Philippe Jaccottet

Philippe Jaccottet.

L’ignorant

Plus je vieillis et plus je croîs en ignorance,
plus j’ai vécu, moins je possède et moins je règne.
Tout ce que j’ai, c’est un espace tour à tour
enneigé ou brillant, mais jamais habité.
Où est le donateur, le guide, le gardien?
Je me tiens dans ma chambre et d’abord je me tais
(le silence entre en serviteur mettre un peu d’ordre),
et j’attends qu’un à un les mensonges s’écartent:
que reste-t-il ? que reste-t-il à ce mourant
qui l’empêche si bien de mourir? Quelle force
le fait encor parler entre ses quatre murs?
Pourrais-je le savoir, moi l’ignare et l’inquiet?
Mais je l’entends vraiment qui parle, et sa parole
pénètre avec le jour, encore que bien vague:

«Comme le feu, l’amour n’établit sa clarté
que sur la faute et la beauté des bois en cendres… »

(L’ignorant 1952-1956, Editions Gallimard, 1957)

Albert Camus

Autres citations tirées d’Actuelles. Deux réponses à Emmanuel d’Astier de la Vigerie.

Première réponse Caliban n°16. Mai 1948.

«Il me semblait, et il me semble toujours, qu’on ne peut pas être du côté des camps de concentration. J’ai compris alors que je détestais moins la violence, que les institutions de la violence.»

«Nous sommes au temps des hurlements et un homme qui refuse cette ivresse facile fait figure de résigné. J’ai le malheur de ne pas aimer les parades, civiles ou militaires. Laissez-moi vous dire cependant, sans élever le ton, que la vraie résignation conduit à l’aveugle orthodoxie et le désespoir aux philosophies de la violence. C’est assez vous dire que je ne me résignerai jamais à rien de ce à quoi vous avez déjà consenti.»

«…Je n’ai pas appris la liberté dans Marx. Il est vrai: je l’ai apprise dans la misère.

«…Et je continue de penser qu’on ne combat pas le mauvais par le pire, mais par le moins mauvais.»

Deuxième réponse La Gauche. Octobre 1948.

«On n’a pas le mérite de sa naissance, on a celui de ses actions. Mais il faut savoir se taire sur elles pour que le mérite soit entier.»

«Mon rôle, je le reconnais, n’est pas de transformer le monde, ni l’homme: je n’ai pas assez de vertu ni de lumières pour cela. Mais il est, peut-être, de servir à ma place les quelques valeurs sans lesquelles un monde, même transformé, ne vaut pas la peine d’être vécu, sans lesquelles un homme, même nouveau, ne vaudra pas d’être respecté. C’est là ce que je veux vous dire avant de vous quitter: vous ne pouvez pas vous passer de ces valeurs, et vous les retrouverez, croyant les recréer. On ne vit pas que de lutte et de haine. On ne meurt pas toujours les armes à la main. Il y a l’histoire et il y a autre chose, le simple bonheur, la passion des êtres, la beauté naturelle. Ce sons aussi des racines, que l’histoire ignore, et l’Europe parce qu’elles les a perdues, est aujourd’hui un désert. »

Répétitions au théâtre Antoine de la pièce Les possédés. Mise en scène par Albert Camus (Jack Garofalo).

Rainer Maria Rilke (1875-1926)

Portrait de Rainer Maria Rilke. 1906.Brême, Musée Paula Modersohn-Becker.

«Je crois que je devrais commencer à travailler un peu, à présent que j’apprends à voir. J’ai vingt-huit ans et il n’est pour ainsi dire rien arrivé. Reprenons: j’ai écrit une étude sur Carpaccio qui est mauvaise, un drame intitulé Mariage qui veut démontrer une thèse fausse par des moyens équivoques, et des vers. Oui, mais des vers signifient si peu de chose quand on les a écrit jeune! On devrait attendre et butiner toute une vie durant, si possible une longue vie durant; et puis enfin, très tard, peut-être saurait-on écrire les dix lignes qui seraient bonnes. Car les vers ne sont pas, comme certains croient, des sentiments (on les a toujours assez tôt), ce sont des expériences. Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s’ouvrant le matin. Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas (c’était une joie faite pour un autre), à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela. Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient. Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups. Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.»

Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, 1910. (Traduction de Maurice Betz Paris, Émile-Paul frères, 1926 ; réédition aux éditions Points Seuil, 1980)

Ce texte a souvent été récité par Laurent Terzieff.

Entre août 1902 et juin 1903, Rilke séjourne pour la première fois à Paris pour y rédiger une monographie de Rodin. Il témoigne d’une grande admiration pour la méthode de travail du sculpteur, dont il rapporte une phrase célèbre dans une lettre à Clara Westhoff, sa femme : « […] il faut travailler, rien que travailler. Et il faut avoir patience ! » Cette période est également marquée par l’angoisse et un sentiment d’oppression que Rilke ressent au contact de Paris, entre autres à la vue des hôpitaux et de la misère. Il traduira ces impressions dans Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, qu’il commence à écrire quelques années plus tard (en 1904 et qu’il achèvera en 1910). Cette œuvre est considérée, aussi bien en raison de sa forme que de ses thèmes, comme le premier roman moderne de langue allemande.

Paris, Rue Toullier n°5. Plaque Rainer Maria Rilke.

Albert Camus

Albert Camus, 17 octobre 1957.

“Ce n’est pas me réfuter que de réfuter la non-violence. Je n’ai jamais plaidé pour elle. Et c’est une attitude qu’on me prête pour la commodité d’une polémique. Je ne pense qu’il faille répondre aux coups par la bénédiction. Je crois que la violence est inévitable, les années d’occupation me l’ont appris. Pour tout dire, il y a eu, en ce temps-là, de terribles violences qui ne m’ont posé aucun problème. Je ne dirai donc point qu’il faut supprimer toute violence, ce qui serait souhaitable, mais utopique, en effet. Je dis seulement qu’il faut refuser toute légitimation de la violence, que cette violence lui vienne d’une raison d’État absolue, ou d’une philosophie totalitaire. La violence est à la fois inévitable et injustifiable. Je crois qu’il faut lui garder son caractère exceptionnel et la resserrer dans les limites qu’on peut. Je ne prêche donc ni la non-violence, j’en sais malheureusement l’impossibilité, ni, comme disent les farceurs, la sainteté: je me connais trop pour croire à la vertu toute pure. Mais dans un monde où on s’emploie à justifier la terreur avec des arguments opposés, je pense qu’il faut apporter une limitation à la violence, la cantonner dans certains secteurs quand elle est inévitable, amortir ces effets terrifiants en l’empêchant d’aller jusqu’au bout de sa fureur. J’ai horreur de la violence confortable. J’ai horreur de ceux dont les paroles vont plus loin que les actes. C’est en cela que je me sépare de quelques-uns de nos grands esprits, dont je m’arrêterai de mépriser les appels au meurtre quand ils tiendront eux-mêmes les fusils de l’exécution.”

Deux réponses à d’Astier de la Vigerie in Actuelles. Écrits politiques, 1950. Gallimard-Folio. Première réponse publiée dans Caliban n°16. Mai 1948.

Emmanuel d’Astier de la Vigerie 1900-1969.

Emmanuel d’Astier de la Vigerie, grand résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, fonde en 1941 le mouvement Libération-Sud et le journal Libération, puis devient, en novembre 1943 et jusqu’en septembre 1944, commissaire à l’Intérieur de la France libre. Élu député après-guerre, il est l’un des «compagnons de route» du Parti communiste français, puis devient gaulliste de gauche. Fait unique dans l’ordre de la Libération, ses frères François (1886-1956) et Henri (1897-1952) sont également compagnons de la Libération.

Un grand article de Philippe Lançon sur Camus. Libération 02/01/2010.

https://next.liberation.fr/culture/2010/01/02/camus-cet-etrange-ami_602169

Miguel Hernández (1910 – 1942)

Josefina Manresa, Miguel Hernández. Jaén, avril 1937.

Umbrío por la pena, casi bruno,
porque la pena tizna cuando estalla,
donde yo no me hallo no se halla
hombre más apenado que ninguno.

