Luis Cernuda

Luis Cernuda.

Le 20 février dernier, j’avais publié sur ce blog le poème de Luis Cernuda 1936. Il s’agit de l’avant-dernier poème de toute son oeuvre, le dernier étant A sus paisanos ( Á ses compatriotes ). Il fait partie du recueil Desolación de la Quimera ( Désolation de la chimère ) qui regroupe des poèmes écrits entre 1956 et 1962. Cernuda a quitté l’Espagne en février 1938 et vit en exil à México depuis novembre 1952. Il enseigne à l’Université de Californie à Los Angeles et au San Francisco State College en 1961-1962 . Il récite ses poèmes en public. Á la fin d’une de ces séances, un ancien brigadiste est venu le saluer. Il commence à écrire ce poème à San Francisco en décembre 1961 et le termine en avril 1962. La Brigade Abraham Lincoln (ou XVe Brigade internationale) était constituée de volontaires des États-Unis qui avaient servi pendant la guerre civile espagnole dans les Brigades internationales.

Luis Cernuda meurt le 5 novembre 1963 à 61 ans. Il est enterré dans la section espagnole du Panteón Jardín de la ville de México.

Je conseille la lecture de la revue Europe n° 1118-1119-1120 (Juin-juillet-août 2022) Écrivains et reporters dans la guerre d’Espagne. La traduction française de ce poème y figure (pages 13-14-15).

https://www.europe-revue.net/

1936

Recuérdalo tú y recuérdalo a otros,
Cuando asqueados de la bajeza humana,
Cuando iracundos de la dureza humana:
Este hombre solo, este acto solo, esta fe sola.
Recuérdalo tú y recúerdalo a otros.

En 1961 y en ciudad extraña,
Más de un cuarto de siglo
Después. Trivial la circunstancia,
Forzado tú a pública lectura,
Por ella con aquel hombre conversaste:
Un antiguo soldado
En la Brigada Lincoln.

Veinticinco años hace, este hombre,
Sin conocer tu tierra, para él lejana
Y extraña toda, escogió ir a ella
Y en ella, si la ocasión llegaba, decidió apostar su vida,
Juzgando que la causa allá puesta al tablero
Entonces, digna era
de luchar por la fe que su vida llenaba.

Que aquella causa aparezca perdida,
Nada importa;
Que tantos otros, pretendiendo fe en ella
Sólo atendieran a ellos mismos,
Importa menos.
Lo que importa y nos basta es la fe de uno.

Por eso otra vez hoy la causa te aparece
Como en aquellos días:
Noble y tan digna de luchar por ella.
Y su fe, la fe aquella, él la ha mantenido
A tráves de los años, la derrota,
Cuando todo parece traicionarla.
Mas esa fe, te dices, es lo que sólo importa.

Gracias, Compañero, gracias
Por el ejemplo. Gracias porque me dices
que el hombre es noble.
Nada importa que tan pocos lo sean:
Uno, uno tan sólo basta
Como testigo irrefutable
de toda la nobleza humana.

Desolación de la químera. Joaquín Mortiz, México, 1962.

1936

Souviens-t’en et que d’autres s’en souviennent,
Les écoeurés de la bassesse humaine,
Les lassés de la dureté humaine :
Cet homme seul, cet acte seul, cette foi seule,
Souviens-t’en et que d’autres s’en souviennent.

En 1961, dans une ville étrangère,
Et plus d’un quart de siècle
Après. Une circonstance banale,
la contrainte pour toi d’une lecture publique,
Où tu as parlé à cet homme :
Un ancien soldat de la Brigade Lincoln.

Voici vingt-cinq ans, cet homme,
Sans connaître ta terre, lointaine pour lui,
Tout à fait étrangère, a choisi d’y aller
Et si l’occasion s’offrait, d’y engager sa vie,
Jugeant que la cause proposée sur le tableau
Était digne
De lutter pour la foi qui emplissait sa vie.

Que cette cause-là semble perdue,
Peu importe ;
Que tant d’autres, prétendant avoir foi en elle,
Ne s’occupent que d’eux-mêmes,
Aucune importance.
Seule importe et nous suffit la foi d’un seul.

