Gustave Courbet

Autoportrait de l’artiste (Désespoir – Le désespéré). (Gustave Courbet). Vers 1844-45. Qatar Museums.

Ce tableau est exposé au Musée d’Orsay depuis le 14 octobre 2025.

Selon Le Monde du 21 octobre 2025 , L’Émirat du Qatar a acquis cette toile de Gustave Courbet pour environ 50 millions d’euros auprès de Monique Cugnier-Cusenier en 2014. Cette dame, membre d’une famille originaire de Franche-Comté, est décédée en mars 2025, à 86 ans, sans descendance. Ce tableau appartenait à sa famille depuis 1881. Son aïeul, propriétaire d’une marque de spiritueux, avait été un des mécènes du peintre. L’Émirat du Qatar a consenti à prêter la toile pendant cinq ans au Musée d’ Orsay. Mais, elle partira en 2030 à Doha, pour être exposée dans le futur Art Mill Museum, un musée gigantesque d’art moderne et contemporain, conçu par l’architecte chilien Alejandro Aravena. Le ministère de la Culture et le Qatar refusent de dévoiler les termes précis ni même la durée de l’accord qui sont supposés prévoir une rotation de l’œuvre entre les deux musées. Sur le papier, une toile aussi importante aurait dû être classée trésor national. Le Ministère de la culture ne veut pas froisser le Qatar, prêteur régulier des musées français, qui, en vertu d’un accord signé en 2024, s’est engagé à injecter 10 milliards d’euros dans l’économie française d’ici à 2030, dans la transition énergétique et l’intelligence artificielle notamment, mais aussi dans la culture. On peut rappeler que le budget d’acquisition du Musée d’Orsay s’élève à 2,7 millions d’euros.

Œuvre de jeunesse de Courbet, le tableau est accroché dans la toute première salle du parcours sur le côté gauche de la nef (salle 4) dédiée à la naissance du « réalisme » et aux liens entre la Révolution de 1848 et les arts. Le tableau dialogue avec les chefs-d’œuvre de Jean-François Millet et d’Honoré Daumier.

Cartel : Cet autoportrait de jeunesse que Courbet a conservé jusqu’à sa mort appartient à la tradition des ” têtes d’étude ” dans lesquelles l’artiste fait preuve de ses capacités à peindre les passions. À ses débuts, Courbet se met en scène dans différentes poses et attitudes, trahissant à la fois une affirmation de soi et une recherche d’identité. ici, le cadrage serré, l’expression outrée, l’éclairage violent suggèrent une émotion intense et soudaine dont l’origine mystérieuse se situe en dehors du cadre du tableau.

Lorsque l’oeuvre est exposée pour la première fois à Vienne en 1873 sous le titre de Autoportrait de l’artiste, Courbet vient de s’exiler en Suisse pour échapper à une peine de prison liée à son implication dans les événements de la Commune. C’est probablement le moment où il appose sur le tableau sa signature et le date de 1841 dans un rouge sanglant. Le tableau est exposé une seconde fois à Genève en 1877, quelques semaines avant sa mort, sous le titre Désespoir.

Ainsi cette image particulièrement dramatique fait le lien entre des épisodes de grande souffrance que Courbet a connus à divers moments de sa vie, illustrant de façon saisissante les difficultés de la condition de l’artiste.

Musée d’Orsay (CFA).

César Vallejo

Mario Vargas Llosa. Madrid, février 2003 (Miguel Gener)

Mario Vargas Llosa, l’« homme-plume », Prix Nobel de Littérature en 2010, est mort à Lima dimanche 13 avril 2025. Il avait 89 ans. Nous l’avions croisé un jour dans l’aéroport de Barajas à Madrid. Échange de sourires. Beaucoup d’articles dans la presse…

Je me souviens pourtant aujourd’hui du grand poète péruvien César Vallejo.

Il est né à Santiago de Chuco le 16 mars 1892. Il est mort à Paris le 15 avril 1938.

