Vicente Aleixandre

Velintonia, 3. Madrid.

Á Madrid (Velintonia, 3), se trouve la maison de Vicente Aleixandre. Elle n’est plus habitée depuis la mort de Concepción Aleixandre, la sœur du poète en 1986. C’est pourtant un des lieux essentiels de la littérature espagnole du vingtième siècle. Nombreux étaient ceux qui venaient rendre visite au Prix Nobel de Littérature 1977, de santé fragile: Federico García Lorca qui jouait du piano ou lui lisait les Sonnets de l’amour obscur, Rafael Alberti, Luis Cernuda, Pablo Neruda, Miguel Hernández, d’autres encore…

Après la Guerre civile, les jeunes écrivains venaient aussi consulter leur aîné. Il servit de pont entre les poètes de la génération de 1950 qui habitaient Barcelone (Carlos Barral, Jaime Gil de Biedma ou Luis Agustín Goytisolo) et ceux de Madrid (Carlos Bousoño, José Hierro, Ángel González Claudio Rodríguez ou Francisco Brines qui a reçu récemment le Prix Cervantès).

La photo montre bien le peu d’intérêt porté à la culture par les différents partis politiques espagnols, et particulièrement les conservateurs qui contrôlent la mairie et le gouvernement régional.

La Asociación de Amigos de Vicente Aleixandre souhaiterait que cette maison devienne la Maison de la Poésie.

“Ser leal a sí mismo es el único modo de llegar a ser leal a los demás.” (Vicente Aleixandre)

Vicente Aleixandre considérait En la plaza comme le meilleur poème de son oeuvre. Je l’avais déjà publié ici le 23 novembre 2020. J’ajoute aujourd’hui sa traduction en français.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2020/11/23/vicente-aleixandre/

Sur la place

Qu’il est beau, merveilleusement humble et rassurant, vivifiant et profond,
de se sentir sous le soleil, parmi les autres poussé,
porté, conduit, mêlé, bruyamment entraîné.

Il n’est pas bon
de rester sur la rive
tels la jetée ou le mollusque qui veut calcairement imiter le rocher.
Mais qu’il est pur, serein, de se fondre dans le bonheur
de couler, de se perdre,
de se trouver dans le mouvement qui fait palpiter, dilaté,
le noble coeur des hommes.

Comme celui qui vit là, j’ignore à quel étage,
et que j’ai vu descendre des escaliers,
se fondre vaillamment dans la foule et se perdre.
La grande masse passait. Mais le minuscule coeur accouru était reconnaissable.
Là-bas, qui le reconnaîtrait? Là-bas, avec espoir, résolution ou foi, avec un courage craintif,
avec une humilité silencieuse, là-bas lui aussi passerait.

C’était une grand-place ouverte, et il y régnait une odeur de vie.
Odeur de grand soleil à nu, de vent qui le ridait,
un grand vent qui sur les têtes passait sa main,
sa grande main qui frôlait les fronts unis et les réconfortait.

Et le tourbillon serpentait
comme un seul être, je ne sais si abandonné ou puissant,
mais bien vivant et perceptible, mais recouvrant la terre.

Là chacun peut se regarder, se réjouir et se reconnaître.
Quand , par les chaudes soirées, seul dans ton bureau,
les yeux étranges et l’interrogation à la bouche,
tu voudrais demander quelque chose à ton image,

ne te cherche pas dans la glace,
dans un dialogue éteint où tu ne t’entends pas.
Descends, descends avec lenteur et cherche-toi parmi les autres.
Ils sont tous là, toi parmi eux.
Oh! dépouille-toi, fonds-toi, reconnais-toi.

Entre lentement comme le baigneur qui, avec beaucoup d’amour et craignant l’eau,
plonge d’abord ses pieds dans l’écume,
et sent l’eau qui le gagne, et maintenant il ose, et maintenant il se décide presque.
L’eau lui arrive à la ceinture, mais il n’a pas confiance encore.
Pourtant il étend les bras, il les ouvre enfin et se donne tout entier.
Et là fort il se reconnaît, il grandit, il se lance
et avance, faisant jaillir l’écume, il saute, plein de confiance,
et fend les eaux vivantes, respire, et chante, et il est jeune.

Ainsi, entre pieds nus. Pénètre dans l’effervescence de la place.
Entre dans le torrent qui te réclame et sois-y toi-même.
Ô petit, tout petit coeur, coeur qui veut battre
pour être lui aussi le coeur unanime qui le comprend!

Poésie totale. Gallimard, 1977. Traduction: Roger Noël-Mayer.

Pablo Neruda – Vicente Aleixandre

Madrid depuis la terrasse du Cercle des Beaux-Arts.

Le poète chilien Pablo Neruda (1904-1973. Prix Nobel de littérature 1971) devient diplomate en 1927. Il occupe successivement des postes de consul à Rangoun (Birmanie), Colombo (Sri Lanka), Batavia (aujourd’hui Jakarta en Indonésie), Calcutta (Inde), puis Buenos Aires. Á partir de 1935, il est consul en Espagne, d’abord à Barcelone, puis à Madrid.

Son séjour à Madrid sera une expérience décisive dans sa vie et dans son oeuvre. Témoin des premières batailles et des bombardements meurtriers lors de la guerre civile, il est évacué vers la France en 1937. Il fonde alors le Comité hispano-américain pour le soutien à l’Espagne avec César Vallejo et l’Alliance des intellectuels chiliens pour la défense de la culture. En 1939, mandaté par le président chilien Pedro Aguirre Cerda, il organise le départ de 2400 réfugiés espagnols à bord du cargo Winnipeg.

Il découvre son attachement à l’Espagne, à sa culture. Cette expérience inoubliable devient pour lui vitale. La perte de ses amis Federico García Lorca y Miguel Hernández le déchire totalement.