C’est pourquoi la cause aujourd’hui t’apparaît
Comme elle le fit alors :
Noble et si digne de lutter pour elle.
Et sa foi, cette foi-là, il l’a maintenue
Á travers les ans, dans la défaite,
Quand tout semblait la trahir.
Car cette foi, te disais-tu, est ce qui seul importe.

Merci Compagnon, merci
De cet exemple. Merci car tu me dis
Que l’homme est noble.
Peu importe que si peu le soient :
Un seul, il suffit d’un seul
Comme témoin irréfutable
de toute la noblesse humaine.

Traduction : Laurence Breysse-Chanet.

El concurso de cante jondo de 1922

Affiche du premier Concurso de Cante Jondo, canto primitivo andaluz, Grenade, 1922 ( Manuel Ángeles Ortiz y Hermenegildo Lanz ).

En 1922, Manuel de Falla, qui vit à Grenade depuis deux ans, met sur pied, avec certains de ses amis , un événement musical exceptionnel. Il s’agit de sauver le chant primitif andalou (el cante jondo) qui était en train de disparaître en même temps que les vieux cantaores. Il était aussi menacé par la dérive commerciale de certaines tavernes.

Le 13 et le 14 juin 1922 a lieu sur la Place de los Aljibes de l’Alhambra un concours, ouvert seulement aux amateurs. Les prix s’élèvent à 8.500 pesetas. Selon l’idée un peu naïve de Falla, il va permettre de sauver cette musique pure et primitive.

Parmi les participants se trouvent Ignacio Zuloaga, Miguel Cerón Rubio, Manuel Ángeles Ortiz, Ramón Gómez de la Serna, Santiago Rusiñol et Federico García Lorca. Ce dernier lit sa conférence Importancia histórica y artística del primitivo canto andaluz, llamado cante jondo qu’il avait déjà présenté une première fois au Centre Artistique de Grenade le 19 février 1922. Il publiera en 1931 son recueil Poema del cante jondo dont les poèmes ont été rédigés en 1921. Tous ont dans l’idée de protéger cette musique populaire et pensent que le cante jondo peut être source de création innovante.

Pastora Pavón “La Niña de los Peines”, Antonio Chacón, Ramón Montoya, La Gazpacha, Manolo Caracol (Manuel Ortega Juárez), Manuel Torre sont présents. C’est Diego Bermúdez Cala “El Tenazas de Morón” qui remporte la plus haute récompense.

“Ce furent de grandes journées au cours desquelles non seulement des intellectuels de tout le pays, mais aussi des personnalités de grande influence dans la culture européenne se sont réunis dans la ville pour exalter et ennoblir la richesse de l’art flamenco et lui donner la visibilité et la valeur nécessaires pour promouvoir sa conservation et mettre une si belle manifestation culturelle au même niveau que les autres arts reconnus comme tels”.

L’historien Maurice Legendre (1878-1955), un des initiateurs de l’hispanisme, ami de Miguel de Unamuno et proche de Manuel Falla, declare dans la revue catholique Le Correspondant du 10 juillet 1922 : “Ahora podemos decir que el canto hondo de España está salvado. El gramófono ha grabado lo que nuestra notación musical no puede captar”.

Banquet du 16 juin 1922 dans les locaux de la Asociación de Periodistas de Granada.

Miguel Hernández – Ramón Sijé

Elegía a Ramón Sijé

Miguel Hernández à Orihuela. 14 avril 1936. Inauguration de la Place Ramón Sijé.

José Marín Gutiérrez (Ramón Sijé) (Orihuela, 16 novembre 1913 – Orihuela, 24 décembre 1935), est un écrivain, essayiste, journaliste et avocat espagnol. Tout jeune, il est l’ ami de Miguel Hernández (1910-1942). Ils partagent les mêmes intérêts pour la littérature et la politique. Ramón Sijé fonde à Orihuela (Alicante) la revue Voluntad et El Gallo Crisis. Il est l’auteur d’un essai antiromantique La decadencia de la flauta y el reinado de los fantasmas, publié en 1973. Il est marqué par une idéologie catholique conservatrice. Le 13 décembre 1935, il tombe malade (infection intestinale, septicémie) et meurt onze jours plus tard. Le 14 avril 1936, Miguel Hernández lit sa célèbre élégie pour l’inauguration de la Place Ramón Sijé dans leur ville natale, Orihuela. ( Voir Miguel Hernández. Evocando a Sijé. En el ambiente de Orihuela, La Verdad, Murcia, 7 mai 1936 ).

