Fidelité ou lois du marché

Louise Glück.

La Wylie Agency, fondée en 1980, est une des plus puissantes agences du monde puisqu’elle représente plus de 1 100 artistes (entre autres Albert Camus, Salman Rushdie, Martin Amis, Saul Bellow, Philip Roth, Roberto Bolaño, Jorge Luis Borges, Vladimir Nabokov, John Cheever, Raymond Carver).

Le fondateur de cette maison, Andrew Wylie, est surnommé Le Chacal.

Elle représente maintenant aussi Louise Glück, Prix Nobel 2020.

La maison d’édition espagnole indépendante de Valence Pre-Textos, dirigée par Manuel Borras, a publié depuis 2006 sept des onze recueils de poèmes de Louise Glück, Prix Nobel de Littérature 2020, en édition bilingue.

El iris salvaje 2006 (The Wild Iris 1992)
Ararat 2008. (Ararat 1990)
Las siete edades 2011 (The Seven Ages. 2001)
Averno 2011 (Averno 2006)
Vita nova 2014 (Vita Nova 1999)
Praderas 2017 (Meadowlands 1997)
Una vida de pueblo 2020 (A village life 2009)

Traducteurs: Abraham Gragera López, Eduardo Chirinos Arrieta, Mirta Rosenberg, Andrés Catalán, Adalber Salas Hernández, Mariano Peyrou.

La Wylie Agency a informé Pre-Textos qu’elle devait arrêter la commercialisation des livres publiés, détruire les stocks et éliminer ces titres de son catalogue.

La revue et maison d’édition Buenos Aires Poetry a publié le 16 novembre une lettre-pétition pour soutenir Pre-Textos: “Carta Abierta: Apoyo de escritores, traductores, editores & periodistas a Editorial Pre-Textos”. http://clubdetraductoresliterariosdebaires.blogspot.com/2020/11/carta-abierta-louise-gluck-y-andrew.html?m=1

Marcos Díez. El Diario Montañés.
Andrew Wylie (Eva Becerra). Foire internationale du livre de Guadalajara (Mexique). 2016.

Francisco Brines

Francisco Brines dans sa maison d’ Oliva. 15 juin 2006 (Jesús Císcar)

Le poète Francisco Brines a obtenu hier, 16 novembre 2020, le prix Cervantès, la plus haute distinction de la littérature hispanique.

Il est né le 22 janvier 1932 à Oliva (Communauté valencienne) en 1932. C’est un des derniers représentants de la Génération de 1950 (Jaime Gil de Biedma, José María Caballero Bonald, Carlos Barral, José Ángel Valente, Claudio Rodríguez, Alfonso Costafreda, Ángel González)

Ce fils de propriétaires terriens valenciens a suivi des études de droit et de philosophie et lettres. Il a été professeur de littérature espagnole à Cambridge, puis de langue espagnole à Oxford.

Sa poésie est une célébration de la vie, de la beauté du monde et de la nature. L’oubli, le néant et le temps destructeur sont aussi très présents dans son oeuvre. Il a été influencé par des poètes comme Antonio Machado, Juan Ramón Jiménez, Luis Cernuda ou Constantin Cavafy.

Il a obtenu le Premio Nacional de las Letras Españolas en 1986 et le Premio Reina Sofía de Poesía Iberoamericana en 2010. Il est membre de la Real Academia Española depuis 2001.

Oeuvres principales:

  • Las brasas, Madrid, Colección Adonais, 1959
    • El santo inocente, Madrid, Poesía para todos, 1965.
    • Palabras a la oscuridad, Madrid, Ínsula, 1966.
    • Aún no, Barcelona, Ocnos, 1971.
    • Insistencias en Luzbel, Madrid, Visor, 1977.
    • El otoño de las rosas, Sevilla, Renacimiento, 1987.
    • La última costa, Barcelona, Tusquets, 1995.
    • Ensayo de una despedida (1960-1997). Poesía completa. Barcelone Tusquets , 1997.

Cuando yo aún soy la vida

A Justo Jorge Padrón

La vida me rodea, como en aquellos años
ya perdidos, con el mismo esplendor
de un mundo eterno. La rosa cuchillada
de la mar, las derribadas luces
de los huertos, fragor de las palomas
en el aire, la vida en torno a mí,
cuando yo aún soy la vida.
Con el mismo esplendor, y envejecidos ojos,
y un amor fatigado.

¿Cuál será la esperanza? Vivir aún;
y amar, mientras se agota el corazón,
un mundo fiel, aunque perecedero.
Amar el sueño roto de la vida
y, aunque no pudo ser, no maldecir
aquel antiguo engaño de lo eterno.
Y el pecho se consuela, porque sabe
que el mundo pudo ser una bella verdad.

Aún no, Ocnos, Barcelona, 1971.

Quand je suis encore la vie

A Justo Jorge Padrón

La vie m’entoure, comme durant ces années
maintenant perdues, après la magnificence
d’un monde éternel. La rose estafilade
de la mer, les couleurs estompées
des jardins, le fracas des pigeons
dans l’air, la vie autour de moi,
quand je suis encore la vie.
Avec la magnificence d’autrefois, les yeux vieillis,
et un amour lassé.

Quelle espérance à présent? Vivre;
et aimer, tandis que le cœur s’épuise,
un monde fidèle, bien que périssable.
Aimer le rêve brisé de la vie
et, en dépit de l’échec, ne pas maudire
cette vieille duperie d’éternité.
Et notre cœur se console car il sait
que le monde aurait pu être une belle vérité.

Traduction Claude de Freyssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.

Epitafio romano

«No fui nada, y ahora nada soy.
Pero tú, que aún existes, bebe, goza
de la vida…, y luego ven.»

Eres un buen amigo.
Ya sé que hablas en serio, porque la amable piedra
la dictaste con vida: no es tuyo el privilegio,
ni de nadie,
poder decir si es bueno o malo
llegar ahí.

Quien lea, debe saber que el tuyo
también es mi epitafio. Valgan tópicas frases
por tópicas cenizas.

Aún no. Ocnos, Barcelone, 1971.

