Place publique (Agnès Jaoui)

Vu dimanche 22 avril à la Ferme du Buisson (Noisiel): Place publique (2018) 98 min. Réal.: Agnès Jaoui. Sc: Jean-Pierre Bacri, Agnès Jaoui. Dir. Photo: Yves Angelo. Int: Jean-Pierre Bacri, Léa Drucker, Agnès Jaoui, Hélèna Noguerra, Kévin Azaïs, Nina Meurisse, Sarah Suco, Yvick Letexier alias Mister V., Olivier Broche, Frédéric Pierrot, Miglen Mirtchev, Eric Viellard, Evelyne Buyle.

Castro est un animateur de télévision sur le déclin. Son chauffeur, Manu, le conduit à la pendaison de crémaillère de la maison que sa productrice, Nathalie, vient d’acheter près de Paris. Hélène, sœur de Nathalie et ancienne femme de Castro, s’y rend aussi avec son compagnon actuel, un homme simple et modeste. Quand ils étaient jeunes, Castro et Hélène partageaient les mêmes idéaux, mais la vie les a changés. L’animateur est devenu un homme cynique, grincheux, jaloux, insupportable. Hélène n’a plus le sens des réalités. Leur fille, Nina, vient de publier son deuxième roman inspiré plus ou moins de la vie de ses parents. L’émission de Castro est menacée pour cause d’effritement de l’audimat. Hélène, inconsciente,  voudrait que son ancien mari y invite une réfugiée afghane. La fête se déroule toute la nuit malgré la colère des paysans voisins, importunés par le vacarme et la musique.

Le film commence par un saut en avant (flashforward). Dans la nuit, un homme s’avance menaçant et armé. Un jeune homme brise les deux rétroviseurs d’une belle voiture avec une énorme pierre. On entend une détonation. Fausse piste? Séquence suivante: dos à la caméra, Castro pisse au bord de la route près de sa voiture de luxe et de son jeune chauffeur personnel. L’autoradio déverse les paroles creuses du même personnage lors d’une entretien. Il affirme vieillir sereinement ce que toute la suite contredira. Dans sa voiture, son ex-femme, médusée, écoute le même programme.

Le film traite de thèmes bien actuels: le cynisme des célébrités du moment et leur nombrilisme, les smartphones omniprésents, le rôle des réseaux sociaux, les selfies envahissants, l’autofiction. Néanmoins, on ne peut pas ne pas penser à Marivaux, avec le parallèle entre maîtres et domestiques, et surtout aux deux films de Jean Renoir (Partie de campagne et La Règle du jeu). Kévin Azaïs et Sarah Suco nous rappellent les rôles tenus autrefois par Julien Carette et Suzy Delair dans le second classique, même s’ils sont beaucoup moins drôles.

Le film s’attarde un peu sur les nombreux personnages. Leur personnalité aurait pu être approfondie et enrichie. Les acteurs secondaires sont assez bien choisis.  Le passage d’un groupe à l’autre se fait plutôt habilement et naturellement. Les critiques des journaux ont pourtant étrillé le film en le comparant avec Le Sens de la fête d’Eric Toledano et Olivier Nakache.   Mais, c’ est surtout le rythme de cette comédie noire qui pèche. Nous n’avons pas non plus l’impression que les scénaristes donnent vraiment sa chance à chaque personnage.

Filmographie d’Agnès Jaoui.
2000: Le Goût des autres.
2004: Comme une image.
2008: Parlez-moi de la pluie.
2013: Au bout du conte.
2018: Place publique.

Benjamin Fondane

Benjamin Fondane. 1935.

Préface en prose

C’est à vous que je parle, hommes des antipodes,
je parle d’homme à homme,
avec le peu en moi qui demeure de l’homme,
avec le peu de voix qui me reste au gosier,
mon sang est sur les routes, puisse-t-il, puisse-t-il
ne pas crier vengeance!
L’hallali est donné, les bêtes sont traquées,
laissez-moi vous parler avec ces mêmes mots
que nous eûmes en partage-
il reste peu d’intelligibles!

Un jour viendra, c’est sûr, de la soif apaisée,
nous serons au-delà du souvenir, la mort
aura parachevé les travaux de la haine,
je serai un bouquet d’orties sous vos pieds,
– alors, eh bien, sachez que j’avais un visage
comme vous. Une bouche qui priait, comme vous.

