Antonio Gamoneda

Antonio Gamoneda.

Caigo sobre unas manos

Cuando no sabía
aún que yo vivía en unas manos,
ellas pasaban sobre mi rostro y mi corazón.

Yo sentía que la noche era dulce
como una leche silenciosa. Y grande.
Mucho más grande que mi vida.
Madre:
era tus manos y la noche juntas.
Por eso aquella oscuridad me amaba.

No lo recuerdo pero está conmigo.
Donde yo existo más, en lo olvidado,
están las manos y la noche.
A veces,
cuando mi cabeza cuelga sobre la tierra
y ya no puedo más y está vacío
el mundo, alguna vez, sube el olvido
aún al corazón.
Y me arrodillo
a respirar sobre tus manos.
Bajo
y tú escondes mi rostro; y soy pequeño;
y tus manos son grandes; y la noche
viene otra vez, viene otra vez.
Descanso
de ser hombre, descanso de ser hombre.

Blues castellano, 1982

Je tombe sur des mains

Quand je ne savais pas
encore que j’habitais dans des mains,
elles passaient sur mon visage et sur mon cœur.

Je sentais que la nuit était douce
comme un lait silencieux. Et grande.
Bien plus grande que ma vie.
Mère :
C’était tes mains et la nuit ensemble.
Voila pourquoi cette obscurité m’aimait.

Je ne me souviens pas mais ça reste avec moi.
Là où j’existe le plus, dans l’oublié,
se trouvent les mains et la nuit.
Parfois,
quand ma tête est penchée vers la terre
et je n’en peux plus et il est vide
le monde, quelque fois, l’oubli remonte
encore vers le cœur.

Et je m’agenouille
pour respirer sur tes mains.
Je descends
et tu caches mon visage ; et je suis tout petit ;
et tes mains sont grandes ; et la nuit
vient encore une fois, vient encore une fois.
Je me repose
d’être un homme, je me repose d’être un homme.

Blues castillan. Traduction de Jacques Ancet, Éditions José Corti, 2004.

Antonio Gamoneda est né dans les Asturies à Oviedo en 1931. Il vit à León depuis 1934. Son père meurt en 1932. Sa mère l’élève dans une banlieue ouvrière, en proie à toutes sortes de difficultés matérielles. Il doit abandonner ses études en 1943 et travailler comme coursier dès 1945. Il a une formation d’autodidacte et a connu l’extrême pauvreté de l’après-guerre et la répression franquiste.
Il a obtenu de nombreux prix dont le Prix Cervantès en 2006.
Il a publié deux tomes de mémoires: Un armario lleno de sombra (2009) et La pobreza (2020). Galaxia Gutemberg. Círculo de Lectores.

Principales traductions en français :
Poèmes, traduction Roberto San Geroteo, Noire et blanche, numéro spécial, 1995.
Livre du froid, traduction et présentation Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, 1996, Antoine Soriano Editeur. 2e éd. 2005.
Pierres gravées, Jacques Ancet, Lettres Vives, 1996.
Substances, limites, in Nymphea, traduction Jacques Ancet, La Grande Os, 1997.
Cahier de mars, traduit par Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 1997.
Blues castillan, traduction Roberto San Geroteo, Noire et Blanche, 1998.
Froid des limites, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2000.
Description du mensonge
 (extraits), traduction Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 2002.
Pétale blessé, traduction Claude Houy, Trames, 2002.
Blues castillan, traduction et présentation Jacques Ancet, José Corti, 2004.
Description du mensonge, traduction et présentation Jacques Ancet, José Corti, 2004.
Passion du regard, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2004.
De l’impossibilité, traduction Amelia Gamoneda, préface Salah Stétié, Fata Morgana, 2004.
Clarté sans repos, traduction et présentation Jacques Ancet, Arfuyen, 2006.
Cecilia, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2006.
Le livre des poisons, traduction Jean-Yves Bériou. Actes Sud, 2009.

