John Cornford 1

J’ai acheté cette semaine chez Gibert le roman de Javier Reverte, Banderas en la niebla. J’avais lu avec interêt il y quelque temps El tiempo de los héroes (2013), qui évoquait la figure du général républicain espagnol, Juan Modesto (1906-1969). Ce nouveau roman traite des combats sur le front d’Andalousie pendant la Guerre Civile espagnole et bien sûr de la bataille de Lopera (Jaén) qui se déroula du 27 au 29 décembre 1936. Des centaines de brigadistes de la XIV Brigade Internationale moururent alors. Parmi eux se trouvaient les poètes anglais Ralph Fox (1900-1936) et John Cornford (1915-1936). Dans son épilogue, Javier Reverte nous dit que plusieurs poèmes ont été écrits en mémoire du jeune poète John Cornford, arrière-petit-fils de Charles Darwin. Il se réfère surtout à un poème de José María Valverde (1926-1996) qui aurait situé la bataille de Lopera dans la province de Cordoue et non dans celle de Jaén. Il commet lui-même une erreur puisqu’il confond José María Valverde et un poète bien plus important, José Ángel Valente (1929-2000) qui fait partie de la Génération de 1950.

John Cornford, 1936 (José Ángel Valente)

                           Only in constant action was his constant certainty found.
                           He will throw a longer shadow as time recedes.

John Cornford, veintiún años
ametrallados sobre el aire
en que han nacido estas palabras.

El corazón de los fusiles
siguió latiendo inútilmente
cuando ya nunca alcanzaría
el rastro claro tu sangre.

Esto fue en Córdoba, en diciembre
en las montañas, combatiendo.

Después cayó, como dijiste,
la noche larga sobre Europa.
Los poetas retrocedieron
a su pasión consolatoria
y aquellas horas de amistad
en un ejército del pueblo
fueron borradas con la cola
subrepticia de la tristeza
en el tumulto repentino.

Así pasó, en efecto, todo.
Los años treinta en estampida
with the unnemployed demonstrators
carring «the coffin» to the Station.
Palidecieron los retratos.
Cedió el viento y se fue el público
y cundió la desesperanza.

Otros cayeron,
Entre el humo
de las ruinas y otras cosas
no apaciguadas por el tiempo
se levanta tu cuerpo joven.
De tú a tú puedes hablarnos
John Cornford, hermano nuestro,
de tú a tú como se hablan
en la verdad los hombres vivos.

Al rehacer aquella hora
cuento despacio tus palabras.
La inteligencia aún se pasea
en tren de lujo por los versos
mientras espera que otros caigan
para sentir horror de pronto.

Mas para ti solo fue uno
el camino de la certeza.
No quisiste huir de la vida
con el disfraz del pensamiento.

Así estás igual a ti mismo
con la pasión que aquí te trajo.
Un solo acto de vida y muerte,
la fe y el verso un solo acto.
Ametrallados, no vencidos,
Veintiún años, en diciembre,
Córdoba sola, un solo acto
tu juventud y la esperanza.

Obra poética 1. Punto cero (1953-1976)

José Ángel Valente en su casa de Almería.

Pequeño vals vienés (Federico García Lorca)

Federico García Lorca Columbia University (María Antonieta Rivas y dos amigos sin identificar) Otoño de 1929.

En Viena hay diez muchachas,
un hombro donde solloza la muerte
y un bosque de palomas disecadas.
Hay un fragmento de la mañana
en el museo de la escarcha.
Hay un salón con mil ventanas.

¡Ay, ay, ay, ay!
Toma este vals con la boca cerrada.

Este vals, este vals, este vals,
de sí, de muerte y de coñac
que moja su cola en el mar.

Te quiero, te quiero, te quiero,
con la butaca y el libro muerto,
por el melancólico pasillo,
en el oscuro desván del lirio,
en nuestra cama de la luna
y en la danza que sueña la tortuga.

¡Ay, ay, ay, ay!
Toma este vals de quebrada cintura.