Sobre la pena duermo solo y uno,
pena es mi paz y pena mi batalla,
perro que ni me deja ni se calla,
siempre a su dueño fiel, pero importuno.

Cardos y penas llevo por corona,
cardos y penas siembran sus leopardos
y no me dejan bueno hueso alguno.

No podrá con la pena mi persona
rodeada de penas y de cardos:
¡cuánto penar para morirse uno!

El rayo que no cesa, 1936.

Portada de la segunda edición de «El rayo que no cesa» (Buenos Aires, 1942), con prólogo y epílogo de Rafael Alberti.

Albert Camus

Photo d’identité d’Albert Camus.

Albert Camus est mort un 4 janvier. Mon père est né un 4 janvier.

https://www.ina.fr/video/I09335535

Albert Camus, L’Eté. La mer au plus près. 1954. «J’ai grandi dans la mer et la pauvreté m’a été fastueuse, puis j’ai perdu la mer, tous les luxes alors m’ont paru gris, la misère intolérable. Depuis, j’attends.»

                                  Carnets, II, 1942-1951 « Celui qui désespère des événements est un lâche, mais celui qui espère en la condition humaine est un fou »

Carnets III (1951-1959) “Mes dix mots préférés : le monde, la douleur, la terre, la mère, les hommes, le désert, l’honneur, la misère, l’été, la mer.”

Carnets III (1951-1959)”Ce que je désire de plus profond aujourd’hui est une mort silencieuse, qui laisserait pacifiés ceux que j’aime”.

Alger. Saint-Eugène. Vue du stade et du cimetière européen.

Albert Camus, Chroniques algériennes 1939-1958.

https://www.ina.fr/video/CAF90037025

Voir l’Algérie de Camus (Belcourt, Tipasa), celle de mon père (Oran, Blida, Alger, Bab el Oued), celle de ma mère (Blida, Alger, Bab el Oued, Saint-Eugène).

Alger. Cimetière de Saint-Eugène.

Giacomo Leopardi ( 1798 – 1837 )

Giacomo Leopardi ( A. Ferrazzi). v 1820. Recanati, Casa Leopardi.

Né en 1798 à Recanati dans les Marches, Giacomo Leopardi, physiquement contrefait et intellectuellement insatiable, est à la fois un homme d’une culture universelle et la plus complète expression de l’Italie romantique. Il se refuse à la carrière ecclésiastique en 1819, quitte le domaine familial en 1830, meurt à Naples en 1837.

L’INFINITO 
Sempre caro mi fu quest’ermo colle,
E questa siepe, che da tanta parte
Dell’ultimo orizzonte il guardo esclude.
Ma sedendo e mirando, interminati
Spazi di là da quella, e sovrumani
Silenzi, e profondissima quiete
Io nel pensier mi fingo; ove per poco
Il cor non si spaura. E come il vento
Odo stormir tra queste piante, io quello
Infinito silenzio a questa voce
Vo comparando: e mi sovvien l’eterno,
E le morte stagioni, e la presente
E viva, e il suon di lei. Così tra questa
Immensità s’annega il pensier mio;
E il naufragar m’è dolce in questo mare.

(Ecrit entre le printemps et l’automne 1819,  publié la première fois en 1825-1826 dans la revue “Nuovo Ricoglitore“)

Toujours j’aimai cette hauteur déserte
Et cette haie qui du plus lointain horizon
Cache au regard une telle étendue.
Mais demeurant et contemplant j’invente
Des espaces interminables au-delà, de surhumains
Silences et une si profonde
Tranquillité que pour peu se troublerait
Le coeur. Et percevant
Le vent qui passe dans ces feuilles – ce silence
Infini, je le vais comparant
A cette voix, et me souviens de l’éternel,
Des saisons qui sont mortes et de celle
Qui vit encor, de sa rumeur. Ainsi
Dans tant d’immensité ma pensée sombre,
Et m’abîmer est doux en cette mer.

