Pablo Neruda

Pablo Neruda, 1952.

Lors d’une conférence de presse du gouvernement le 14 décembre, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a glissé une citation de Pablo Neruda: «Le printemps est inexorable.» Le monde de la culture croule sous les problèmes, mais cela ira mieux au printemps. Un peu vague, non?
De plus, cette phrase est tirée des mémoires du poète, publiées après sa mort par sa veuve, Matilde Urrutia. Le texte est une ode à la lutte des communistes et se trouve à la fin de ce livre. Bizarre, bizarre…Ce n’est pas vraiment ce que Pablo Neruda a écrit de meilleur. Son œuvre est immense, mais inégale. J’aime beaucoup certains de ses poèmes et je place très haut Residencia en la tierra comme le faisait Julio Cortázar. Pourtant, la qualité de ce texte me semble pour le moins discutable.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/02/09/julio-cortazar-1914-1984/

Los comunistas
…Han pasado unos cuantos años desde que ingresé al partido…Estoy contento…Los comunistas hacen una buena familia…Tienen el pellejo curtido y el corazón templado…Por todas partes reciben palos…Palos exclusivos para ellos…Vivan los espiritistas, los monarquitas, los aberrantes, los criminales de varios grados…Viva la filosofía con humo pero sin esqueletos…Viva el perro que ladra y que muerde, vivan los astrólogos libidinosos, viva la pornografía, viva el cinismo, viva el camarón, viva todo el mundo, menos los comunistas…Vivan los cinturones de castidad, vivan los conservadores que no se lavan los pies ideológicos desde hace quinientos años…Vivan los piojos de las poblaciones miserables, viva la fosacomún gratuita, viva el anarcocapitalismo, viva Rilke, viva André Gide con su corydoncito, viva cualquier misticismo…Todo está bien…Todos son heroicos…Todos los periódicos deben salir…Todos pueden publicarse, menos los comunistas…Todos los políticos deben entrar en Santo Domingo sin cadenas…Todos deben celebrar la muerte del sanguinario, del Trujillo, menos los que más duramente lo combatieron…Viva el carnaval, los últimos días del carnaval…Hay disfraces para todos…Disfraces de idealista cristiano, disfraces de extremo izquierda,
disfraces de damas benéficas y de matronas caritativas…Pero, cuidado, no dejen entrar a los comunistas…Cierren bien la puerta…No se vayan a equivocar…No Tienen derecho a nada…Preocupémonos de lo subjetivo, de la esencia del hombre,de la esencia de la esencia…Así estaremos todos contentos…Tenemos libertad… Qué grande es la libertad…Ellos no la respetan, no la conocen…La libertad para preocuparse de la esencia…De lo esencial de la esencia…
…Así han pasado los últimos años…Pasó el jazz, llegó el soul, naufragamos en los postulados de la pintura abstracta, nos estremeció y nos mató la guerra…En este lado todo quedaba igual… ¿O no quedaba igual?…Después de tantos discursos sobre el espíritu y de tantos palos en la cabeza, algo andaba mal…Muy mal… Los cálculos habían fallado… Los pueblos se organizaban…Seguían las guerrillas y las huelgas… Cuba y Chile se independizaban…Muchos hombres y mujeres cantaban la Internacional… Qué raro…Qué desconsolador…Ahora la cantaban en chino, en búlgaro, en español de América…Hay que tomar urgentes medidas…Hay que proscribirlo… Hay que hablar más del espíritu…Exaltar más el mundo libre… Hay que dar más palos…Hay que dar más dólares… Esto no puede continuar…Entre la libertad de Los palos y el miedo de Germán Arciniegas…Y ahora Cuba… En nuestro propio hemisferio, en la mitad de nuestra manzana, estos barbudos con la misma canción…Y para qué nos sirve Cristo?… De qué modo nos han servido los curas? … Ya no se puede confiar en nadie…Ni en los mismos curas … No ven nuestros puntos de vista… No ven cómo bajan nuestras acciones en la Bolsa…
…Mientras tanto trepan los hombres por el sistema solar…Quedan huellas de zapatos en la luna…Todo lucha por cambiar, menos los viejos sistemas…La vida de los viejos sistemas nació de inmensas telarañas medioevales…Telarañas más duras que los hierros de la maquinaria…Sin embargo, hay gente que cree en un cambio, que ha practicado el cambio, que ha hecho triunfar el cambio, que ha florecido el cambio…Caramba!…La primavera es inexorable!

Confieso que he vivido. Memorias. 1974.

“…Pendant ce temps les hommes grimpent dans l’espace…Ils laissent des traces de souliers sur la lune…Tout lutte pour changer, hormis les vieux systèmes…La vie des vieux systèmes a éclos dans les énormes toiles d’araignée du Moyen Age… Des toiles d’araignée plus résistantes que l’acier des machines…Pourtant, il existe des gens qui croient au changement, des gens qui ont pratiqué le changement, qui l’ont fait triompher, qui l’ont fait fleurir… Mince alors!… Le printemps est inexorable!”