Épitaphe romaine

«Je ne fus rien, et rien ne suis.
Mais toi, qui es vivant, bois, profite
de la vie…et ensuite viens.»

Tu es un bon ami.
Je sais que tu parles sérieusement, car l’aimable inscription
fut dictée de ton vivant; ni toi ni personne
n’a le privilège
de pouvoir dire s’il est bon ou mauvais
d’en arriver là.

Le lecteur doit savoir que ton épitaphe
je la fais mienne. Voilà des phrases toutes faites
pour des cendres toutes faites.

Traduction Claude de Freyssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.

Bernard Sesé

Bernard Sesé (né le 27 avril 1929) est décédé le 6 novembre 2020 à Paris. C’était un universitaire, essayiste, traducteur et poète français, agrégé d’espagnol.
Il a enseigné la littérature espagnole à l’université Mohammed-V de Rabat, puis à l’université Paris I Panthéon Sorbonne ainsi qu’à l’université de Nanterre.
Il a fondé la collection Ibériques aux éditions José Corti. Il était aussi membre correspondant de l’Académie royale espagnole.
Une grande part de son travail a consisté en de multiples et importantes traductions d’ouvrages espagnols, le plus souvent en éditions bilingues, de grands mystiques comme Thérèse d’Avila à des poètes comme Antonio Machado ou Juan Ramón Jiménez, en passant par le théâtre de Pedro Calderón de la Barca. On lui doit aussi des traductions de textes en portugais de Fernando Pessoa.

Merci, Professeur, pour vos nombreux ouvrages et vos belles traductions.
“Sit tibi terra levis. Que la tierra te sea leve.”

https://www.youtube.com/watch?v=FyoH_LBniMQ

Quelques-unes de ses traductions:
. Antonio Machado, Champs de Castille, précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes, et suivi de Poésies de la guerre, traduction par Sylvie Léger et Bernard Sesé, préface de Claude Esteban, Paris, Gallimard, collection Poésies, 1981.
• Fernando Pessoa, L’Heure du diable, édition bilingue, traduction par Maria Druais et Bernard Sesé, préface de José Augusto Seabra et postface de Teresa Rita Lopes, Paris, José Corti, 1989.
• Fernando Pessoa, Message, édition bilingue, traduction par Bernard Sesé, préface de José Augusto Seabra et bibliographie par José Blanco, Paris, José Corti, 1989.
• Jean de la Croix, Les Dits de lumière et d’ amour, édition bilingue, traduction par Bernard Sesé, préface de Michel de Certeau et introduction de Jean Baruzi, Paris, José Corti, 1990.
• Juan Ramón Jiménez, Pierre et ciel, édition bilingue, préface et traduction par Bernard Sesé, Paris, José Corti, 1990.
• Pedro Calderón de la Barca, Le Prince Constant – El Príncipe Constante, édition bilingue, introduction et traduction par Bernard Sesé, Paris, Aubier, 1992.
• Pedro Calderón de la Barca, Le Magicien prodigieux – El Mágico prodigioso, édition bilingue, présentation et traduction Bernard Sesé, Paris, Aubier, 1992.
• Jean de la Croix, Poésies complètes, édition bilingue, traduction et avant-propos par Bernard Sesé, préface de Pierre Emmanuel, postface de Jorge Guillén, Paris, José Corti, 1993.
La Vie de Lazarillo de Tormès – La vida de Lazarillo de Tormes, édition bilingue, introduction de Marcel Bataillon, traduction par Bernard Sesé, Paris, Garnier-Flammarion, 1993.
• Sainte Thérèse d’Avila, Œuvres complètes, traduction et présentation par Bernard Sesé, 2 tomes, Paris, Cerf, 1995.
• Juan Ramón Jiménez, Été – Estío, édition bilingue, préface et traduction par Bernard Sesé, Paris, José Corti, 1997.
• Pedro Calderón de la Barca, La Vie est un songe – La vida es sueño, édition bilingue, traduction par Bernard Sesé, Paris, Garnier-Flammarion, 1999.
• Fernando Pessoa, Le Marin, édition bilingue, traduction par Bernard Sesé, préface de José Augusto Seabra, Paris, José Corti, 1999.
• Juan Ramón Jiménez, Éternités, édition bilingue, préface et traduction par Bernard Sesé, Paris, José Corti, 2000.
• Juan Ramón Jiménez, Poésies en vers, édition bilingue, préface et traduction par Bernard Sesé, Paris, José Corti, 2002.
• Juan Ramón Jiménez, Beauté, édition bilingue, préface et traduction par Bernard Sesé, Paris, José Corti, 2005.
• Pedro Salinas, La voix qui t’es due. La tête à l’envers. 2012
Ainsi parlait Thérèse d’Avila, édition bilingue, dits et maximes de vie choisis par Anne Pfister, traduction par Bernard Sesé, Paris, Arfuyen, 2015.

Luis Cernuda

Luis Cernuda frente al mar (Ramón Gaya).

Je ne possède pas les oeuvres complètes de Luis Cernuda. Donc, j’ai eu un peu de mal à retrouver en espagnol ce poème de Cernuda que j’avais lu dans la vieille et belle collection Poètes d’aujourd’hui chez Seghers. Étude et choix de textes de Jacques Ancet. Ce texte a été donné au Concours général en composition en langue espagnole en 2002.

El nombre

Llegue quedo tu paso
Sobre la tierra, adonde
Brilla con sombra roja
Esa haya, y vecino
Con su sombra de oro
Ese castaño, al toque
De la luz misma. Pasa
Esta hora contigo
A solas, tal si fuese
Una hora postrera,
Una primera, acaso
Umbral de muerte o vida,
Mientras gira la tarde
De indecible sosiego
Y hermosura indecible.
Con su cielo está el mundo;
Bien nuevas son las hojas;
Las flores del manzano,
Nieve mejor, sin viento
Profusamente caen;
La hierba sueño ofrece
Para el amor, y el aire
Respirado es delicia.
Hasta parece el hombre,
Tú quieto, entre los otros,
Un árbol más, amigo
Al fin en paz, la sola
Paz de toda la tierra.
Recoge el alma, y mira;
Pocos miran el mundo.
La realidad por nadie
Vista, paciente espera,
Tal criatura joven,
Espejo en unos ojos
Enamorados. Calla.
En este instante todo
Gesto humano resulta
Ocioso, y sólo un nombre
Pensado, mas no dicho
(Abril, abril), perfecto
Lo contiene y da forma
única suficiente.