(Traduction: Philippe Jaccottet. Poésie Gallimard 1982)

Toujours chère me fut cette colline
Solitaire, et chère cette haie
Qui refuse au regard tant de l’ultime
Horizon de ce monde. Mais je m’assieds,
Je laisse aller mes yeux, je façonne, en esprit,
Des espaces sans fin au-delà d’elle,
Des silences aussi, comme l’humain en nous
N’en connaît pas, et c’est une quiétude
On ne peut plus profonde : un de ces instants
Où peu s’en faut que le cœur ne s’effraie
Et comme alors j’entends
Le vent bruire dans ces feuillages, je compare
Ce silence infini à cette voix,
Et me revient l’éternel en mémoire
Et les saisons défuntes, et celle-ci
Qui est vivante, en sa rumeur. Immensité
En laquelle s’abîme ma pensée.
Naufrage, mais qui m’est doux dans cette mer.

(Yves Bonnefoy, Keats et Leopardi, quelques traductions nouvelles,
Mercure de France, 2000, p. 43.)

Toujours cher me fut ce coteau isolé,
et cette haie qui interdit au regard
tant de parties d’un horizon plus lointain.
Mais assis devant cette vue, des espaces
au-delà sans limites, de surhumains
silences, la tranquillité très profonde
je forme en ma pensée; à quoi, pour un peu,
s’effraierait le coeur. Et comme j’entends bruire
le vent parmi ces plantes-ci, le silence
infini là-bas, je le compare encore
à cette voix; et me revient l’éternel,
et les saisons mortes, et puis la présente
et vive, et le son d’elle. Ainsi parmi cette
immensité ma pensée va s’engloutir:
et le naufrage m’est doux dans cette mer.

(Traduction: Jean-Charles Vegliante. Revue Europe juin-juillet 1998)

Giuseppe Tomasi di Lampedusa (1896 – 1957)

 

Giuseppe Tomasi di Lampedusa.

Le Guépard.

Le Guépard (traduit par Jean-Paul Manganaro) Le Seuil, 2007.

«Le Prince se sentait découragé: «Tout cela ne devrait pas durer ; pourtant cela durera toujours ; le toujours humain bien entendu, un siècle, deux siècles ; après quoi, ce sera différent mais pire. Nous fûmes les Guépards, les Lions : ceux qui nous succéderons seront les Chacals, les Hyènes. Et nous tant que nous sommes, Guépards, Chacals, Brebis, nous continuerons à nous considérer comme le sel de la terre.”

“ Non dovrebbe poter durare, ma durerà sempre. Il sempre umano, certo, uno o due secoli, e dopo tutto sarà diverso, ma sarà peggiore. Noi fummo i gattopardi, i leoni. Chi ci sostituirà saranno gli sciacalli, le iene. E tutti quanti, gattopardi, leoni, sciacalli o pecore, continueremo a crederci il sale della terra.”

«Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change»

«Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi!»

Franz Kafka

Franz Kafka 1906.

Les arbres

Car nous sommes comme les troncs d’arbre dans la neige. On dirait qu’ils reposent bien à plat et que d’une petite poussée on devrait pouvoir les faire bouger de là. Et non, on n’y arrive pas, car ils sont solidement arrimés au sol. Mais voilà, même ça n’est qu’une apparence.

Observation, entre septembre et décembre 1907.

Nouvelles et récits. Oeuvres complètes I. Bibliothèque de la Pléiade. 2018. Edition publiée sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre.

C’est le récit le plus court jamais publié par Kafka.

Amos Oz a évoqué ce texte de Kafka à Prague lorsque lui fut remis le Prix Franz Kafka  le 24 octobre 2013:

“Hace 60 años, una noche de invierno, en el kibutz Hulda, un chico de 15 años leyó este fragmento de Kafka, y se sintió transformado: los árboles, las colinas, los aullidos de los chacales en la noche invernal, todo había dejado de ser sencillo. Hay una realidad, y hay una realidad interior, y más. Los hechos pueden convertirse en el peor enemigo de la verdad. Este relato, Los árboles, no solo fue mi primer contacto con Kafka, sino que leerlo, como leer sus demás obras, contribuyó enormemente a mi formación. ” (El País, 30/11/2013)

Amos Oz. Madrid, Hotel Palace. 2004. (Claudio Álvarez).