Le souvenir de la ville perdue grandit avec le temps. Le poète souffre d’un véritable exil. Dans Memorial de Isla Negra (1964), l’impossibilité de revoir Madrid à cause de la dictature franquiste responsable de la mort de ses amis, est une souffrance. Il évoque le paysage, la ville, les rues, les boutiques des artisans et leurs produits, les tavernes, le bruit des enfants, l’odeur du pain qui sort des boulangeries, les chariots et l’ami poète, jamais revu, Vicente Aleixandre. Ce paradis perdu est toujours présent dans son esprit.

¡Ay! mi ciudad perdida

Me gustaba Madrid y ya no puedo
verlo, no más, ya nunca más, amarga
es la desesperada certidumbre
como de haberse muerto uno también al tiempo
que morían los míos, como si se me hubiera
ido a la tumba la mitad del alma,
y allí yaciere entre llanuras secas,
prisiones y presidios,
aquel tiempo anterior cuando aún no tenía
sangre la flor, coágulos la luna.
Me gustaba Madrid por arrabales,
por calles que caían a Castilla
como pequeños ríos de ojos negros:
era el final de un día
calles de cordeleros y toneles,
trenzas de esparto como cabelleras,
duelas arqueadas desde
donde
algún día
iba a volar el vino a un ronco reino,
calles de los carbones,
de las madererías,
calles de las tabernas anegadas
por el caudal
del duro Valdepeñas
y calles solas, secas, de silencio
compacto como adobe,
e ir y saltar los pies sin alfabeto,
sin guía, ni buscar, ni hallar, viviendo
aquello que vivía
callando con aquellos
terrones, ardiendo
con las piedras
y al fin callado el grito de una ventana, el canto
de un pozo, el sello
de una gran carcajada
que rompía
con vidrios
el crepúsculo, y aún
más acá,
en la garganta
de la ciudad tardía,
caballos polvorientos,
carros de ruedas rojas,
y el aroma
de las panaderías al cerrarse
la corola nocturna
mientras enderezaba mi vaga dirección
hacia Cuatro Caminos, al número
3
de la calle Wellingtonia
en donde me esperaba
bajo dos ojos con chispas azules
la sonrisa que nunca he vuelto a ver
en el rostro
– plenilunio rosado –
de Vicente Aleixandre
que dejé allí a vivir con sus ausentes.

Memorial de Isla Negra, 1964.

Aïe! Ma ville perdue

J’aimais Madrid et maintenant je ne peux plus
le voir, non, plus jamais, plus jamais plus, ô certitude
désespérée aussi amère
que d’être mort moi-même au moment où mouraient
les miens ou que d’avoir porté en terre
la moitié de mon âme,
comme si là-bas dans les plaines sèches,
les prisons et les bagnes,
gisait ce temps d’avant, ce temps
où la fleur n’avait pas de sang ni de caillots la lune.
J’aimais Madrid pour ses faubourgs,
pour ses rues qui allaient se jeter en Castille
comme de minces rivières aux yeux noirs:
c’était par un jour finissant:
des rues de cordiers, de tonneaux
et de tresses d’alfa comme des chevelures,
de douves arquées
d’où
un jour
le vin s’envolerait vers un rauque royaume,
rues du charbon,
rues des chantiers vendeurs de bois,
rues des tavernes inondées
par le flot
du dur valdepeñas,
rues solitaires, sèches, au silence compact
de brique crue,
et les pieds qui vont et qui sautent, sans alphabet,
sans guide, sans chercher ni trouver, vivant
cela qui vivait bouche close
avec
ces mottes, brûlant
avec les pierres
et enfin, quand se taisait le cri d’une fenêtre, le chantier d’un puits, le sceau
d’un grand éclat de rire
qui brisait
de ses vitres
le crépuscule, et encore
plus avant,
dans la gorge
de la ville tardive,
des chevaux couverts de poussière,
des voitures aux roues écarlates,
et le parfum
des boulangeries quand se refermait
la corolle nocturne
tandis que je modifiais mon vague chemin
vers Cuatro Caminos, vers ce
3,
rue Wellingtonia
où m’attendait
sous deux yeux d’étincelles bleues
le sourire que je n’ai plus jamais revu
sur le visage
– rose lune pleine –
de Vicente Aleixandre
que j’ai laissé là-bas vivre avec ses absents.

Mémorial de l’Île Noire, 1970. Gallimard. Traduction: Claude Couffon.

Pedro Salinas

Pedro Salinas. 1927. (Gregorio Prieto 1897-1992).

Pedro Salinas est un des principaux poètes de la Génération de 1927.

Il est né à Madrid le 27 novembre 1891 où il fait des études de lettres. De 1914 à 1917, il est lecteur à la Sorbonne.

Professeur d’université à Séville jusqu’en 1929, poète, traducteur de Marcel Proust, critique, créateur de l’Université Internationale d’été de Santander, il est contraint comme beaucoup d’intellectuels espagnols à l’exil à cause de la guerre civile (1936-1939). Il part s’installer aux États-Unis, où il enseigne au Wellesley College, à l’Université Johns-Hopkins de Baltimore et à l’Université de Porto Rico.

Il écrit pour Katherine R. Whitmore (1897-1982) sa trilogie poétique La voz a ti debida (1933), Razón de amor (1936) et Largo lamento (1936-1939).

Dans un monde chaotique, la poésie doit apporter ordre et clarté. Dans cette quête, le thème amoureux est privilégié.

Il est mort à Boston le 4 décembre 1951, mais repose dans le cimetière de San Juan de Puerto Rico.

¿Por qué tienes nombre tú,
Día, miércoles?
¿Por qué tienes nombre tú,
Tiempo, otoño?
Alegría, pena, siempre
¿Por qué tenéis nombre: amor?

Si tú no tuvieras nombre,
Yo no sabría qué era,
Ni cómo, ni cuándo. Nada.