Vivir sin estar viviendo (1944-1949)

Le nom

Tranquille vienne ton pas
Sur la terre, où
Brille d’une ombre rouge
Ce hêtre, et proche
Avec son ombre d’or
Ce châtaignier, sous la caresse
De la lumière même. Passe
Cette heure avec toi-même
Seul à seul, comme si c’était
La dernière heure,
La première, peut-être
Seuil de mort ou de vie,
Tandis que l’après-midi tourne
Indicible douceur
Et beauté indicible.
Le monde vit avec son ciel;
Toutes nouvelles sont les feuilles;
Et les fleurs du pommier
Plus belles que neige, sans vent,
Tombent en abondance;
L’herbe offre à l’amour
Le songe, et l’air
Qu’on respire est délice.
L’homme lui-même semble,
Toi immobile, entre les autres,
Un arbre de plus, un ami
Enfin en paix, la seule
Paix de toute la terre.
Recueille ton âme, et regarde;
Peu regardent le monde.
La réalité que personne
Ne voit, attend, patiente,
Telle une jeune créature,
Un miroir en des yeux
Pleins d’amour. Pas un mot.
En cet instant toute
Expression humaine devient
Superflue; seul un nom
Pensé, mais non pas dit
(Avril, avril), le cerne
En sa perfection et lui donne
L’Unique forme qui suffit.

Vivre sans être vivant. 1944-1949.

Traduit de l’espagnol par Jacques Ancet. Jacques Ancet, Luis Cernuda. Editions Seghers (Poètes d’aujourd’hui), 1972.

Federico García Lorca

Santoña (Cantabria). Buste de Federico García Lorca.

Federico García Lorca. Une colombe si cruelle poèmes en prose et autres textes. Edition établie, traduite de l’espagnol et postfacée par Carole Fillière, préface de Zoraida Carandell, Editions Bruno Doucey «Soleil noir», 144 pp, 16 €.

Philippe Lançon a parlé de ce livre dans Libération le 6 novembre 2020.

“FEDERICO GARCÍA LORCA, VERTIGES VERTICAUX DU POÈTE ESPAGNOL ASSASSINÉ.”

https://next.liberation.fr/livres/2020/11/06/federico-garcia-lorca-vertiges-verticaux-du-poete-espagnol-assassine_1804854

Il s’agit d’une petite anthologie de textes parfois inédits en français et souvent méconnus. D’autres se trouvent dans le tome I de la Pléiade des Oeuvres complètes de Federico García Lorca. Philippe Lançon trouve les traductions datées. J’ai relu certains de ces poèmes et jeté un coup d’oeil sur les traductions.

En el jardín de las toronjas de luna

PRÓLOGO
« (…) Asy como la sombra nuestra vida se va, que nunca más torna nyn de nos tornará.»
Pero López de Ayala, Consejos morales.

Me he despedido de los amigos que más quiero para emprender un corto pero dramático viaje. Sobre un espejo de plata encuentro, mucho antes de que amanezca, el maletín con la ropa que debo usar en la extraña tierra a que me dirijo.
El perfume tenso y frío de la madrugada bate misteriosamente el inmenso acantilado de la noche.
En la página tersa del cielo temblaba la inicial de una nube, y debajo de mi balcón un ruiseñor y una rana levantan en el aire un aspa soñolienta de sonido.
Yo, tranquilo pero melancólico, hago los últimos preparativos, embargado por sutilísimas emociones de alas y círculos concéntricos. Sobre la blanca pared del cuarto, yerta y rígida como una serpiente de museo, cuelga la espada gloriosa que llevó mi abuelo en la guerra contra el rey don Carlos de Borbón.
Piadosamente descuelgo esa espada, vestida de herrumbre amarillenta como un álamo blanco, y me la ciño recordando que tengo que sostener una gran lucha invisible antes de entrar en el jardín. Lucha extática y violentísima con mi enemigo secular, el gigantesco dragón del Sentido Común.
Una emoción aguda y elegíaca por las cosas que no han sido, buenas y malas, grandes y pequeñas, invade los paisajes de mis ojos casi ocultos por unas gafas de luz violeta. Una emoción amarga que me hace caminar hacia este jardín que se estremece en las altísimas llanuras del aire.
Los ojos de todas las criaturas golpean como puntos fosfóricos sobre la pared del porvenir… lo de atrás se queda lleno de maleza amarilla, huertos sin frutos y ríos sin agua. Jamás ningún hombre cayó de espaldas sobre la muerte. Pero yo, por un momento, contemplando ese paisaje abandonado e infinito, he visto planos de vida inédita, múltiples y superpuestos como los cangilones de una noria sin fin.
°°°°°°°
Antes de marchar siento un dolor agudo en el corazón. Mi familia duerme y toda la casa está en un reposo absoluto. El alba, revelando torres y contando una a una las hojas de los árboles, me pone un crujiente vestido de encaje lumínico.
Algo se me olvida… no me cabe la menor duda… ¡tanto tiempo preparándome! y…Señor, ¿qué se me olvida? ¡Ah! Un pedazo de madera… uno bueno de cerezo sonrosado y compacto. Creo que hay que ir bien presentado… De una jarra con flores puesta sobre mi mesilla me prendo en el ojal siniestro una gran rosa pálida que tiene un rostro enfurecido pero hierático.

Ya es la hora.
En las bandejas irregulares de las campanadas, vienen los kikirikis de los gallos.