Santa Marina (Francisco de Zurbarán). Vers 1640-50. Málaga, Museo Thyssen-Bornemisza

Antonio Gamoneda

Antonio Gamoneda.

Antonio Gamoneda est né dans les Asturies à Oviedo en 1931. Il vit à León depuis 1934. Son père meurt en 1932. Sa mère l’élève dans une banlieue ouvrière, en proie à toutes sortes de difficultés matérielles. Il doit abandonner ses études en 1943 et travailler comme coursier dès 1945. Il a une formation d’autodidacte et a connu l’extrême pauvreté de l’après-guerre et la répression franquiste.
Il a obtenu de nombreux prix dont le Prix Cervantès en 2006.

Malos recuerdos

La vergüenza es un sentimiento revolucionario

Karl Marx

Llevo colgados de mi corazón
los ojos de una perra y, más abajo,
una carta de madre campesina.

Cuando yo tenía doce años,
algunos días, al anochecer,
llevábamos al sótano a una perra
sucia y pequeña.

Con un cable le dábamos y luego
con las astillas y los hierros. (Era
así. Era así.
Ella gemía,
se arrastraba pidiendo, se orinaba,
y nosotros la colgábamos para pegar mejor).

Aquella perra iba con nosotros
a las praderas y los cuestos. Era
veloz y nos amaba.

Cuando yo tenía quince años,
un día, no sé cómo, llegó a mí
un sobre con la carta de un soldado.

Le escribía su madre. No recuerdo:
«¿Cuándo vienes? Tu hermana no me habla.
No te puedo mandar ningún dinero…»

Y, en el sobre, doblados, cinco sellos
y papel de fumar para su hijo.
«Tu madre que te quiere.»
No recuerdo
el nombre de la madre del soldado.

Aquella carta no llegó a su destino:
yo robé al soldado su papel de fumar
y rompí las palabras que decían
el nombre de su madre.

Mi vergüenza es tan grande como mi cuerpo,
pero aunque tuviese el tamaño de la tierra
no podría volver y despegar
el cable de aquel vientre ni enviar
la carta del soldado.

Blues castellano, Gijón, Noega, 1982.

Mauvais souvenirs

La honte est un sentiment révolutionnaire
Karl Marx

Je porte à mon coeur pendus
les yeux d’une chienne et, plus bas,
une lettre de mère paysanne.

Quand j’avais douze ans,
un jour, à la tombée de la nuit,
nous emmenâmes à la cave une chienne
sale et petite.

Avec un câble nous la maltraitâmes et aussi
avec des échardes et des fers. (C’était
ainsi. C’était ainsi.
Elle gémissait,
elle se traînait suppliante, elle urinait,
et nous la pendions pour mieux la maltraiter).

Cette chienne venait avec nous
aux pâturages et sur les coteaux. Elle courait
vite et nous aimait.

Quand j’avais quinze ans,
un jour, je ne sais pas comment, parvint à moi
une enveloppe avec une lettre pour un soldat.

Sa mère lui écrivait. Je ne sais plus:
“Quand reviens-tu ? Ta soeur ne me parle pas.
Je ne puis t’envoyer d’argent… “

Et, dans l’enveloppe, il y avait, cinq timbres pliés
et du papier à cigarettes pour son fils.
“Ta mère qui t’aime.”
Je ne me souviens pas
du nom de la mère du soldat.

Cette lettre n’est pas arrivée à sa destination :
j’ai volé au soldat son papier à cigarettes
et j’ai déchiré les mots qui disaient
le nom de la mère.

Ma honte est aussi grande que mon corps,
mais serait-elle aussi vaste que la terre
je ne pourrais pas retourner pour détacher
le câble de ce ventre ni envoyer
la lettre au soldat.

Blues castillan. José Corti, 2004. Traduction Jacques Ancet.

Existían tus manos

Existían tus manos

Un día el mundo se quedó en silencio;
los árboles, arriba, eran hondos y majestuosos,
y nosotros sentíamos bajo nuestra piel
el movimiento de la tierra.

