Je reprends un texte de la poétesse péruvienne Blanca Varela déjà publié sur ce blog en juillet 2023. Il s’agit d’ une des grandes figures de la poésie latino-américaine du XX ème siècle
Morir cada día un poco más recortarse las uñas el pelo los deseos aprender a pensar en lo pequeño y en lo inmenso en las estrellas más lejanas e inmóviles en el cielo manchado como un animal que huye en el cielo espantado por mí.
Mourir chaque jour un peu plus couper ses ongles ses cheveux ses désirs apprendre à penser à ce qui est petit et à ce qui est immense aux étoiles les plus lointaines et immobiles dans le ciel taché comme un animal qui fuit dans le ciel effrayé à ma vue
La revue Europe de juin-juillet-août 2023 (n° 1130-1131-1132) met en valeur trois grands écrivains hispano-américains : Rubén Darío (1867-1916), père du Modernisme, premier mouvement de la littérature hispanique à trouver son origine hors des frontières de l’Espagne ; Juan Rulfo (1917-1986) qui n’a pas écrit plus de 300 pages, mais dont l’influence a été considérable sur tous les écrivains latino-américains du “Boom” (Julio Cortázar, Carlos Fuentes, Gabriel García Márquez, Mario Vargas Llosa entre autres) ; Blanca Varela (1926-2009), poétesse péruvienne qui appartient à la génération dite de 50.
Blanca Varela.
La poétesse péruvienne Blanca Varela est une des grandes figures de la poésie latino-américaine du XX ème siècle. Elle a vécu longtemps en France avec son mari Fernando de Szyszlo (1925 – 2017), un des peintres péruviens contemporains les plus importants. C’est la première femme qui ait obtenu le Prix international de Poésie Federico García Lorca de la Ville de Grenade en 2006. Elle a aussi reçu le Prix de Poésie ibéroaméricaine Reina Sofía en 2007. Ses poèmes sont au programme de l’agrégation d’espagnol en 2023 et 2024.
Son oeuvre est dense et concise. Elle a publié 8 recueils :
Este puerto existe, 1959.
Luz de día, 1963.
Valses y otras falsas confesiones, 1971.
Canto villano, 1978.
Ejercicios materiales, 1993.
El libro de barro, 1994.
Concierto animal, 1999.
El falso teclado, 2000.
Puerto Supe (Province de Barranca). Pérou.
Puerto Supe
Á J.B.
Está mi infancia en esta costa, bajo el cielo tan alto, cielo como ninguno, cielo, sombra veloz, nubes de espanto, oscuro torbellino de alas, azules casas en el horizonte.
Junto a la gran morada sin ventanas, junto a las vacas ciegas, junto al turbio licor y al pájaro carnívoro.
¡Oh, mar de todos los días, mar montaña, boca lluviosa de la costa fría!
Allí destruyo con brillantes piedras la casa de mis padres, allí destruyo la jaula de las aves pequeñas, destapo las botellas y un humo negro escapa y tiñe tiernamente el aire y sus jardines.
Están mis horas junto al río seco, entre el polvo y sus hojas palpitantes, en los ojos ardientes de esta tierra adonde lanza el mar su blanco dardo. Una sola estación, un mismo tiempo de chorreantes dedos y aliento de pescado. Toda una larga noche entre la arena. Amo la costa, ese espejo muerto en donde el aire gira como loco, esa ola de fuego que arrasa corredores, círculos de sombra y cristales perfectos.
Aquí en la costa escalo un negro pozo, voy de la noche hacia la noche honda, voy hacia el viento que recorre ciego pupilas luminosas y vacías, o habito el interior de un fruto muerto, esa asfixiante seda, ese pesado espacio poblado de agua y pálidas corolas. En esta costa soy el que despierta entre el follaje de alas pardas, el que ocupa esa rama vacía, el que no quiere ver la noche.
Aquí en la costa tengo raíces, manos imperfectas, un lecho ardiente en donde lloro a solas.
Ese puerto existe (1949-1959).
Puerto Supe
Á J.B.
Mon enfance est là sur cette côte, Sous le ciel si haut, ciel comme nul autre, ciel, ombre véloce, nuages d’épouvante, obscur tourbillon d’ailes, demeures bleues posées sur l’horizon.
Près de la grande maison sans fenêtres, près des vaches avuegles, près de la trouble liqueur et de l’oiseau carnivore.
Ah, océan de tous les jours, océan montagne, bouche pluvieuse de la côte froide !
Je détruis là par des pierres brillantes la maison de mes parents, je détruis là cette cage à oiseaux, j’ouvre les bouteilles, une fumée noire s’échappe et vient teindre tendrement l’air et ses jardins.
Là sont mes heures près du fleuve desséché, dans sa poussière, ses feuilles qui palpitent, au fond des yeux ardents de cette terre où l’océan lance son dard très blanc. Une seule saison, un même temps de doigts mouillés, d’haleine de poisson. Une longue nuit passée sur le sable. J’aime la côte, j’aime ce miroir mort où l’air vient tournoyer éperdument, la vague de feu qui emporte des couloirs, des cercles d’ombre et des cristaux parfaits.