En Viena hay cuatro espejos
donde juegan tu boca y los ecos.
Hay una muerte para piano
que pinta de azul a los muchachos.
Hay mendigos por los tejados.
Hay frescas guirnaldas de llanto.

¡Ay, ay, ay, ay!
Toma este vals que se muere en mis brazos.

Porque te quiero, te quiero, amor mío,
en el desván donde juegan los niños,
soñando viejas luces de Hungría
por los rumores de la tarde tibia,
viendo ovejas y lirios de nieve
por el silencio oscuro de tu frente.

¡Ay, ay, ay, ay!
Toma este vals del “Te quiero siempre”.

En Viena bailaré contigo
con un disfraz que tenga
cabeza de río.
¡Mira qué orilla tengo de jacintos!
Dejaré mi boca entre tus piernas,
mi alma en fotografías y azucenas,
y en las ondas oscuras de tu andar
quiero, amor mío, amor mío, dejar,
violín y sepulcro, las cintas del vals.

Poeta en Nueva York, 1940.

Enrique Morente y los Lagartija Nick en Omega.

https://www.youtube.com/watch?v=gqwjjgDIkfE

Robert Desnos pendant la Seconde Guerre Mondiale

Robert Desnos à Terezin (entre le 8 mai et le 4 juin 1945).

Robert Desnos fait  « la drôle de guerre  » comme sergent en Lorraine. Il stigmatise « les bobards de ceux qui, pour éviter la fascisation de la France, laisseraient volontiers Hitler triompher. On se demande s’ils sont fous » (Lettre du 11 janvier 1940). Il est lucide en juin 1940 et affirme déjà ce que sera son attitude pendant l’Occupation : « Il faut prendre les événements sérieusement mais pas désespérément (…). Les Allemands instituent une nouvelle règle du jeu et la jouent rigidement. Maintenant, nous allons tricher. » (Lettre à Youki du 7 juin 1940) Prisonnier, il pense à l’avenir et relativise la défaite : « Il faut mettre les choses au pire. C’est-à-dire victoire d’Hitler et garder de côté nos espoirs, sûr: puissance de l’Angleterre; possible: attitude des USA; douteux: intervention des URSS. (…) L’histoire d’un pays vivant est faite de cela [les défaites] et quant aux pertes de territoires elles sont la rançon de l’activité et de la vie (…). Non ce qui importe c’est le degré de vassalité auquel nous serons réduits et partant de combien nos libertés seront hypothéquées et notre vie sociale diminuée. En ce sens il nous faudra du courage mais je suis dès maintenant sûr d’en sortir en deux ou trois ans. » (Lettre du 3 juillet 1940)

Il est démobilisé le 22 août. Il rentre à Paris et débute comme chef des informations au quotidien Aujourd’hui, commandité par Roger Capgras. Ses rédacteurs en chef sont Henri Jeanson et Robert Perrier. L’espoir d’y maintenir une certaine liberté de parole est de courte durée. En effet,  Henri Jeanson est arrêté en novembre, ayant refusé de publier des articles favorables à la loi sur le « statut des Juifs », adoptée le 3 octobre par Vichy, ainsi qu’à l’entrevue de Montoire du 24 octobre. A partir du 3 décembre, le journal est contrôlé par les Allemands. Georges Suarez, qui sera fusillé le 9 novembre 1944 pour faits de collaboration, devient son directeur politique. En accord avec Jeanson, Desnos reste au journal comme « courriériste littéraire ». Il dispose d’un salaire fixe, d’un Ausweis professionnel qui lui permet de circuler la nuit et capte des informations recueillies au journal avant censure. Désormais, il peut « tricher » . Dans les articles qu’il publie, il n’abdique pas ses idées: « Si je n’écris pas tout ce que je pense, je pense tout ce que j’écris », écrit-il à François Mauriac le 3 janvier 1941. Dès le 14 septembre 1940, il a fustigé l’esprit de délation qui règne dans Paris par un article intitulé « J’irai le dire à la Kommandantur. » Dans sa chronique du 3 mars 1941, il n’épargne pas Les Beaux draps de Céline qui le 7 mars suivant fait insérer par sommation d’huissier une protestation dans laquelle Desnos est accusé de mener une « campagne philoyoutre » et d’être juif lui-même : « Que ne publie-t-il, M. Desnos, sa photo grandeur nature, face et profil, à la fin de tous ses articles? . » Le 16 septembre 1942, Desnos critique sans aménité la traduction des Poèmes d’Edgar Poe par Pierre Pascal, rédacteur du journal pronazi L’ Appel. Ce dernier envoie une lettre vengeresse à Suarez et à Desnos. Il traite le poète d’ « antifasciste, enjuivé, perdu de tout ». En avril 1942, Robert Desnos gifle Alain Laubreaux, journaliste fasciste et antisémite à Je suis partout, qui jouera un rôle déterminant en 1944 dans sa déportation.  En 1943, il ne publie que des critiques de disques, mais restera dans le journal jusqu’à son arrestation.