Elegía a Ramón Sijé

(En Orihuela, su pueblo y el mío, se me ha muerto como del rayo Ramón Sijé,
a quien tanto quería…)

Yo quiero ser llorando el hortelano
de la tierra que ocupas y estercolas,
compañero del alma, tan temprano.

Alimentando lluvias, caracolas
y órganos mi dolor sin instrumento,
a las desalentadas amapolas

daré tu corazón por alimento.
Tanto dolor se agrupa en mi costado
que por doler me duele hasta el aliento.

Un manotazo duro, un golpe helado,
un hachazo invisible y homicida,
un empujón brutal te ha derribado.

No hay extensión más grande que mi herida,
lloro mi desventura y sus conjuntos
y siento más tu muerte que mi vida.

Ando sobre rastrojos de difuntos,
y sin calor de nadie y sin consuelo
voy de mi corazón a mis asuntos.

Temprano levantó la muerte el vuelo,
temprano madrugó la madrugada,
temprano estás rodando por el suelo.

No perdono a la muerte enamorada,
no perdono a la vida desatenta,
no perdono a la tierra ni a la nada.

En mis manos levanto una tormenta
de piedras, rayos y hachas estridentes
sedienta de catástrofes y hambrienta.

Quiero escarbar la tierra con los dientes,
quiero apartar la tierra parte a parte
a dentelladas secas y calientes.

Quiero minar la tierra hasta encontrarte
y besarte la noble calavera
y desamordazarte y regresarte.

Volverás a mi huerto y a mi higuera:
por los altos andamios de las flores
pajareará tu alma colmenera
de angelicales ceras y labores.
Volverás al arrullo de las rejas
de los enamorados labradores.

Alegrarás la sombra de mis cejas,
y tu sangre se irá a cada lado
disputando tu novia y las abejas.
Tu corazón, ya terciopelo ajado,
llama a un campo de almendras espumosas
mi avariciosa voz de enamorado.

A las aladas almas de las rosas
del almendro de nata te requiero,
que tenemos que hablar de muchas cosas,
compañero del alma, compañero.

10 de enero de 1936.

El rayo que no cesa, 1936.

Miguel Hernández. El rayo que no cesa. Première édition: Madrid, Ediciones Héroe, 1936.

Élégie

(Á Orihuela, son village et le mien, j’ai perdu Ramón Sijé, foudroyé avec qui j’aimais tant.)

Je veux être le jardinier en pleurs
De cette terre que tu occupes et que tu nourris,
Compagnon de mon âme si tôt parti.

Alimentant de pluies, de coquillages
Et d’orgues ma douleur sans instrument,
Aux coquelicots découragés,

Je donnerai ton cœur an pâture.
Tant de douleur se ramasse en mon flanc,
Que j’en ai mal jusqu’à mon souffle.

Le coup d’une main dure, un coup glacé,
Un coup de hache invisible et homicide,
Une poussée brutale t’as abattu.

Nulle étendue n’est plus grande que ma blessure,
Je pleure ma misère et tout ce qu’elle entraîne
Et je ressens ta mort plus que ma propre vie.

Je marche sur des chaumes de défunts,
Sans chaleur de personne et sans consolation,
Je vais de mon cœur à ma vie quotidienne.

Très tôt se leva le vol de la mort,
Très tôt apparut la pointe du jour,
Très tôt te voilà roulant sur le sol.

Je ne pardonne pas à la mort amoureuse,
Je ne pardonne pas à la vie indifférente,
Je ne pardonne ni à la terre ni au néant.

Dans mes mains, je soulève un orage
De pierres, d’éclairs et de haches stridents,
Affamé et assoiffé de catastrophes.