¿Sabe el mar cómo se llama,
Que es el mar? ¿Saben los vientos
Sus apellidos, del Sur
Y del Norte, por encima
Del puro soplo que son?

Si tú no tuvieras nombre,
Todo sería primero,
Inicial, todo inventado
Por mí,
Intacto hasta el beso mío.
Gozo, amor: delicia lenta
De gozar, de amar, sin nombre.

Nombre: ¡qué puñal clavado
En medio de un pecho cándido
Que sería nuestro siempre
Si no fuese por su nombre!

La voz a ti debida, 1933.

Pourquoi as-tu un nom, toi,
Jour, mercredi?
Pourquoi as-tu un nom, toi,
Temps, automne?
Joie, peine, toujours
Pourquoi avez-vous un nom: amour?

Si toi tu n’avais pas de nom,
Je ne saurais ce que cela était,
Ni comment, ni quand. Rien.

La mer sait-elle comme on l’appelle,
Qu’elle est la mer? Savent les vents
Leurs noms, du Sud
Et du Nord, par-delà
Le pur souffle qu’ils sont?

Si toi tu n’avais pas de nom,
Tout serait premier,
Initial, tout inventé
Par moi,
Intact jusqu’à mon baiser.
Jouissance, amour: délice lent
De jouir, d’aimer, sans nom.

Nom, quel poignard cloué
Dans un coeur candide
Qui serait nôtre pour toujours
S’il n’y avait ce nom!

La voix qui t’est due. Traduction Bernard Sesé. Le Calligraphe. 1982.

Merci au professeur Bernard Sesé, disparu récemment.

Fernando Pessoa

Álvaro de Campos et Fernando Pessoa.

Fernando Pessoa est né le 13 juin 1888 à Lisbonne. Il est décédé à Lisbonne le 30 novembre 1935 des suites de violentes crises hépatiques dues à son alcoolisme. Á 20 heures, il avait réclamé ses lunettes pour y voir plus clair. Á 20 heures 30, il était mort. En 1985, cinquante ans après sa mort, sa dépouille mortelle est transférée dans le cloître du monastère des Hiéronymites (Mosteiro dos Jerónimos) à quelques mètres des cénotaphes de Camões et de Vasco de Gama.

Il a créé une œuvre poétique sous différents hétéronymes en plus de son propre nom.
Les plus importants sont Alberto Caeiro (qui incarne la nature et la sagesse païenne); Ricardo Reis, (l’épicurisme à la manière d’Horace); Alvaro de Campos, (le «modernisme» et la désillusion); Bernardo Soares, modeste employé de bureau à la vie insignifiante (auteur du Livre de l’intranquillité). Il a utilisé au moins soixante-douze alias en incluant les simples pseudonymes et semi-hétéronymes.

Insomnie

Je ne dors pas, je n’ai aucun espoir de dormir.
Même dans la mort je n’ai aucun espoir de dormir.

Une insomnie m’attend, de la largeur des astres,
Et un bâillement vain de la taille du monde.

Je ne dors pas; je ne peux pas lire quand je me réveille la nuit,
Je ne peux pas écrire quand je me réveille la nuit,
Je ne peux pas penser quand je me réveille la nuit –
Mon Dieu, je ne peux même pas rêver quand je me réveille la nuit!

Ah, l’opium d’être n’importe quelle autre personne!

Je ne dors pas, je gis, cadavre réveillé, tous sens dehors,
Alors mon sentiment est une pensée vide.
Passent en me frôlant, défigurées, des choses qui me sont arrivées
– Toutes celles dont je me repens et m’accuse – ;
Passent en me frôlant, défigurées, des choses qui ne me sont pas arrivées
– Toutes celles dont je me repens et m’accuse – ;
Passent en me frôlant, défigurées, des choses qui ne sont rien,
Et même de celles-là je me repens, je m’accuse, et je ne dors pas.

Je n’ai pas la force d’avoir l’énergie nécessaire pour allumer une cigarette.
Je fixe dans ma chambre le mur d’en face comme s’il était l’univers.
Au-dehors il y a le silence de ces choses amassées.
Un grand silence effrayant dans n’importe quelle autre occasion,
Dans n’importe quelle autre occasion qu’il me serait donné de sentir.

Je suis en train d’écrire des vers réellement sympathiques –
Des vers qui disent que je n’ai rien à dire,
Des vers qui s’entêtent à dire ça,
Des vers, des vers, des vers, des vers, des vers…
Tant de vers…
Et la vérité tout entière, et la vie tout entière, au-dehors d’eux, au-dehors de moi!

J’ai sommeil, je ne dors pas, je sens et je ne sais pas quoi sentir.
Je suis une sensation sans personne afférente,
Une abstraction d’autoconscience sans objet,
Sauf ce qui est nécessaire pour sentir la conscience,
Sauf – sauf je ne sais pas quoi…

Je ne dors pas. Je ne dors pas. Je ne dors pas.
Quel immense sommeil dans toute la tête et sur les yeux et dans l’âme!
Quel immense sommeil en tout sauf dans le pouvoir de dormir!

Ô toi aurore, tu tardes tant… Viens, viens…
Viens, inutilement,
M’apporter un autre jour identique à ce jour, suivi par une autre nuit identique à cette nuit…
Viens m’apporter la joie de l’espérance triste,
Car tu es joyeuse toujours, et apportes toujours de l’espérance,
Selon la vieille littérature des sensations…

Viens, apporte l’espoir, viens, apporte l’espoir.
Ma fatigue pénètre le lit profondément.
J’ai mal au dos de n’être pas couché sur le côté.
Si j’étais couché sur le côté, j’aurais mal au dos d’être couché sur le côté.
Viens, aurore, approche-toi!