Il avait écrit dans Pierre noire sur une pierre blanche

Me moriré en París con aguacero,
un día del cual tengo ya el recuerdo.
Me moriré en París -y no me corro-
tal vez un jueves, como es hoy de otoño.

Poemas humanos, 1939.

Pierre noire sur une pierre blanche

Je mourrai à Paris par temps de pluie,
un jour dont j’ai déjà le souvenir.
Je mourrai à Paris – pourquoi rougir –
en automne, un jeudi, comme aujourd’hui.

Poèmes humains, 1939. Traduction Jacques Ancet.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/04/17/cesar-vallejo/

Un autre poème de Vallejo…

El poeta a su amada

Amada, en esta noche tú te has crucificado
sobre los dos maderos curvados de mi beso;
y tu pena me ha dicho que Jesús ha llorado
y que hay un viernesanto más dulce que ese beso.

En esta noche rara que tanto me has mirado
la Muerte ha estado alegre y ha cantado en su hueso
En esta noche de Setiembre se ha oficiado
mi segunda caída y el más humano beso.

Amada, moriremos los dos juntos, muy juntos;
se irá secando a pausas nuestra excelsa amargura;
y habrán tocado a sombra nuestros labios difuntos

Y ya no habrá reproches en tus ojos benditos
ni volveré a ofenderte. Y en una sepultura
los dos dormiremos, como dos hermanitos.

Los heraldos negros, 1918.

Le poète à son aimée

Aimée, cette nuit tu t’es crucifiée
sur les deux madriers cintrés de mon baiser ;
et ta peine m’a dit que Jésus avait pleuré
et qu’il est un Vendredisaint plus doux que ce baiser.

En cette nuit étrange où tant tu m’as regardé ,
la Mort a été joyeuse et a sifflé dans son os.
En cette nuit de Septembre on a célébré
ma seconde chute et le plus humain des baisers.

Aimée, nous mourrons tous deux ensemble, très unis ;
de loin en loin se desséchera notre suprême amertume ;
et nos lèvres défuntes auront sonné un glas d’ombre.

Et il n’y aura plus de reproche dans tes yeux bénits ;
et je ne t’offenserai plus. Et dans une même sépulture
nous dormirons tous deux, comme frère et soeur.

Poésie complète 1919-1937. Flammarion, 2009. Traduction Nicole Réda-Euvremer.

Paco Ibáñez a chanté une partie de ce poème dans son Album “Por una canción” (PDI, 1990).

https://www.youtube.com/watch?v=xCDerd6Ci3I

Charles Baudelaire 1821-1867

Baudelaire est né le 9 avril 1821 à Paris. Il est mort dans la même ville le 31 août 1867.

On peut aimer Baudelaire, mais aussi Rimbaud. Ce n’est pas un problème.

La voix

Mon berceau s’adossait à la bibliothèque,
Babel sombre, où roman, science, fabliau,
Tout, la cendre latine et la poussière grecque,
Se mêlaient. J’étais haut comme un in-folio.

Deux voix me parlaient. L’une, insidieuse et ferme,
Disait : « La Terre est un gâteau plein de douceur ;
Je puis (et ton plaisir serait alors sans terme !)
Te faire un appétit d’une égale grosseur. »

Et l’autre : « Viens ! Oh ! viens voyager dans les rêves,
Au delà du possible, au delà du connu ! »
Et celle-là chantait comme le vent des grèves,
Fantôme vagissant, on ne sait d’où venu,

Qui caresse l’oreille et cependant l’effraye.
Á cette belle voix je dis : Oui ! C’est d’alors
Que date ce qu’on peut, hélas ! nommer ma plaie
Et ma fatalité. Derrière les décors

De l’existence immense, au plus noir de l’abîme,
Je vois distinctement des mondes singuliers,
Et, de ma clairvoyance extatique victime,
Je traîne des serpents qui mordent mes souliers.

