Franz Kafka

Recueils, nouvelles et récits publiés en librairie. Nouvelles et récits. Oeuvres complètes, I. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. 2018. Édition publiée sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre.


Désir de devenir un Indien
«Si seulement on était un Indien, tout de suite prêt, et que sur le cheval au galop, incliné en l’air, on était pris et repris par de brefs tremblements au-dessus du sol trépidant, jusqu’au moment où on lâchait les éperons, car il n’y avait pas d’éperons, où on envoyait promener les rênes, car il n’y avait pas de rênes, et où on voyait à peine la campagne devant soi, telle une lande tondue à ras, en ayant déjà plus d’encolure ni de tête de cheval.»
Publié en 1912 dans le recueil Betrachtung.

Franz Kafka, 1906.

Charles Baudelaire

Charles Baudelaire (Gaspard Félix Tournachon, dit Nadar)

Deux textes très connus de Baudelaire:

XLVII. Harmonie du soir

Voici venir les temps ou vibrant sur sa tige
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir;
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir;
Valse mélancolique et langoureux vertige!


Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir;
Le violon frémit comme un coeur qu’on afflige;
Valse mélancolique et langoureux vertige!
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.


Le violon frémit comme un coeur qu’on afflige,
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir!
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir;
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.


Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige!
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir!


Les Fleurs du Mal, 1861.

I – L’Etranger
“Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère? Je n’ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère. –

  • Tes amis?
  • Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
  • Ta patrie?
  • J’ignore sous quelle latitude elle est située.
  • La beauté?
  • Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
  • L’or?
  • Je le hais comme vous haïssez Dieu.
  • Eh! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
  • J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages!”
    Petits poèmes en prose Le Spleen de Paris. 1869.
    Eugène Boudin, Le roi des ciels.
Baigneurs sur la plage de Trouville (Eugène Boudin). 1869. Paris, Musée d’ Orsay.

Juan Ramón Jiménez 1881 – 1958

Juan Ramón Jiménez.

Patria

¿De dónde es una hoja
transparente de sol?
—¿De dónde es una frente
que piensa, un corazón que ansía?—
¿De dónde es un raudal
que canta?

La realidad invisible (1917-1924)

Patrie

D’où vient une feuille
transparente de soleil ?
— D’où vient un front
qui pense, un coeur qui désire ? —
D’où vient un torrent
qui chante?

Juan Ramón Jiménez est né à Moguer, en Andalousie, le 23 ou 24 décembre 1881. Il est mort le 29 mai 1958 en exil à San Juan (Porto Rico). Son récit poétique le plus célèbre est Platero y yo (Elégie andalouse) publié en 1917. Il a reçu le Prix Nobel de littérature en 1956 .

Les éditions José Corti dans leur collection Ibériques, dirigée par Bertrand Fillaudeau, ont publié dans de belles éditions bilingues certains recueils de ce grand poète, connu aussi pour son mauvais caractère.

Espace, 1988.
Fleuves qui s’en vont, 1990.
Pierre et ciel, 1990.
Été, 1997.
Éternités, 2000.
Poésie en vers, 2002.
Beauté, 2005.

Les guichets du Louvre (Michel Mitrani)

Je me souviens du film de 1974 Les Guichets du Louvre de Michel Mitrani, un film français tout à fait honorable des années 70. Il se passe pendant la rafle du Vélodrome d’Hiver. Je me souviens aussi de l’actrice et réalisatrice Christine Pascal (1953-1996). Alors qu’elle était soignée pour des troubles psychiatriques dans une clinique de Garches, le 30 août 1996 elle se suicida en sautant par la fenêtre de l’établissement.
Scénario: Albert Cossery, d’après le roman éponyme de Roger Boussinot (1921-2001) Les Guichets du Louvre, Denoël, 1960; Gaïa Éditions, 1999.
Directeur de la photographie: Jean Tournier.
Musique: Mort Shuman.
Montage : Ziva Postec.
Création des décors: Maurice Sergent.
Création des costumes : Annick François.
Sociétés de production : Les Films du Parnasse, Saga, Les Films du Limon.
Durée: 95 minutes.
Date de sortie: 28 août 1974.