Tus manos fueron suaves en las mías
y yo sentí la gravedad y la luz
y que vivías en mi corazón.

Todo era verdad bajo los árboles,
todo era verdad. Yo comprendía
todas las cosas como se comprende
un fruto con la boca, una luz con los ojos.

Exentos I in Edad (Poesia 1947-1986). Cátedra, Madrid. 1987.

Il existait tes mains…

Il existait tes mains.

Un jour le monde devint silencieux ;
les arbres, là-haut, étaient profonds et majestueux,
et nous sentions sous notre peau
le mouvement de la terre.

Tes mains furent douces dans les miennes
et j’ai senti en même temps la gravité et la lumière,
et que tu vivais dans mon cœur.

Tout était vérité sous les arbres,
tout était vérité. Je comprenais
toutes choses comme on comprend
un fruit avec la bouche, une lumière avec les yeux.

Poésie espagnole, Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud /Editions Unesco, 1995. Traduction Claude de Frayssinet.




    

Antonio Gamoneda

Antonio Gamoneda (Rafael Carralero) 2007. Madrid, Biblioteca Nacional de España.

Cette semaine, j’ai acheté chez Gibert Joseph la revue Europe du mois de mars (Georges Séféris-Gilles Ortlieb). J’y ai trouvé avec plaisir un cahier de création de dix pages avec les traductions des premiers poèmes d’Antonio Gamoneda. Prix Cervantes 2006, il aura 91 ans le 30 mai. La tierra y los labios a été écrit entre 1947 et 1953. Le poète avait entre 16 et 23 ans. Ces textes ont été publiés pour la première fois par Miguel Casado en 1987 (Edad Poesia 1947-1986. Cátedra, Letras Hispanicas). Edad réunissait les oeuvres composées jusqu’alors par Gamoneda. Depuis, selon son habitude, il a réécrit un peu certains des poèmes pour la publication de Esta luz , Poesía reunida (1947–2004) ( Galaxia Gutenberg/Círculo de Lectores, 2004. Deuxième édition 2019). Ces traductions ont été réalisées par Laurence Breysse-Chanet, Professeur de littérature espagnole contemporaine, et ses étudiants de l’Université de Paris-Sorbonne.

J’en ai choisi cinq :

Te beberé el cabello
y cerraré los ojos.

Tú seguirás manando
tu cabello
turbio de besos.

1947

Je boirai tes cheveux
et fermerai les yeux.

Source tu seras toujours
de tes cheveux
troubles de baisers.

————————————–

La tarde, sobre mis hombros,
tiene el color de tus brazos.

Yo te traeré las sombras
en el hueco de mis manos,

Una corona de sombra
me harás sobre tu regazo.

Yo te apagaré la tarde
con la nieve de mis labios.

Se hará de noche en tus ojos ;
en la oscuridad del llanto.

1947

Dessus mes épaules, le soir
a la couleur de tes bras.

Je t’apporterai les ombres
dans le creux de mes deux mains,

une couronne d’ombre
tu me feras sur ton coeur.

Pour toi j’éteindrai le soir
par la neige de mes lèvres.

La nuit viendra sur tes yeux ;
dans l’obscurité des pleurs.

—————————————

El gran viento de la noche
entra, lento, en los trigales.

Deja tu mano en la mía
que son nuestros esponsales.

Te tomo porque mi pena
tiene el color de tus ojos;

porque mi pan es moreno
como tu carne.

1947

Le grand vent de la nuit
entre lent dans les blés.

Mets ta main dans la mienne :
ce sont nos fiançailles.

Tu es mienne car ma peine
a la couleur de tes yeux ;

parce que mon pain est noir
comme ta chair.

——————————————–

Es un hombre. Va solo por el campo.
Oye su corazón, cómo golpea,
y, de pronto, el hombre se detiene
y se pone a llorar sobre la tierra.

Juventud del dolor. Crece la savia
verde y amarga de la primavera.

Hacia el ocaso va. Un pájaro triste
canta entre las ramas negras.