Dans le jardin des cédrats de lune

Prologue
J’ai pris congé des amis que j’aime le plus pour entreprendre un bref mais dramatique voyage. Sur un miroir d’argent je trouve, bien avant qu’il ne fasse jour, la mallette avec les effets dont j’aurai besoin dans la terre étrange où je me rends.
Le parfum tendu et froid de l’aube vient battre mystérieusement l’immense falaise de la nuit.
Sur la page lisse du ciel tremblait l’initiale d’un nuage, et sous mon balcon un rossignol et une grenouille élèvent dans l’air une croix somnolente de mélodie.
Pour moi, tranquille et mélancolique, je fais les derniers préparatifs, en proie à de très subtiles émotions d’ailes et de cercles concentriques. Au mur blanc de la chambre, roide et figée comme un serpent de musée, pend l’épée glorieuse que porta mon aïeul dans la guerre contre le roi Charles de Bourbon.
Pieusement, je détache l’épée, revue de rouille, jaunâtre comme un peuplier blanc, et je la ceins: je me rappelle que je dois livrer une grande lutte invisible avant de pénétrer dans le jardin, lutte extatique et d’une extrême violence, contre mon ennemi séculaire, le gigantesque dragon du sens commun.
Une émotion aiguë, élégiaque, pour les choses qui n’ont pas été, bonnes et mauvaises, grandes et petites, envahit les parages de mes yeux presque cachés par des lunettes de lumière violette, une émotion triste qui me fait avancer vers ce jardin frémissant dans les très hautes plaines de l’air.
Les yeux de toutes les créatures frappent comme des points phosphorescents au mur du devenir… ce qui est en arrière demeure plein de broussaille jaune, jardins sans fruits et fleuves sans eau. Jamais aucun homme n’est tombé à la renverse sur la mort. Mais moi, en contemplant pour un instant ces lieux abandonnés et infinis, j’ai vu des plans de vie inouïe, multiples et superposés comme les godets d’une noria sans fin.
°°°
Avant de mettre en route, je sens une douleur aiguë au coeur. Ma famille dort et toute la maison est plongée dans un repos absolu. L’aube, en révélant des tours et en comptant une à une les feuilles des arbres, me met un costume crissant de dentelle lumineuse.
J’oublie quelque chose…cela ne fait aucun doute. Depuis le temps que je me prépare et…Seigneur, qu’est-ce que j’oublie? Ah! Un bout de bois, un morceau de cerisier rose et compact. Je crois qu’il faut présenter bien…D’un vase de fleurs posé à mon chevet je retire pour la mettre à ma boutonnière gauche une grande rose pâle au visage furieux mais hiératique.

C’est l’heure.
Sur les plateaux irréguliers de l’angélus arrive le chant des coqs.»

(Oeuvres complètes. Tome I. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. n° 291. Septembre 1981)
(Poésies IV, Suites Sonnets de l’amour obscur. Traduction André Belamich. Poésie/Gallimard.)

Dans le jardin des pamplemousses de lune

Prologue

J’ai pris congé de mes amis les plus tendres pour entreprendre un court mais dramatique voyage. Sur un miroir d’argent je trouve, bien avant l’aube, la valise et les habits que je dois revêtir sur les terres étranges vers lesquelles je me dirige.
Le parfum tendu et froid du petit matin frappe mystérieusement l’immense falaise de la nuit.

(Une colombe si cruelle poèmes en prose et autres textes. 2020. Traduction Carole Fillière. Éditions Bruno Doucey.)

Suites

La Diputación de Grenade a publié en 1986 une anthologie poétique, sélectionnée, présentée et annotée par Andrew A. Anderson. Cette anthologie comporte Suites (1920-1923) et Poemas en prosa (1927-1928).

André Bélamich présente ainsi les Suites:
«Poemas breves escritos entre 1920 y 1923 en la Residencia de Estudiantes o en Asquerosa (aujourd’hui Valderrubio), durante el verano. Están enlazados temáticamente y construidos por analogía con la suite musical de los siglos XVII y XVIII.
Los temas tratados no son diferentes a los de su poesía anterior, aunque sí lo son su estructura o su expresión poética. Estos poemas se caracterizan por su sujeción a un ritmo y a un tono uniforme, por la contención o el intento de objetivación, el uso del símbolo e incluso en algún momento manifiestan el influjo de la vanguardia.
Además del tema de la infancia perdida, aparece la frustración del amor, lo que pudo haber sido y no fue, la esterilidad (los hijos no nacidos), la muerte, el desarraigo, la identidad, el consuelo de la contemplación de la Naturaleza, la cosmicidad, incluso hay poemas influidos por la ciencia (fruto sin duda de lo vivido y aprendido en la Residencia de Estudiantes).»

Federico García Lorca, Carta a José de Ciria y Escalante y Melchor Fernández Almagro, 30 de julio de 1923.

« He terminado un poema, “El jardín de las toronjas de luna”, y estoy dispuesto a trabajar todo el verano sobre él, pues tengo una ilusión infinita de que sea como le he visto. Puede decirse que lo he hecho de una manera febril, pues he trabajado veinte días con sus veinte noches… pero no ha sido más que para fijarlo. Los paisajes en este poema son absolutamente inmóviles, sin viento ni ritmo alguno. Yo notaba que mis versos huían entre mis manos, que mi poesía era fugitiva y viva. Como reacción a este sentimiento, mi poema actual es extático y sonámbulo. Mi jardín es el jardín de las posibilidades, el jardín de lo que es, pero pudo ( y a veces) debió hacer sido, el jardín de las teorías que pasaron sin ser vistas y de los niños que no han nacido; cada palabra del poema es una mariposa y he tenido que ir cazándolas una a una.
Luego he sostenido una lucha con mis dos enemigos seculares (y de todos los poetas), la Elocuencia y el Sentido Común…lucha espantosa cuerpo a cuerpo como en las batallas del poema del Cid… »

Luis Cernuda

Luis Cernuda (Víctor María Cortezo). Valence, août 1937.

Luis Cernuda est sans doute l’un des poètes espagnols les plus méconnus en France de la fameuse génération de 1927, qui a compté quelques-uns des plus grands noms de la poésie européenne du XX ème siècle: Rafael Albertí, Vicente Aleixandre, Manuel Altolaguirre, Gerardo Diego, Dámaso Alonso, Jorge Guillén, Federico García Lorca, Emilio Prados, Pedro Salinas…
Luis Cernuda est né le 21 septembre 1902 à Séville. Il est mort en exil le 5 novembre 1963 à Mexico.