Je veux fouiller la terre avec mes dents,
Je veux écarter la terre bloc par bloc
Á force de morsures sèches et chaudes.

Je veux miner la terre jusqu’à te retrouver
Et embrasser ton humble crâne
T’enlever le bâillon, te faire revenir.

Tu reviendras à mon jardin, à mon figuier:
Sur les hauts échafaudages des fleurs
Oisellera ton âme butineuse
De cire et de besognes angéliques.
Tu reviendras aux murmures des grilles
Des paysans amoureux.

Tu égaieras l’ombre de mes sourcils,
Et ton sang te sera disputé
Moitié par ta fiancée, moitié par les abeilles.
Ton coeur, maintenant velours fané,
Ma voix avare d’amoureux
L’appelle vers un champ d’amandes écumeuses.

Aux âmes ailées des roses
De l’amandier de crème viens sans tarder,
Nous avons à parler de tant de choses,
Compagnon de mon âme, compagnon.

10 janvier 1936.

Anthologie bilingue de la poésie espagnole. NRF Gallimard. Bibliothèque de la Pléiade. Traduction: Yves Aguila.

Federico García Lorca

Federico García Lorca. Huerta de San Vicente.

Le premier recueil de poèmes de Federico García Lorca (Libro de Poemas) a été publié à Madrid en 1921, il y a un peu plus de cent ans. Il comprend 67 poèmes, écrits alors qu’il sortait de l’adolescence. Le poète andalou évoque un paradis perdu, la crise de l’âge adulte, le désenchantement. Il dialogue avec le paysage de son enfance (La Vega de Granada) et exprime une tension évidente. Les éléments naturels (animaux, plantes, rivières, fontaines) ont une forte charge symbolique. On y trouve aussi l’influence du folklore populaire, des chansons enfantines, de la religiosité populaire. Les poètes modernistes (Juan Ramón Jiménez, Antonio Machado) l’ont marqué, mais certaines images annoncent déjà une poésie d’avant-garde.

La sombra de mi alma

Diciembre de 1919

(Madrid)

La sombra de mi alma
huye por un ocaso de alfabetos,
niebla de libros
y palabras.

¡La sombra de mi alma!

He llegado a la línea donde cesa
la nostalgia,
y la gota de llanto se transforma
alabastro de espíritu.

(¡La sombra de mi alma!)

El copo del dolor
se acaba,
pero queda la razón y la sustancia
de mi viejo mediodía de labios,
de mi viejo mediodía
de miradas.

Un turbio laberinto
de estrellas ahumadas
enreda mi ilusión
casi marchita.

¡La sombra de mi alma!

Y una alucinación
me ordeña las miradas.
Veo la palabra amor
desmoronada.

¡Ruiseñor mío!
¡Ruiseñor!
¿Aún cantas?

Libro de poemas. 1921.

L’ombre de mon âme

Décembre 1919

(Madrid)

L’ombre de mon âme
s’enfuit dans un couchant d’alphabets,
Brouillard de livres
Et de paroles.

L’ombre de mon âme!

J’ai atteint la ligne où cesse
La nostalgie,
Où se fige la goutte des larmes,
Albâtre de l’esprit.
(L’ombre de mon âme!)

Le flocon de la peine
S’efface,
Mais en moi demeure, substance et motif,
Un ancien midi de lèvres,
Un ancien midi
De regards.

Un trouble labyrinthe
D’étoiles obscurcies
S’enlace à mes regrets
Presque fanés.

L’ombre de mon âme!

Une hallucination
Aspire mes regards.
Je vois le mot amour
Qui se délabre.

Rossignol!
Mon rossignol!
Chantes-tu toujours?

Poésies I. (Livre de poèmes. Mon village). Traduction : André Belamich, Claude Couffon.

Rubén Darío

Buste de Rubén Darío. Square de l’Amérique Latine, Paris XVII.