Quelle heure est-il? Je ne sais pas.
Je n’ai pas l’énergie de tendre la main jusqu’à la montre,
Je n’ai pas de l’énergie pour rien, ni même pour rien d’autre…
Seulement pour ces vers, écrits le jour suivant.
Eh oui, écrits le jour suivant.
Tous les vers sont toujours écrits le jour suivant.

Nuit absolue, calme absolu, là-bas dehors.
Paix de tous les côtés dans la Nature entière.
L’humanité se repose et oublie ses peines.
Exactement.
L’humanité oublie ses joies et ses peines.
Il est d’usage de dire ça.
L’humanité oublie, oh oui, l’humanité oublie.
Exactement. Mais je ne dors pas.

Poèmes d’Álvaro de Campos.
Traduction de Patrick Quillier en collaboration avec Maria Antónia Câmara Manuel.
NRF Gallimard. Éditions de la Pléiade. 2001.

INSÓNIA
Não durmo, nem espero dormir.
Nem na morte espero dormir.

Espera-me uma insónia da largura dos astros,
E um bocejo inútil do comprimento do mundo.

Não durmo; não posso ler quando acordo de noite,
Não posso escrever quando acordo de noite,
Não posso pensar quando acordo de noite —
Meu Deus, nem posso sonhar quando acordo de noite!

Ah, o ópio de ser outra pessoa qualquer!

Não durmo, jazo, cadáver acordado, sentindo,
E o meu sentimento é um pensamento vazio.
Passam por mim, transtornadas, coisas que me sucederam —
Todas aquelas de que me arrependo e me culpo —;
Passam por mim, transtornadas, coisas que me não sucederam —
Todas aquelas de que me arrependo e me culpo —;
Passam por mim, transtornadas, coisas que não são nada,
E até dessas me arrependo, me culpo, e não durmo.

Não tenho força para ter energia para acender um cigarro.
Fito a parede fronteira do quarto como se fosse o universo.
Lá fora há o silêncio dessa coisa toda.
Um grande silêncio apavorante noutra ocasião qualquer,
Noutra ocasião qualquer em que eu pudesse sentir.

Estou escrevendo versos realmente simpáticos —
Versos a dizer que não tenho nada que dizer,
Versos a teimar em dizer isso,
Versos, versos, versos, versos, versos…
Tantos versos…
E a verdade toda, e a vida toda fora deles e de mim!

Tenho sono, não durmo, sinto e não sei em que sentir
Sou uma sensação sem pessoa correspondente,
Uma abstracção de autoconsciência sem de quê,
Salvo o necessário para sentir consciência,
Salvo — sei lá salvo o quê…

Não durmo. Não durmo. Não durmo.
Que grande sono em toda a cabeça e em cima dos olhos e na alma!
Que grande sono em tudo excepto no poder dormir!

Ó madrugada, tardas tanto… Vem…
Vem, inutilmente,
Trazer-me outro dia igual a este, a ser seguido por outra noite igual a esta…
Vem trazer-me a alegria dessa esperança triste,
Porque sempre és alegre, e sempre trazes esperanças,
Segundo a velha literatura das sensações.

Vem, traz a esperança, vem, traz a esperança.
O meu cansaço entra pelo colchão dentro.
Doem-me as costas de não estar deitado de lado.
Se estivesse deitado de lado doíam-me as costas de estar deitado de lado.
Vem, madrugada, chega!

Que horas são? Não sei.
Não tenho energia para estender uma mão para o relógio,
Não tenho energia para nada, para mais nada…
Só para estes versos, escritos no dia seguinte.
Sim, escritos no dia seguinte.
Todos os versos são sempre escritos no dia seguinte.

Noite absoluta, sossego absoluto, lá fora.
Paz em toda a Natureza.
A Humanidade repousa e esquece as suas amarguras.
Exactamente.
A Humanidade esquece as suas alegrias e amarguras,
Costuma dizer-se isto.
A Humanidade esquece, sim, a Humanidade esquece,
Mas mesmo acordada a Humanidade esquece.
Exactamente. Mas não durmo.

27-3-1929
Poesias de Álvaro de Campos. Lisboa: Ática, 1944.

(Merci à Colette W.)

Vicente Aleixandre

Je viens de terminer le recueil des lettres envoyées par le Prix Nobel de littérature 1977 à son ami Miguel Hernández, puis ensuite à sa veuve, Josefina Manresa. Il a été publié en 2015, puis en 2018 en poche (Collection Austral), sous le titre De Nobel a Novel. epistolario de Vicente Aleixandre a Miguel Hernández y Josefina Manresa.

Ce n’est pas le poète le plus connu de la Génération de 1927, mais c’était une homme bon. Toute sa vie, il a aidé la veuve et le fils de Miguel Hernández qui vivaient dans des conditions très difficiles après la guerre civile. Il le faisait avec une grande délicatesse. Il a beaucoup fait pour la publication des oeuvres du poète d’Orihuela en Espagne et dans le monde. Il donnait des conseils judicieux à Josefina Manresa pour cela, veillant particulièrement aux intérêts économiques de cette famille.

Il est né à Séville le 26 avril 1898, mais a été élevé à Málaga (voir le poème Ciudad del paraíso )

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2020/03/23/vicente-aleixandre-1898-1984/

Il a suivi ensuite des études de droit et de commerce à Madrid. Mais il a souffert toute sa vie des conséquences d’une néphrite tuberculeuse. En 1932, il subit une extraction du rein droit. Il devait se reposer et ne sortait que rarement de sa maison de Velingtonia, 3 (aujourd’hui, Vicente Aleixandre).