Après la « rafle du Vel d’hiv », en juillet 1942, il s’engage dans le réseau de renseignement «  Agir » , créé par Michel Hollard. Du 25 juillet 1942 au 22 février 1944, il transmet des informations recueillies au journal, fabrique de fausses pièces d’identité pour les membres du réseau et des Juifs en difficulté et cache chez lui des réfractaires au STO ou des résistants. A l’automne 1943, le réseau est menacé par l’infiltration d’agents doubles. Par l’intermédiaire de Jacques Prévert, Desnos rencontre André Verdet, membre du réseau Combat, venu de la zone Sud pour constituer un groupe d’action immédiate. Il accepte d’apporter son concours à ce groupe, tout en continuant à appartenir à Agir. En février 1944, les deux réseaux sont démantelés.

Le 22 février, un coup de téléphone l’avertit de l’arrivée imminente de la Gestapo chez lui, mais Desnos refuse de fuir de crainte qu’on emmène Youki, sa compagne, qui se droguait à l’éther. Interrogé rue des Saussaies, il est envoyé à la prison de Fresnes. Il y reste du 22 février au 20 mars. Il est ensuite transféré au camp de Compiègne. Le 27 avril, le poète fait partie d’un convoi de mille sept cents hommes, le fameux convoi dit « Pucheu », direction Auschwitz où il arrive le 30 avril au soir. Il est ensuite emmené à Buchenwald. Il y est le 14 mai et repart deux jours plus tard pour Flossenbürg. Le convoi qui ne compte plus qu’un millier d’hommes y arrive le 25 mai. Les 2 et 3 juin, un groupe de quatre-vingt-cinq hommes, dont Desnos, est acheminé vers le camp de Flöha, en Saxe. Les prisonniers fabriquent des carlingues de Messerschmitt 109. Le 14 avril 1945, le camp est évacué. Beaucoup de prisonniers meurent épuisés par les marches forcées ou sont abattus par les gardiens. Le 7-8 mai, les rescapés – dont Desnos – arrivent au camp de concentration de Terezín (Theresienstadt) en Tchécoslovaquie.

Là, les survivants sont abandonnés dans des cellules de fortune ou expédiés au Revier, l’infirmerie. Les poux pullulent, le typhus fait rage. Les SS prennent la fuite.  L’ Armée rouge et les partisans tchèques pénètrent dans le camp. Plusieurs semaines après la libération, un étudiant tchèque, Joseph Stuna consulte la liste des malades et lit: « Robert Desnos, né en 1900, nationalité française . »  Il sait qui est Desnos, car il connaît les surréalistes, a lu André Breton et Paul Éluard. Avec l’aide de l’infirmière Aléna Tesarova, qui parle bien le français, il retrouve le poète et le veille. Desnos aurait appelé ce moment son « matin le plus matinal ». Le 8 juin 1945, à 5 h 30 du matin, Robert Desnos meurt du typhus. Il avait 44 ans. Son corps sera incinéré. Ses cendres seront remises à la France et déposées dans le caveau familial au cimetière Montparnasse.