Quand une poussière entrait, ou bien un songe,
dans l’oeil, cet oeil pleurait un peu de sel. Et quand
une épine mauvaise égratignait ma peau,
il y coulait un sang aussi rouge que le vôtre!
Certes, tout comme vous j’étais cruel, j’avais
soif de tendresse, de puissance,
d’or, de plaisir et de douleur.
Tout comme vous j’étais méchant et angoissé
solide dans la paix, ivre dans la victoire,
et titubant, hagard, à l’heure de l’échec!

Oui, j’ai été un homme comme les autres hommes,
nourri de pain, de rêve, de désespoir. Eh oui,
j’ai aimé, j’ai pleuré, j’ai haï, j’ai souffert,
j’ai acheté des fleurs et je n’ai pas toujours
payé mon terme. Le dimanche j’allais à la campagne
pêcher, sous l’oeil de Dieu, des poissons irréels,
je me baignais dans la rivière
qui chantait dans les joncs et je mangeais des frites
le soir. Après, après, je rentrais me coucher
fatigué, le coeur las et plein de solitude,
plein de pitié pour moi,
plein de pitié pour l’homme,
cherchant, cherchant en vain sur un ventre de femme
cette paix impossible que nous avions perdue
naguère, dans un grand verger où fleurissait
au centre, l’arbre de la vie…

J’ai lu comme vous tous les journaux tous les bouquins,
et je n’ai rien compris au monde
et je n’ai rien compris à l’homme,
bien qu’il me soit souvent arrivé d’affirmer
le contraire.
Et quand la mort, la mort est venue, peut-être
ai-je prétendu savoir ce qu’elle était mais vrai,
je puis vous le dire à cette heure,
elle est entrée toute en mes yeux étonnés,
étonnés de si peu comprendre –
avez-vous mieux compris que moi?

Et pourtant, non!
je n’étais pas un homme comme vous.
Vous n’êtes pas nés sur les routes,
personne n’a jeté à l’égout vos petits
comme des chats encor sans yeux,
vous n’avez pas erré de cité en cité
traqués par les polices,
vous n’avez pas connu les désastres à l’aube,
les wagons de bestiaux
et le sanglot amer de l’humiliation,
accusés d’un délit que vous n’avez pas fait,
d’un meurtre dont il manque encore le cadavre,
changeant de nom et de visage,
pour ne pas emporter un nom qu’on a hué
un visage qui avait servi à tout le monde
de crachoir!

Un jour viendra, sans doute, quand le poème lu
se trouvera devant vos yeux. Il ne demande
rien! Oubliez-le, oubliez-le! Ce n’est
qu’un cri, qu’on ne peut pas mettre dans un poème
parfait, avais-je donc le temps de le finir?
Mais quand vous foulerez ce bouquet d’orties
qui avait été moi, dans un autre siècle,
en une histoire qui vous sera périmée,
souvenez-vous seulement que j’étais innocent
et que, tout comme vous, mortels de ce jour-là,
j’avais eu, moi aussi, un visage marqué
par la colère, par la pitié et la joie,

un visage d’homme, tout simplement!

1942

Benjamin Fondane, extrait de L’Exode (Super flumina Babylonis), publié dans l’anthologie Le mal de fantômes, Paris, Éditions Verdier, 2006.

Le Mal des fantômes reprend le titre des poèmes de 1942-1943. La «Préface en Prose» (1942) est une auto-prophétie écrite par quelqu’un qui est déjà mort, avec une allusion forte au Juif traqué et voué au massacre.

Yad Vashem (Jérusalem). Entrée de la Salle des Noms. Fin de la Préface en prose de Benjamin Fondane.
Yad Vashem (Jérusalem). Entrée de la Salle des Noms. Derniers vers de la Préface en prose (Benjamin Fondane);

Benjamin Fondane

Benjamin Fondane (Victor Brauner) 1931 Collection particulière.