Rubén Darío est né le 18 janvier 1867 à Metapa (aujourd’hui Ciudad Darío). Il est mort le 6 février 1916 à León au Nicaragua . Il avait 49 ans. Ce poète est le père du modernisme littéraire en langue espagnole. Il a eu une grande influence tout au long du XX ème siècle. On l’a surnommé «príncipe de las letras castellanas». Il a été marqué par Victor Hugo, les poètes symbolistes français et Walt Whitman. Il a eu une grande influence sur Juan Ramón Jiménez, Ramón del Valle Inclán et Antonio Machado. On la retrouve aussi chez Federico García Lorca et Pablo Neruda.

Lo fatal
A René Pérez

Dichoso el árbol, que es apenas sensitivo,
y más la piedra dura, porque ésa ya no siente,
pues no hay dolor más grande que el dolor de ser vivo
ni mayor pesadumbre que la vida consciente.

Ser, y no saber nada, y ser sin rumbo cierto,
y el temor de haber sido y un futuro terror…
¡Y el espanto seguro de estar mañana muerto,
y sufrir por la vida y por la sombra y por

lo que no conocemos y apenas sospechamos,
y la carne que tienta con sus frescos racimos,
y la tumba que aguarda con sus fúnebres ramos,
¡y no saber adónde vamos,
ni de dónde venimos!…

Cantos de vida y esperanza, 1905.

Fatalité
A René Pérez

Heureux l’arbre presque insensible,
et plus encor la pierre qui elle ne sent rien,
car il n’est douleur plus grande que celle d’exister
ni plus pesant fardeau que la vie consciente.

Être, et ne rien savoir, aller sans but certain,
la peur d’avoir été, la terreur à venir…
La certitude horrible de mourir demain,
et souffrir pour la vie, pour les ténèbres et pour

l’inconnu, ce que nous pressentons à peine,
et puis la chair qui tente avec ses fraîches grappes
et la tombe béante aux funèbres rameaux,
et ne savoir où nous allons,
ni d’où nous sommes venus…

Chants de vie et d’espérance. Traduction Lionel Igersheim. Paris, éditions Sillage, 2012.

Juan Rulfo

Autoportrait de Juan Rulfo. Années 40.

Juan Rulfo (Juan Nepomuceno Carlos Pérez Rulfo Vizcaíno) est né à Apulco, district de Sayula ( état de Jalisco), le 16 mai 1917.

Enfant, il a assisté à la très violente Guerre des Cristeros (Cristiada, 1926-1929). Son père fut assassiné en juin 1923 et sa mère est morte peu après, en novembre 1927. Il se retrouve orphelin à 10 ans.

Cet écrivain mexicain est célèbre pour son recueil de nouvelles El Llano en llamas (1953) et son roman Pedro Páramo (1955). Son influence a été essentielle sur les écrivains latino-américains du XX ème siècle.

Jorge Luis Borges a dit : ” Pedro Páramo es una de las mejores novelas de las literaturas de lengua hispánica, y aun de toda la literatura. ” Gabriel García Márquez a raconté ainsi sa découverte de cet auteur : « Álvaro Mutis subió a grandes zancadas los siete pisos de mi casa con un paquete de libros, separó del montón el más pequeño y corto, y me dijo muerto de risa: ¡Lea esa vaina, carajo, para que aprenda! Era Pedro Páramo. Aquella noche no pude dormir mientras no terminé la segunda lectura. Nunca, desde la noche tremenda en que leí la Metamorfosis de Kafka en una lúgubre pensión de estudiantes de Bogotá —casi diez años atrás— había sufrido una conmoción semejante. Al día siguiente leí El llano en llamas, y el asombro permaneció intacto. » (Breves nostalgias sobre Juan Rulfo in Juan Rulfo. Toda la obra. Archivos, CSIC, Madrid, 1992.)

C’était aussi un excellent photographe. Il a également été scénariste et adaptateur pour le cinéma et la télévision. À partir de 1962 il a travaillé à l’Instituto indigenista de Mexico, organisation au service des communautés primitives indiennes dont il a dirigé ensuite le département éditorial.

Il est mort à Mexico le 8 janvier 1986.

Juan Rulfo, Pedro Páramo.