J’avoue que j’ai vécu. Mémoires. Gallimard, 1975. Folio n°1822. Traduction de Claude Couffon.

Charles Baudelaire

Portrait gravé d’un poète français Charles Baudelaire (Felix Bracquemond), 1861.

Je trouve que l’hiver est long, long, bien trop long.

Je relis Baudelaire qui évoque un Paris réel, et puis un Paris imaginaire, féerique, onirique. Il crée son propre monde.

LXXXVI

Paysage

Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l’atelier qui chante et qui bavarde;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d’éternité.

II est doux, à travers les brumes, de voir naître
L’étoile dans l’azur, la lampe à la fenêtre
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes;
Et quand viendra l’hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d’eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l’Idylle a de plus enfantin.
L’Émeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre;
Car je serai plongé dans cette volupté
D’évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon coeur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

Les Fleurs du Mal, édition de 1861.

Vue de toits, effet de neige (Gustave Caillebotte). 1878. Paris, Musée d’Orsay.

Juan Ramón Jiménez

Juan Ramón Jiménez. Vers 1900.

L’œuvre de Juan Ramón Jiménez, prix Nobel de littérature en 1956, n’occupe pas en France la place qui devrait être la sienne. Il a pourtant profondément influencé les membres de la Génération de 1927 : Federico García Lorca, Jorge Guillén, Rafael Alberti et les d’autres.

Les éditions José Corti ont traduit certains recueils du poète dans la collection Ibériques, créée en 1988 par Bernard Sesé. Les livres les plus anciens de cette collection sont aujourd’hui difficilement trouvables.

Oeuvres de Juan Ramón Jiménez en français aux Éditions José Corti:

1980 Fleuves qui s’en vont. Traduction: Claude Couffon.
1987 Été. (Estío 1916)
1989 Espace. (Espacio 1982) Traduction: Gilbert Azam.
1990 Pierre et ciel. (Piedra y cielo 1919) Traduction: Bernard Sesé.
2000 Éternité. (Eternidades 1918)
2002 Poésie en vers. 1917-1923. Traduction: Bernard Sesé.
2005 Beauté. (Belleza 1923). Traduction: Bernard Sesé.

Chez d’autres éditeurs:
Sonnets spirituels, Aubier, 1989. Traduction: Bernard Sesé.
Platero et moi, Seghers, 1994. Traduction: Claude Couffon.
Journal d’un poète jeune marié, Libraire La Nerthe éditeur, 2008. Traduction: Victor Martinez.

Federico García Lorca, Zenobia Camprubí, Isabel García Lorca, Emilia Llanos, Juan Ramón Jiménez et Concha García Lorca . Grenade. Paseo de los Cipreses del Generalife, été 1924.

Dialogue entre Federico García Lorca et Luis Bagaría i Bou publiée par le journal El Sol le 10 juin 1936
Quelles sont les poètes que tu préfères actuellement en Espagne?
Il y a deux maîtres : Antonio Machado et Juan Ramón Jiménez. Le premier, sur le plan pur de la sérénité et de la perfection poétique, poète à la fois humain et céleste, hors de toute lutte, maître absolu de son prodigieux monde intérieur; le second, grand poète troublé par une terrible exaltation de son moi, écorché par la réalité qui l’environne, incroyablement déchiré par des riens, à l’affût du moindre bruit, véritable ennemi de son exceptionnelle et merveilleuse âme de poète »

Texte intégral:

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/03/26/luis-bagaria-i-bou-federico-garcia-lorca/

Deux exemples de la poésie de Juan Ramón:

Primavera amarilla

Abril venía, lleno
todo de flores amarillas:
amarillo el arroyo,
amarillo el vallado, la colina,
el cementerio de los niños,
el huerto aquel donde el amor vivía.

El sol unjía de amarillo el mundo,
con sus luces caídas;
¡ay, por los lirios áureos,
el agua de oro, tibia;
las amarillas mariposas
sobre las rosas amarillas!

Guirnaldas amarillas escalaban
los árboles; el día
era una gracia perfumada de oro,
en un dorado despertar de vida.
Entre los huesos de los muertos,
abría Dios sus manos amarillas.

Poemas mágicos y dolientes. 1909.

Printemps jaune

Avril venait,
plein de fleurs jaunes:
jaune le ruisseau,
jaune la haie, la colline,
le cimetière d’enfants,
et ce jardin où vivait l’amour.

Le soleil oignait de jaune le monde,
de ses lumières étalées;
Ah! Dans les iris dorés,
l’eau d’or, tiède;
les jaunes papillons
sur les roses jaunes!