Benjamin Fondane (Benjamin Wechsler) est né le 14 novembre 1898 à Iași (Roumanie). Philosophe, poète, réalisateur de cinéma, il est d’origine juive, athée roumain, naturalisé français en 1938. Il s’installe en France en 1923 et écrit en français à partir de 1925. Il rencontre en 1924 son maître, le philosophe russe Léon Chestov et contribue à faire connaître sa pensée en France. Il est mobilisé en 1940. Fait prisonnier, il s’évade. Dénoncé comme juif, il est arrêté le 7 mars 1944 par la police française avec sa sœur Line. Ils sont internés à Drancy. Sa femme, Geneviève Tissier, obtient avec l’aide de Jean Paulhan sa libération. Il la refuse pour ne pas abandonner sa sœur, de nationalité roumaine. Ils sont déportés à Auschwitz le 30 mai dans l’avant dernier convoi, n°75. Il est assassiné le 2 ou le 3 octobre 1944 dans une chambre à gaz du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.

Benjamin Fontaine a habité 6 rue Rollin à Paris (V ème arrondissement) de1932 à 1944.
La rue est en impasse. Elle est barrée par un haut escalier double de 34 marches qui rejoint la rue Monge. Pascal a vécu au n° 2 de la rue et y est mort. Descartes, âgé, a habité au n°14. L’espace rectangulaire qui précède l’escalier s’appelle depuis 2006 la place Benjamin-Fondane.
On ne peut traverser cette rue sans une certaine émotion.

Paris-V Place Benjamin Fondane Mur végétal .

 

César Vallejo

Poema XXIII

Tahona estuosa de aquellos mis bizcochos
pura yema infantil innumerable, madre.

Oh tus cuatro gorgas, asombrosamente
mal plañidas, madre: tus mendigos.
Las dos hermanas últimas, Miguel que ha muerto
y yo arrastrando todavía
una trenza por cada letra del abecedario.

En la sala de arriba nos repartías
de mañana, de tarde, de dual estiba,
aquellas ricas hostias de tiempo, para
que ahora nos sobrasen
cáscaras de relojes en flexión de las 24
en punto parados.

Madre, y ahora! Ahora, en cuál alvéolo
quedaría, en qué retoño capilar,
cierta migaja que hoy se me ata al cuello
y no quiere pasar. Hoy que hasta
tus puros huesos estarán harina
que no habrá en qué amasar
¡tierna dulcera de amor,
hasta en la cruda sombra, hasta en el gran molar
cuya encía late en aquel lácteo hoyuelo
que inadvertido lábrase y pulula ¡tú lo viste tánto!
en las cerradas manos recién nacidas.

Tal la tierra oirá en tu silenciar,
cómo nos van cobrando todos
el alquiler del mundo donde nos dejas
y el valor de aquel pan inacabable.
Y nos lo cobran, cuando, siendo nosotros
pequeños entonces, como tú verías,
no se lo podíamos haber arrebatado
a nadie; cuando tú nos lo diste,
¿di, mamá?

Trilce, 1922.

XXIII

Fournil ardent de mes biscuits d’antan
pur jaune enfantin innombrable, mère.

Oh tes quatre gorges, étonnamment
mal pleurés, mère: tes mendiants.
Les deux dernières sœurs, Miguel qui est mort
et moi traînant encore
une tresse sur chaque lettre de l’abécédaire.

Dans la pièce du haut, tu nous distribuais
le matin, le soir, en tas dual,
ces riches hosties du temps, pour
que maintenant nous ayons d’abondance
des coques d’horloges en flexion de 24 heures
arrêtées pile.

Mère, et maintenant! Maintenant, dans quelle alvéole
peut bien rester, dans quelle pousse capillaire,
certaine miette qui aujourd’hui se colle à mon cou
et ne veut pas passer. Aujourd’hui que même
tes seuls os sont sans doute devenus farine
et qu’il n’y aura pas de quoi pétrir,
tendre confiteuse d’amour!
même dans l’ombre crue, même sous la grande molaire
dont palpite la gencive dans cette fossette lactée
qui inaperçue se façonne et pullule, tu le savais si bien!
Sur les mains fermées nouveau-nées.

Ainsi la terre entendra dans ton silence,
comme on nous fait tous payer
le loyer du monde où tu nous laisses
et la valeur de ce pain interminable.
Et on nous le fait payer, alors que, comme nous étions
petits en ce temps-là, et tu le voyais bien,
nous ne pouvions l’avoir dérobé
à personne; alors que tu nous l’avais donné,
dis, maman.

Trilce, 1922

(Traduction: Nicole Réda-Euvremer)

Lima, Universidad Nacional de San Marcos. Monumento a César Vallejo.