Rafael Alberti, Federico García Lorca, Luis Cernuda, Pablo Neruda, Dámaso Alonso, Gerardo Diego, Manuel Altolaguirre, Miguel Hernández, José Antonio Muñoz Rojas venaient lui rendre visite avant la guerre. Néanmoins, il passait avec sa soeur Concha tous ses étés à Miraflores de la Sierra afin d’éviter la chaleur de Madrid. Après la guerre civile, il est resté en Espagne. Il a fortement influencé les jeunes écrivains de cette époque qu’il recevait généreusement et régulièrement dans sa maison. Membre de l’Académie royale espagnole à partir de 1949, il a obtenu le Prix Nobel de littérature en 1977.

Il est mort le 13 décembre 1984 à Madrid à l’âge de 86 ans. On disait de lui qu’il avait “une mauvaise santé de fer” (una mala salud de hierro).

En 1927, il a planté un cèdre dans son jardin. Il est encore là, protégé, ce qui n’est pas le cas de sa maison qui est en ruines. La municipalité actuelle de Madrid ne s’intéresse guère à la culture.

Oeuvres

Ámbito (1928)
Espadas como labios (1932)
La destruccion o el amor (1933). La destruction ou l’amour. Traduction française de Jacques Ancet. Federop, 1975 &1977.
Sombra del paraíso (1939-1943, publié à Madrid en 1944, Ombre du paradis, traduction française de Roger Noël-Mayer et Claude Couffon, avec une introduction de Roger Noël-Mayer, Gallimard, 1980.
Historia del corazón (1954)
Los encuentros (1958) en prose.
En un vasto dominio (1962)
Poemas de la consumación (1968)
Sonido de la guerra (1972)
Diálogos del conocimiento (1974)
En gran noche (1991)

Gallimard, après le Prix Nobel en 1977, a publié une anthologie de son oeuvre intitulée Poésie totale (Traduction Roger Noël-Mayer)

Vicente Aleixandre considérait En la plaza comme le meilleur poème de son oeuvre.

En la plaza

Hermoso es, hermosamente humilde y confiante, vivificador y profundo,
sentirse bajo el sol, entre los demás, impelido,
llevado, conducido, mezclado, rumorosamente arrastrado.

No es bueno
quedarse en la orilla
como el malecón o como el molusco que quiere calcáreamente imitar a la roca.
Sino que es puro y sereno arrasarse en la dicha
de fluir y perderse,
encontrándose en el movimiento con que el gran corazón de los hombres palpita extendido.

Como ese que vive ahí, ignoro en qué piso,
y le he visto bajar por unas escaleras
y adentrarse valientemente entre la multitud y perderse.
La gran masa pasaba. Pero era reconocible el diminuto corazón afluido.
Allí, ¿quién lo reconocería? Allí con esperanza, con resolución o con fe, con temeroso denuedo,
con silenciosa humildad, allí él también
transcurría.

Era una gran plaza abierta, y había olor de existencia.
Un olor a gran sol descubierto, a viento rizándolo,
un gran viento que sobre las cabezas pasaba su mano,
su gran mano que rozaba las frentes unidas y las reconfortaba.

Y era el serpear que se movía
como un único ser, no sé si desvalido, no sé si poderoso,
pero existente y perceptible, pero cubridor de la tierra.

Allí cada uno puede mirarse y puede alegrarse y puede reconocerse.
Cuando, en la tarde caldeada, solo en tu gabinete,
con los ojos extraños y la interrogación en la boca,
quisieras algo preguntar a tu imagen,
no te busques en el espejo,
en un extinto diálogo en que no te oyes.
Baja, baja despacio y búscate entre los otros.
Allí están todos, y tú entre ellos.
Oh, desnúdate y fúndete, y reconócete.

Entra despacio, como el bañista que, temeroso, con mucho amor y recelo al agua,
introduce primero sus pies en la espuma,
y siente el agua subirle, y ya se atreve, y casi ya se decide.
Y ahora con el agua en la cintura todavía no se confía.
Pero él extiende sus brazos, abre al fin sus dos brazos y se entrega completo.
Y allí fuerte se reconoce, y se crece y se lanza,
y avanza y levanta espumas, y salta y confía,
y hiende y late en las aguas vivas, y canta, y es joven.

Así, entra con pies desnudos. Entra en el hervor, en la plaza.
Entra en el torrente que te reclama y allí sé tú mismo.
¡Oh pequeño corazón diminuto, corazón que quiere latir
para ser él también el unánime corazón que le alcanza!

Historia del corazón, Espasa Calpe 1954

Vicente Aleixandre (Zamorano).

Miguel Hernández

Cancionero y romancero de ausencias (1938-1941). Publication posthume à Buenos Aires en 1958.

Miguel Hernández, après son arrestation à la frontière portugaise (Rosal de la Frontera) le 29 avril 1939, fut livré à la Guardia civil et emprisonné ensuite dans la prison madrilène de Torrijos du 15 mai au 15 septembre 1939.

Cette prison provinciale se trouvait au numéro 65 de la rue de Torrijos (aujourd’hui calle Conde de Peñalver n°53). 3000 personnes y étaient entassées alors.
Miguel Hernández se trouvait dans la quatrième galerie, première salle.

Il écrivit à sa femme, Josefina Manresa, le 12 septembre 1939:
“También paso mis buenos ratos espulgándome, que familia menuda no me falta nunca, y a veces la crío robusta y grande como el garbanzo. Todo se acabará a fuerza de uña y paciencia, o ellos, los piojos, acabarán conmigo. Pero son demasiada poca cosa para mí, tan valiente como siempre, y aunque fueran como elefantes esos bichos que quieren llevarse mi sangre, los haría desaparecer del mapa de mi cuerpo. ¡Pobre cuerpo! Entre sarna, piojos, chinches y toda clase de animales, sin libertad, sin ti, Josefina, y sin ti, Manolillo de mi alma, no sabe a ratos qué postura tomar, y al fin toma la de la esperanza que no se pierde nunca.”