Et c’est depuis ce temps que, pareil aux prophètes,
J’aime si tendrement le désert et la mer ;
Que je ris dans les deuils et pleure dans les fêtes,
Et trouve un goût suave au vin le plus amer ;

Que je prends très souvent les faits pour des mensonges,
Et que, les yeux au ciel, je tombe dans des trous.
Mais la Voix me console et dit : « Garde tes songes ;
Les sages n’en ont pas d’aussi beaux que les fous ! »

Ce poème est publié d’abord dans la Revue contemporaine le 28 février 1861. Il ne figure pas dans les éditions de 1857 et 1861 des Fleurs du Mal. Il est repris dans L’Artiste le 1 mars 1862 et recueilli en 1866 dans Les Épaves.

Baudelaire a presque 40 ans quand il le compose. Il évoque, dès les premiers vers, son enfance au 13 Rue Hautefeuille (Paris VI) avant la mort de son père Joseph-François Baudelaire (1759-1821). C’ est unique dans sa poésie.

Fronstispice pour Les Epaves de Charles Baudelaire. Eau-forte 1866.

Paco Ibáñez

Paco Ibáñez.

Paco Ibáñez vient d ‘avoir 90 ans le 20 novembre dernier. Cela ne l’empêche pas de commencer bientôt une mini-tournée : Barcelone le 16 janvier ( Palau de la Música ), Madrid le 27 janvier ( Teatro Coliseum ), Bilbao le 15 février ( Teatro Campos Elíseos) ainsi qu’un recital à Paris dont la date et le lieu restent à préciser.

Voir l’article de Borja Hermoso dans El País du 10/01/2024. “Paco Ibáñez, el juglar rojo: “Ya no hay indignación, ya no hay opinión, todo es yo, el ‘yoismo’!”

La más bella niña (Luis de Góngora). 1580. ” Dejadme llorar/orillas del mar “

” La poesía es como el mar, pregúntale al mar qué piensa de la crisis económica, social, cultural o moral…El mar está ahí y si quieres acercarte te recibirá con los brazos abiertos, y la poesía es igual. Si tú te alejas de la poesía, ella seguirá viviendo y siempre estará esperando.” (Paco Ibáñez. El País, 16 novembre 2024)

Luis de Góngora (Diego Velázquez). 1622. Boston, Musée des Beaux-Arts.

Manuel Vicent

Manuel Vicent (Siro). 2013.

Un bel article encore de Manuel Vicent dans El País. Envie de plus de soleil et de plus de lumière. « Mehr Licht ! (Plus de lumière !) » furent les dernières paroles de Goethe, définitivement ambiguës.

El País, 21 de diciembre de 2024

Divagaciones ante un turrón de coco

Los antiguos romanos también montaban mercadillos en el foro y por allí andarían Horacio, Ovidio y Virgilio comprando regalos

Hoy, sábado 21 de diciembre de 2024, a las tres de la madrugada en el hemisferio norte se ha producido el solsticio de invierno. La luz del sol ha empezado a crecer y así lo hará hasta que llegue el verano. Los antiguos romanos celebraban este acontecimiento con las Saturnales, unas fiestas paganas en honor a Saturno, el dios de la agricultura y la cosecha, y que originalmente transcurrían entre el 17 y el 23 de diciembre. En esencia nada ha cambiado en nuestra cultura desde entonces. Los romanos también montaban mercadillos en el foro y por allí andarían Horacio, Ovidio y Virgilio comprando regalos, velas, figuritas de barro y dulces tradicionales para amigos y parientes. Por una vez los esclavos se sentaban a la mesa y eran servidos por sus amos, como sucede en la película Plácido, de Berlanga. Las fiestas estaban presididas por la alegría de los niños y por la nostalgia de los ancianos. Como pasaba con la luz del solsticio, unos llegaban a la vida y otros la abandonaban.