Des guirlandes jaunes escaladaient
les arbres; le jour
était une grâce parfumée d’or,
dans un réveil doré de vie.
Entre les os des morts,
Dieu ouvrait ses mains jaunes.

Poèmes magiques et dolents. Traduction: Guy Lévis-Mano.

Le poème de Jorge Guillén Noche del gran estío qui se trouve dans Cántico (Cantique) répond à la vision du printemps de Juan Ramón.

Mañanas

Lecho prestado

¡Dura, seca, fatídica mañana,
que me despiertas con tu vehemencia
agria de aquel concierto de inocencia,
gala del fondo de mi soberana noche,

revuelta y hez de pena humana,
de deslumbrada y sórdida conciencia,
que tarda en tomar sitio en la paciencia
de esta grotesca farsa cotidiana!

¡Mañana, duerme más; deja que el día
se vaya acostumbrando, hora tras hora,
al pensamiento de la vida triste.

Y que despierte mi melancolía
en descansada paz -¡única aurora!-
que envuelva en lentos oros cuanto existe.

Deuxième section Amistad des Sonetos espirituales. 1914-15.

Matins

Lit emprunté

Dur, sec, fatidique matin,
qui me réveille par ta véhémence
aigre du concert d’innocence
splendeur du fond de ma nuit souveraine,

trouble remous d’humaine peine,
de conscience éblouie et sordide,
trop lente à prendre place en la patience
de cette grotesque farce quotidienne!

Ô matin, dors encore et laisse que le jour
aille s’accoutumant, au fil des heures,
à la pensée de cette vie si triste!

Et que s’éveille ma mélancolie
en paix tranquille -unique aurore! –
enveloppant dans l’or ce qui existe.

Sonnets spirituels. Traduction: Bernard Sesé.

Manuel Altolaguirre 1905 – 1959

Retour à la poésie, à la Génération de 1927, inépuisable.

Manuel Altolaguirre (Walter Reuter). Valence , octobre 1937.

Manuel Altolaguirre: ce poète fut aussi imprimeur, créateur de revues, dramaturge, réalisateur de cinéma et scénariste. Il étudie le droit à l’Université de Grenade. À 17 ans, il fonde dans sa ville natale, Málaga (la ciudad del paraíso de Vicente Aleixandre), sa première revue de poésie, Ambos. En 1925, il lance avec Emilio Prados (1899-1962) la revue Litoral qui eut une grande importance dans la diffusion de la nouvelle poésie espagnole et qui existe toujours. En octobre 1927, elle consacre trois numéros à l’ hommage à Luis de Góngora. Altolaguirre monte sa propre imprimerie, Sur. En 1930, il crée la revue Poesía dont les deux derniers numéros sont édités à Paris où il vit pendant une période. Il épouse en juin 1932 la poétesse Concha Méndez (1898-1986), fiancée d’abord pendant sept ans à Luis Buñuel. Une autre revue, Héroe, paraît en 1932. De 1933 à 1935, à Londres où il s’est installé grâce à une bourse de la Junta de Ampliación de Estudios, il fonde une revue hispano-anglaise, 1616, en hommage à Cervantès et à Shakespeare. Il revient à Madrid en 1935. Sur une presse anglaise moderne, il sort la revue de Pablo Neruda, Caballo verde para la poesía. En 1936, après l’assassinat de Federico García Lorca, il devient le directeur de La Barraca, la compagnie théâtrale fondée par le poète de Grenade. En 1939, il s’exile avec sa femme et sa fille Paloma d’abord en France, ensuite à Cuba (La Havane) et enfin au Mexique. Il continue là-bas son travail d’imprimeur, mais se consacre aussi au cinéma. En 1959, il revient en Espagne pour présenter un de ses films au Festival de Saint-Sébastien, mais sur la route de Madrid il trouve la mort dans un accident de voiture près de Burgos avec sa seconde épouse, la cubaine María Luisa Gómez Mena.

1926 Las islas invitadas y otros poemas. Réédité en 1936.
1933 Prix national de littérature.
1931 Soledades juntas.
1936 La lenta libertad.
1939 Nube temporal.
1944 Poemas de las islas invitadas.
1946 Nuevos poemas de las islas invitadas.
1949 Fin de un amor.
1955 Poemas en América.

Romance

Arrastrando por la arena,
como cola de mi luto,
a mi sombra prisionera,
triste y solitario voy
y vengo por las riberas,
recordando y olvidando
la causa de mi tristeza.

¡La ciudad que más quería
la he perdido en una guerra!

Ya no veré nunca más
las dos torres de su iglesia,
ni los caminos sin sombra
de sus brazos y sus piernas.

¡La ciudad que más quería
la he perdido en una guerra!

Las islas invitadas y otros poemas. Édition de 1936.

Romance

Je traîne sur le sable,
comme une queue d’habit de deuil,
mon ombre prisonnière;
seul et triste je vais
Et viens le long des rives,
rappelant et oubliant
les causes de ma tristesse.