Te quiero

Te lo he dicho con el viento,
jugueteando como animalillo en la arena.
O iracundo como órgano tempestuoso.

Te lo he dicho con el sol,
que dora cuerpos juveniles
y sonríe en todas las cosas inocentes.

Te lo he dicho con las nubes,
frentes melancólicas que sostienen el cielo,
tristezas fugitivas.

Te lo he dicho con las plantas,
leves criaturas transparentes
que se cubren de rubor repentino.

Te lo he dicho con el agua,
vida luminosa que vela en un fondo de sombra;
te lo he dicho con el miedo,
te lo he dicho con la alegría,
con el hastío, con las terribles palabras.

Pero así no me basta:
más allá de la vida,
quiero decírtelo con la muerte;
más allá del amor,
quiero decírtelo con el olvido.

23 de abril de 1931.

Los placeres prohibidos, 1931.

Je t’aime

Je t’aime.
Je te l’ai dit avec le vent,
Qui gambade sur le sable comme un petit animal,
Ou qui s’emporte comme un orgue tumultueux.

Je te l’ai dit avec le soleil,
Qui dore la jeunesse de ces corps dénudés,
Et sourit sur toutes les choses innocentes.

Je te l’ai dit avec les nuages,
Fronts mélancoliques que soutient le ciel,
Tristesses fugitives.

Je te l’ai dit avec les plantes,
Êtres légers et transparents,
Qui tout à coup deviennent rougissants.

Je te l’ai dit avec l’eau,
Cette vie lumineuse sur un fond voilé d’ombre;
Je te l’ai dit avec la peur,
Je te l’ai dit avec la joie,
Avec le dégoût, avec les mots terribles.

Ça ne me suffit pas:
Au-delà de la vie,
Je veux te le dire avec la mort,
Au-delà de l’amour,
Je veux te le dire avec l’oubli.

Les plaisirs interdits. Presse Sorbonne Nouvelle. 2010. Traduction: Françoise ÉTIENVRE, Serge SALAÜN, Zoraida CARANDELL, Laurie-Anne LAGET, Melissa LECOINTRE.

Fin de la apariencia

Sin querer has deshecho
Cuanto mi vida era,
Menos el centro inmóvil
Del existir: la hondura
Fatal e insobornable.

Muchas veces temía
En mí y deseaba
El fin de esa apariencia
Que da valor al hombre
Para el hombre en el mundo.

Pero si deshiciste
Todo lo en mí prestado,
Me das así otra vida;
Y como ser primero
Inocente, estoy solo
Con mi mismo y contigo.

Aquel que da la vida,
La muerte da con ella.
Desasido del mundo
Por tu amor, me dejaste
Con mi vida y mi muerte.

Morir parece fácil,
La vida es lo difícil:
Ya no sé sino usarla
En ti, con este inútil
Trabajo de quererte,
Que tú no necesitas.

Con las horas contadas. 1950-52.

Pablo Neruda -Libro de las preguntas

Isla Negra (Chile). Café Restaurante Rincón del Poeta.

Libro de las preguntas, 1974, Editorial Losada, 1974.
Le livre des questions. Editions Gallimard, 1979, Traduction de Claude Couffon.
Ce livre singulier de Pablo Neruda, mort le 23 septembre 1973, est un livre posthume. Il se présente comme une série de questions sans réponses. Le poète chilien s’interroge sur la vie, la nature, la mort, la guerre, la politique.

1.
Qué cosa irrita a los volcanes
que escupen fuego, frío y furia?

Por qué Cristóbal Colón
no pudo descubrir a España?

Cuántas preguntas tiene un gato?

Las lágrimas que no se lloran
esperan en pequeños lagos?

O serán ríos invisibles
que corren hacia la tristeza?


VIII
Quel dard irrite les volcans
qui crachent feu, froid et fureur?

Et pourquoi Christophe Colomb
n’a-t-il pu découvrir l’Espagne?

Combien de questions dans un chat?

Les larmes qu’on ne verse pas
attendent-elles en petits lacs?

Ou seraient-elles des rivières
coulant cachées vers la tristesse?

11.
Hasta cuándo hablan los demás
si ya hemos hablado nosotros?

Qué diría José Martí
del pedagogo Marinello?

Cuántos años tiene Noviembre?

Qué sigue pagando el Otoño
con tanto dinero amarillo?

Cómo se llama ese cocktail
que mezcla vodka con relámpagos?


XI
Jusqu’à quand parleront les
autres si nous avons déjà parlé?

Et que dirait José Marti
du magister Marinello?

Combien d’années compte Novembre?

Que continue donc à payer
l’Automne avec ses liasses jaunes?

Quel nom porte-t-il, ce cocktail
qui mélange éclairs et vodka

20.
Es verdad que el ámbar contiene
las lágrimas de las sirenas?

Cómo se llama una flor
que vuela de pájaro en pájaro?

No es mejor nunca que tarde?

Y por qué el queso se dispuso
a ejercer proezas en Francia?

XX.

Est-il vrai que l’ambre contient
les pleurs versés par les sirènes?

Comment s’appelle cette fleur
qui vole d’un oiseau à l’autre?

Ne vaut-il mieux jamais que tard?

Et pourquoi le fromage a-t-il
pour ses exploits choisi la France?

27.
Murieron tal vez de vergüenza
estos trenes que se extraviaron?

Quién ha visto nunca el acíbar?

Dónde se plantaron los ojos
del camarada Paul Éluard?

Hay sitio para unas espinas?
le preguntaron al rosal.

XXVII
Ne seront-ils pas morts de honte
ces trains qui se sont fourvoyés?

Qui a jamais vu l’aloès?

Où les a-t-on plantés, les yeux
du camarade Paul Éluard?

Acceptez-vous quelques piquants?
a-t-on demandé au rosier.

30.
Cuando escribió su libro azul
Rubén Darío no era verde?

No era escarlata Rimbaud,
Góngora de color violeta?

Y Victor Hugo tricolor?
Y yo a listones amarillos?

Se juntan todos los recuerdos
de los pobres de las aldeas?

Y en una caja mineral
guardaron sus sueños los ricos?