Les punitions pleuvaient: interdiction de lire, interdiction de jouer aux échecs, interdiction de se doucher. Le poète fut puni plusieurs fois. On lui rasa les cheveux. Il dut balayer la galerie et la cour pendant une semaine parce qu’il n’avait pas chanté correctement l’hymne franquiste, le Cara al sol, ce que les prisonniers devaient faire trois fois par jour.

Pendant cette période, il dessinait la nuit et écrivit de nombreux poèmes: par exemple Nanas de la cebolla et Ascensión de la escoba.

Ascensión de la escoba

Coronada la escoba de laurel, mirto, rosa,
es el héroe entre aquellos que afrontan la basura.
Para librar del polvo sin vuelo cada cosa
bajó, porque era palma y azul, desde la altura.

Su ardor de espada joven y alegre no reposa.
Delgada de ansiedad, pureza, sol, bravura,
azucena que barre sobre la misma fosa,
es cada vez más alta, más cálida, más pura.

¡Nunca! La escoba nunca será crucificada
porque la juventud propaga su esqueleto
que es una sola flauta, muda, pero sonora.

Es una sola lengua, sublime y acordada.
Y ante su aliento raudo se ausenta el polvo quieto,
y asciende una palmera, columna hacia la aurora.

Cárcel de Torrijos. Septiembre de 1939.

Cancionero y romancero de ausencias (1938-1941)

Ascension du balai

Le balai couronné de laurier, myrte, roses
Parmi tous les héros qui affrontent l’ordure
Pour libérer de la poussière toute chose
Est descendu de la hauteur, palme et azur.

Jeune épée guerroyant, jamais ne se repose,
Finesse, ardeur, innocence, soleil, bravoure,
Il est comme le lys et il nettoie la fosse,
Toujours plus élevé, plus chaleureux, plus pur.

Jamais le balai ne sera crucifié
car la jeunesse va, prodigue de ses os,
Flûte unanime de silence et de musique.

Langue sublime d’harmonie, souffle puissant,
Devant eux toute boue retourne à son néant
Et le balai s’envole, colonne, vers l’aurore.

Prison de Torrijos, septembre 1939.

Traduction Marie Chevallier.

Madrid, Fundación Fausta Elorz (Daniel Zavala Álvarez) . 1910-14. Antigua cárcel de Torrijos. Calle del Conde de Peñalver n°53.

Paul Éluard – Luis Cernuda

Portrait de Paul Éluard (Man Ray). 1936.

Luis Cernuda (1902-1963) a traduit 6 poèmes de L’amour la poésie de Paul Éluard (Éditions Gallimard, 1929) alors qu’il se trouvait à Toulouse comme lecteur d’Espagnol de l’École Normale.
Il s’agissait d’une commande de José María Hinojosa pour la revue de Málaga Litoral, créée en 1926 par Manuel Altolaguirre et Emilio Prados. Ces traductions seront publiées dans le numéro du 9 juillet 1929. Cette revue fut essentielle pour le rayonnement des poètes de la Génération de 1927.

Premièrement (Paul Eluard)

VIII.
Mon amour pour avoir figuré mes désirs
Mis tes lèvres au ciel de tes mots comme un astre
Tes baisers dans la nuit vivante
Et le sillage des tes bras autour de moi
Comme une flamme en signe de conquête
Mes rêves sont au monde
Clairs et perpétuels.

Et quand tu n’es pas là
Je rêve que je dors je rêve que je rêve.

°°°

Para figurar mis deseos mi amor
De tus palabras en el cielo
Puso tus labios como un astro
En la noche vivaz tus besos
Y alrededor de mí la estela de tus brazos
Como una llama en signo de conquista
Mis sueños en el mundo
Son claros y perpetuos

Y cuando allí no estás
Sueño que duermo sueño que sueño.

XV.
Elle se penche sur moi
Le cœur ignorant
Pour voir si je l’aime
Elle a confiance elle oublie
Sous les nuages de ses paupières
Sa tête s’endort dans mes mains
Où sommes-nous
Ensemble inséparables
Vivants vivants
Vivant vivante
Et ma tête roule en ses rêves.

°°°

Sobre mí se inclina
Cozazón ignorante
Por ver si la amo
Confía y olvida
Sus párpados son nubes encima
De su cabeza dormida en mis manos
Estamos en dónde
Mezcla inseparable
Vivaces vivaces
Yo vivo ella viva
Mi cabeza rodando en sus sueños

XXII.
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Ciel dont j’ai dépassé la nuit
Plaines toutes petites dans mes mains ouvertes
Dans leur double horizon inerte indifférent
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Je te cherche par delà l’attente
Par delà moi même
Et je ne sais plus tant je t’aime
Lequel de nous deux est absent.

°°°
Como quien vela disgustos la frente al cristal
Cielo cuya noche transpuse
Llanuras pequeñísimas en mis manos abiertas
Inerte indiferente en su doble horizonte
Como quien vela disgustos la frente al cristal
Más allá de la espera te busco
Más allá de mí mismo
Y no sé ya tanto amor te tengo
Cuál de los dos está ausente

Seconde nature

II.
Toutes les larmes sans raison
Toute la nuit dans ton miroir
La vie du plancher au plafond
Tu doutes de la terre et de ta tête
Dehors tout est mortel
Pourtant tout est dehors
Tu vivras de la vie d’ici
Et de l’espace misérable
Qui répond à tes gestes
Qui placarde tes mots
Sur un mur incompréhensible

Et qui donc pense à ton visage?

°°°
Lágrimas todas sin razón
En tu espejo la noche entera
La vida del suelo en el techo
Dudas de la tierra y tu cabeza
Afuera todo es mortal
Aunque todo se halla fuera
Vivirás la vida de aquí
Y del miserable espacio
A tus gestos ¿quién responde?
Tus palabras ¿quién las guarda
En un muro incomprensible?

¿Y quién piensa en tu semblante?

IX.
Les yeux brûlés du bois
Le masque inconnu papillon d’aventure
Dans les prisons absurdes
Les diamants du cœur
Collier du crime.

