un pisco negro.
Mi niña es una golondrina, una golondrina
no hace verano,
cuántas mitades de genios chilenos
se nos quedaron en las manos,
ah patria de amargos pajeros.
Deme un pisco por favor.

Pasa un auto blanco. De adentro miran rápidamente
a Pezoa Véliz que está afuera.

Carlitos piensa en los peces de los muelles de Valparaíso
Va a temblar —¿Cómo vivirán esos diablos pescados?
Carlitos en todos los idiomas
¿Cómo son esos pescados negros?

Poemas dispersos, en Poesía Reunida 2018.

Carlos Pezoa Véliz écrivain chilien (Roberto Bolaño)

J’ai présenté maintenant l’affaire
Parce que j’en ai entendu parler par un vieux cuistot

(Carlos Pezoa Véliz)

Comment vas-tu. Si longtemps qu’on ne s’est vus. Comment
se passe ta mort
Bien merci mon frère mon frère

Invité au banquet de la vie. Mannequin d’herbe.
Carlitos buvant du pisco
et imaginant des cercles parfaits
de marijuana de chanvre de la cordillère
vierge improbable :
Invité au banquet de la vie
c’est à dire à celui des chemins de fer, les huit heures
(à l’époque c’était plus de onze)
les rues, les arbres fruitiers, la poésie :
invité à tout mais par petits morceaux
un par un putain-de-mère violent
le visage couvert de semoule

Carlitos frissonnant né en mer
Spleen
Va-t en va-t en d’ici
Si c’est une fête ne me chassez pas monsieur le serveur
et donnez-moi du pisco s’il vous plaît
Pour que Nick Guzman dise ensuite qu’autour de moi
hip
ont résonné les tambours magistraux de Rubén et
l’adjectivation
pleine d’onomatopées de Pedro Antonio Gonzales

Pour qu’il dise qu’on m’a trompé
qu’on m’a entraîné de force
dans un toast byronien
(de petites choses comme Invité au banquet de la vie,
je viens porter un toast, au milieu de votre allégresse,
quand se lève le verre du suicidaire,
plein à ras-bord d’un épouvantable ennui
, comblent
mon esprit classe moyenne inférieure)

Je ferais mieux d’aller à Valparaíso travailler
Regarder la mer l’après-midi
Je pars précédé de colombes
Cette attitude nous a paru suspecte
Cette vie cette heure
Ma poésie évolue.

Bon sur l’autoroute du sous-développement, pouah, regarder
passer
des voitures de sport à 90 à l’heure, les gens souriants
comme dans un film
comme si c’était la Californie dorée et non le Chili
humide et gris

Alors routard errant il te faut t’inscrire au parti
parce que les temps sont durs pour vivre sans échine.
Il te faut une compagne, une maison, une machine
à écrire, un travail.
Aide-nous à faire la révolution :
Je ne peux pas
Je vais à Valparaíso,
Je vais être victime du tremblement de terre de Valparaíso.
Comprenez.
Je resterai invalide.
Je mourrai
Et Nicanor Parra sera l’antipoète, pas moi.
1907 : on a massacré dans le Nord les ouvriers du salpêtre :
Je ne suis pas en train de me disculper.

Donnez-moi un pisco s’il vous plaît.
Donnez-moi un pisco noir
Ma petite est une hirondelle, une hirondelle
ne fait pas le printemps,
combien de moitiés de génies chiliens
nous sont restés entre les mains,
ah patrie d’amers branleurs.
Donnez-moi un pisco s’il vous plaît.

Une auto blanche passe. Ses occupants regardent rapidement
Pezoa Véliz qui est dehors.

Carlitos pense aux poissons des quais de Valparaíso
Il va trembler – comment peuvent bien vivre ces diables
de poissons ?
Carlitos dans toutes les langues
Á quoi ressemblent ces poissons noirs ?

Œuvres complètes, vol. 1. Traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio et Jean-Marie Saint-Lu. L’Olivier, 1 248 p., 29 €.

                                 

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