“No lo sé, Juan Preciado. Hacía tantos años que no alzaba la cara, que se me olvidó el cielo. Y aunque lo hubiera hecho, ¿qué habría ganado? El cielo está tan alto, y mis ojos tan sin mirada, que vivía contenta con saber dónde quedaba la tierra. ”

« Je n’en sais rien, Juan Preciado ; je n’ai plus levé la tête depuis tant d’années que j’ai oublié le ciel. D’ailleurs, si je l’avais fait, qu’y aurais-je gagné ? Le ciel était si haut et ma vue si basse que je m’estimais déjà heureuse de savoir où se trouvait la terre. »

Voir sur ce blog:

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/10/02/juan-rulfo-1917-1986-3/

Juan Rulfo, Clocher devant Zempoaltépetl (Oaxaca) 1955.

Federico García Lorca

Juan Remírez de Lucas à 18 ans. Dessin de Gregorio Prieto (1897-1992)

Juan Ramírez de Lucas (Albacete, 1917-Madrid, 2010) aurait été à l’origine des Sonnets de l’amour obscur. Celui que Federico surnommait “El rubio de Albacete” avait alors 19 ans. Il était étudiant et apprenti-acteur dans le Club théâtral Anfistora. Il fut plus tard critique d’art et d’architecture pour les revues Arquitectura de Madrid et Arte y Cemento de Bilbao et le journal ABC.

Juan Remírez de Lucas.

La famille du poète n’a autorisé la publication en espagnol de ces onze sonnets que le 17 mars 1984 dans le journal conservateur ABC. En 1981, André Belamich avait publié en deux tomes les oeuvres complètes de Federico García Lorca dans la Bibliothèque de La Pléiade. Dans cette édition française figuraient les Sonnets de l’amour obscur.

Noche del amor insomne

Noche arriba los dos con luna llena,
yo me puse a llorar y tú reías.
Tu desdén era un dios, las quejas mías
momentos y palomas en cadena.

Noche abajo los dos. Cristal de pena,
llorabas tú por hondas lejanías.
Mi dolor era un grupo de agonías
sobre tu débil corazón de arena.

La aurora nos unió sobre la cama,
las bocas puestas sobre el chorro helado
de una sangre sin fin que se derrama.

Y el sol entró por el balcón cerrado
y el coral de la vida abrió su rama
sobre mi corazón amortajado.

Sonetos del amor oscuro. Écrits entre 1935 et 1936. Recueil inachevé et inédit jusqu’en 1984.

Nuit de l’amour insomnieux

Nous remontions tous deux la nuit de pleine lune.
Je me mis à pleurer, et toi à rire.
Ton dédain me semblait un dieu, et mes soupirs
des colombes et des moments en chaîne.

Nous descendions tous deux la nuit. Cristal de peine,
toi, tu pleurais des lointains infinis
et ma douleur groupait des agonies
parmi le sable de ton cœur trop faible.

L’aurore nous unit sur le lit, toute blanche,
bouche appuyée contre le jet glacé
d’un sang interminable qui s’épanche.

Et le soleil entra par les volets fermés,
et le corail de vie ouvrit ses branches
sur le linceul de mon coeur consumé.

Poésies IV. Suites. Sonnets de l’amour obscur. Collection Poésie/Gallimard n°185, 1984. Traduction Albert Belamich.

Blanca Varela 1926-2009

Blanca Varela.

La poétesse péruvienne Blanca Varela est une des grandes figures de la poésie latino-américaine.

Elle s’installe à Paris en 1949. Octavio Paz l’introduit à la vie artistique et littéraire parisienne. Elle se lie d’amitié avec Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Henri Michaux, Fernand Léger, Alberto Giacometti.

Après un long séjour en France, elle vit ensuite à Florence puis à Washington où elle travaille sur des traductions et écrit des articles pour les journaux. En 1962, elle revient à Lima.

Blanca Varela est la première femme qui ait obtenu le Prix international de Poésie Federico Garcia Lorca de la Ville de Grenade en 2006. Elle a aussi reçu le Prix de Poésie ibéroaméricaine Reina Sofía en 2007.

Elle a été mariée à Fernando de Szyszlo (1925 – 2017), un des peintres péruviens contemporains les plus importants.

Elle est décédée le 12 mars 2009 à Lima à 82 ans. Son corps a été incinérée et ses cendres ont été dispersées dans la baie de Paracas.