La ville que plus j’aimais,
je l’ai perdue dans une guerre!

Plus jamais je ne verrai
les deux tours de son église,
ni les chemins sans ombre
de ses bras et de ses jambes.

La ville que plus j’aimais,
je l’ai perdue dans une guerre!

Traduction: Pierre Darmangeat.
La poésie espagnole. Anthologie des origines à nos jours. Paris, Seghers, 1963.

Playa
A Federico García Lorca

Las barcas de dos en dos,
como sandalias del viento
puestas a secar al sol.

Yo y mi sombra, ángulo recto.
Yo y mi sombra, libro abierto.

Sobre la arena tendido
como despojo de mar
se encuentra un niño dormido.

Yo y mi sombra, ángulo recto.
Yo y mi sombra, libro abierto.

Y más allá, pescadores
tirando de las maromas
amarillas y salobres.

Yo y mi sombra, ángulo recto.
Yo y mi sombra, libro abierto.

Las islas invitadas 1926.

Plage
Á Federico García Lorca

Les barques deux par deux
comme sandales du vent
qui sèchent au soleil.

Moi et mon ombre, un angle droit.
Moi et mon ombre, un livre ouvert.

Sur le sable couché
comme dépouille de la mer,
un enfant est endormi.

Moi et mon ombre, un angle droit.
Moi et mon ombre, un livre ouvert.

Et plus loin, des pêcheurs
qui tirent sur des cables
jaunes dans la saumure.

Moi et mon ombre, un angle droit.
Moi et mon ombre, un livre ouvert.

Traduction: Pierre Darmangeat.
La poésie espagnole. Anthologie des origines à nos jours. Paris, Seghers, 1963.

Manuel Altolaguirre (José Moreno Villa). 1949. México, Collection privée.

Il perd assez jeune son père, puis sa mère. L’idée de la mort, la perte des êtres chers sont au centre de toute son œuvre. On retrouve dans sa poésie l’influence de Juan Ramón Jiménez, de Pedro Salinas et des poètes espagnols classiques (Garcilaso de la Vega, Jean de la Croix, Gustavo Bécquer).

En 1952, avant une intervention chirurgicale, il avait remis à sa fille Paloma ce poème inachevé:

Las nubes, las blancas nubes
cuando yo me muera
míralas por mí.
Las flores, las blancas flores
cuando yo me muera
míralas por mí.
Sentiré en mi muerte blanca
que estoy vivo en ti…

Le brouillon se trouve dans les archives du poète conservées à la Residencia de Estudiantes de Madrid.

Antonio Machado

Tempête Filomena. La couche de neige atteint 25 à 30 centimètres à Madrid. Elle est même de 35 à 50 centimètres dans la périphérie. La température va descendre la nuit à – 10°, – 11° ces jours-ci. Du jamais vu depuis le 16 janvier 1945.

Relisons Antonio Machado.

Madrid, Hospital General Universitario Gregorio Marañón (Jaime Villanueva).

CXXIV

Al borrarse la nieve, se alejaron
los montes de la sierra.
La vega ha verdecido
al sol de abril, la vega
tiene la verde llama,
la vida, que no pesa;
y piensa el alma en una mariposa,
atlas del mundo, y sueña.
Con el ciruelo en flor y el campo verde,
con el glauco vapor de la ribera,
en torno de las ramas,
con las primeras zarzas que blanquean,
con este dulce soplo
que triunfa de la muerte y de la piedra,
esta amargura que me ahoga fluye
en esperanza de Ella…

Campos de Castilla, 1912.

Quand la neige s’est effacée,
les monts de la sierra
se sont éloignés.
La vallée a reverdi
au soleil d’avril, la vallée
est pleine d’une verte flamme,
pleine d’une vie, sans souci,
et l’âme songe à un papillon,
atlas du monde, et songe.
Avec le prunier en fleur et la campagne verte,
avec la glauque vapeur du rivage,
autour des branches,
avec les premières ronces qui blanchissent,
avec cette douce brise
qui triomphe de la mort et de la pierre,
cette amertume qui m’étouffe
s’écoule en espérance d’Elle…

Champs de Castille, Poésie/Gallimard 1973. Traduction Sylvie Léger et Bernard Sesé.

Guadalupe Grande Aguirre 1965-2021

Guadalupe Grande.

La poétesse Guadalupe Grande est décédée à Madrid samedi 2 janvier. Elle avait 55 ans.

Elle avait publié:
1996 El libro de Lilit, Prix Rafael Alberti, Editorial Renacimiento, Sevilla.
2003 La llave de niebla, Calambur Editorial, Madrid.
2006 Mapas de cera, Editorial Poesía Circulante, Málaga.
2010 Hotel para erizos, Calambur Editorial, Madrid.