Source: Desnos, Oeuvres, Gallimard, Quarto 1999. Edition présentée et commentée par Marie-Claire Dumas.

Robert Desnos

Robert Desnos

Avec le coeur du chêne

Avec le bois tendre et dur de ces arbres, avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau combien ferait-on de ciels, combien d’océans, combien de pantoufles pour les jolis pieds d’Isabelle la vague ?

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau.

Avec le ciel combien ferait-on de regards, combien d’ombres derrière le mur, combien de chemises pour le corps d’Isabelle la vague ?

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel.

Avec les océans combien ferait-on de flammes, combien de reflets au bord des palais, combien d’arcs-en-ciel au-dessus de la tête d’Isabelle la vague ?

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel, avec les océans.

Avec les pantoufles combien ferait-on d’étoiles, de chemins dans la nuit, de marques dans la cendre, combien monterait-on d’escaliers pour rencontrer Isabelle la vague ?

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel, avec les océans, avec les pantoufles.

Mais Isabelle la vague, vous m’entendez, n’est qu’une image du rêve à travers les feuilles vernies de l’arbre de la mort et de l’amour.

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau.

Qu’elle vienne jusqu’à moi dire en vain la destinée que je retiens dans mon poing fermé et qui ne s’envole pas quand j’ouvre la main et qui s’inscrit en lignes étranges.

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel.

Elle pourra mirer son visage et ses cheveux au fond de mon âme et baiser ma bouche.

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel, avec les océans.

Elle pourra se dénuder, je marcherai à ses côtés à travers le monde, dans la nuit, pour l’épouvante des veilleurs. Elle pourra me tuer, me piétiner ou mourir à mes pieds.

Car j’en aime une autre plus touchante qu’Isabelle la vague.

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel, avec les océans, avec les pantoufles.

Les ténèbres (1927), paru dans Corps et Biens , Poésie /Gallimard.

Marc Ogeret (1932-2018)

Le chanteur Marc Ogeret est mort le 4 juin 2018. C’était un magnifique interprète des poèmes d’Aragon et des chansons révolutionnaires.

Militant syndicaliste du Syndicat français des artistes-interprètes (SFA-CGT). Membre de la société civile pour l’Administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami). Vice-président du collège variétés de l’Adami.

Je me souviens qu’il jouait dans un curieux film vu dans le Quartier latin, il y a bien longtemps: L’escadron Volapük (1971) de René Gilson. Distribution: Juliet Berto, Marc Chapiteau, Olivier Hussenot, Michel Delahaye, Georges Adet. Scènes imaginaires de la vie de cinq jeunes incorporés dans une garnison française entre le 32 et le 39 mai 1968.

Quelques-uns de ses disques:
1967 : Marc Ogeret chante Aragon.

1968 : Autour de la Commune.

1968 : Chansons « contre » .

1970 : Le condamné à mort, poème de Jean Genet, musique de Hélène Martin.

1988 : Chante la Révolution.

1992 : Chante Aragon (Second Intermède).

1999 : Ogeret chante Léo Ferré.

https://www.youtube.com/watch?v=x_c-vMFLVhI

Tiré de l’album “Marc Ogeret chante Aragon”, en 1967. Accompagné par Michel Villars (piano), Barthelemy Rosso (guitare) et Pierre Nicholas (contrebasse).

José Bergamín (1897-1987)

José Bergamín. 1964.

Amigos míos, os pido
Que escuchéis mi ultimo ruego:
El día que yo me muera
No vayáis a mi entierro.

Porque yo no iré en la caja
en la que me lleven muerto;
ni mi alma ira tampoco
siguiendo el triste cortejo.

Me echarán la tierra encima,
pero sin dejar un hueco
por donde pueda escucharse
como se ríen mis huesos.

No pondrán losa, ni nombre,
ni flores en mi recuerdo.
Sólo una cruz y su sombra
en la desnudez del suelo.

Y nadie busque mi alma
perdida en un cementerio;
porque mi alma estará
en otra parte, muy lejos.

Estará en el Purgatorio,
el Paraíso o el Infierno:
pero no estará en el sitio
donde se le pudre el cuerpo.