Le 16 juillet 1942, à Paris. Un jeune étudiant, averti de l’imminente rafle, se rend dans le quartier Saint-Paul pour tenter de sauver quelques personnes. Il rencontre une jeune fille juive et tente de la sauver en traversant vers la rive gauche.
Distribution:Christian Rist: Paul. – Christine Pascal: Jeanne – Judith Magre: Mme Ash – Henri Garcin: Ernst Jünger. – Michel Robin: le cousin. – Michel Auclair: M. Edmond. – Alice Sapritch: la vieille dame – Albert Michel :le plombier. – Françoise Bertin. Fanny Robiane – Jacques Debary: le curé -Jacques Rispal.- Alexandre Rignault – François Cadet: un voyou.

Christian Rist. Christine Pascal.

La rafle du Vél’d’Hiv – 16 et 17 juillet 1942

Jardin du souvenir à l’emplacement du Vél’d’Hiv.

La rafle du Vélodrome d’Hiver, souvent appelée « rafle du Vél’d’Hiv» est la plus grande arrestation massive de Juifs réalisée en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre les 16 et 17 juillet 1942, 13.152 personnes dont 4 115 enfants, ont été arrêtées à Paris et en banlieue pour être déportées. Moins de cent adultes et aucun enfant n’a survécu à la déportation vers Auschwitz.

Effectuées à la demande du Troisième Reich — qui, dans le cadre de sa politique d’extermination des populations juives d’Europe, organise, en juillet 1942, une rafle à grande échelle de Juifs dans plusieurs pays européens, l’«opération Vent printanier»—, ces arrestations ont été menées avec la collaboration de neuf mille policiers et gendarmes français, assistés de trois cents à quatre cents militants du Parti populaire français de Jacques Doriot, sur ordre du gouvernement de Vichy, après des négociations avec l’occupant menées par René Bousquet, secrétaire général de la Police nationale.

À la suite de négociations, initiées par Pierre Laval, les Juifs de nationalité française ont été exclus temporairement de cette rafle qui concerna essentiellement les Juifs, étrangers ou apatrides, réfugiés en France dont plus de quatre mille enfants le plus souvent français nés de parents étrangers.

M. Tulard, fonctionnaire chargé des «questions juives» à la Préfecture de Police, avait établi une liste de 28.000 juifs étrangers. René Bousquet, accompagné de Louis Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives, rencontre le 4 juillet 1942, au siège de la Gestapo à Paris, les colonel et capitaine SS Helmut Knochen et Theodor Dannecker, le premier dirigeant la police allemande en France. Un nouvel entretien, dans les bureaux de Dannecker avenue Foch, afin d’organiser la rafle prévue pour le 13 juillet 1942 se tient le 7 juillet en compagnie de Jean Leguay, l’adjoint de Bousquet, accompagné de François, directeur de la police générale, Émile Hennequin, directeur de la police municipale, André Tulard, chargé des “questions juives” à la préfecture, Garnier, sous-directeur du ravitaillement à la préfecture de la Seine, Guidot, commissaire de police à l’état-major de la police municipale et enfin Schweblin, directeur de la police aux questions juives. Le capitaine SS Dannecker déclare: «Les policiers français — malgré quelques scrupules de pure forme— n’auront qu’à exécuter les ordres!»

La circulaire du 13 juillet 1942 de la préfecture de police signée d’Émile Hennequin indique que la rafle vise les Juifs allemands, autrichiens, polonais, tchécoslovaques, russes (soviétiques et réfugiés, c’est-à-dire Blancs et Rouges) et apatrides, âgés de 16 à 60 ans pour les hommes et de 16 à 55 pour les femmes, ainsi que leurs enfants (qui étaient français pour une très grande majorité).