César Vallejo Mendoza est né à Santiago de Chuco dans le nord du Pérou le 16 mars 1892 et est mort à Paris le 15 avril 1938. C’est une figure essentielle de la poésie hispano-américaine du XX ème siècle. Son père s’appelait Francisco de Paula Vallejo Benítez;  Sa mère,  María de los Santos Mendoza Gurrionero. Ses grands-pères étaient d’origine espagnole et prêtres, ses grands-mères indiennes. Sa mère était née le 1 novembre 1850. Elle se maria à 17 ans en 1867 et eut 12 enfants. Elle avait déjà 42 ans quand naquit César, le douzième, le tardillon. Elle faillit mourir en lui donnant la vie. Ses parents auraient voulu qu’il soit prêtre. César Vallejo perdit son frère le plus proche, Miguel, le 22 août 1915 et sa mère le 8 août 1918. Ce poème, tiré du recueil Trilce,  fut écrit en 1919.

La mère est ici une présence essentielle comme dans toutes les cultures andines. C’est la mère nourricière. Elle fait et répartit le pain sacré. C’est le centre du foyer, de la famille. L’enfance pour Vallejo est le paradis perdu. L’âge adulte correspond à la peine, la douleur, l’exil. Le poète est devenu orphelin. Il éprouve l’absence et le vide. Il se sent à la fois innocent et coupable. Le don que sa mère lui a fait devient une dette éternelle. Même décédée, elle reste pourtant présente, à jamais. Il dialogue avec elle au-delà de la mort.

Récits de la Kolyma (Varlam Chalamov)

Varlam Chalamov

«Cherry-Brandy», 1958 p. 101

Le poète se mourait (1). Ses grandes mains gonflées par la faim, aux doigts blancs, exsangues et aux ongles sales, longs et recourbés, reposaient sur sa poitrine sans qu’il les protégeât du froid. Avant, il les cachait sous son caban, contre sa peau nue; mais, à présent, son corps ne gardait plus assez de chaleur. Ses moufles, on les lui avait volées depuis longtemps: les vols se faisaient en plein jour, pour peu que le voleur ait du toupet. Un soleil électrique blafard, souillé par les mouches et encastré dans un treillis métallique, était fixé au plafond, très haut. La lumière tombait aux pieds du poète : il était couché comme dans un tiroir, dans la profondeur obscure des châlits communs à deux étages, sur la rangée inférieure. De temps à autre, ses doigts bougeaient, claquaient comme des castagnettes, palpaient un bouton, une boutonnière ou un repli de son caban, époussetaient une saleté et s’immobilisaient à nouveau. Le poète se mourait depuis si longtemps qu’il avait cessé de comprendre que c’était la mort. Parfois, une idée simple et forte se frayait un chemin à travers son cerveau, douloureuse et presque palpable : qu’on lui avait volé le pain qu’il avait mis sous sa tête. Cette idée effroyable le brûlait, au point qu’il était prêt à se disputer, à jurer, à se battre, à chercher, à démontrer. Mais il n’avait pas de force pour le faire et l’idée du pain s’effaçait… Et, immédiatement, il pensait à autre chose. Il pensait qu’on devait leur faire traverser la mer, mais que le bateau était en retard, allez savoir pourquoi, et que c’était bien d’être là. Et, toujours aussi légère et changeante, sa pensée se fixait sur le grand grain de beauté que le chef de baraque avait au milieu de la figure. La plupart du temps, il songeait aux événements qui emplissaient sa vie d’ici. Les visions qui lui apparaissaient n’étaient pas des images de son enfance, de sa jeunesse ou de ses succès. Toute sa vie, il s’était hâté vers quelque but. Et c’était merveilleux de ne pas avoir à se dépêcher, de pouvoir réfléchir lentement. Alors, sans hâte, il pensait à l’auguste uniformité des mouvements d’un moribond, à cette chose que les médecins ont comprise et décrite avant les peintres et les poètes. Le moindre étudiant en médecine connaît la « face hippocratique (2) », le masque du moribond. Cette énigmatique uniformité des mouvements réflexes des moribonds a permis à Freud d’énoncer ses hypothèses les plus audacieuses. L’uniformité, la répétition, tel est le fondement obligatoire de la science. Quant à ce qui ne se répète pas dans la mort, ce sont les poètes qui l’ont cherché, non les médecins. Il lui était agréable de savoir qu’il pouvait encore penser. Il s’était depuis longtemps accoutumé à l’état de nausée provoqué par la faim. Et tout avait valeur égale : Hippocrate, le chef de baraque avec son grain de beauté et son propre ongle noir.