Los cristianos convirtieron el sol naciente en el Niño Dios que nació en un portal. En Roma había toda clase de religiones. Uno elegía sin problemas la que más le gustaba. En aquel tiempo era muy popular un dios solar importado de Persia, llamado Mitra, que había nacido de una virgen y que moría y resucitaba cada año de la misma forma como lo hacen las semillas que primero se pudren bajo tierra y a continuación germinan, florecen y dan frutos de toda índole. En sus orígenes, el cristianismo fundado por el genio de Pablo de Tarso tomó de este dios persa toda la sustancia de su nueva religión que se expandió en los extramuros de las ciudades, primero entre judíos de la diáspora y después entre los gentiles. La nueva secta de los cristianos comenzó a ser perseguida y echada a los leones del circo no por creer en un dios extraño sino porque trataba de derribar el poder de Roma, en una lucha contra el sistema, cosa que al final logró cuando el emperador Constantino se convirtió al cristianismo y promulgó el edicto de Milán en el 313. En el Derecho Romano las deudas no pagadas podían convertirte en esclavo del acreedor. Durante su persecución, los cristianos rezaban el padrenuestro en las catacumbas, que era una oración revolucionaria y antiesclavista, puesto que pedía que las deudas fueran perdonadas. Por otra parte, el cristianismo fue creado para apaciguar a los pobres de este mundo al asegurarles que serían los primeros en sentarse en el cielo a la diestra de Dios Padre, de modo que debían dejar aquí en la tierra la rebelión para más adelante. Por su parte, el sol no perderá ni por un segundo la costumbre de ir ganando un poco de tiempo al amanecer y en su crepúsculo por la tarde.

Epifanía significa manifestación de la luz. A partir Reyes nos sorprenderá que el sol se ha demorado en el grafiti de la tapia. Ese Dios que unos creen que nació en el portal de Belén y otros que solo se trata de una fecha del almanaque, hará que se despierte la savia en los árboles cuando llegue la candelaria y después obligará a que en las ramas desnudas apunten las gemas que reventarán un poco más tarde. Habrá lluvias y sonarán los canalones; habrá nevadas y el sol de marzo producirá el deshielo y puede que se repita el milagro al que asistí hace años: un colibrí de color verde esmeralda, rojo y azul, se había detenido aleteando en el aire y con el pico cazaba una gota brillante, como de plata, que caía desde una rama del roble cargada de nieve. El sol irá madurando sobre la espalda jeroglífica de los lagartos y abril incidirá en el azúcar que liban los insectos en el corazón de las flores. Puede que en mayo se inicie la rebelión solar con la primera ola de calor sofocante que unos achacarán al cambio climático y otros a las tormentas solares, cosas que han pasado toda la vida, pero en la humanidad se seguirá extendiendo un sentimiento de culpa por lo que estamos haciendo con el planeta, puesto que los cataclismos, incendios, inundaciones, terremotos, huracanes, sucederán cada vez más a menudo y serán más destructivos, pese a los cual en los mercados habrá frutas de todas clases, cerezas y fresas en junio y uno se creerá más feliz por el hecho de haberse dado una crema en la playa, extender el cuerpo en la arena y esperar a que el sol elija entre hacerte un magnífico bronceado o un cáncer de piel. A fin de cuentas, para ser feliz basta con comprarse una camisa con palmeras y unas botas de montaña para escalar unas ruinas sin saber que es la propia la que uno escala. De pronto la luz del sol se irá apagando y cuando llegue la noche de san Juan con el solsticio de verano todos nuestros sueños de luz habrán vuelto a empezar o habrán terminado. Estas son divagaciones ante una bandeja de turrones de Navidad.

Saturnalia (Ernesto Biondi) 1905. Jardín Botánico de Buenos Aires.

Valencia en el corazón (Manuel Vicent)

Merci Manuel Vicent.

Manuel Vicent (Luis Lonjedo).