Des menaces montrent les dents
Mordent le rire
Arrachent les plumes du vent
Les feuilles mortes de la fuite.

La faim couverte d’immondices
Étreint le fantôme du blé
La peur en loques perce les murs
Des plaines pâles miment le froid.

Seule la douleur prend feu.

°°°
Ojos quemados del bosque
Máscara incógnita mariposa de aventura
En prisiones absurdas
Diamantes del corazón
Collar del crimen

Las amenazas muestran los dientes
Muerden la risa
Arrancan las plumas del viento
Las hojas muertas de la fuga

El hambre cubierta de inmundicias
Abraza el fantasma del trigo
El miedo en girones atraviesa lo muros
Pálidas llanuras representan el frío.

Sólo el dolor se incendia.

XVI.
Ni crime de plomb
Ni justice de plume
Ni vivante d’amour
Ni morte de désir.

Elle est tranquille indifférente
Elle est fière d’être facile
Les grimaces sont dans les yeux
Des autres ceux qui la remuent.

Elle ne peut pas être seule
Elle se couronne d’oubli
Et sa beauté couvre les heures
Qu’il faut pour n’être plus personne.
Elle va partout fredonnant
Chanson monotone inutile
La forme de son visage.

°°°
Ni crimen de plomo
Ni justicia de pluma
Ni de amor viviendo
Ni muerta de deseo.

Es tranquila indiferente
Orgullosa de ser fácil
Los gestos van a los ojos
De aquellos que la conmueven.

Hallarse no puede sola
Y se corona de olvido
Su beldad cubre las horas
Justas para no ser nadie.

Silbando en todo lugar
Canción monótona inútil
La forma de su semblante.

Premier numéro de la revue Litoral. 1926. Dessin de María Ángeles Ortiz.

Fidelité ou lois du marché

Louise Glück.

La Wylie Agency, fondée en 1980, est une des plus puissantes agences du monde puisqu’elle représente plus de 1 100 artistes (entre autres Albert Camus, Salman Rushdie, Martin Amis, Saul Bellow, Philip Roth, Roberto Bolaño, Jorge Luis Borges, Vladimir Nabokov, John Cheever, Raymond Carver).

Le fondateur de cette maison, Andrew Wylie, est surnommé Le Chacal.

Elle représente maintenant aussi Louise Glück, Prix Nobel 2020.

La maison d’édition espagnole indépendante de Valence Pre-Textos, dirigée par Manuel Borras, a publié depuis 2006 sept des onze recueils de poèmes de Louise Glück, Prix Nobel de Littérature 2020, en édition bilingue.

El iris salvaje 2006 (The Wild Iris 1992)
Ararat 2008. (Ararat 1990)
Las siete edades 2011 (The Seven Ages. 2001)
Averno 2011 (Averno 2006)
Vita nova 2014 (Vita Nova 1999)
Praderas 2017 (Meadowlands 1997)
Una vida de pueblo 2020 (A village life 2009)

Traducteurs: Abraham Gragera López, Eduardo Chirinos Arrieta, Mirta Rosenberg, Andrés Catalán, Adalber Salas Hernández, Mariano Peyrou.

La Wylie Agency a informé Pre-Textos qu’elle devait arrêter la commercialisation des livres publiés, détruire les stocks et éliminer ces titres de son catalogue.

La revue et maison d’édition Buenos Aires Poetry a publié le 16 novembre une lettre-pétition pour soutenir Pre-Textos: “Carta Abierta: Apoyo de escritores, traductores, editores & periodistas a Editorial Pre-Textos”. http://clubdetraductoresliterariosdebaires.blogspot.com/2020/11/carta-abierta-louise-gluck-y-andrew.html?m=1

Marcos Díez. El Diario Montañés.
Andrew Wylie (Eva Becerra). Foire internationale du livre de Guadalajara (Mexique). 2016.

Francisco Brines

Francisco Brines dans sa maison d’ Oliva. 15 juin 2006 (Jesús Císcar)

Le poète Francisco Brines a obtenu hier, 16 novembre 2020, le prix Cervantès, la plus haute distinction de la littérature hispanique.

Il est né le 22 janvier 1932 à Oliva (Communauté valencienne) en 1932. C’est un des derniers représentants de la Génération de 1950 (Jaime Gil de Biedma, José María Caballero Bonald, Carlos Barral, José Ángel Valente, Claudio Rodríguez, Alfonso Costafreda, Ángel González)

Ce fils de propriétaires terriens valenciens a suivi des études de droit et de philosophie et lettres. Il a été professeur de littérature espagnole à Cambridge, puis de langue espagnole à Oxford.

Sa poésie est une célébration de la vie, de la beauté du monde et de la nature. L’oubli, le néant et le temps destructeur sont aussi très présents dans son oeuvre. Il a été influencé par des poètes comme Antonio Machado, Juan Ramón Jiménez, Luis Cernuda ou Constantin Cavafy.

Il a obtenu le Premio Nacional de las Letras Españolas en 1986 et le Premio Reina Sofía de Poesía Iberoamericana en 2010. Il est membre de la Real Academia Española depuis 2001.

Oeuvres principales:

  • Las brasas, Madrid, Colección Adonais, 1959
    • El santo inocente, Madrid, Poesía para todos, 1965.
    • Palabras a la oscuridad, Madrid, Ínsula, 1966.
    • Aún no, Barcelona, Ocnos, 1971.
    • Insistencias en Luzbel, Madrid, Visor, 1977.
    • El otoño de las rosas, Sevilla, Renacimiento, 1987.
    • La última costa, Barcelona, Tusquets, 1995.
    • Ensayo de una despedida (1960-1997). Poesía completa. Barcelone Tusquets , 1997.