Notes
1. Le titre de « Cherry-Brandy » renvoie à un poème de Ossip Emiliévitch Mandelstam (1892-1938), écrit en 1931 et faisant allusion à une réunion amicale au musée Zoologique de Moscou. Selon le témoignage de Nadejda Mandelstam, « Cherry-Brandy », dans les plaisanteries entre les proches de Mandelstam, signifiait « bêtises, fadaises ».
Il s’agit dans ce récit de la mort du poète. Arrêté une première fois en mai 1934, il fut exilé trois ans dans l’Oural et finalement autorisé à résider à Voronej après une tentative de suicide. De retour à Moscou en 1937, il fut de nouveau arrêté en 1938, condamné à dix ans de camp, et mourut en décembre de la même année dans un camp de transit de Vladivostok où Chalamov lui-même a séjourné un an auparavant, avant d’être acheminé vers la Kolyma.
2. On appelle «face hippocratique» l’expression que prend le visage d’un moribond et qu’Hippocrate fut le premier à décrire en détail.

Varlam Chamalov, Récits de la Kolyma, Traduit du russe par Sophie Benech, Catherine Fournier, Luba Jurgenson, Verdier, « Slovo », 2003.

Ossip Mandelstam

Hommage à la Catalogne (George Orwell) 1938

George Orwell et son fils Richard. 1946.

” Cette guerre, à laquelle j’ai pris une part si inefficace, m’a laissé des souvenirs qui sont pour la plupart de mauvais souvenirs, et cependant je ne puis souhaiter ne pas en avoir été. Quand on a eu un aperçu d’un désastre tel que celui-ci – car, quelle qu’en soit l’issue, cette guerre d’Espagne, de toute manière, se trouvera avoir été un épouvantable désastre, sans même parler du massacre et des souffrances physiques- il n’en résulte pas forcément de la désillusion ou du cynisme. Il est assez curieux que dans son ensemble cette expérience m’ait laissé une foi, pas seulement non diminuée, mais accrue, dans la dignité des êtres humains. Et j’espère que le récit que j’en ai fait n’induit pas trop en erreur. Je crois que devant un événement comme celui-là, personne n’est, ne peut-être, absolument véridique. Il est difficile d’arriver à une certitude à propos de quelque fait que ce soit, à moins d’en avoir été soi-même le témoin oculaire, et, consciemment ou inconsciemment, chacun écrit en partisan. Au cas où je ne vous l’aurais pas déjà dit précédemment au cours de ce livre, je vais vous dire à présent ceci: méfiez-vous de ma partialité, des erreurs sur les faits que j’ai pu commettre, et de la déformation qu’entraîne forcément le fait de n’avoir vu qu’un coin des événements. Et méfiez-vous exactement des mêmes choses en lisant n’importe quel autre livre sur la guerre d’Espagne.”

Barcelona, Plaça George Orwell.

 

María Zambrano

María Zambrano

María Zambrano est née à Vélez-Málaga le  , il y a donc 114 ans.  Prix Cervantes 1988.

Quelques aphorismes:  “Las grandes verdades no suelen decirse hablando.” “Les grandes vérités n’ont pas coutume d’être dites en parlant.”

“Somos problemas vivientes.” “Nous sommes de vivants problèmes.”

“Lo más noble del hombre es, sin duda, la no resignación ante las cadenas de todas clases de que está rodeado.”

“Al hombre no le basta con vivir y cuando solamente vive, ni vive tan siquiera.” “Il ne suffit pas à l’homme de vivre et, quand il ne fait que vivre, il ne vit même pas.”

“La música cumple, se cumple, y escuchándola nos cumplimos.” La musique accomplit, s’accomplit, et en l’écoutant, nous nous accomplissons.”

“Todo ver a otro es verse vivir en otro.” “Voir l’autre, c’est se voir vivre dans l’autre.”

“Un secreto siempre es un secreto de amor.” Un secret est toujours un secret d’amour.”

“Dormir es regresar.” Dormir c’est retourner.”

“Al elegir, me voy eligiendo.” “En choisissant, je me choisis.”

«La acción de preguntar supone la aparición de la conciencia.»