Después de haber vivido tantos años
lo único que comprendo
es que lo mismo da porque es lo mismo
perder el alma que perder el tiempo.

Y que perder la vida no es morirse
lo sé, porque presiento
que acabaré por encontrarme un día
conmigo mismo muerto.

Rimas.

José Bergamín est un écrivain, poète, dramaturge espagnol, né à Madrid le 30 décembre 1895 et mort à Saint-Sébastien le 28 août 1983.

Son père était un homme politique conservateur, sa mère une catholique très pratiquante. Il s’efforça, toute sa vie, de concilier catholicisme et communisme. Il disait: « Con los comunistas hasta la muerte… pero ni un paso más» « Avec les communistes jusqu’à la mort… mais pas un pas de plus»).

José Bergamin est considéré comme le principal disciple de Miguel de Unamuno, et l’un des meilleurs essayistes espagnols du XX ème siècle. Son style est particulièrement original. Ses thèmes favoris sont le Siècle d’or, la mystique, la politique et la Tauromachie.

Durant la guerre civile, il présida l’Alliance des intellectuels antifascistes. A la fin de celle-ci, il partit en exil au Mexique, au Venezuela, en Uruguay, en France. Il fut le premier éditeur de Poeta en Nueva York de Federico García Lorca au Mexique et aux Etats-Unis en 1940. En effet, le poète de Grenade lui avait confié son manuscrit en 1936, peu avant son assassinat par les Franquistes. Bergamín fut aussi toute sa vie un grand ami d’André Malraux. Il ne revint définitivement en Espagne qu’ en 1970. Ses positions se radicalisèrent encore à la fin de sa vie. Il partit vivre au Pays basque et écrivait dans Egin, un journal politiquement proche de l’ETA.

Retrato de José Bergamin 1961 (Ramón Gaya) Madrid Colección Arte Contemporáneo.

Libertad

Luis Cernuda

Luis Cernuda est né le 21 septembre 1902 à Séville. Il est mort le 5 novembre 1963 à Mexico. C’est un des grands poètes espagnols de la Génération de 1927. Partisan de la République, il s’exila en Grande-Bretagne en 1938, puis aux Etats-Unis en 1947. Il s’installa définitivement au Mexique en 1952.

En 1931, alors que l’Espagne vit un bouleversement politique sans précédent et proclame la deuxième République, Luis Cernuda écrit Los placeres prohibidos (Les plaisirs interdits) , un des chefs-d’oeuvre du surréalisme et une revendication de l’amour homosexuel, inédite dans la littérature espagnole. Alternant poèmes en prose et en vers,  le poète clame un désir qui se heurte à une réalité hostile.  Il est alors amoureux d’un jeune acteur galicien, Serafín Fernández Ferro (1914-1954), que lui a présenté Federico García Lorca en mars 1931. L’acteur, autodidacte et proche de la CNT, syndicat anarcho-syndicaliste, sera lieutenant dans l’armée républicaine. Il sera blessé pendant la Guerre civile et participera au seul film tourné par André Malraux, Espoir, sierra de Teruel, tourné en 1938-39 et sorti en France en 1945 (Prix Louis Delluc). Exilé au Mexique, il mourra tuberculeux.

Serafín Fernández Ferro ( Ramón Gaya) 1932.

http://www.rtve.es/alacarta/videos/filmoteca/sierra-teruel-1938/3918025/

Luis Cernuda connaissait parfaitement déjà à cette époque l’oeuvre surréaliste d’Aragon, Breton, Crevel et Eluard.

L’amour et l’érotisme, tels sont les thèmes qui dominent ces poèmes en vers libres ou en prose. On y retrouve l’idée essentielle de la poésie de Cernuda qui est la distance qui existe entre réalité et désir.

