Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud. Détail du tableau Un coin de table (Henri Fantin-Latour) 1872 Paris Musée d’Orsay

Bannières de mai

Aux branches claires des tilleuls
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent parmi les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s’enchevêtrer les vignes.
Le ciel est joli comme un ange.
L’azur et l’onde communient.
Je sors. Si un rayon me blesse
Je succomberai sur la mousse.

Qu’on patiente et qu’on s’ennuie
C’est trop simple. Fi de mes peines.
je veux que l’été dramatique
Me lie à son char de fortunes
Que par toi beaucoup, ô Nature,
– Ah moins seul et moins nul ! – je meure.
Au lieu que les Bergers, c’est drôle,
Meurent à peu près par le monde.

Je veux bien que les saisons m’usent.
A toi, Nature, je me rends;
Et ma faim et toute ma soif.
Et, s’il te plaît, nourris, abreuve.
Rien de rien ne m’illusionne;
C’est rire aux parents, qu’au soleil,
Mais moi je ne veux rire à rien;
Et libre soit cette infortune.

 Derniers vers. Printemps et du début de l’été 1872.

Philippe Lançon évoque ce poème dans sa chronique de Charlie Hebdo du 04 Avril 2018.

Le critique de Libération va publier en avril Le Lambeau chez Gallimard. Dans un entretien, il précise: “Mon livre n’est pas un essai sur l’Islamisme ou sur l’état de l’hôpital, sujets sur lesquels je suis incompétent: c’est un récit et une réflexion intimes. C’est l’histoire d’un homme qui a été victime d’un attentat, qui a passé neuf mois à l’hôpital, et qui raconte le plus précisément, et j’espère le plus légèrement possible, comment cet attentat et ce séjour ont modifié sa vie et la vie des autres autour de lui, ses sentiments, ses sensations, sa mémoire, son corps et sa perception du corps, son rapports à la musique, à la peinture, sa manière de respirer et d’écrire.”

Francis Scott Fitzgerald

Francis Scott Fitzgerald. 1925.
 Incipit. The Great Gatsby. Gatsby le Magnifique. 1925.

« In my younger and more vulnerable years my father gave me some advice that I’ve been turning over in my mind ever since. “Whenever you feel like criticizing any one,” he told me, “just remember that all the people in this world haven’t had the advantages that you’ve had.” »

« Quand j’étais plus jeune, ce qui veut dire plus vulnérable, mon père me donna un conseil que je ne cesse de retourner dans mon esprit:  — Quand tu auras envie de critiquer quelqu’un, songe que tout le monde n’a pas joui des mêmes avantages que toi. » (Traduction Victor Llona, première version, 1926, Edition Simon Kra)

«Quand j’étais plus jeune, c’est-à-dire plus vulnérable, mon père me donna un conseil que je ne cesse de retourner dans mon esprit: – Quand tu auras envie de critiquer quelqu’un, songe que tout le monde n’a pas joui des mêmes avantages que toi » (Traduction Victor Llona, deuxième version,  1945, Grasset)

« Dès mon âge le plus tendre et le plus facile à influencer, mon père m’a donné un certain conseil que je n’ai jamais oublié: — Chaque fois que tu te prépares à critiquer quelqu’un, m’a-t-il dit, souviens-toi qu’en venant sur terre tout le monde n’a pas eu droit aux mêmes avantages que toi. » (Traduction Jacques Tournier, 1990, Livre de Poche)

« Quand j’étais plus jeune et plus influençable, mon père m’a donné un conseil que je n’ai cessé de méditer depuis: “Chaque fois que tu as envie de critiquer quelqu’un, me dit-il, souviens-toi seulement que tout le monde n’a pas bénéficié des mêmes avantages que toi.” » (Traduction Julie Wolkenstein, 2011, POL )

« Quand j’étais plus jeune et plus vulnérable, mon père, un jour, m’a donné un conseil que je n’ai pas cessé de retourner dans ma tête:  “Chaque fois que tu seras tenté de critiquer quelqu’un, m’a-t-il dit, songe d’abord que tout un chacun n’a pas eu en ce bas monde les mêmes avantages que toi.” » (Traduction Philippe Jaworski, 2012, Pléiade et Folio)

Dernière phrase. The Great Gatsby. Gatsby le Magnifique. 1925.