“Como todos los años, al iniciarse el otoño, la gente del Mediterráneo sabe que un día se abrirán las compuertas del cielo, comenzará a llover con una fuerza inaudita y se llevará por delante todo lo que encuentre a su paso. La furia de la riada buscará el mismo camino hasta el mar que había seguido durante miles de años sin hallar otros obstáculos que los de la propia naturaleza. Pero a lo largo del tiempo los cauces que eran de su exclusiva propiedad se fueron cegando debido a que el desarrollo económico le disputó su territorio, hasta el punto que en la servidumbre de paso del agua se han levantado pueblos, fábricas, autopistas e interpuesto millones de automóviles. Se trata de un desafío entre los hombres y la naturaleza. Está claro que contra la naturaleza no se puede. La tierra, el aire, el fuego y el agua son los cuatro elementos, que según Aristóteles, conforman la materia que te salva o te mata de forma irracional, pero también a veces según uno se comporte con ella. La tierra que te da de comer con sus frutos, puede aplastarte con un terremoto; el aire con esa brisa tan agradable que respiras puede convertirse en un huracán devastador, el fuego que arde en la chimenea es capaz de incendiar los bosques y el agua que bebes puede llevarse por delante tu vida con todos tus enseres. Los científicos habían advertido con suficiente antelación de la tragedia que se avecinaba alrededor de Valencia y no se equivocaron; sin duda algunos políticos no han estado a la altura de este cataclismo, pero si algún miserable trata de sacar partido de esta desgracia echando la culpa al adversario será como uno más que aprovecha el caos para realizar un pillaje en un supermercado. En medio de la desolación es el momento de la solidaridad y del arrojo ante el infortunio. Con muchas lágrimas los muertos serán enterrados, con el tiempo esta tragedia de Valencia será olvidada, y por nuestra parte seguiremos jugando a desafiar a la naturaleza, como siempre, sin haber aprendido nada.” (El País, 3 novembre 2024)

Valencia. La Pasarela de la Solidaridad (Reuters).

Antonio Skármeta – Arthur Rimbaud

Antonio Skármeta (Ulf Andersen). Paris, 2013.

L’écrivain chilien Antonio Skármeta est mort mardi 15 octobre à l’âge de 83 ans. il est né le 7 novembre 1940 à Antofagasta, dans le nord du Chili. Il a étudié la philosophie à l’université du Chili, où il a travaillé des années plus tard comme professeur à la faculté de philosophie et comme metteur en scène de théâtre. Après le coup d’Etat militaire d’Augusto Pinochet en 1973, il s’est exilé en Argentine puis en Allemagne, où il a été ambassadeur du Chili dans les années 2000. Il a aussi animé un programme culturel à la télévision chilienne, El show de los libros, de 1992 à 2002. Il est surtout connu comme auteur de Ardiente paciencia (1985) (Une ardente patience, Le Seuil 1985. Traduction de François Maspero) Ce roman a été adapté au cinéma en 1994 sous le titre Le Facteur (Il postino) par Michael Radford avec Massimmo Troisi et Philippe Noiret, dans le rôle de Pablo Neruda. Skármeta avait réalisé lui-même en 1983 une première version de cette histoire. Sa pièce de théâtre, El plebiscito, a été le point de départ du film de Pablo Larraín No (2012) qui évoque la participation d’un jeune publicitaire à la campagne en faveur du « non » lors du référendum chilien de 1988. Celui-ci a marqué la fin de la dictature militaire d’Augusto Pinochet et a ouvert la voie à la transition démocratique chilienne.

Le titre Ardiente paciencia rappelle le poème de Rimbaud que Neruda avait évoqué lorsqu’il avait reçu le Prix Nobel de Littérature en 1971 :

” Hace hoy cien años exactos, un pobre y espléndido poeta, el más atroz de los desesperados, escribió esta profecía: A l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides Villes. (Al amanecer, armados de una ardiente paciencia entraremos en las espléndidas ciudades.)

Yo creo en esa profecía de Rimbaud, el vidente. Yo vengo de una oscura provincia, de un país separado de todos los otros por la tajante geografía. Fui el más abandonado de los poetas y mi poesía fue regional, dolorosa y lluviosa. Pero tuve siempre confianza en el hombre. No perdí jamás la esperanza. Por eso tal vez he llegado hasta aquí con mi poesía, y también con mi bandera.

En conclusión, debo decir a los hombres de buena voluntad, a los trabajadores, a los poetas, que el entero porvenir fue expresado en esa frase de Rimbaud: solo con una ardiente paciencia conquistaremos la espléndida ciudad que dará luz, justicia y dignidad a todos los hombres.