Vél’ d’Hiv, 16 – 17 juillet 1942.


Pour Éric Conan et Henry Rousso Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Gallimard,« Folio histoire, 1996: «Le Vél’ d’Hiv’? L’événement est devenu depuis 1993 le symbole officiel du Vichy antisémite. Mais la grande rafle de juillet 1942, ainsi que toutes celles qui ont suivi, en zone nord comme en zone sud, furent moins la conséquence de l’antisémitisme d’État que celle de la collaboration d’État. Le rôle des Bousquet, Leguay et consorts s’explique non par un fanatisme antijuif, mais par la politique d’un régime prêt à payer le prix du sang, celui des autres, la défense d’une certaine conception de la «souveraineté nationale». Cette politique n’a pas de lien nécessaire avec les lois antijuives promulguées deux ans plus tôt par Vichy. C’était même ce que la mémoire nationale était supposée intégrer: la part d’autonomie à l’égard de l’occupant. Certes, ces lois ont favorisé ultérieurement l’application de la «Solution finale», un crime prémédité et organisé par les nazis. Statuts, fichiers, lois d’exclusion françaises ont facilité les arrestations massives de 1942-1943. Mais le sens de ces lois, promulguées entre juillet 1940 et l’été 1941, n’était pas celui de prémices d’une extermination, projet qui, à ce moment-là, n’est pas à l’ordre du jour, ni dans la politique de Vichy ni même dans celle du Reich. Ces lois françaises exprimaient un principe d’exclusion politique et sociale inscrit au cœur d’une certaine tradition française et qui reste aujourd’hui encore vivante.»

Cesare Pavese 1908 – 1950

Cesare Pavese.

Fin de l’imagination

Ce corps ne revivra jamais plus. Quand on touche ses yeux,
on sent qu’une poignée de terre est plus vivante, car la terre,
même à l’aube, se tait, simplement, repliée sur elle-même.
Un cadavre au contraire, c’est le reste de trop nombreux éveils.

Nous avons cette seule vertu: commencer
chaque jour notre vie – devant la terre,
sous un ciel silencieux – dans l’attente d’un éveil.
Certains sont stupéfaits que l’aube soit si dure;
d’éveil en éveil un travail s’accomplit.
Mais nous vivons seulement pour un frisson d’où naît
notre travail futur, pour réveiller la terre une fois.
Ce qui arrive parfois. Puis elle se tait à nouveau comme nous.

Si la main effleurant ce visage n’était gauche
– main vivante qui sent au toucher ce qui vit -,
si ce froid n’était vraiment que le froid
de la terre, dans l’aube qui glace la terre,
peut-être serait-ce un éveil, et les choses qui se taisent
à l’approche de l’aube, parleraient encore. Mais ma main
est tremblante et plus qu’à tout ressemble à une main immobile.

D’autres fois s’éveiller en pleine aube, c’était
une douleur brutale, un spasme de lumière,
mais c’était malgré tout une libération. L’avare parole
de la terre était gaie, pendant un bref instant,
et mourir c’était encore y revenir. Le corps qui attend maintenant
n’est qu’un vestige d’éveils trop nombreux et il ne revient plus
à la terre. Et les lèvres durcies ne le disent même pas.

Travailler fatigue/La mort viendra et elle aura tes yeux. Poésie/ Gallimard (Traduction Gilles de Van). 1969.

Fine della fantasia

Questo corpo mai più ricomincia. A toccargli le occhiaie
uno sente che un mucchio di terra è più vivo,
ché la terra, anche all’alba, non fa che tacere in se stessa.
Ma un cadavere è un resto di troppi risvegli.