Amos Oz (1939 – 2018)

Amos Oz 2015 (Edward Karpov).

L’année 2018 a été terrible pour la littérature israélienne. Après Aharon Appelfeld mort le 4 janvier 20, Amos Oz est décédé le 28 décembre 2018 à 79 ans.

Celui-ci est né le 4 mai 1939 à Jérusalem, alors sous contrôle britannique, dans le quartier de Kerem Avraham. Son père, Arié Klausner, originaire d’Odessa (Ukraine) et spécialiste en littérature étrangère et hébraïque, était employé à la bibliothèque du mont Scopus, devenue la bibliothèque nationale d’Israël en 1948. Sa mère, Fania Mussman, née à Rovno (Ukraine) et diplomée de l’université de Prague, donnait des cours de littérature et d’histoire à des lycéens. Sa famille, sioniste mais peu religieuse, avait émigré en Palestine au début des années 30. Enfant unique, il est élevé seulement en hébreu alors que son père parlait onze langues. Sa mère se suicide à 38 ans alors que, lui, a 12 ans. En 1955, il quitte sa famille et s’installe au kibboutz Houlda. Il prend alors le nom d’Oz, «force» en hébreu. Son vrai nom, Klausener, signifie le «reclus» en allemand. Il suit des études de littérature et de philosophie à l’Université hébraïque de Jérusalem. Il se marie en 1960 avec Nily et a trois enfants (Fania, Galia et Daniel). Il est professeur de littérature à l’université Ben Gourion de Beer-Sheva. Il vit avec sa famille à Houlda jusqu’en 1986, puis s’établit à Arad, au seuil de désert du Néguev.

Il a servi dans une unité de char pendant la guerre des Six-Jours (1967), puis sur le front du Golan lors de la guerre de Kippour (1973). En 1978, il contribue, avec 300 officiers réservistes, à la fondation du mouvement La Paix maintenant (Shalom Arshav). Ancien compagnon de route du Parti travailliste, il rejoint en 2008 le Meretz, le plus à gauche des partis politiques sionistes. Il défendit toute sa vie les mêmes positions, qu’il rappela dans Comment guérir un fanatique (Gallimard, 2006) comme dans son dernier livre paru en France, Chers fanatiques (Gallimard, 2018): la coexistence de deux Etats côte à côte, et la restitution aux Palestiniens des territoires occupés depuis 1967, en contrepartie de l’abandon par ceux-ci d’un droit au retour pour les réfugiés. Rappelant le droit d’Israël à se défendre contre toute attaque et celui, plus fondamental, à exister, il a soutenu son pays lors de la guerre avec le Liban en 2006 et l’opération «Plomb durci» à Gaza en 2009.

Amos Oz a écrit 18 ouvrages en hébreu, et près de 450 articles et essais. Ses œuvres sont traduites en trente-neuf langues.