“Nuestra alma está cruzada por sedimentos de siglos, son más grandes las raíces que las ramas que ven la luz”

«No tener maestro es no tener a quien preguntar y más hondamente todavía, no tener ante quien preguntarse»

«Sólo en soledad se siente la sed de la verdad. Sin embargo, escribir es defender la soledad en la que vivo; un tipo de aislamiento no efectivo, un aislamiento comunicativo»

“Prefiero una libertad peligrosa, a una servidumbre tranquila”

“El filósofo no se contenta con gustar de la vida, sino que quiere penetrar en ella, reduciéndola, haciéndola consciente, transparente a su razón… Filosófico es el preguntar, y poético el hallazgo“.

“La historia no es sino un diálogo, bastante dramático, por cierto, entre el hombre y el universo” «L’histoire n’est qu’un dialogue assez dramatique, certes, entre l’homme et l’univers.»

“Y a las utopías, cuando son de nacimiento, no se las puede discutir aunque uno se rebele contra ellas…”

“Si se hubiera de definir la democracia podría hacerse diciendo que es la sociedad en la cual no sólo es permitido, sino exigido, el ser persona”
“Si l’on devait definir la démocratie on pourrait le faire en disant qu’elle est la société dans laquelle il est non seulement permis, mais exigé d’être une personne.”

“No se pasa de lo posible a lo real, sino de lo imposible a lo verdadero”

“Filosófico es el preguntar, y poético el hallazgo“.
«Philosophique est l’interrogation et poétique la trouvaille.»

“No sé cuándo con exactitud, pero un día, de pronto se despertó en mí ese deseo irresistible de dejarme llevar por el viento como éste hace con las nubes.” Claros del bosque.

 

Gonzalo Rojas

Gonzalo Rojas

Contra la muerte

Me arranco las visiones y me arranco los ojos cada día que pasa.
No quiero ver ¡no puedo! ver morir a los hombres cada día.
Prefiero ser de piedra, estar oscuro,
a soportar el asco de ablandarme por dentro y sonreír
a diestra y siniestra con tal de prosperar en mi negocio.

No tengo otro negocio que estar aquí diciendo la verdad
en mitad de la calle y hacia todos los vientos:
la verdad de estar vivo, únicamente vivo,
con los pies en la tierra y el esqueleto libre en este mundo.

¿Qué sacamos con eso de saltar hasta el sol con nuestras máquinas
a la velocidad del pensamiento, demonios: qué sacamos
con volar más allá del infinito
si seguimos muriendo sin esperanza alguna de vivir
fuera del tiempo oscuro?

Dios no me sirve. Nadie me sirve para nada.
Pero respiro, y como, y hasta duermo
pensando que me faltan unos diez o veinte años para irme
de bruces, como todos, a dormir en dos metros de cemento allá abajo.

No lloro, no me lloro. Todo ha de ser así como ha de ser,
pero no puedo ver cajones y cajones
pasar, pasar, pasar, pasar cada minuto
llenos de algo, rellenos de algo, no puedo ver
todavía caliente la sangre en los cajones.

Toco esta rosa, beso sus pétalos, adoro
la vida, no me canso de amar a las mujeres: me alimento
de abrir el mundo en ellas. Pero todo es inútil,
porque yo mismo soy una cabeza inútil
lista para cortar, pero no entender qué es eso
de esperar otro mundo de este mundo.

Me hablan del Dios o me hablan de la Historia. Me río
de ir a buscar tan lejos la explicación del hambre
que me devora, el hambre de vivir como el sol
en la gracia del aire, eternamente.

De Contra la muerte, 1964.

Poeta chileno (1916-2011). Premio Cervantes 2003.

Madame Hyde (Serge Bozon)

Vu vendredi 20 avril à la Ferme du Buisson (Noisiel):
Madame Hyde (2017) 95 min. Réal.: Serge Bozon. Sc: Serge Bozon et Axelle Roppert. Très libre adaptation du roman L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde  de Robert Louis Stevenson (1850-1894). Dir. Photo: Céline Bozon. Int: Isabelle Huppert, Romain Duris, José Garcia, Adda Senani, Guillaume Verdier, Pierre Léon, Patricia Barzyk, Karole Rocher, François Négret, Charlotte Véry, Roxane Arnal, Angèle Metzger.