XXX
En écrivant son livre bleu
Rubén Dario n’était-il vert?

Rimbaud n’était-il écarlate?
Góngora, couleur de violettes?

Et Victor Hugo, tricolore?
Et moi, tout de jaune rayé?

Se groupent-ils, les souvenirs
de tous les pauvres des villages?

Et dans un coffre minéral
le riche a-t-il rangé ses rêves?

31.
A quién le puedo preguntar
qué vine a hacer en este mundo?

Por qué me muevo sin querer,
por qué no puedo estar inmóvil?

Por qué voy rodando sin ruedas,
volando sin alas ni plumas,

y qué me dio por transmigrar
si viven en Chile mis huesos?

XXXI
Qui interroger sur ce que
je suis venu faire en ce monde?

Pourquoi me mouvoir malgré moi,
pourquoi ne puis-je être immobile?

Pourquoi rouler ainsi sans roues
et voler sans ailes ni plumes,

et qui m’a poussé vers ailleurs
si mes os vivent au Chili?

32.
Hay algo más tonto en la vida
que llamarse Pablo Neruda?

Hay en el cielo de Colombia
un coleccionista de nubes?

Por qué siempre se hacen en Londres
los congresos de los paraguas?

Sangre color de amaranto
tenía la reina de Saba?

Cuando lloraba Baudelaire
lloraba con lágrimas negras?

XXXII
S’appeler Pablo Neruda,
y a-t-il plus sot dans la vie?

Qui, dans le ciel de Colombie,
collectionnera les nuages?

Pourquoi choisit-on toujours Londres
pour les congrès de parapluies?

La reine de Saba
avait-elle un sang amarante?

Les pleurs versés par Baudelaire
quand il pleurait étaient-ils noirs?

35.
No será nuestra vida un túnel
entre dos vagas claridades?

O no será una claridad
entre dos triángulos oscuros?

O no será la vida un pez
preparado para ser pájaro?

La muerte será de no ser
o de sustancias peligrosas?

XXXV
Notre vie n’est-elle un tunnel
entre deux clartés imprécises?

Ou serait-elle une clarté
entre deux triangles obscurs?

Ou la vie est-elle un poisson
prédisposé à être oiseau?

La mort, est-ce de ne pas être,
ou d’être des corps dangereux?

44.
Dónde está el niño que yo fui,
sigue adentro de mí o se fue?

Sabe que no lo quise nunca
y que tampoco me quería?

Por qué anduvimos tanto tiempo
creciendo para separarnos?

Por qué no morimos los dos
cuando mi infancia se murió?

Y si el alma se me cayó
por qué me sigue el esqueleto?

XLIV.
Où est-il, l’enfant que je fus?
Est-il en moi? Est-il parti?

Sait-il que je ne l’ai aimé
et qu’il ne m’aimait pas non plus?

Pourquoi tout ce long bout de route,
et grandir pour nous séparer?

Pourquoi n’être pas morts tous deux
avec la mort de mon enfance?

Pourquoi, si mon âme est tombée,
ai-je conservé mon squelette ?

49
Cuando veo de nuevo el mar
el mar me ha visto o no me ha visto?

Por qué me preguntan las olas
lo mismo que yo les pregunto?

Y por qué golpean la roca
con tanto entusiasmo perdido?

No se cansan de repetir
su declaración a la arena?

XLIX
Quand je vois de nouveau la mer,
la mer m’a-t-elle vu ou non ?

Pourquoi, m’interrogeant, les vagues
me renvoient-elles mes questions ?

Pourquoi, battant le roc, ont-elles
tout cet enthousiasme perdu ?

Lasses ne sont de répéter
au sable leur déclaration ?

Julio Cortázar

La Toussaint (Jules Bastien-Lepage) v 1882 Musée des Beaux-Arts de Budapest.

Aujourd’hui, dimanche de la Toussaint, un poème de Julio Cortázar:

Los amigos
En el tabaco, en el café, en el vino,
al borde de la noche se levantan
como esas voces que a lo lejos cantan
sin que se sepa qué, por el camino.

Livianamente hermanos del destino,
dióscuros, sombras pálidas, me espantan
las moscas de los hábitos, me aguantan
que siga a flote en tanto remolino.

Los muertos hablan más pero al oído,
y los vivos son mano tibia y techo,
suma de lo ganado y lo perdido.

Así un día en la barca de la sombra,
de tanta ausencia abrigará mi pecho
esta antigua ternura que los nombra.

Salvo el crepúsculo, 1984.

Les amis
Dans le tabac, le café ou l’alcool,
au bord de la nuit ils se redressent
comme ces voix lointaines qui entonnent
une mélodie inconnue sur le chemin.

Comme s’ils étaient des frères du destin,
les ombres pâles des dioscures chassent
les mouches des habitudes et me maintiennent
à la surface d’un tourbillon constant.

Les morts aiment parler mais à l’oreille,
et les vivants sont une main et un toit
qui totalisent le gain et la perte.

Ainsi, un jour, dans la barque de l’ombre,
l’absence de ma poitrine sera habitée
par l’ancienne tendresse qui les nomme.

Crépuscule d’automne. Traduction: Silvia Baron Supervielle. Editions: José Corti. 2010.

Miguel Hernández

Miguel Hernández. Orihuela. 14 avril 1936.

L’aéroport d’ Alicante-Elche portera le nom de Miguel Hernández. La municipalité de Madrid avait détruit en février 2020 un monument inachevé dans le cimetière de la Almudena qui rappelait les noms des 2937 personnes fusillées à Madrid par la dictature franquiste de 1939 à 1944. Devaient y figurer aussi les douze derniers vers du poème El herido de Miguel Hernández, mort en prison en 1942.

Madrid. Cimetière de La Almudena.

El Herido

II

Para la libertad sangro, lucho, pervivo,
Para la libertad, mis ojos y mis manos,
como un árbol camal, generoso y cautivo,
doy a los cirujanos.

Para la libertad siento más corazones
que arenas en mi pecho: dan espumas mis venas,
y entro en los hospitales, y entro en los algodones
como en las azucenas.