En français:

2010 Métier de chrysalide, anthologie poétique, Alidades, Évian, 2010. Traduction de Dorothée Suarez et Juliette Gheerbrant. Postface de Carlo Bordini.

Elle était la fille unique du poète, spécialiste du flamenco et critique littéraire Félix Grande (1937-2014), et de la poétesse Francisca Aguirre (1930-2019). Son grand-père Lorenzo Aguirre, républicain, fut exécuté au garrot par les franquistes le 6 octobre 1942 à la prison de Porlier de Madrid.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/11/14/francisca-aguirre-1930/

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/11/14/lorenzo-aguirre-1884-1942/

Je passais souvent devant chez ses parents entre Chamberí et Cuatro Caminos (Madrid. Calle Alenza, 8. Chamberí) et je regardais la plaque.

“Creo que hay épocas de apertura y donde es más sencillo celebrar, que hay épocas de clausura donde es más difícil celebrar, y creo que el peligro que atravesamos ahora es no ser conscientes de que atravesamos un tiempo donde no hay nadie que haga los gestos necesarios para que cuando se cierre la puerta no caiga la casa detrás”

Sit tibi terra levis.

Madrid. Calle Alenza, 8. Chamberí.

La huída

Huí, es cierto.

Huir es un naufragio,
un mar en el que buscas tu rostro, inútilmente,
hasta convertirte en náufrago de sal,
cristal en el que brilla la nostalgia.
Huir tiene el olor de la esperanza,
huele a cierto y a traición,
se siente vigilado, está perdido
y no hay ningún imán que guíe
su insensato paso migratorio.
Huir parece alimentarse de tiempo,
respira distancia y mira, desde muy lejos,
un horizonte de escombros.
Huir tiene frío y en la piel de su vientre
resuenan palabras graves valor asombro lluvia.
Huir quisiera ser un pez abisal que ha llegado a la superficie:
después de tanto oscuro,
de tantos siglos anegado en la profundidad,
brillan las primeras gotas de luz
sobre su lomo albino de criatura castigada.
Pero huir es un naufragio
y tu rostro un puñado de sal
disuelto en el transcurso de las horas.

Tarea de náufragos
misión de exploradores
Pero el mar ya no nos basta
y la vida nos sabe a poco

Oficio de crisálida, 2010.

La fuite

J’ai fui, c’est vrai. Et puis après…

Fuir est un naufrage,
une mer sur laquelle tu cherches ton visage, inutilement,
au point de te changer en naufragé de sel,
cristal sur lequel brille la nostalgie.
Fuir a l’odeur de l’espoir,
sent la certitude et la trahison,
a l’impression d’être surveillé, d’être perdu
et il n’y a aucun aimant pour guider
son pas migratoire insensé.
Fuir semble se nourrir de temps,
respire la distance et regarde, de très loin,
un horizon de décombres.
Fuir a froid et sur la peau de son ventre
résonnent des mots graves courage frayeur pluie.
Fuir voudrait être un poisson des abysses remonté à la surface:
après tant d’obscurité
tant de siècles noyé dans les profondeurs,
les premières gouttes de lumière brillent
sur son échine albinos d’enfant puni.
Mais fuir est un naufrage
et ton visage une poignée de sel
dissoute dans l’écoulement des heures.

Travail de naufragés
mission d’explorateurs
Mais la mer ne nous suffit plus
et la vie a un goût de trop peu

Métier de chrysalide / Oficio de crisálida. Alidades. Traduction: Dorothée Suarez, Juliette Gheerbrant. Postface de Carlo Bordini, traduite de l’italien par Juliette Gheerbrant. 2010.

Raymond Carver

En 2020

Lequel d’entre nous aura subsisté jusque-là —
vieux, éberlué, confus —
mais voulant parler de nos amis morts?
Parler, parler, comme un vieux robinet qui fuit.
De sorte que les jeunes,
respectueux, d’une curiosité touchante,
se sentiront remués
par ces souvenirs.
Par la seule mention de tel nom
ou tel autre, et de ce que nous faisions ensemble.
(Comme nous étions respectueux, mais curieux
et tout excités, d’entendre quelqu’un parler
des morts illustres qui nous avaient précédés.)
Duquel d’entre nous diront-ils
à leurs amis,
ils connaissaient Untel! Il était copain avec —
et ils ont passé du temps ensemble.
Il était à cette grande soirée.
Il y avait tout le monde. Ils ont fait la fête
et dansé jusqu’à l’aube. Enlacés
dans les bras les uns des autres ils ont dansé
jusqu’à ce que le soleil se lève.
À présent ils sont tous morts.
Duquel d’entre nous dira-t-on —
il les a connus? Leur a serré la main
et les a embrassés, il a passé la nuit
dans leurs foyers chaleureux. Il les aimait!