Madame Géquil, professeur de physique timide et faible, enseigne la physique dans un lycée de banlieue. Le film a été tourné à Oullins et à Lyon. Elle subit chaque jour les moqueries de ses élèves. Elle est méprisée par ses collègues et son proviseur qui n’est qu’un bouffon. Après avoir été frappée par la foudre, sa personnalité se transforme peu à peu. Elle sent en elle une énergie nouvelle, mystérieuse.

Le film se veut fantastique, comique, mélancolique, décalé, poétique. Un échec total. Comment peut-on massacrer ainsi le court roman de Robert-Louis Stevenson qui est d’une richesse extrême. L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde (1886) est une véritable histoire d’épouvante. Il aborde le dédoublement de la personnalité, l’existence du bien et du mal en chaque être humain; l’hypocrisie sociale de la période victorienne. Sa richesse est inépuisable…Robert Louis Stevenson est un auteur majeur du XIX ème sièclé vénéré par Henry James et Jorge Luis Borges entre autres.

Comme la plupart des films français, Madame Hyde ne présente qu’une caricature des difficultés du monde enseignant aujourd’hui, même si Serge Bozon et Axelle Ropert semblent s’être documentés un peu plus que leurs confrères. La transmission du savoir devient possible dans la deuxième partie du film. On n’y croit pas une seconde.

Isabelle Huppert a reçu le prix d’interprétation féminine au Festival international du film de Locarno. 2017. Ce n’est pas le rôle le plus convaincant de sa carrière.

J’avais bien aimé pourtant le film d’Axelle Ropert Tirez la langue, mademoiselle (2013): Histoire de deux frères médecins passionnés par leur métier qui tombent amoureux de la mère de l’une de leurs patientes (avec Louise Bourgoin, Cédric Kahn et Laurent Stocker) . Axelle Ropert (1972) est la scénariste de tous les films de Serge Bozon et sa compagne. Elle a réalisé deux autres films (2009 La Famille Wolberg. 2016 La Prunelle de mes yeux.)

Filmographie de Serge Bozon (1972). Critique à la revue Trafic, La Lettre du cinéma, Vertigo, Les Cahiers du cinéma.
1998 L’Amitié.
2003 Mods.
2007 La France. (Prix Jean-Vigo)
2013 Tip-Top.
2018 Madame Hyde.

https://www.youtube.com/watch?v=wW7r_LGufvY

Christian Boltanski

Desierto de Atacama (Chile). Valle de la Luna. Las Tres Marías.

Animitas” est une installation en plein air de l’artiste plasticien français Christian Boltanski dans le désert d’Atacama au Chili (2014).
Elle se compose de huit cents clochettes japonaises fixées sur de longues tiges plantées dans le sol qui sonnent au gré du vent pour faire entendre la musique des âmes et dessinent la carte du ciel la nuit de la naissance de l’artiste, le 6 septembre 1944.
L’installation se situe dans le désert d’Atacama, un lieu de pèlerinage à la mémoire des disparus de la dictature de Pinochet. C’est également un lieu exceptionnel pour observer les étoiles grâce à la pureté du ciel : c’est là qu’ est installé le plus grand observatoire du monde. L’œuvre, produite à l’occasion d’une exposition rétrospective du travail de Boltanski au musée des Beaux Arts de Santiago fin 2014, était filmée par une webcam et retransmise en direct dans l’une des salles du musée.
À Paris, lors de la FIAC hors les murs 2014, on pouvait aussi découvrir Alma, la maquette de l’installation chilienne dans le jardin des Tuileries.

Christian Boltanski, filmé dans son atelier de Malakoff où il ne cesse d’illustrer l’absence, dit : “Alma, c’était le nom de la rétrospective de Santiago. Cela veut dire “âme”. C’est aussi le nom du plus grand observatoire astronomique du monde. J’ai préféré appeler l’installation Animitas du nom des autels que les indiens laissent au bord des routes pour honorer les morts. Je pense qu’il y a des fantômes autour de nous et qu’ils sont matérialisés par ces clochettes. Il s’agit effectivement de la musique du ciel. Ce qui m’intéressait dans cet endroit, c’était de faire quelque chose de rudimentaire. J’avais d’abord pensé à travailler avec les observatoires. Ils étaient splendides mais ils m’impressionnaient et me faisaient peur. J’ai voulu retrouver la simplicité, la douceur d’une petite sonnerie de clochette”.

http://www.sculpturenature.com/animitas-musique-ames-installation-sonore-poetique-de-christian-boltanski-desert-plus-aride-monde/