Para la libertad me desprendo a balazos
de los que han revolcado su estatua por el lodo.
Y me desprendo a golpes de mis pies, de mis brazos,
de mi casa, de todo.

Porque donde unas cuencas vacías amanezcan,
ella pondrá dos piedras de futura mirada
y hará que nuevos brazos y nuevas piernas crezcan
en la carne talada.

Retoñarán aladas de savia sin otoño
reliquias de mi cuerpo que pierdo en cada herida
Porque soy como el árbol talado, que retoño:
porque aún tengo la vida.

El hombre acecha, 1938-39.

Miguel Hernández Gilabert est né à Orihuela (Alicante) le 30 octobre 1910. Il fait partie d’une famille de sept enfants dont trois meurent en bas âge. Son père, analphabète, élève des chèvres. Lui doit travailler enfant comme chevrier.

Le jeune Miguel est scolarisé dans la classe pour enfants pauvres du collège de jésuites local (Santo Domingo). Un professeur, le prêtre Luis Almarcha, remarque son intelligence. Son père accepte la scolarisation sous réserve que son fils ne renonce pas à soigner et à garder les chèvres. En raison de la crise économique et malgré les bons résultats scolaires, il retire son fils du collège à 14 ans. Le jeune Miguel a découvert la poésie qu’il aime, et malgré son père, il continue à lire en cachette grâce aux livres prêtés par Don Luis Almarcha, et un autre ami, Ramón Sijé (José Marín Gutiérrez), qui anime un cercle littéraire (Compañero del alma). Le jeune homme s’immerge dans le Siècle d’or espagnol (Cervantès, Calderón, Lope de Vega). Il s’imprégne de la poésie de Luis de Góngora et de Saint Jean de la Croix. Dès l’adolescence, il commence à écrire en cachette des poèmes, tout en gardant ses chèvres.
Miguel Hernández est donc essentiellement un poète autodidacte. En 1929, il publie ses premiers poèmes dans les journaux locaux d’Orihuela (El Pueblo) et d’Alicante (El Día) . Afin de briser sa solitude, le jeune homme devenu majeur, décide de se rendre à Madrid en 1931 pour y trouver du travail. Ce voyage est un échec et il doit revenir à Orihuela. Il prend un emploi administratif chez un notaire. Don Luis Almarcha est devenu vicaire général d’Orihuela et finance son premier recueil Perito en lunas en 1933.
Miguel Hernández s’installe définitivement à Madrid en 1934 et prend contact avec les poètes de sa génération (Federico García Lorca, Rafael Alberti, José Bergamín). Il se lie étroitement d’amitié avec Pablo Neruda, qui publie ses vers dans sa revue Caballo verde, et Vicente Aleixandre. Il participe aux Misiones pedagógicas et devient le secrétaire de José María de Cossío qui prépare une encyclopédie taurine, Los Toros.

Lorsque la guerre civile éclate en 1936, Miguel Hernández, devenu commmuniste, se met à disposition du 5 ème Régiment et devient commissaire à la culture. Il prend également part aux combats sur les fronts de Teruel, d’Andalousie et d’Estrémadure. Il participe au II Congrès des Écrivains Antifascistes à Valence et Madrid au cours de l’été de 1937.

Le 9 mars 1937, il épouse Josefina Manresa, dont il a un enfant (Manuel Ramón) en décembre 1937. Celui-ci meurt en octobre 1938, à l’âge de dix mois. En janvier 1939, naît son second fils, Manuel Miguel.

Á la fin de la guerre, il cherche à fuir au Portugal, mais il est arrêté par la police de Salazar et remis à la Garde Civile. Il est libéré une première fois en septembre 1939, mais, sur dénonciation, il est à nouveau arrêté à Orihuela et condamné à mort lors d’un procès sommaire en mars 1940. À la suite de l’intervention de divers intellectuels proches du nouveau régime, sa peine est commuée en trente années de détention. Commence alors pour lui la tournée des prisons (une dizaine) de Huelva à Madrid, en passant par Palencia et d’autres.

Miguel Hernández est transféré à la prison d’Alicante en 1940. Par suite des privations et de la faim, il contracte une grave forme de tuberculose pulmonaire. Il meurt le 28 mars 1942 à l’hôpital de la prison d’une fièvre typhoïde, à 31 ans. Il a refusé jusqu’au bout de renoncer à ses convictions politiques et d’adhérer au nouveau régime, ce qui lui aurait permis d’abréger son incarcération. Sa femme, Josefina Manresa, et leur enfant vivront dans une grande pauvreté. Sa tombe se trouve au cimetière d’Alicante.

Oeuvres:
1933 Perito en Lunas.
Quien te ha visto y quien te ve (autosacramental).
1934 El torero más valiente.
1935 Los hijos de la piedra.
1936 El rayo que no cesa.
1937 Viento del pueblo.
Teatro en la guerra.
El labrador de más aire.
1939 Sino sangriento y otros poemas.
El hombre acecha.
1951 Seis poemas inéditos y nueve más.
1952 Obra escogida.
1958 Cancionero y romancero de ausencias.
1960 Obras completas.

César Vallejo

(Marci à Marie-Paule F. et à Raymond F.)

César Vallejo. Berlin, Porte de Brandebourg, 1929.

Los nueve monstruos
Y, desgraciadamente,
el dolor crece en el mundo a cada rato,
crece a treinta minutos por segundo, paso a paso,
y la naturaleza del dolor, es el dolor dos veces
y la condición del martirio, carnívora, voraz,
es el dolor dos veces
y la función de la yerba purísima, el dolor
dos veces
y el bien de ser, dolernos doblemente.

¡Jamás, hombres humanos,
hubo tanto dolor en el pecho, en la solapa, en la cartera,
en el vaso, en la carnicería, en la aritmética!
Jamás tanto cariño doloroso,
jamás tan cerca arremetió lo lejos,
jamás el fuego nunca
jugó mejor su rol de frío muerto!
¡Jamás, señor ministro de salud, fue la salud
más mortal
y la migraña extrajo tanta frente de la frente!
Y el mueble tuvo en su cajón, dolor,
el corazón, en su cajón, dolor,
la lagartija, en su cajón, dolor.