Non abbiamo che questa virtù: cominciare
ogni giorno la vita – davanti alla terra,
sotto un cielo che tace – attendendo un risveglio.
Si stupisce qualcuno che l’alba sia tanta fatica;
di risveglio in risveglio un lavoro è compiuto.
Ma viviamo soltanto per dare in un brivido
al lavoro futuro e svegliare una volta la terra.
E talvolta ci accade. Poi torna a tacere con noi.
Se a sfiorare quel volto la mano non fosse malferma
viva mano che sente la vita se tocca –
se davvero quel freddo non fosse che il freddo
della terra, nell’alba che gela la terra,
forse questo sarebbe un risveglio, e le cose che tacciono
sotto l’alba, direbbero ancora parole. Ma trema
la mia mano, e di tutte le cose somiglia alla mano
che non muove.

Altre volte svegliarsi nell’alba
era un secco dolore, uno strappo di luce,
ma era pure una liberazione. L’avara parola
della terra era gaia, in un rapido istante,
e morire era ancora tornarci. Ora, il corpo che attende
è un avanzo di troppi risvegli e alla terra non torna.
Non lo dicon nemmeno, le labbra indurite.

1933

Poesie del disamore (1934 – 1938)

Torino, Albergo Roma e Rocca Cavour. Piazza Carlo Felice, 60, Cesare Pavese s’est suicidé dans cet hôtel le 27 août 1950

Juan Rulfo 1917 – 1986

Juan Rulfo. Autoportrait.

Juan Rulfo (Juan Nepomuceno Carlos Pérez Rulfo Vizcaíno) est né à Sayula, une petite localité de l’état de Jalisco au Mexique le 16 mai 1917.

Il passe son enfance dans un orphelinat de Guadalajara car son père et de nombreux membres de sa famille ont été assassinés en 1923 pendant la guerre des Cristeros (1923-1927).

En 1947, il épouse Clara Angelina Aparicio Reyes (née 12 août 1928). Ils auront quatre enfants: Claudia Berenice, Juan Francisco, Juan Pablo et Juan Carlos.

Cet écrivain, scénariste et photographe mexicain, a publié essentiellement un recueil de 17 nouvelles, Le Llano en flammes (1953), qui traite de la vie des paysans de la région de Jalisco dans une nature aride et hostile et un roman, Pedro Páramo (1955), qui traite de la confusion entre le monde des morts et des vivants. Il reflète bien la fascination qu’entretiennent les Mexicains avec la mort (cf. la fête des morts).

C’est un des grands écrivains latino-américains du XX ème siècle. Son œuvre marque un tournant dans la littérature mexicaine. avec lui, c’est la fin du roman révolutionnaire (Martín Luis Guzmán, Francisco L. Urquizo et Mariano Azuela). Pedro Páramo a eu aussi une très grande influence sur les romanciers du boom latino-américain (Gabriel García Márquez, Mario Vargas Llosa)

Juan Rulfo s’éloigne pourtant ensuite de l’écriture et travaille pour la télévision. Il finit sa carrière comme directeur éditorial de l’Instituto Indigenista de México, comparable au Bureau des affaires indiennes.

Il meurt à Mexico le 8 janvier 1986.

  • Le llano en flammes, Gallimard, 2001 ( El llano en llamas, 1953), Traduction: Gabriel Iaculli, 17 nouvelles.
  • Pedro Páramo, Gallimard, 1959 (Pedro Páramo, 1955). Traduction: Roger Lescot, roman. Nouvelle traduction, 2005: Gabriel Iaculli. Gallimard.
  • Le coq d’or, Gallimard, coll. «L’Imaginaire», 2009 ( El gallo de oro, 1980. Réédition 2010), Traduction: Gabriel Iaculli, roman. Écrit entre 1956 et 1958.
Clara Aparicio de Rulfo (Juan Rulfo) vers 1948.

Clara Aparicio, la veuve de Juan Rulfo a fait publier en 2000 81 lettres que son mari lui a envoyées entre 1944 y 1950.