1965 Les terres du chacal. Stock.
1966 Ailleurs peut-être. Calmann-Lévy 1971. Folio n°4422.
1968 Mon Michaël. Calmann-Lévy, 1973. Folio n°2756.
1971 Jusqu’à la mort. Calmann-Lévy.
1973 Toucher l’eau, toucher le vent. Calmann-Lévy 1997. Folio n° 2951.
1976 La colline du mauvais conseil. Calmann-Lévy 1978.
1978 Mon vélo et autres aventures. Stock. Ouvrage pour la jeunesse.
1979 Sous cette lumière flamboyante.
1982 Une paix parfaite.
1983 Les voix d’Israël. Calmann-Lévy.
  Dans la terre d’Israël.
1986 La Boîte noire. Calmann-Lévy, 1988. Prix Fémina étranger 1988. Folio n° 5261.
1989 Connaître une femme. Calmann-Lévy.
1994 La Troisième Sphère. Calmann-Lévy. Folio n° 5542.
1994 Ne dis pas la nuit. Calmann-Lévy.
1995 Une panthère dans la cave. Calmann-Lévy. Folio n°4032.
Les Deux Morts de ma grand-mère et autres essais. Calmann-Lévy. Folio n°4031.
1996 Un juste repos. Calmann-Lévy. Folio n° 2802.
L’histoire commence. Calmann-Lévy, 1996.
2002 Seule la mer. Gallimard. Folio n° 4185.
2002 Une histoire d’amour et de ténèbres. Gallimard 2004 Folio n°4265. Adapté au cinéma par Natalie Portman 2016
2003 Aidez-nous à divorcer! – Israël Palestine, deux États maintenant. Gallimard, 2004.
2005 Prix Goethe de la ville de Francfort.
Soudain dans la forêt profonde. Gallimard 2006 Folio n° 4701.
Israël et Palestine. Gallimard.
2006 Comment guérir un fanatique. Gallimard. Arcades n°86.
2007 Prix Prince des Asturies des Lettres.
Vie et mort en quatre rimes. Gallimard 2008 Folio n° 4947.
2010 Scènes de vie villageoise. Gallimard. Folio n° 5311.
Entre amis. Gallimard 2013. Folio n° 5812.
2013 Prix Franz Kafka. Prague.
2014 Juifs par les mots (avec Fania Oz-Salberger) Gallimard.
Judas. Gallimard 2016 Folio n° 6505.
2018 Chers fanatiques. Gallimard.

«La nation juive existe sans aucun doute, mais elle se distingue de la plupart des autres en ce que son principe vital ne se transmet pas forcément par les gènes ou les victoires militaires, mais par les livres […]. Les Juifs ne sont pas des bâtisseurs de pyramides ni de cathédrales magnifiques, ils n’ont pas érigé la muraille de Chine ni le Taj Mahal. Non, ils rédigent des textes qu’ils lisent en famille, à l’occasion des fêtes ou des repas.» (Chers fanatiques)

«La distance grandissante qui nous sépare des horreurs de la première moitié du XXe siècle est l’une des causes de la flambée actuelle de fanatisme. A leur insu, Staline et Hitler ont transmis aux deux ou trois générations suivantes la hantise de l’extrémisme et une certaine maîtrise des pulsions fanatiques. Durant plusieurs décennies, grâce aux pires assassins du XXe siècle, les racistes avaient un peu honte de l’être. […] Depuis quelques années, c’est à croire que le “cadeau” de Staline, de Hitler ou des militaristes japonais arrivent à la date de péremption. L’effet du vaccin partiel que l’on nous a injecté s’estompe. La haine, le fanatisme, la xénophobie, […] tout cela relève de nouveau la tête.» (Chers fanatiques)

«Mi problema no es la religión, sino el fanatismo religioso. No es el cristianismo, sino la Inquisición. No es el islam, sino el yihadismo. No es el judaísmo, sino los judíos fundamentalistas. No es Jesucristo, sino los cruzados.» (El País, 11/05/2018)

«Il arrive que le cours de la vie ralentisse et chuchote, comme un filet d’eau qui s’écoule d’une gouttière et creuse une rigole dans le jardin. Soudain, une motte de terre le retient, il forme une petite flaque, hésite, cherche à saper le monticule qui lui barre la route ou à y pénétrer. A cause de cet obstacle, l’eau se ramifie en trois ou quatre ruisselets. Mais elle peut aussi capituler et s’infiltrer dans la terre. Pour en revenir à Shmuel Asch, dont les parents avaient brusquement perdu les économies de toute une vie, sans parler de ses travaux de recherche avortés, ses études interrompues et sa petite amie qui avait épousé son ex, il décida d’accepter l’emploi de la rue Harav Elbaz, les “conditions d’hébergement” et la petite rémunération mensuelle…» (Judas, 2014, page 43)

«Par un matin d’hiver quasi printanier à Jérusalem – le ciel était d’un bleu intense, l’air embaumait la résine de pin, la terre mouillée et bruissait de chants d’oiseaux. (…) La vie est comme une ombre qui passe, la mort aussi. Seule, la douleur demeure. Elle n’en finit pas, jamais.» (Judas, 2014)