Así la poesía no habrá cantado en vano. “

Adieu
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L’automne, déjà ! – Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, – loin des gens qui meurent sur les saisons.

L’automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l’ivresse, les mille amours qui m’ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d’âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le coeur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment… J’aurais pu y mourir… L’affreuse évocation ! J’exècre la misère.

Et je redoute l’hiver parce que c’est la saison du comfort !

  • Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d’or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée !

Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !

Suis-je trompé ? la charité serait-elle soeur de la mort, pour moi ?

Enfin, je demanderai pardon pour m’être nourri de mensonge. Et allons.

Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?

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Oui l’heure nouvelle est au moins très-sévère.

Car je puis dire que la victoire m’est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s’effacent. Mes derniers regrets détalent, – des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. – Damnés, si je me vengeais !

Il faut être absolument moderne.

Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n’ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !… Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.

Cependant c’est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.

Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c’est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, – j’ai vu l’enfer des femmes là-bas ; – et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.

avril-août, 1873.

Une saison en enfer, 1873-1874.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/05/10/arthur-rimbaud/

Isla Negra. Playa. Océano Pacífico.

Miguel Hernández

Miguel Hernández à la sortie du Congrès International des Écrivains pour la Défense de la Culture. Valence, juillet 1937 (Walter Reuter).

Miguel Hernández Gilabert est né le 30 octobre 1910 à Orihuela (province d’Alicante).

Il fait partie d’une famille de sept enfants, dont trois meurent en bas âge. Il passe son enfance et son adolescence entre l’école et le troupeau de chèvres de son père. Il doit abandonner ses études à 14 ans, mais passe de longs moments à la bibliothèque où il lit avec passion tous les auteurs du Siècle d’or espagnol.

Il commence par publier ses poèmes dans la presse locale et régionale dès 1929. Il se rend par deux fois à Madrid. Lors du deuxième voyage, Vicente Aleixandre et Pablo Neruda, qui obtiendront plus tard tous les deux le Prix Nobel de Littérature, deviennent ses grands amis. En 1936, il s’engage dans l’armée républicaine. Le 9 mars 1937, il épouse Josefina Manresa. Il aura deux fils. L’aîné, Manuel Ramón, né en décembre 1937, meurt à l’automne 1938. Á la fin de la guerre, il essaie de se rendre au Portugal, mais il est arrêté à la frontière par la police portugaise et remis à la Garde civile.

Le 18 janvier 1940, un Conseil de Guerre le condamne à mort l’accusant du délit d’adhésion à la rébellion dans une parodie de procès (Sumarios 21001 y 4407). La sentence est commuée en 30 ans d’emprisonnement le 9 juillet 1940. Miguel Hernández connaît les prisons de Madrid, Palencia, Ocaña, Alicante. Les conditions déplorables de détention ont raison de sa santé. Atteint de tuberculose, il meurt le 28 mars 1942 dans la prison Reformatorio de Alicante par manque de soins. Josefina Manresa et son second fils, Manuel Miguel (1939-1984) vivront ensuite à Elche dans une grande pauvreté.

Aujourd’hui l’aéroport d’ Alicante-Elche porte le nom du poète ainsi que l’Université d’Elche. Mais sa condamnation n’avait toujours pas été annulée par le Tribunal Suprême.

La famille, représentée par sa belle-fille, Lucía Izquierdo, et ses enfants a enfin obtenu la semaine dernière que le gouvernement annule ce jugement. Le ministre de Política Territorial y Memoria Democrática, Miguel Ángel Torres, a signé 29 déclarations d’annulation de jugements contre des personnes condamnées par la régime franquiste. Miguel Hernández en fait partie.

Une cérémonie officielle aura lieu le 31 octobre 2024 à Madrid en présence de la famille.