Réserve nationale de Paracas (Pérou)

Curriculum vitae

digamos que ganaste la carrera
y que el premio
era otra carrera
que no bebiste el vino de la victoria
sino tu propia sal
que jamás escuchaste vítores
sino ladridos de perros
y que tu sombra
tu propia sombra
fue tu única
y desleal competidora.

Canto villano. Lima, Ediciones Arybalo, 1978.

Curriculum Vitae

Disons que tu as gagné la course
et que le prix
était une autre course
que tu n’as pas bu le vin de la victoire
mais ton propre sel
que tu n’as jamais écouté de vivats
mais des aboiements de chiens
et que ton ombre
ta propre ombre fut ta seule
et déloyale concurrente.

Traduction : Stéphane Chaumet.

Hundo la mano en la arena y encuentro la vértebra perdida. La extravío al instante. Sombra de marfil, desgranada. Mi padre sonríe. De este lado del mar la espuma es oscura. Huele a fiera me dice la pequeña amiga. El mar huele a vida y a muerte le respondo, supongamos que es así.
La salud aferrada a la roca. Piedra sensible a la luz. El cazador carece de manos y pies. Es ciego y desea. Y su deseo es el bosque bajo el agua, poblado de sexos en flor o de flores maestras que horadan el silencio con sus grandes picos rojos y lentos.

El libro de barro. Madrid, Ediciones del Tapir, 1993.

J’enfonce la main dans le sable et je trouve la vertèbre perdue. Je l’égare aussitôt. Ombre d’ivoire, exsangue. Mon père sourit. De ce côté-ci de la mer l’écume est noire. Elle sent le fauve me dit la petite amie. La mer sent la vie et la mort je lui réponds. Supposons que ce soit vrai.

La santé aggrippée à la roche. Pierre sensible à la lumière. Mains et pieds font défaut au chasseur. Il est aveugle et en proie au désir. Et son désir c’est la forêt sous l’eau, peuplée de sexes en fleur ou de maîtresses fleurs qui percent le silence de leurs grands becs rouges et lents.

Le livre d’argile. Indigo, 2008. Traduction Claude Couffon.

¿Qué dice ese cuerpo inmóvil en su movimiento? Está solo. Lo otro es aire alrededor de la isla que danza.

Digo isla y pienso en mar. Digo mar y pienso en isla. ¿Son lo mismo?

Se suceden vacío continuo y plenitud sin nombre,

El libro de barro. Madrid, Ediciones del Tapir, 1993.

Que dit le corps immobile dans son mouvement ? Il est seul. L’air environnant l’île qui danse est ce qui est autre.

Je dis l’île et je pense : la mer. Je dis la mer et je pense : l’île. Sont-elles une seule et même chose ?

Vide continuel et plénitude sans nom se succèdent.

Le livre d’argile. Indigo, 2008. Traduction Claude Couffon.

Alejandra Pizarnik – Gérard de Nerval

Cristina Piña et Patricia Venti ont publié cette année chez Lumen une biographie : Alejandra Pizarnik, biografía de un mito que je suis en train de lire. Cette poétesse argentine est née le 29 avril 1936 à Avellaneda (Argentine) au sein d’une famille d’immigrants juifs ukrainiens. Elle a séjourné à Paris de 1960 à 1964, puis brièvement en 1968. Elle s’est suicidée à l’aube du 25 septembre 1972 à l’âge de 36 ans. Elle est très célèbre dans son pays, moins en France. La maison d’édition Ypsilon a traduit ces derniers temps plusieurs de ses livres, la plupart traduits par le grand Jacques Ancet. La biographie est très décevante et manque de rigueur, à mon avis. Néanmoins, elle note l’influence de Gérard de Nerval, qu’Alejandra Pizarnik a lu et étudié avec attention, dans son oeuvre. La poétesse argentine admirait particulièrement Aurelia. Elle avait choisi comme épigraphe d’un roman qu’elle ne put jamais terminer ces vers de Nerval:

” Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !”

Gérard de Nerval (Félix Vallotton) 1900.

Le point noir

Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l’air, une tache livide.

Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux,
Sur la gloire un instant j’osai fixer les yeux :
Un point noir est resté dans mon regard avide.

Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s’arrête mon oeil,
Je la vois se poser aussi, la tache noire !

Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !
Oh ! c’est que l’aigle seul – malheur à nous, malheur !
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.

Odelettes, 1853.

Alejandra Pizarnik

31
Es un cerrar los ojos y jurar no abrirlos. En tanto afuera se alimenten de relojes y de flores nacidas de la astucia. Pero con los ojos cerrados y un sufrimiento en verdad demasiado grande pulsamos los espejos hasta que las palabras olvidadas suenan mágicamente.

32
Zona de plagas donde la dormida come
lentamente
su corazón de medianoche.

33
alguna vez
alguna vez tal vez
me iré sin quedarme
me iré como quien se va

A Ester Singer

34
la pequeña viajera
moría explicando su muerte

sabios animales nostálgicos
visitaban su cuerpo caliente

35
Vida, mi vida, déjate caer, déjate doler, mi vida, déjate enlazar de fuego, de silencio ingenuo, de piedras verdes en la casa de la noche, déjate caer y doler, mi vida.

36
en la jaula del tiempo
la dormida mira sus ojos solos

el viento le trae
la tenue respuesta de las hojas

37
más allá de cualquier zona prohibida
hay un espejo para nuestra triste transparencia

Árbol de Diana (1962)

31
C’est fermer les yeux et jurer de ne pas les ouvrir. Tandis qu’au-dehors ils se nourriront d’horloges et de fleurs nées de la ruse. Mais, les yeux fermés et une souffrance trop grande en vérité nous jouons des miroirs jusqu’à ce que les paroles oubliées résonnent magiquement.

32
Zone de fléaux où la dormeuse mange
lentement
son cœur de minuit.

33
Un jour
un jour peut-être
je m’en irai sans reste
je m’en irai comme qui s’en va

À Ester Singer

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La petite voyageuse
mourait en expliquant sa mort

de sages animaux nostalgiques
visitaient la chaleur de son corps

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vie, oh ma vie, laisse-toi tomber, laisse-toi souffrir, ma vie, laisse-toi envelopper de feu, de silence ingénu, de pierres vertes dans la maison
de la nuit, laisse-toi tomber et souffrir, oh ma vie.

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dans la cage du temps
la dormeuse regarde ses yeux seuls

le vent lui apporte
ténue la réponse des feuilles

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par-delà toute zone interdite
il y a un miroir pour notre triste transparence

Arbre de Diane. Traduction Jacques Ancet. Ypsilon éditeur, 2014. Pages 43-49.

Jorge Luis Borges

Jorge Luis Borges (Mariano Cabrera). Premio Cervantes 1979. Madrid, Biblioteca Nacional.

Son los ríos (Jorge Luis Borges)

Somos el tiempo. Somos la famosa
parábola de Heráclito el Oscuro.
Somos el agua, no el diamante duro,
la que se pierde, no la que reposa.

Somos el río y somos aquel griego
que se mira en el río. Su reflejo
cambia en el agua del cambiante espejo,
en el cristal que cambia como el fuego.

Somos el vano río prefijado,
rumbo a su mar. La sombra lo ha cercado.
Todo nos dijo adiós, todo se aleja.

La memoria no acuña su moneda.
Y sin embargo hay algo que se queda
y sin embargo hay algo que se queja.

Los conjurados, 1985.

Les fleuves

Nous sommes temps. Nous sommes la fameuse
parabole d’Héraclite l’Obscur,
nous sommes l’eau, non pas le diamant dur,
l’eau qui se perd et non pas l’eau dormeuse.

Nous sommes fleuve et nous sommes les yeux
du grec qui vient dans le fleuve se voir.
Son reflet change en ce changeant miroir,
dans le cristal changeant comme le feu.

Nous sommes le vain fleuve tout tracé,
droit vers sa mer. L’ombre l’a enlacé.
Tout nous a dit adieu et tout s’enfuit.

La mémoire ne trace aucun sillon.
Et cependant quelque chose tient bon.
Et cependant quelque chose gémit.

Traduction Jacques Ancet.