Oui les amis, je vous aime, c’est vrai.
Et j’espère avoir assez de chance, avoir l’honneur,
de vivre pour témoigner.
Croyez-moi, je dirai seulement les plus
belles choses sur vous et nos vies ici!
Pour celui qui survit il faut qu’il y ait encore
à espérer. En vieillissant,
en perdant toute chose, et tout le monde.

Oeuvres complètes 9. Poésie. Traduction: Jacqueline Huet, Jean-Pierre Carasso et Emmanuel Moses.

In the year 2020

Which of us will be left then–
old, dazed, unclear–
but willing to talk about our dead friends?
Talk and talk, like an old faucet leaking.
So that the young ones,
respectful, touchingly curious,
will find themselves stirred
by the recollections.
By the very mention of this name
or that name, or what we did together.
(As we were respectful, but curious
and excited, to hear someone tell
about the illustrious dead ahead of us.)
Of which of us will they say
to their friends,
he knew so and so! He was friends with
and they spent time together.
He was at that big party.
Everyone was there. They celebrated
and danced until dawn. They put their arms
around each other and danced
until the sun came up.
Now they’re all gone.
Of which of us will it be said–
he knew them? Shook hands with them
and embraced them, stayed overnight
in their warm houses. Loved them!

Friends, I do love you, it’s true.
And I hope I’m lucky enough, privileged enough,
to live on and bear witness.
Believe me, I’ll say only the most
glorious things about you and our time here!
For the survivor there has to be something
to look forward to. Growing old,
losing everything and everybody.

Charles Baudelaire – Gustave Flaubert

Charles Baudelaire avec estampes (Étienne Carjat) 1863.

LXV- Tristesses de la Lune (Charles Baudelaire)

Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse;
Ainsi qu’une beauté, sur de nombreux coussins,
Qui d’une main distraite et légère caresse
Avant de s’endormir le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des molles avalanches,
Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,
Et promène ses yeux sur les visions blanches
Qui montent dans l’azur comme des floraisons.

Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
Elle laisse filer une larme furtive,
Un poète pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d’opale,
Et la met dans son coeur loin des yeux du soleil.

Les Fleurs du Mal. 1857.

Flaubert et Baudelaire se connaissent et s’apprécient. Le premier remercie ainsi le poète le 13 juillet 1857 après avoir reçu Les Fleurs du Mal.

À CHARLES BAUDELAIRE
Croisset, 13 juillet 1857.
Mon cher Ami,
J’ai d’abord dévoré votre volume d’un bout à l’autre comme une cuisinière fait d’un feuilleton. et maintenant depuis huit jours je le relis, vers à vers, mot à mot et, franchement cela me plaît et m’enchante.
Vous avez trouvé le moyen de rajeunir le romantisme. Vous ne ressemblez à personne (ce qui est la première de toutes les qualités). L’originalité du style découle de la conception. La phrase est toute bourrée par l’idée à en craquer.
J’aime votre âpreté, avec ses délicatesses de langage qui la font valoir, comme des damasquinures sur une lame fine.
Voici les pièces qui m’ont le plus frappé: le sonnet XVIII: La Beauté; c’est pour moi une œuvre de la plus haute valeur; — et puis les pièces suivantes: L’Idéal, La Géante (que je connaissais déjà), la pièce XXV:
“Avec ses vêtements ondoyants et nacrés, “
Une charogne, Le Chat (p. 79), Le Beau Navire, À une dame créole, Spleen (p. 140), qui m’a navré, tant c’est juste de couleur! Ah! vous comprenez l’embêtement de l’existence, vous! Vous pouvez vous vanter de cela, sans orgueil. Je m’arrête dans mon énumération, car j’aurais l’air de copier la table de votre volume. Il faut que je vous dise pourtant que je raffole de la pièce LXXV, Tristesses de la lune:
“ […] Qui d’une main distraite et légère caresse
Avant de s’endormir, le contour de ses seins […] “

et j’admire profondément le Voyage à Cythère, etc., etc.
Quant aux critiques, je ne vous en fais aucune, parce que je ne suis pas sûr de les penser moi-même dans un quart d’heure. J’ai, en un mot, peur de dire des inepties dont j’aurais un remords immédiat. Quand je vous reverrai, cet hiver, à Paris, je vous poserai seulement, sous forme dubitative et modeste, quelques questions.
En résumé, ce qui me plaît avant tout dans votre livre, c’est que l’art y prédomine. Et puis vous chantez la chair sans l’aimer, d’une façon triste et détachée qui m’est sympathique. Vous êtes résistant comme le marbre et pénétrant comme un brouillard d’Angleterre.
Encore une fois, mille remerciements du cadeau. Je vous serre la main très fort.
À vous.
Gustave Flaubert

Une semaine plus tard, Sainte-Beuve écrit à Baudelaire : « J’aime plus d’une pièce de
votre volume, ces Tristesses de la Lune, par exemple, joli sonnet qui semble de quelque
poète anglais contemporain de Shakespeare. »

Gustave Flaubert. 1867.

Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud mourant, dessiné par sa sœur Isabelle. 1891.

Phrases regroupe huit petits paragraphes tirés des Illuminations. Leur composition minutieuse montre bien qu’il ne s’agit pas là de notes éparses ou d’ébauches, mais d’une expérience nouvelle de forme brève en poésie. Le passage le plus connu est, bien sûr, le cinquième: portrait du poète en équilibriste… Rimbaud avait un frère et surtout deux soeurs : Vitalie (1858-1875), morte de tuberculose, et Isabelle (1860-1917). Arthur Rimbaud a assisté à l’enterrement de la première le crâne rasé, en signe de deuil. La seconde a été sa légataire universelle et a assisté à son agonie pendant la nuit du 9 au 10 novembre 1891 à l’hospice de la Conception de Marseille .

Phrases

Quand le monde sera réduit en un seul bois noir pour nos quatre yeux étonnés, — en une plage pour deux enfants fidèles, — en une maison musicale pour notre claire sympathie, — je vous trouverai.
Qu’il n’y ait ici-bas qu’un vieillard seul, calme et beau, entouré d’un “luxe inouï”, — et je suis à vos genoux.
Que j’aie réalisé tous vos souvenirs, — que je sois celle qui sait vous garrotter, — je vous étoufferai.

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Quand nous somme très forts, — qui recule? très gais, – qui tombe de ridicule ? Quand nous sommes très méchants, – que ferait-on de nous?
Parez-vous, dansez, riez. — Je ne pourrai jamais envoyer l’Amour par la fenêtre.

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– Ma camarade, mendiante, enfant monstre! comme ça t’est égal, ces malheureuses et ces manœuvres, et mes embarras. Attache-toi à nous avec ta voix impossible, ta voix! unique flatteur de ce vil désespoir.

[Phrases II]

Une matinée couverte, en Juillet. Un goût de cendres vole dans l’air; — une odeur de bois suant dans l’âtre, — les fleurs rouies, — le saccage des promenades, — la bruine des canaux par les champs — pourquoi pas déjà les joujoux et l’encens ?

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J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse.

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Le haut étang fume continuellement. Quelle sorcière va se dresser sur le couchant blanc ? Quelles violettes frondaisons vont descendre ?

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Pendant que les fonds publics s’écoulent en fêtes de fraternité, il sonne une cloche de feu rose dans les nuages.

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Avivant un agréable goût d’encre de Chine, une poudre noire pleut doucement sur ma veillée. — Je baisse les feux du lustre, je me jette sur le lit, et tourné du côté de l’ombre je vous vois, mes filles ! mes reines !
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Illuminations, 1872-1875. Publication en 1886.

Isabelle Rimbaud (1860-1917) vers 1900.
Jeanne Rosalie Vitalie Rimbaud (1858-1875).

Luis de Góngora y Argote – El Greco

Retrato del poeta y escritor español Luis de Góngora y Argote (1561-1627). 1622. Museo de Bellas Artes de Boston.

Luis de Góngora y Argote, poète baroque et figure emblématique du cultisme, naît le 11 juillet 1641 à Cordoue de Francisco de Argote, juge des biens confisqués par l’Inquisition, et de Leonor de Góngora. Il fait son éducation au collège des Jésuites de la ville, puis étudie le droit à l’Université de Salamanque (1576-1581). Il commence à écrire et compose des letrillas. Son premier poème est publié en 1580.

Il reçoit les ordres mineurs (1575), puis les ordres majeurs (1580) pour profiter des bénéfices et des rentes ecclésiastiques que lui a légués son oncle maternel, Francisco de Góngora, prébendier de la Cathédrale de Cordoue. Il devient un membre influent du Chapitre de la Cathédrale de Cordoue (1587).

Il séjourne à la Cour, installée à Valladolid (1603-1604), puis à Madrid (1609-1610). Il se retire ensuite à la campagne, dans une propriété appartenant au chapitre de la Cathédrale de Cordoue, la Huerta de San Marcos (1612-1614). C’est là qu’il compose la fable de Polyphème et Galatée (Fábula de Polifemo y Galatea: 63 octaves) et les Solitudes (Soledades: deux mille vers environ), recueil à l’origine divisé en quatre longs poèmes. Il n’en écrira que deux qui constituent le sommet de son œuvre. Il est célèbre en son temps bien qu’il ne se donne guère la peine de publier ses poèmes. Il les envoie à ses amis. Miguel de Cervantes fait son éloge dès 1580 dans La Galatea, Diego Velázquez fait son portrait en 1622 cinq ans avant sa mort.