Cuando yo aún soy la vida

A Justo Jorge Padrón

La vida me rodea, como en aquellos años
ya perdidos, con el mismo esplendor
de un mundo eterno. La rosa cuchillada
de la mar, las derribadas luces
de los huertos, fragor de las palomas
en el aire, la vida en torno a mí,
cuando yo aún soy la vida.
Con el mismo esplendor, y envejecidos ojos,
y un amor fatigado.

¿Cuál será la esperanza? Vivir aún;
y amar, mientras se agota el corazón,
un mundo fiel, aunque perecedero.
Amar el sueño roto de la vida
y, aunque no pudo ser, no maldecir
aquel antiguo engaño de lo eterno.
Y el pecho se consuela, porque sabe
que el mundo pudo ser una bella verdad.

Aún no, Ocnos, Barcelona, 1971.

Quand je suis encore la vie

A Justo Jorge Padrón

La vie m’entoure, comme durant ces années
maintenant perdues, après la magnificence
d’un monde éternel. La rose estafilade
de la mer, les couleurs estompées
des jardins, le fracas des pigeons
dans l’air, la vie autour de moi,
quand je suis encore la vie.
Avec la magnificence d’autrefois, les yeux vieillis,
et un amour lassé.

Quelle espérance à présent? Vivre;
et aimer, tandis que le cœur s’épuise,
un monde fidèle, bien que périssable.
Aimer le rêve brisé de la vie
et, en dépit de l’échec, ne pas maudire
cette vieille duperie d’éternité.
Et notre cœur se console car il sait
que le monde aurait pu être une belle vérité.

Traduction Claude de Freyssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.

Epitafio romano

«No fui nada, y ahora nada soy.
Pero tú, que aún existes, bebe, goza
de la vida…, y luego ven.»

Eres un buen amigo.
Ya sé que hablas en serio, porque la amable piedra
la dictaste con vida: no es tuyo el privilegio,
ni de nadie,
poder decir si es bueno o malo
llegar ahí.

Quien lea, debe saber que el tuyo
también es mi epitafio. Valgan tópicas frases
por tópicas cenizas.

Aún no. Ocnos, Barcelone, 1971.

Épitaphe romaine

«Je ne fus rien, et rien ne suis.
Mais toi, qui es vivant, bois, profite
de la vie…et ensuite viens.»

Tu es un bon ami.
Je sais que tu parles sérieusement, car l’aimable inscription
fut dictée de ton vivant; ni toi ni personne
n’a le privilège
de pouvoir dire s’il est bon ou mauvais
d’en arriver là.

Le lecteur doit savoir que ton épitaphe
je la fais mienne. Voilà des phrases toutes faites
pour des cendres toutes faites.

Traduction Claude de Freyssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.

Luis Cernuda

Luis Cernuda frente al mar (Ramón Gaya).

Je ne possède pas les oeuvres complètes de Luis Cernuda. Donc, j’ai eu un peu de mal à retrouver en espagnol ce poème de Cernuda que j’avais lu dans la vieille et belle collection Poètes d’aujourd’hui chez Seghers. Étude et choix de textes de Jacques Ancet. Ce texte a été donné au Concours général en composition en langue espagnole en 2002.

El nombre

Llegue quedo tu paso
Sobre la tierra, adonde
Brilla con sombra roja
Esa haya, y vecino
Con su sombra de oro
Ese castaño, al toque
De la luz misma. Pasa
Esta hora contigo
A solas, tal si fuese
Una hora postrera,
Una primera, acaso
Umbral de muerte o vida,
Mientras gira la tarde
De indecible sosiego
Y hermosura indecible.
Con su cielo está el mundo;
Bien nuevas son las hojas;
Las flores del manzano,
Nieve mejor, sin viento
Profusamente caen;
La hierba sueño ofrece
Para el amor, y el aire
Respirado es delicia.
Hasta parece el hombre,
Tú quieto, entre los otros,
Un árbol más, amigo
Al fin en paz, la sola
Paz de toda la tierra.
Recoge el alma, y mira;
Pocos miran el mundo.
La realidad por nadie
Vista, paciente espera,
Tal criatura joven,
Espejo en unos ojos
Enamorados. Calla.
En este instante todo
Gesto humano resulta
Ocioso, y sólo un nombre
Pensado, mas no dicho
(Abril, abril), perfecto
Lo contiene y da forma
única suficiente.

Vivir sin estar viviendo (1944-1949)

Le nom

Tranquille vienne ton pas
Sur la terre, où
Brille d’une ombre rouge
Ce hêtre, et proche
Avec son ombre d’or
Ce châtaignier, sous la caresse
De la lumière même. Passe
Cette heure avec toi-même
Seul à seul, comme si c’était
La dernière heure,
La première, peut-être
Seuil de mort ou de vie,
Tandis que l’après-midi tourne
Indicible douceur
Et beauté indicible.
Le monde vit avec son ciel;
Toutes nouvelles sont les feuilles;
Et les fleurs du pommier
Plus belles que neige, sans vent,
Tombent en abondance;
L’herbe offre à l’amour
Le songe, et l’air
Qu’on respire est délice.
L’homme lui-même semble,
Toi immobile, entre les autres,
Un arbre de plus, un ami
Enfin en paix, la seule
Paix de toute la terre.
Recueille ton âme, et regarde;
Peu regardent le monde.
La réalité que personne
Ne voit, attend, patiente,
Telle une jeune créature,
Un miroir en des yeux
Pleins d’amour. Pas un mot.
En cet instant toute
Expression humaine devient
Superflue; seul un nom
Pensé, mais non pas dit
(Avril, avril), le cerne
En sa perfection et lui donne
L’Unique forme qui suffit.

Vivre sans être vivant. 1944-1949.

Traduit de l’espagnol par Jacques Ancet. Jacques Ancet, Luis Cernuda. Editions Seghers (Poètes d’aujourd’hui), 1972.