Ya el hombre apenas llora. Se pregunta
por el sabor a muerto en su lengua.

1951

C’est un homme. Il va seul par les champs.
Écoute son coeur, comme il bat,
et, soudain, l’homme s’interrompt,
se met à pleurer sur la terre.

Jeunesse de la douleur. Monte la sève
verte et amère du printemps.

Il va vers le crépuscule. Un oiseau
triste chante parmi les branches noires.

L’homme a dès lors tari ses larmes. Il pense
à ce goût de mort de sa langue.

—————————————————-

A ti, muchacha, que, de pronto, estrenas
la juventud caliente de la risa,
a ti te estoy diciendo: eres precisa
en cierta soledad, en ciertas venas.

Crece la muerte con la vida. Apenas
le llega al corazón alguna brisa,
pero tú crecerías más deprisa;
la alegría que tú desencadenas.

Préstame, amiga, préstame temprano
tus ojos y tus pechos. Duramente
por la boca te sale mucha vida.

Esta hora es feroz. Dame la mano;
alcánzame una muerte sonriente;
pon tus labios desnudos en mi herida.

1953

Jeune fille qui étrennes soudain
la jeunesse si chaude de ton rire,
à toi je le dis : tu es nécessaire
à certaine solitude, à ses veines.

La mort grandit avec la vie. Á peine
la brise vient-elle toucher le coeur,
mais tu grandirais plus rapidement ;
par cette joie que tu sais provoquer.

Viens m’offrir, oh mon amie, viens m’offrir
tes yeux et tes seins. Je vois tant de vie
sortir durement de ta bouche aimée.

L’heure est féroce. Donne-moi la main ;
viens me donner une mort souriante ;
pose tes lèvres nues sur ma blessure.




Antonio Gamoneda

Abdulrazak Gurnah. 2017.

Le prix Nobel de littérature 2021 a été attribué le jeudi 7 octobre au romancier tanzanien Abdulrazak Gurnah, né le 20 décembre 1948 dans l’île de Zanzibar. Il est un peu connu en France pour son roman Paradise (1994. Denoël, 1997). Il est arrivé au Royaume-Uni en tant que réfugié à la fin des années 1960. Il est l’auteur de dix romans, dont Près de la mer (2001), et de nouvelles. Il vit à Brighton et a enseigné à l’université du Kent jusqu’à sa récente retraite la littérature anglaise et postcoloniale. Comme beaucoup, je n’avais jamais entendu parler de cet auteur qui ne figurait pas dans les listes qui circulent habituellement avant l’attribution du prix.

Dans le Club de La Cause Littéraire, Léon-Marc Lévy et Marien Defalvard ont cité le poète espagnol Antonio Gamoneda (né en 1931 et Prix Cervantès 2006) que j’aime depuis longtemps. J’ai donc relu ses poèmes.

tp://www.lesvraisvoyageurs.com/2020/02/28/antonio-gamoneda/

Antonio Gamoneda. Photo de jeunesse.

Il a publié deux tomes de mémoires: Un armario lleno de sombra (2009) et La pobreza (2020). Galaxia Gutemberg. Círculo de Lectores.

Después de veinte años

Cuando yo tenía catorce años
me hacían trabajar hasta muy tarde.
Cuando llegaba a casa, me cogía
la cabeza mi madre entre sus manos.

Yo era un muchacho que amaba el sol y la tierra
y los gritos de mis camaradas en el soto
y las hogueras en la noche
y todas las cosas que dan salud y amistad
y hacen crecer el corazón.

A las cinco del día, en el invierno,
mi madre iba hasta el borde de mi cama
y me llamaba por mi nombre
y acariciaba mi rostro hasta despertarme.

Yo salía a la calle y aún no amanecía
y mis ojos parecían endurecerse con el frío.

Esto no es justo, aunque era hermoso
ir por las calles y escuchar mis pasos
y sentir la noche de los que dormían
y comprenderlos como a un solo ser,
como si descansaran de la misma existencia,
todos en el mismo sueño.