Crece la desdicha, hermanos hombres,
más pronto que la máquina, a diez máquinas, y crece
con la res de Rousseau, con nuestras barbas;
crece el mal por razones que ignoramos
y es una inundación con propios líquidos,
con propio barro y propia nube sólida!
Invierte el sufrimiento posiciones, da función
en que el humor acuoso es vertical
al pavimento,
el ojo es visto y esta oreja oída,
y esta oreja da nueve campanadas a la hora
del rayo, y nueve carcajadas
a la hora del trigo, y nueve sones hembras
a la hora del llanto, y nueve cánticos
a la hora del hambre y nueve truenos
y nueve látigos, menos un grito.

El dolor nos agarra, hermanos hombres,
por detrás de perfíl,
y nos aloca en los cinemas,
nos clava en los gramófonos,
nos desclava en los lechos, cae perpendicularmente
a nuestros boletos, a nuestras cartas;
y es muy grave sufrir, puede uno orar…
Pues de resultas
del dolor, hay algunos
que nacen, otros crecen, otros mueren,
y otros que nacen y no mueren, otros
que sin haber nacido, mueren, y otros
que no nacen ni mueren (son los más)
y también de resultas
del sufrimiento, estoy triste
hasta la cabeza, y más triste hasta el tobillo,
de ver al pan, crucificado, al nabo,
ensangrentado,
llorando, a la cebolla,
al cereal, en general, harina,
a la sal, hecha polvo, al agua, huyendo,
al vino, un ecce-homo,
tan pálida a la nieve, al sol tan ardio!.
¡Cómo, hermanos humanos,
no deciros que ya no puedo y
ya no puedo con tanto cajón,
tanto minuto, tanta
lagartija y tanta
inversión, tanto lejos y tanta sed de sed!
Señor Ministro de Salud: ¿qué hacer?
¡Ah! desgraciadamente, hombres humanos,
hay, hermanos, muchísimo que hacer.

Poemas humanos, 1939.

Les neuf monstres

Et, malheureusement,
la douleur grandit dans le monde à tout instant,
grandit à trente minutes par seconde, pas à pas,
et la nature de la douleur, c’est la douleur deux fois
et la condition du martyre, carnivore, vorace,
c’est la douleur deux fois
et la fonction de l’herbe très pure, la douleur
deux fois
la vertu d’être, celle de souffrir doublement.

Jamais, hommes humains,
il n’y eut tant de douleur dans la poitrine, à la boutonnière, dans le portefeuille,
dans le verre, dans la boucherie, dans l’arithmétique!
Jamais tant de tendresse douloureuse,
jamais d’aussi près n’assaillit le lointain,
jamais le feu
ne joua jamais mieux son rôle de froid mort!
Jamais monsieur le ministre de la santé, la santé
ne fut plus mortelle
et la migraine n’arracha au front tant de front!
Et le meuble jamais n’eut dans son tiroir tant de douleur,
le coeur, dans son tiroir, tant de douleur,
le lézard, dans son tiroir, tant de douleur.

Le malheur grandit, frères hommes,
plus vite que la machine, à dix machines d’un coup, et grandit
avec la bête de Rousseau, avec notre barbe;
le mal grandit pour des raisons que nous ignorons
et c’est une inondation avec ses propres liquides,
sa propre fange et son propre nuage solide!
La souffrance inverse les positions, offre une scène
où l’humeur aqueuse est verticale
au pavé,
l’oeil est vu et cette oreille entendue,
et cette oreille fait entendre neuf coups de cloche à l’heure
de la foudre, et neuf éclats de rire
à l’heure du blé, et neuf sons femelles
à l’heure des larmes, et neuf cantiques
à l’heure de la faim et neuf coups de tonnerre
et neuf coups de fouet, mais pas un cri.

La douleur nous agrippe, frères hommes,
par derrière, de profil,
et nous rend fous dans les cinémas,
nous cloue sur les gramophones,
nous décloue sur nos lits, tombe perpendiculairement
à nos tickets, à nos lettres;
et c’est très grave de souffrir, l’on peut toujours prier…
Alors à cause
de la douleur, certains
naissent, d’autres grandissent, d’autres meurent,
d’autres naissent et ne meurent pas, d’autres
sans être nés meurent, et d’autres
ne naissent ni ne meurent (les plus nombreux).
Et aussi à cause
de la douleur, je suis triste
jusqu’à la tête, et plus triste jusqu’à la cheville,
de voir le pain, crucifié, le navet,
couvert de sang,
l’oignon, en sanglots,
les céréales, le plus souvent, farine,
le sel, réduit en poussière, l’eau, en fuite,
le vin, un ecce homo,
la neige si pâle, le soleil si brûlant!
Comment frères humains,
ne pas vous dire que je n’en peux plus et
que je n’en peux plus de tant de tiroirs,
tant de minutes, tant
de lézard et tant
d’inversion, tant de lointain et tant de soif de soif!
Monsieur le Ministre de la Santé, que faire?
Ah! Malheureusement, frères humains,
il y a, frères, tant et à faire.

3 Novembre 1937?
Traduction: Nicole Reda-Euvremer. César Vallejo, Poésie complète 1919-1937. Flammarion, 2009.

Je n’ai retrouvé pour le moment que le début du poème traduit par Claude Esteban.

Les neuf monstres

Et, malheureusement la douleur
s’accroît à chaque instant parmi les choses,
à trente minutes par seconde, pas à pas,
et la nature de la douleur, c’est la douleur deux fois
et la condition du martyre, vorace, carnivore
c’est la douleur deux fois
et la fonction de l’herbe la plus pure, douleur deux fois
et le bien-être, nous blesser doublement.

Jamais, hommes humains,
il n’y eut tant de douleur dans la poitrine, au revers du veston, au portefeuille,
dans le verre, la boucherie, l’arithmétique!
jamais tant de tendresse douloureuse
jamais si près l’assaut du si lointain,
jamais le feu
n’a mieux tenu son rôle de froid mort!

(Traduction Claude Esteban) Poèmes humains in Claude Esteban, Poèmes parallèles, Galilée, 1980.

Claude Esteban (El Mundo)