Correspondance de Juan Rulfo. Aire de las colinas: Cartas a Clara (Editorial Sudamericana, 2000, Buenos Aires; Plaza Janés, México; Debate, Espagne)

México, 10 de enero de 1945

Muchachita:

No puedo dejar pasar un día sin pensar en ti. Ayer soñé que tomaba tu carita entre mis manos y te besaba. Fue un dulce y suave sueño. Ayer también me acordé de que aquí habías nacido y bendije esta ciudad por eso, porque te había visto nacer.
No sé lo que está pasando dentro de mí; pero a cada momento siento que hay algo grande y noble por lo que se puede luchar y vivir. Ese algo grande, para mí, lo eres tú. Esto lo he sabido desde hace mucho, más ahora que estoy lejos lo he ratificado y comprendido.
Estuve leyendo hace rato a un tipo que se llama Walt Whitman y encontré una cosa que dice:

El que camina un minuto sin amor,
Camina amortajado hacia su propio funeral.

Y esto me hizo recordar que yo siempre anduve paseando mi amor por todas partes, hasta que te encontré a ti y te lo di enteramente.
Clara, mi madre murió hace 15 años; desde entonces, el único parecido que he encontrado con ella es Clara Aparicio, alguien a quien tú conoces, por lo cual vuelvo a suplicarte le digas me perdone si la quiero como la quiero y lo difícil que es para mí vivir sin ese cariño que ella tiene guardado en su corazón.
Mi madre se llamaba María Vizcaíno y estaba llena de bondad, tanta que su corazón no resintió aquella carga y reventó.
No, no es fácil querer mucho.
Juan

Woody Guthrie 1912 – 1967

Woody Guthrie à la guitare le 8 mars 1943. This machine kills fascists.

Woody Guthrie est né le 14 juillet 1912 à Okemah (Oklahoma). Il est décédé le 3 octobre 1967.

Chanteur et guitariste folk américain, influencé par l’anarchiste Joe Hill (1879-1915), il compose des chansons exprimant les luttes des pauvres et des opprimés, tout en célébrant leur esprit de résistance libertaire. Figure emblématique des hobos (« vagabonds » produits par la Grande Dépression), il devient un important porte-parole musical des sentiments ouvriers et populaires. Ses chansons militantes inspirent le renouveau du folk américain des années 1960 (Pete Seeger, Bob Dylan, Joan Baez)

Il joue ici “John Henry” avec Brownie McGhee et Sonny Terry en 1947.

Cette chanson parle d’un ouvrier des grands chantiers routiers et ferroviaires : un « creuseur » de tunnels. Elle raconte aussi la lutte de l’Homme et de la Machine. John Henry était le plus rapide des manieurs de marteau. Mais son contremaître annonce l’arrivée d’un marteau pneumatique sur le chantier. « Un homme n’est rien qu’un homme, répond John Henry, mais avant que je ne laisse ton marteau-piqueur me battre, je mourrai avec mon marteau à la main ! »Telle est l’histoire : la lutte de l’homme contre la machine ; la lutte aussi de l’ouvrier pour son travail ; celle de la dignité contre une modernité destructrice. Celle du travail contre le capital.

John Henry n’est pas un révolutionnaire. Mais John Henry est fier d’être le meilleur des terrassiers. Personne ne manie plus vite que lui le marteau et la pioche. C’est un ouvrier d’élite. Lorsque le contremaître lui annonce ainsi l’arrivée sur le chantier de ce marteau-piqueur pneumatique, capable de creuser plus vite que n’importe quel terrassier, John Henry relève le défi. Il peut faire mieux. Ce n’est pas une mécanique qui lui fera baisser les bras. L’homme vaut mieux que la machine. John Henry sait bien qu’avec les marteaux et les pieux d’acier, on licenciera ceux qui les manient. Le marteau pneumatique, c’est le chômage. John Henry n’est plus un esclave. Il est libre : libre de devoir gagner sa vie, et celle de sa famille ; libre aussi d’être réduit à la misère, si les patrons n’ont plus besoin de ses bras pour gagner de l’argent.