Entraba en el trabajo.
La oficina
olía mal y daba pena.
Luego,
llegaban las mujeres.
Se ponían
a fregar en silencio.

Veinte años.
He sido
escarnecido y olvidado.
Ya no comprendo la noche
ni el canto de los muchachos sobre las praderas.
Y, sin embargo, sé
que algo más grande y más real que yo
hay en mí, va en mis huesos:

Tierra incansable,
firma
la paz que sabes.
Danos
nuestra existencia a
nosotros
mismos.

Blues castellano (1961-1966), Colección AEDA, Gijón, Noega, 1982.


Antonio Gamoneda

Antonio Gamoneda.

Le journal El País a publié au début du mois de février un entretien avec Antonio Gamoneda, un poète espagnol que j’aime bien.

Né dans les Asturies à Oviedo en 1931, il vit à León depuis 1934. Son père meurt en 1932. Sa mère l’élève dans une banlieue ouvrière, en proie à toutes sortes de difficultés matérielles. Il doit abandonner ses études en 1943 et travailler comme coursier dès 1945. Il a une formation d’autodidacte et a connu l’extrême pauvreté de l’après-guerre et la répression franquiste.
Il a obtenu de nombreux prix dont le Prix Cervantes en 2006.
Ces dernières années il a publié deux tomes de mémoires:
Un armario lleno de sombra, Galaxia Gutenberg – Círculo de Lectores, Madrid, 2009.
La pobreza, Galaxia Gutenberg, 2020.

Ses poèmes ont été bien traduits en français, particulièrement par Jacques Ancet et bien édités par José Corti dans sa collection Ibériques.

Principales traductions en français:
Poèmes, traduction Roberto San Geroteo, Noire et blanche, numéro spécial, 1995.
Livre du froid, traduction et présentation Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, 1996, Antoine Soriano Editeur. 2e éd. 2005.
Pierres gravées, Jacques Ancet, Lettres Vives, 1996.
Substances, limites, in Nymphea, traduction Jacques Ancet, La Grande Os, 1997.
Cahier de mars, traduit par Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 1997.
Blues castillan, traduction Roberto San Geroteo, Noire et Blanche, 1998.
Froid des limites, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2000.
Description du mensonge (extraits), traduction Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 2002.
Pétale blessé, traduction Claude Houy, Trames, 2002.
Blues castillan, traduction et présentation Jacques Ancet, José Corti, 2004.
Description du mensonge, traduction et présentation Jacques Ancet, José Corti, 2004.
Passion du regard, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2004.
De l’impossibilité, traduction Amelia Gamoneda, préface Salah Stétié, Fata Morgana, 2004.
Clarté sans repos, traduction et présentation Jacques Ancet, Arfuyen, 2006.
Cecilia, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2006.
Le livre des poisons, traduction Jean-Yves Bériou. Actes Sud, 2009.

Ses relations avec les autres écrivains espagnols ne sont pas toujours au beau fixe, car il a un caractère ombrageux et a souvent la dent dure quand il parle de poètes reconnus de sa génération tels qu’ Ángel González, Blas de Otero, Gabriel Celaya ou Jaime Gil de Biedma.

El País, 07/02/2020 ENTREVISTA Antonio Gamoneda: “Todo hambriento es un microeconomista” https://elpais.com/cultura/2020/02/07/babelia/1581091598_442947.html

“P. ¿Cuál es el mejor poeta de su generación?
R. Claudio Rodríguez.
P. ¿Y el más sobrevalorado?
R. Jaime Gil de Biedma. Claudio era un monstruo que con 17 años escribió una monstruosidad: Don de la ebriedad. Los dos grandes del siglo XX español son Lorca y él. Y eso que por el medio hay hasta un premio Nobel como Aleixandre. Gil de Biedma era muy inteligente, se dio cuenta de que la cosa no daba para más y dejó de escribir. Como tenía mucha personalidad, en torno a él creció el mito.”