«So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past»

« C’est ainsi que nous avançons, barques luttant contre un courant qui nous rejette sans cesse vers le passé. » (Traduction Victor Llona, première version, 1926, Edition Simon Kra)

« Car c’est ainsi que nous allons, barques luttant contre un courant qui nous ramène sans cesse vers le passé. » (Traduction Victor Llona, deuxième version,  1945, Grasset)

« Et nous luttons ainsi, barques à contre-courant, refoulés sans fin vers notre passé. » (Traduction Jacques Tournier 1990)

«C’est ainsi que nous nous débattons, comme des barques contre le courant, sans cesse repoussés vers le passé.» (Traduction Julie Wolkenstein, 2011, POL )

« C’est ainsi que nous avançons, barques à contre-courant, sans cesse ramenés vers le passé. » (Traduction Philippe Jaworski, 2012, Pléiade et Folio)

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The Crack-up. La Fêlure. Février 1936.

“Of course all life is a process of breaking down, but the blows that do the dramatic side of the work – the big sudden blows that come, or seem to come, from outside – the ones you remember and blame things on and, in moments of weakness, tell your friends about, don’t show their effect all at once. There is another sort of blow that comes from within – that you don’t feel until it’s too late to do anything about it, until you realize with finality that in some regard you will never be as good a man again. The first sort of breakage seems to happen quick – the second kind happens almost without your knowing it but is realized suddenly indeed.”

«Toute vie est bien entendu un processus de démolition, mais les atteintes qui font le travail à coups d’éclat – les grandes poussées soudaines qui viennent ou semblent venir du dehors, celles dont on se souvient, auxquelles on attribue la responsabilité des choses, et dont on parle à ses amis aux instants de faiblesse, n’ont pas d’effet qui se voie tout de suite. Il existe des coups d’une autre espèce, qui viennent du dedans – qu’on ne sent que lorsqu’il est trop tard pour y faire quoi que ce soit, et qu’on s’aperçoit définitivement que dans une certaine mesure on ne sera plus jamais le même. La première espèce de rupture donne l’impression de se produire vite – l’autre se produit sans presque qu’on le sache, mais on en prend conscience vraiment d’un seul coup.» (Traduction D. Aubry, Folio, 1963)

Sartoris (William Faulkner) 1929.

«Lui qui n’avait pas attendu que le temps et tout ce qu’apporte le temps lui apprissent que le suprême degré de la sagesse était d’avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue pendant qu’on les poursuit.» 

«…Who had not waited for Time and its furniture to teach him that the end of wisdom is to dream high enough not to lose the dream in the seeking of it» (Flags in the Dust, 1929)

William Faulkner.

Lady Bird (Greta Gerwig)

Vu dimanche 1 avril à la Ferme du Buisson (Noisiel) :
Lady Bird (2017) 94 min. Réal. et Sc.: Greta Gerwig. Dir. Photo: Sam Lévy. Int: Saoirse Ronan, Laurie Metcalf, Tracy Letts, Lucas Hedges, Timothée Chalamet, Beanie Feldstein, Lois Smith, Stephen Mc Kinley, Odeya Rush.

2002 dans la ville de Sacramento (capitale de l’état de Californie) après le 11 septembre. Christine «Lady Bird» Mc Pherson est une adolescente de 17 ans qui se bat pour ne pas ressembler à sa mère, infirmière psychiatrique qui travaille sans répit pour garder sa famille à flot après que le père, dépressif depuis de nombreuses années, a perdu son emploi. «Lady Bird», perdue entre ses premiers ébats amoureux, veut s’éloigner de sa ville et de sa famille pour aller étudier à New York.

Lady Bird peut se traduire par coccinelle ou demoiselle. C’est le surnom que Christine McPherson s’est choisi. Il fait d’elle ce qu’elle n’est pas: une dame, un oiseau, la bête à bon Dieu qui est en anglais l’animal de la Vierge. Ce sobriquet représente tout ce qu’elle veut quitter: la virginité, l’école catholique et ses sacrements, Sacramento, sa ville natale mortifère.