Un long processus va enfin de terminer. En effet, la famille avait obtenu préalablement, non sans difficultés, le soutien de la mairie d’Elche, de la Diputación de Alicante et de la Generalidad Valenciana. Mais une motion dans le même sens avait été rejetée le 26 septembre par la municipalité de sa ville natale, Orihuela, dirigée par le Partido Popular et Vox.

Orihuela. Casa-Museo Miguel Hernández. Sa chambre.

Las cárceles

I

Las cárceles se arrastran por la humedad del mundo,
van por la tenebrosa vía de los juzgados:
buscan a un hombre, buscan a un pueblo, lo persiguen,
lo absorben, se lo tragan.

Jacques Réda 1929 – 2024

Le poète Jacques Réda est décédé le 30 septembre à l’âge de 95 ans.

« Le désespoir n’existe pas pour un homme qui marche. ».

Lire ou relire :

Amen, récitatif, la tourne. Poésie Gallimard N° 221. 1988.

Les ruines de Paris. Poésie Gallimard N° 268. 1993.

Hors les murs. Poésie Gallimard N° 358. 2001.

Leçons de l’arbre et du vent. Gallimard Blanche. 2023.

Il est une forêt sans borne où je voudrais
M’enfoncer, en mourant, loin de la médecine
Qui m’impose pour vivre une foule d’extraits
Chimiques. J’y prendrais tout doucement racine,
Jusqu’au jour où, non moins en douceur, j’entrerais
D’abord aussi fragile et fin qu’une houssine,
Quitte de mes devoirs et de mes intérêts,
Dans l’absence de temps où l’Arbre se dessine
Sans crayon ni pastel, sanguine ni pinceau.
Vite, j’y deviendrais vigoureux arbrisseau.
Puis l’artiste inconnu qui conçut la rosée.
Et la houle des monts et les yeux des vivants
Me laisserait songer tout au fond du musée
Végétal où, distraits, viennent errer les vents.

Une pensée pour Nicole Réda-Euvremer.

El Profesor

El profesor (Puan. 2023). Réalisation et scénario : María Alché et Benjamín Naishtat. Photographie : Hélène Louvart. Musque : Santiago Dolan. 1h50.

Interprètes : Marcelo Subiotto. Leonardo Sbaraglia. Julieta Zylberberg. Alejandra Flechner. Andrea Frigerio. Mara Bestelli. Valentinz Posleman.

Professeur mélancolique, maladroit et introverti, Marcelo Pena enseigne depuis des années la philosophie à l’Université de Buenos Aires ( qu’on surnomme Puan, du nom de la rue où se trouve la Faculté de Philosophie et de Littérature de Buenos Aires). Comme tous les autres professeurs, il peine à gagner sa vie. Son ami et mentor Caselli meurt au début du film en faisant du footing. Pena est pressenti pour reprendre sa chaire. Mais un autre candidat débarque, Rafael Sujarchuk. Il est séduisant et charismatique. Cette ancienne connaissance de Marcelo, spécialiste de Heidegerr et fiancé à une jeune actrice à la mode, est décidé lui aussi à briguer le poste. Pena défend son université, se remet en question et surmonte peut-être sa crise existentielle en Bolivie.

Les différentes mésaventures de Marcelo sont toujours clôturées par une fermeture à l’iris comme dans les vieux films. Un des mérites du film c’est qu’il n’y a pas un seul point de vue. Le discours n’est pas fermé. Le spectateur reste libre.

Marcelo Subiotto.

Ce film reflète aussi les luttes actuelles en Argentine pour la défense des services publics et de l’éducation. En effet, sa sortie a précédé d’un mois et demi l’élection à la présidence, le 19 novembre 2023, de Javier Milei, ultralibéral d’extrême-droite qui considère les universités publiques comme des centres d’endoctrinement de gauche. El Profesor a anticipé la mobilisation actuelle des étudiants (Voir Le Monde du 19 mars 2024. En Argentine, les universités et les instituts de recherche au bord de l’effondrement ). Javier Milei menace aussi d’annuler tous les fonds destinés au cinéma et à la culture en général.