Si el hombre pudiera decir (Luis Cernuda )

Si el hombre pudiera decir lo que ama,
Si el hombre pudiera levantar su amor por el cielo
Como una nube en la luz;
Si como muros que se derrumban,
Para saludar la verdad erguida en medio,
Pudiera derrumbar su cuerpo, dejando sólo la verdad de su amor,
La verdad de sí mismo,
Que no se llama gloria, fortuna o ambición,
Sino amor o deseo,
Yo sería aquel que imaginaba;
Aquel que con su lengua, sus ojos y sus manos
Proclama ante los hombres la verdad ignorada,
La verdad de su amor verdadero.

Libertad no conozco sino la libertad de estar preso en alguien
Cuyo nombre no puedo oír sin escalofrío;
Alguien por quien me olvido de esta existencia mezquina,
Por quien el día y la noche son para mí lo que quiera,
Y mi cuerpo y espíritu flotan en su cuerpo y espíritu
Como leños perdidos que el mar anega o levanta
Libremente, con la libertad del amor,
La única libertad que me exalta,
La única libertad por que muero.

Tú justificas mi existencia:
Si no te conozco, no he vivido;
Si muero sin conocerte, no muero, porque no he vivido.

13 de abril de 1931.

Los placeres prohibidos (1931).

Le vers 21 (“La única libertad que me exalta”)  semble une référence directe au premier Manifeste du surréalisme.

André Breton
«Chère imagination, ce que j’aime surtout en toi, c’est que tu ne pardonnes pas. Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore. Je le crois propre à entretenir, indéfiniment, le vieux fanatisme humain. Il répond sans doute à ma seule aspiration légitime. Parmi tant de disgrâces dont nous héritons, il faut bien reconnaître que la plus grande liberté d’esprit nous est laissée. A nous de ne pas en mésuser gravement. Réduire à l’esclavage, quand bien même il y irait de ce qu’on appelle grossièrement le bonheur, c’est se dérober à tout ce qu’on trouve, au fond de soi, de justice suprême. La seule imagination me rend compte de ce qui peut être, et c’est assez pour lever un peu le terrible interdit; assez aussi pour que je m’abandonne à elle sans crainte de me tromper.»

Manifeste du surréalisme, 1924.

André Breton.

Si nous durions sans fin… (Bertolt Brecht)

Bertolt Brecht.

Si nous durions sans fin…(Bertolt Brecht)

Si nous durions sans fin
Tout changerait sans fin
Or, nos jours sont comptés
Et peu de choses changent.

1956

DAUERTEN WIR UNENDLICH…

Dauerten wir unendlich
So wandelte sich alles
Da wir aber endlich sind
Bleibt vieles beim Alten.

1956

À la Santé (Guillaume Apollinaire)

 

Guillaume Apollinaire.

Le 22 août 1911, les gardiens du Louvre découvrent que La Joconde de Léonard de Vinci a disparu. La police va tarder deux ans à récupérer le tableau.

Guillaume Apollinaire (Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky 1880-1918), né d’un père italien et d’une mère polonaise, est accusé de complicité de vol. Il est incarcéré du 7 au 13 septembre 1911  à la prison de la Santé, à Paris. En effet, il a rencontré Géry Pieret, joueur de billard belge qu’il a hébergé et qui a dérobé des statuettes phéniciennes au Louvre en 1907 et en 1911. Il en a offert une à son ami poète.

Le vol de La Joconde incite le voleur à révéler ses larcins au patron de Paris-Journal qui ébruite l’affaire. Le juge qui avait fait écrouer Pieret en 1905 arrête alors Apollinaire qu’il considère comme complice.

Cette arrestation développe une campagne xénophobe dans la presse nationaliste, mais  scandalise le monde des lettres. Octave Mirbeau, Rémy de Gourmont, les frères Tharaud… demandent la libération du poète. Pablo Picasso, qui avait acheté à Pieret l’une des statuettes volées est aussi interrogé. Il apparaît plus tard que ni Pieret ni aucune de ses proches n’est responsable du vol de la Joconde.

Apollinaire n’oubliera jamais cette expérience. Il en tirera six poèmes courts qui seront intégrés dans son recueil Alcools en 1913.