La cinéaste, native aussi de cette ville, évoque une citation de la romancière Joan Didion, née aussi là en 1934 :« Quiconque parle d’hédonisme californien n’a jamais passé Noël à Sacramento.» La Californie n’est pas le paradis qu’elle représente pour beaucoup.

Le film est construit en courtes séquences. Les changements de ton sont nombreux. Il s’ouvre sur Lady Bird et sa mère qui rentrent chez elles après une visite à la faculté proche où la jeune fille va s’inscrire. Toutes les deux pleurent en écoutant la fin du roman de de John Steinbeck, “Les Raisins de la colère” (1939). C’est un moment de communion plutôt rare. En effet, elles ne cessent de s’affronter tout au long du film. Ces deux femmes sont pourtant assez semblables. Greta Gerwig affirme: «Les Raisins de la colère est pour moi une œuvre majeure qui m’a aidée à comprendre la Californie, et l’origine de la plupart des gens qui peuplent l’univers de ce film. C’est sûrement aussi l’histoire de la famille de Lady Bird. Sacramento se situe dans une vallée agricole où de nombreux fermiers se sont exilés pendant la Grande Dépression”.

La plupart des personnages sont attachants. Christine cherche à fuir sa ville, sa famille comme beaucoup d’adolescents de 17 ans. Marion, la mère, tient la famille à bout de bras. L’affrontement entre les deux femmes constitue le centre du film. Le père, lui, lutte depuis des années contre la dépression comme le père Leviatch, l’animateur du groupe de théâtre. La différence entre les classes sociales apparaît nettement. Les difficultés économiques ne sont pas gommées comme souvent dans le cinéma américain ou français. Christine envie les autres jeunes qui ont ce qu’elle n’a pas. Sa famille habite du mauvais côté de la voie ferrée.

Christine réussira à intégrer une université de l’Est et bénéficiera d’une bourse et de l’aide de ses parents. L’épilogue du film a lieu donc à New York. Lady Bird redevient Christine et laisse un message sur le répondeur de ses parents. Elle ne perçoit la beauté des choses que quand elles ne sont plus là. Le cercle est bouclé.

Saoirse Ronan, Laurie Metcalf, Tracy Letts, Lucas Hedges, Lois Smith, Stephen Mc Kinley sont d’excellents acteurs. Lois Smith, qui intreprète avec humour le rôle de Soeur Sarah Joan, jouait déjà dans A l’Est d’Eden (1955) d’Elia Kazan. Elle suggère à Christine que l’attention que l’on prête aux êtres, aux choses, au réel, est une forme de l’amour. On peut penser à la philosophe Simone Weil qui dans La condition ouvrière (1937) dit :
« Ce n’est pas vainement qu’on nomme attention religieuse la plénitude de l’attention. La plénitude de l’attention n’est pas autre chose que la prière. »

Filmographie de Greta Gerwig:
2008: Nights and Weekends (co-réalisé avec Joe Swanberg)
2017: Lady Bird

Jaime Gil de Biedma

Jaime Gil de Biedma 1929-1990. 

                                                         

Años triunfales

                                                           […] y la más hermosa
                                                           sonríe al más fiero de los vencedores.
                                                          Rubén Darío   

Media España ocupaba España entera
con la vulgaridad, con el desprecio
total de que es capaz, frente al vencido,
un intratable pueblo de cabreros.

Barcelona y Madrid eran algo humillado.
Como una casa sucia, donde la gente es vieja,
la ciudad parecía más oscura
y los Metros olían a miseria.

Con la luz de atardecer, sobresaltada y triste,
se salía a las calles de un invierno
poblado de infelices gabardinas
a la deriva bajo el viento.

Y pasaban figuras mal vestidas
de mujeres, cruzando como sombras,
solitarias mujeres adiestradas
—viudas, hijas o esposas—

en los modos peores de ganar la vida
y suplir a sus hombres. Por la noche,
las más hermosas sonreían
a los más insolentes de los vencedores.

Moralidades, 1966