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2024/03/19/en-argentine-les-universites-et-les-instituts-de-recherche-au-bord-de-l-effondrement_6222828_1650684.html

A la fin du film, Marcelo Pena chante un célèbre tango de 1937, Niebla del Riachuelo de Juan Carlos Cobián et d’Enrique Cadícamo. Il avait été d’abord écrit pour le film de Luis Saslavky (1903-1995), La fuga (1937), et interprété par l’actrice Tita Merello (1904-2002)

Il a été repris par la suite par les plus grands chanteurs de tango. La version la plus célèbre reste celle de Roberto Goyeneche, El Polaco (1926-1994).

Roberto Goyeneche.

Niebla del Riachuelo

Turbio fondeadero donde van a recalar,
Barcos que en el muelle para siempre han de quedar,
Sombras que se alargan en la noche del dolor,
Náufragos del mundo que han perdido el corazón,
Puentes y cordajes donde el viento viene a aullar,
Barcos carboneros que jamás han de zarpar,
Torvo cementerio de las naves que al morir,
Sueñan, sin embargo, que hacia el mar han de partir.

Niebla del Riachuelo!
Amarrado al recuerdo
Yo sigo esperando.
Niebla del Riachuelo!
De ese amor, para siempre
Me vas alejando.

Nunca más volvió.
Nunca más la vi.
Nunca más su voz nombró mi nombre junto a mí
Esa misma voz que dijo: Adiós!

Sueña marinero, con tu viejo bergantín.
Bebe tus nostalgias en el sordo cafetín.
Llueve sobre el puerto, mientras tanto mi canción
Llueve lentamente sobre tu desolación.

Anclas que ya nunca, nunca más han de levar,
Bordas de lanchones sin amarras que soltar,
Triste caravana sin destino ni ilusión,
Como un barco preso en la botella del figón.

Niebla del Riachuelo!
Amarrado al recuerdo
Yo sigo esperando
Niebla del Riachuelo!
De ese amor, para siempre
Me vas alejando.
Nunca más volvió.
Nunca más la vi.
Nunca más su voz nombró mi nombre junto a mí.
Esa misma voz que dijo: Adiós!

Brouillard du Riachuelo

Sombre mouillage où s’échouent
Des bateaux qui pour toujours resteront à quai,
Ombres qui grandissent dans la nuit des douleurs,
Naufragés d’un monde qui ont perdu leur âme,
Ponts et cordages où le vent vient hurler
Navires charbonniers qui jamais ne lèveront l’ancre,
Sinistre cimetière de bateaux qui en mourant,
Rêvent encore qu’ils prennent la mer.

Brouillard du Riachuelo !
Ancré dans ma mémoire
Je continue d’attendre.
Brouillard du Riachuelo !
De cet amour, pour toujours
Tu m’éloignes.

Elle n’est jamais revenue,
Jamais je ne l’ai revue :
Plus jamais sa voix n’a murmuré mon nom près de moi,
Cette même voix qui m’a dit : adieu.

Rêve, marin, de ton vieux brigantin,
Bois tes regrets dans ton bistrot silencieux,
Il pleut sur le port, alors que ma chanson
Pleut lentement sur ton désespoir.

Ancres qui jamais, jamais plus ne seront levées
Plats-bords des bacs sans plus d’amarres à larguer.
Triste caravane sans destin ni illusion,
Comme un bateau enfermé dans une bouteille de troquet.

Brouillard du Riachuelo !
Ancré dans ma mémoire
Je continue d’attendre.
Brouillard du Riachuelo !
De cet amour, pour toujours
Je m’éloigne.
Elle n’est jamais revenue,
Jamais je ne l’ai revue.
Plus jamais sa voix n’a murmuré mon nom près de moi.
Cette même voix qui a dit : Adieu !

https://www.youtube.com/watch?v=33yqvtHVml4 (Roberto Goyeneche)

https://www.youtube.com/watch?v=BlCMhq2dpfw (Tita Morello)

https://www.youtube.com/watch?v=CGAlDwIZ0U4 (Susana Rinaldi)

La fuga (Luis Saslavsky). 1937.