À la Santé

I
Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu

Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d’en sortir comme il fit
Adieu adieu chantante ronde
Ô mes années ô jeunes filles

II
Non je ne me sens plus là
Moi-même
Je suis le quinze de la
Onzième

Le soleil filtre à travers
Les vitres
Ses rayons font sur mes vers
Les pitres

Et dansent sur le papier
J’écoute
Quelqu’un qui frappe du pied
La voûte

III

Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Tournons tournons tournons toujours
Le ciel est bleu comme une chaîne
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène

Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine
Avec les clefs qu’il fait tinter
Que le geôlier aille et revienne
Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine

IV

Que je m’ennuie entre ces murs tout nus
Et peints de couleurs pâles
Une mouche sur le papier à pas menus
Parcourt mes lignes inégales

Que deviendrai-je ô Dieu qui connais ma douleur
Toi qui me l’as donnée
Prends en pitié mes yeux sans larmes ma pâleur
Le bruit de ma chaise enchaînée

Et tous ces pauvres cœurs battant dans la prison
L’Amour qui m’accompagne
Prends en pitié surtout ma débile raison
Et ce désespoir qui la gagne

V

Que lentement passent les heures
Comme passe un enterrement

Tu pleureras l’heure où tu pleures
Qui passera trop vitement
Comme passent toutes les heures

VI

J’écoute les bruits de la ville
Et prisonnier sans horizon
Je ne vois rien qu’un ciel hostile
Et les murs nus de ma prison

Le jour s’en va voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarté Chère raison

Septembre 1911
(Alcools, 1913)

Henry J.-M.Levet

Henry J.-M. Levet. Novembre 1902.

Sonnets torrides
Les voyages
(triptyque)

Outwards

                                                       À Francis Jammes

L’Armand-Béhic (des Messageries Maritimes)
File quatorze nœuds sur l’Océan Indien…
Le soleil se couche en des confitures de crimes,
Dans cette mer plate comme avec la main.

– Miss Roseway, qui se rend à Adélaïde,
Vers le Sweet Home au fiancé australien,
Miss Roseway, hélas, n’a cure de mon spleen;
Sa lorgnette sur les Laquedives, au loin…

– Je vais me préparer – sans entrain! – pour la fête
De ce soir: sur le pont, lampions, danses, romances
(Je dois accompagner miss Roseway qui quête

– Fort gentiment – pour les familles des marins
Naufragés!) Oh, qu’en une valse lente, ses reins
À mon bras droit, je l’entraîne sans violence

Dans un naufrage où Dieu reconnaîtrait les siens…

Cartes postales, 1921.

Affiche publicitaire Le Grillon American Bar 20 rue Cujas Paris V (Jacques Villon) 1899

République Argentine – La Plata                                                    

                                                           À Ruben Dario

Ni les attraits des plus aimables Argentines,
Ni les courses à cheval dans la pampa,
N’ont le pouvoir de distraire de son spleen
Le Consul général de France à la Plata !

On raconte tout bas l’histoire du pauvre homme :
Sa vie fut traversée d’un fatal amour,
Et il prit la funeste manie de l’opium ;
Il occupait alors le poste à Singapoore…

– Il aime à galoper par nos plaines amères,
Il jalouse la vie sauvage du gaucho,
Puis il retourne vers son palais consulaire,
Et sa tristesse le drape comme un poncho…

Il ne s’aperçoit pas, je n’en suis que trop sûr,
Que Lolita Valdez le regarde en souriant,
Malgré sa tempe qui grisonne, et sa figure
Ravagée par les fièvres d’Extrême-Orient…

Cartes postales, 1921.

Famille Levet. Fonds Valery Larbaud. Vichy.

Valery Larbaud, Journal de 1911 : «Fargue m’avait donné une photographie manquée, sur laquelle deux vues différentes se mêlaient. Levet debout au bord d’un trottoir, à Paris ; et Levet assis sur le plancher de la chambre de sa mère, la tête appuyée sur l’épaule de sa mère assise, et la regardant (la position dans laquelle il est mort). J’avais noté la ressemblance de la mère et du fils.»