« John Henry » est l’une des plus anciennes chansons connues du folklore afro-américain ( fin du XIXe siècle) Ce n’est pas un blues. Elle est sans doute antérieure à l’émergence même du blues.

Pablo Neruda IV

Isla Negra (Chile) . Casa Museo Pablo Neruda.

Nacimiento

Nació un hombre
entre muchos
que nacieron.
Vivió entre muchos hombres
que vivieron.
Y esto no tiene historia
sino tierra
tierra central de Chile, donde
las viñas encresparon sus cabelleras verdes,
la uva se alimenta de la luz,
el vino nace de los pies del pueblo.

Parral se llama el sitio
del que nació
en invierno.

Ya no existen
la casa ni la calle:
soltó la cordillera
sus caballos,
se acumuló
el profundo
poderío,
brincaron las montañas
y cayó el pueblo
envuelto
en terremoto.
Y así muros de adobe,
retratos en los muros,
muebles desvencijados
en las salas oscuras,
silencio entrecortado por las moscas,
todo volvió
a ser polvo:
sólo algunos guardamos
forma y sangre,
sólo algunos, y el vino.

Siguió el vino viviendo,
subiendo hasta las uvas
desgranadas
por el otoño
errante,
bajó a lagares sordos,
a barricas
que se tiñeron con su suave sangre,
y allí bajo el espanto
de la tierra terrible
siguió desnudo y vivo.

Yo no tengo memoria
del paisaje ni tiempo,
ni rostros, ni figuras,
sólo polvo impalpable,
la cola del verano
y el cementerio en donde
me llevaron
a ver entre las tumbas
el sueño de mi madre.
Y como nunca vi
su cara
la llamé entre los muertos, para verla,
pero como los otros enterrados,
no sabe, no oye, no contestó nada,
y allí se quedó sola, sin su hijo,
huraña y evasiva
entre las sombras.
Y de allí soy, de aquel
Parral de tierra temblorosa,
tierra cargada de uvas
que nacieron
desde mi madre muerta.

Memorial de Isla Negra, 1964.

Isla Negra (Chile) . Casa Museo Pablo Neruda.

Max Jacob II 1876 – 1944

Portrait de Max Jacob (Amedeo Modigliani), 1920. Cincinnati Art Museum

Trépassés

Vous autres qui êtes vivants
Avec vos fils père et mère
Vous n’entendez pas crier les trépassés!

Entre Vannes et Redon
Mon âme est dans l’eau des marais
Mon drap mortuaire est pourri
Depuis que je suis enterré

Est-ce que vous pensez à la mort vous autres?

Avant peu vous gémirez
Ah! qu’il est triste de se plaindre
Plus de bonne lumière
Plus de lit de feignant, plus de sommeil

Gare à vous,
Gare à votre corps si doux
Moi je ne pensais pas davantage
A ceux qui ont quitté la terre
Et vous, mon Dieu où êtes-vous,
Vous qui me laissez dans la nuit et dans l’eau?

Poèmes de Morven le Gaëlique, 1953.

Amour du prochain

à Jean Rousselot

Qui a vu le crapaud traverser la rue? C’est un tout petit homme: une poupée n’est pas plus minuscule. Il se traîne sur les genoux: il a honte on dirait…? Non! Il est rhumatisant, une jambe reste en arrière, il la ramène! Où va-t-il ainsi? Il sort de l’égout, pauvre clown. Personne n’a remarqué ce crapaud dans la rue. Jadis personne ne me remarquait dans la rue, maintenant, les enfants se moquent de mon étoile jaune. Heureux crapaud! tu n’as pas d’étoile jaune.

1943.

Derniers poèmes en vers et en prose. Editions Gallimard, 1961.

Quimper. Maison des Jacob, 8 rue du Parc. Les Jacob habitaient au premier jusqu’en 1942 et tenaient au rez-de-chaussée un commerce de confection.