J’ai une certaine prédilection pour son recueil Blues castellano (1961-1966), publié en Espagne seulement en 1982 (Colección AEDA, Gijón, Noega) et en France par José Corti en 2004.

Présentation du recueil par l’auteur:
«J’ai écrit Blues castillan entre 1961 et 1966. Il a été publié tardivement et peu distribué. Il est passé presque inaperçu.

Blues castillan a à voir avec une certaine manière de penser le monde (“nous traversions les croyances” allais-je dire des années plus tard), et, surtout, avec la volonté de transformer en poèmes des événements et des états d’âme qui ont dominé ma vie pendant trente ans. Il comporte le récit de faits devant lesquels – ou dans lesquels – la souffrance est une affaire naturelle; j’y parle à voix basse d’un certain espoir (issu, peut-on supposer, de ces “croyances”) et il est- il m’importe beaucoup de le dire – une forme de consolation.

Blues castillan a des antécédents qui ne sont pas ceux que reconnaissaient mes contemporains. J’ai écris ce livre dominé par deux forces poétiques qui se sont avérées peut-être d’autant plus vigoureuses et actives en moi que, mal connues, à peine pressenties au début, j’ai dû les élaborer à partir de mon ignorance et les faire se développer en moi pour que cette ignorance puisse comporter quelque chose qui fût de l’ordre de la création.

Ces deux forces étaient le poète Turc Nazim Hikmet et les paroles des chants nord-américains à l’origine du jazz : le blues et le spiritual.

J’ai écrit (et traduit) des spirituals en castillan, et j’ai passé dans ma langue Nazim Hikmet. Sans ce travail, je crois que Blues castillan n’aurait jamais existé.»

Hablo con mi madre
Mamá: ahora eres silenciosa como la ropa
del que no está con nosotros.
Te miro el borde blanco de los párpados
y no puedo pensar.

Mamá: quiero olvidar todas las cosas
en el fondo de una respiración que canta.
Pasa tus manos grandes por mi nuca
todos los días para que no vuelva
la soledad.

Yo sé que en cada rostro se ve el mundo.
No busques más en las paredes, madre.
Mira despacio el rostro que tú amas:
mira mi rostro en cada rostro humano.

He sentido tus manos.
Perdido en el fondo de los seres humanos te he sentido
como tú sentías mis manos antes de nacer.

Mamá, no vuelvas más a ocultarme la tierra.
Esta es mi condición.
Y mi esperanza.

Blues castellano 1961-66, 1982.

Je parle avec ma mère
Maman : tu es maintenant silencieuse comme l’habit
de qui nous a quittés.
Je fixe le bord blanc de tes paupières
et je ne peux penser.

Maman : je veux tout oublier
au fond d’une respiration qui chante.
Passe-moi tes grandes mains sur la nuque
tous les jours pour que ne revienne pas
la solitude.

Je sais que sur chaque visage on voit le monde.
Ne va plus chercher sur les murs, maman.
Regarde le visage que tu aimes :
dans chaque visage humain, mon visage.

J’ai senti tes mains.
Perdu au fond des êtres humains je t’ai sentie
comme tu sentais mes mains avant ma naissance.

Maman, ne recommence plus à me cacher la terre.
Telle est ma condition.
Et mon espoir.

Blues castillan, traduction de Jacques Ancet, José Corti, 2004

Angelines
Cuando tengo sus manos en las mías, advierto que son suaves y algo frías, como han sido siempre. También, menos intenso, en una suspensión aparentemente lejana, no aquí, donde está, subiendo hasta mí desde su piel, respiro el perfume que tenía su cuerpo cuando era una niña.
No sé si voy a decir los deseos y las negaciones de Angelines, ni las que fueron mis respuestas. Vivimos juntos. De alguna manera, vivimos el uno en el otro. Nos necesitamos. Somos dos ancianos. Debería bastar.
Debería bastar. Esta perspectiva es también dudosa. Yo no voy a mentir, pero el silencio puede ser una impostura.
La pobreza. Galaxia Gutenberg, 2020.