Baruch Spinoza

George Steiner.

Dans son article La esquina Steiner (El País, 02/03/2020), Enrique Vila-Matas évoque George Steiner (1929-2020), spécialiste de littérature comparée, récemment décédé. Le père de celui-ci lui répétait constamment quand il était enfant : “Todo lo excelso es tan difícil como raro” (Baruch Spinoza, Ethique, 1677.

https://elpais.com/cultura/2020/03/02/actualidad/1583153001_386456.html

Je recherche sur Google la phrase exacte. Je remarque que les traductions en français sont très diverses comme souvent. Faut-il suivre Pierre Macherey qui affirme : “Si l’on veut comprendre ce que Spinoza a réellement dit, et en premier lieu en prendre connaissance, il est indispensable de revenir au texte original, et de s’en faire pour soi-même sa propre traduction”. (Introduction à l’Ethique de Spinoza. 5 volumes. PUF, 1994-1998)?

“Sed omnia præclara tam difficilia quam rara funt.»

“Mais toutes les belles choses sont aussi difficiles que rares” (Henri de Boulainvillers, vers 1730)
“Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare” (Emile Saisset, Charpentier, 1842)
“Mais tout ce qui est beau est difficile autant que rare” (Charles Appuhn, Garnier Frères, 1907)
“Mais toutes les choses remarquables sont aussi difficiles qu’elles sont rares” (Raoul Lantzenberg, Flammarion, 1908)
“Mais tout ce qui est excellent est aussi difficile que rare” (André Guérinot, Pelletan-Helleu-Sergent, 1930)
“Mais tout ce qui est très précieux est aussi difficile que rare” (Rolland Caillois, Gallimard, 1954)
“Mais tout ce qui est remarquable est difficile autant que rare” (Bernard Pautrat, Edition bilingue, Points Seuil, 1988)
“Mais tout ce qui est précieux est aussi difficile que rare” (Robert Misrahi, PUF, 1990)
“Mais tout ce qui est supérieur est difficile autant que rare” (Pascal Severac, Ellipses, 1997)

Baruch Spinoza. Portrait de 1665 tiré de la Herzog August Bibliothek. Wolfenbüttel, Basse-Saxe, en Allemagne.

La vie de Spinoza (Gilles Deleuze)

Statue de Baruch Spinoza (Nicolas Dings) dans le Zwanenburgwal à Amsterdam près du lieu où il a vécu . Novembre 2008. L’Icosaèdre qui l’accompagne est censé représenter la pensée du philosophe.

“Baruch de Spinoza naît en 1632 dans le quartier juif d’Amsterdam, d’une famille de commerçants aisés, d’origine espagnole ou portugaise. A l’école juive il fait des études, théologiques et commerciales. Dès treize ans, il travaille dans la maison de commerce de son père tout en poursuivant ses études (à la mort de son père, en 1654, il la dirigera avec son frère, jusqu’en 1656). Comment opéra la lente conversion philosophique qui le fit rompre avec la communauté juive, avec les affaires, et le conduisit à l’excommunication de 1656? Nous ne devons pas imaginer homogène la communauté d’Amsterdam; elle a autant de diversité, d’intérêts et d’idéologies que les milieux chrétiens. Elle est en majorité composée d’ex-marranes, c’est-à-dire de juifs ayant pratiqué extérieurement le catholicisme en Espagne et au Portugal, et qui durent émigrer à la fin du XVIe siècle. Même sincèrement attachés à leur foi, ils sont imprégnés d’une culture philosophique, scientifique et médicale qui ne se concilie pas sans peine avec le judaïsme rabbinique traditionnel. Le père de Spinoza semble lui-même un sceptique, qui n’en tient pas moins un rôle important dans la synagogue et la communauté juive. A Amsterdam, certains ne se contentent pas de mettre en question le rôle des rabbins et de la tradition, mais le sens de l’Ecriture elle-même: Uriel da Costa sera condamné en 1647 pour avoir nié l’immortalité de l’âme et la loi révélée, ne reconnaissant que la loi naturelle; et surtout Juan de Prado sera mis en pénitence en 1656, puis excommunié, accusé d’avoir soutenu que les âmes meurent avec les corps, que Dieu n’existe que philosophiquement parlant, et que la foi est inutile. Des documents récemment publiés attestent les liens étroits de Spinoza avec Prado; on peut penser que les deux cas furent joints. Si Spinoza fut condamné plus sévèrement, excommunié dès 1656, c’est parce qu’il refusait pénitence et cherchait lui-même la rupture. Les rabbins, comme dans beaucoup d’autres cas, semblent avoir souhaité un accommodement. Mais, au lieu de pénitence, Spinoza rédigea une Apologie pour justifier sa sortie de la Synagogue, ou du moins une ébauche du futur Traité théologico-politique. Que Spinoza fût né à Amsterdam même, enfant de la communauté, devait aggraver son cas. La vie lui devenait difficile à Amsterdam. Peut-être à la suite d’une tentative d’assassinat par un fanatique, il se rend à Leyde pour continuer des études de philosophie, et s’installe dans la banlieue à Rijnsburg. On raconte que Spinoza gardait son manteau percé d’un coup de couteau, pour mieux se rappeler que la pensée n’était pas toujours aimée des hommes; s’il arrive qu’un philosophe finisse dans un procès, il est plus rare qu’il commence par une excommunication et une tentative d’assassinat.”

Spinoza Philosophie pratique. Éditions de Minuit, 2003. Collection de poche Reprise n°4. La première édition de ce livre a paru aux Presses universitaires de France en 1970. Elle a été rééditée aux Éditions de Minuit en 1981, modifiée et augmentée de plusieurs chapitres (III, V et VI).