Partisans du cultisme (ou cultéranisme) et partisans du conceptisme s’opposent violemment. Ses ennemis les plus virulents sont Lope de Vega, et surtout Francisco de Quevedo qui raille et parodie le «jargóngora».

En avril 1617, de nouveau à la Cour à Madrid, il obtient, grâce au duc de Lerma, une charge de chapelain du Roi. Il reçoit alors l’ordination sacerdotale (1618), mais sa situation financière reste précaire. En 1625, il est poursuivi pour dettes. Quevedo, dont l’inimitié ne cesse pas, aurait acheté la maison de Góngora et l’aurait fait expulser. Quevedo publie son célèbre pamphlet: La aguja de navegar cultos con la receta para hacer Soledades en un día.

En 1626, il souffre d’une attaque d’apoplexie et reste partiellement paralysé. Il décède le 23 mai 1627 dans la maison de sa sœur. Il est enterré dans la chapelle Saint-Barthélémy de la Mosquée-Cathédrale de Cordoue.

Les XVIII ème et XIX ème siècles le frappent d’ostracisme. Son importance commence à être reconnue par les poètes symbolistes. Verlaine, par exemple, le place, sans bien le connaître, dans sa galerie des «poètes maudits» et le cite en épigraphe de Lassitude (Poèmes saturniens): «A batallas de amor campo de pluma.» «Á batailles d’amour, champ de plume.»

La réhabilitation du Greco offre plus d’une analogie avec celle de Góngora.

Il faudra l’enthousiasme et l’attention critique de l’extraordinaire génération de poètes du XX ème siècle (Federico García Lorca (Soledad insegura), Jorge Guillén, Dámaso Alonso, Pedro Salinas, Gerardo Diego, Rafael Alberti (Soledad tercera, dans le recueil Cal y canto, 1927), Luis Cernuda) pour exhumer de l’oubli les vers du poète cordouan, et lui rendre sa place dans les lettres espagnoles. L’Ateneo de Séville organise les 16 et 17 décembre 1927 une commémoration du troisième centenaire de la mort du poète dans les locaux de la Sociedad Económica de Amigos del País en présence de la plupart des écrivains que l’on regroupe depuis sous le terme de Génération de 1927.

Góngora est si moderne que García Lorca en fait l’argument de sa conférence La imagen poética de Don Luis de Góngora: «C’est un problème de compréhension: Góngora, il ne faut pas le lire, mais l’étudier». («Es un problema de comprensión. A Góngora no hay que leerlo, sino estudiarlo. Góngora no viene a buscamos como otros poetas para ponemos melancólicos, sino que hay que perseguirlo razonablemente. A Góngora no se puede entender de ninguna manera en la primera lectura.») .

https://federicogarcialorca.net/obras_lorca/la_imagen_poetica_gongora.html

En 1947, Picasso recopie à la plume des sonnets de Góngora et se met à dessiner dans leurs marges. Pablo Picasso, Vingt poèmes de Góngora, Les Grands Peintres Modernes et le Livre, Paris, 1948. Textes en espagnol suivis de la traduction française par Zdzislaw Milner.

Miguel de Cervantes, La Galatea:

«En don Luis de Góngora os ofrezco
un vivo raro ingenio sin segundo;
con sus obras me alegro y me enriquezco
no sólo yo, más todo el ancho mundo.»

Inscripción para el sepulcro de Domínico Greco (Luis de Góngora y Argote)

Esta en forma elegante, oh peregrino,
de pórfido luciente dura llave,
el pincel niega al mundo más süave,
que dio espíritu a leño, vida a lino.

Su nombre, aun de mayor aliento digno
que en los clarines de la Fama cabe,
el campo ilustra de ese mármol grave:
venéralo y prosigue tu camino.

Yace el Griego. Heredó Naturaleza
Arte, y el Arte, estudio; Iris, colores;
Febo, luces – si no sombras, Morfeo. –

Tanta urna, a pesar de su dureza,
lágrimas beba, y cuantos suda olores
corteza funeral de árbol sabeo.

Inscription pour le sépulcre de Domínico Greco

Cette en forme élégante, ô voyageur,
de porphyre brillant dure clé
le pinceau refuse au monde le plus suave,
qui donna esprit au bois, vie au lin.

Son nom, de plus grand souffle digne même
que n’en contiennent les clairons de la Renommée,
le champ illustre de ce marbre grave.
Vénère-le, et poursuis ton chemin.

Gît le Grec, Hérita nature
d’art, et l’Art, d’étude; Iris, de couleurs;
Phébus, de lumières – sinon d’ombres, Morphée.-

Qu’une telle urne, malgré sa dureté,
les larmes boive et autant de senteurs qu’exsude
l’écorce funéraire de l’arbre de Saba.

Sonnets. La Délirante 1991. Traduction Frédéric Magne.

Vista de Toledo(El Greco). v 1596–1600. Nueva York, Metropolitan Museum of Art.