Ici je gravis sur côte un puits noir, je vais de la nuit vers la nuit profonde, je vais vers le vent qui parcourt aveugle les pupilles lumineuses et vides, ou j’habite l’intérieur d’un fruit mort, cette étouffante soie, cet espace pesant envahi d’eau et de pâles corolles. Je suis sur la côte celui qui s’éveille parmi le feuillage d’ailes obscures, celui qui occupe cette branche vide, celui qui se refuse à voir la nuit.
Ici sur la côte j’ai mes racines mes mains imparfaites, ma couche ardente où je pleure solitaire.
Ce port existe. 1949-1959. Traduction Laurence Breysse-Chanet.
Morir cada día un poco más recortarse las uñas el pelo los deseos aprender a pensar en lo pequeño y en lo inmenso en las estrellas más lejanas e inmóviles en el cielo manchado como un animal que huye en el cielo espantado por mí.
Concierto animal, 1999.
Mourir chaque jour un peu plus couper ses ongles ses cheveux ses désirs apprendre à penser à ce qui est petit et à ce qui est immense aux étoiles les plus lointaines et immobiles dans le ciel taché comme un animal qui fuit dans le ciel effrayé à ma vue
Concert animal.
Nadie nos dice
Nadie nos dice cómo voltear la cara contra la pared y morirnos sencillamente así como lo hicieron el gato o el perro de la casa o el elefante que caminó en pos de su agonía como quien va a una impostergable ceremonia batiendo orejas al compás del cadencioso resuello de su trompa
sólo en el reino animal hay ejemplares de tal comportamiento cambiar el paso acercarse y oler lo ya vivido y dar la vuelta sencillamente dar la vuelta
El falso teclado, 2000.
Il n’y a personne pour nous dire
personne ne nous dit comment tourner la tête contre le mur et mourir simplement comme l’ont fait le chat ou le chien de la maison ou l’éléphant qui allait en quête de son agonie comme on se rend à une cérémonie inéluctable en battant des oreilles au rythme du souffle cadencé de sa trompe
dans le règne animal seulement l’on trouve des exemples d’un tel comportement changer de pas s’approcher et renifler ce qui a été vécu et se retourner tout simplement se retourner
Le faux clavier.
Octavio Paz, Destiempos, de Blanca Varela en Fundación y disidencia, Obras completas III, México, Fondo de Cultura Económica, 1997, p. 351.
“Y entre esos cantos, el canto solitario de una muchacha peruana: Blanca Varela. El más secreto y tímido, el más natural. (…) Es un poeta que no se complace en sus hallazgos ni se embriaga con su canto. Con el instinto del verdadero poeta, sabe callarse a tiempo. Su poesía no explica ni razona. Tampoco es una confidencia. Es un signo, un conjuro frente, contra y hacia el mundo, una piedra negra tatuada por el fuego y la sal, el amor, el tiempo y la soledad. Y, también, una exploración de la propia conciencia.”
La poétesse péruvienne Blanca Varela est une des grandes figures de la poésie latino-américaine.
Elle s’installe à Paris en 1949. Octavio Paz l’introduit à la vie artistique et littéraire parisienne. Elle se lie d’amitié avec Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Henri Michaux, Fernand Léger, Alberto Giacometti.
Après un long séjour en France, elle vit ensuite à Florence puis à Washington où elle travaille sur des traductions et écrit des articles pour les journaux. En 1962, elle revient à Lima.
Blanca Varela est la première femme qui ait obtenu le Prix international de Poésie Federico Garcia Lorca de la Ville de Grenade en 2006. Elle a aussi reçu le Prix de Poésie ibéroaméricaine Reina Sofía en 2007.
Elle a été mariée à Fernando de Szyszlo (1925 – 2017), un des peintres péruviens contemporains les plus importants.
Elle est décédée le 12 mars 2009 à Lima à 82 ans. Son corps a été incinérée et ses cendres ont été dispersées dans la baie de Paracas.
Réserve nationale de Paracas (Pérou)
Curriculum vitae
digamos que ganaste la carrera y que el premio era otra carrera que no bebiste el vino de la victoria sino tu propia sal que jamás escuchaste vítores sino ladridos de perros y que tu sombra tu propia sombra fue tu única y desleal competidora.
Canto villano. Lima, Ediciones Arybalo, 1978.
Curriculum Vitae
Disons que tu as gagné la course et que le prix était une autre course que tu n’as pas bu le vin de la victoire mais ton propre sel que tu n’as jamais écouté de vivats mais des aboiements de chiens et que ton ombre ta propre ombre fut ta seule et déloyale concurrente.
Traduction : Stéphane Chaumet.
Hundo la mano en la arena y encuentro la vértebra perdida. La extravío al instante. Sombra de marfil, desgranada. Mi padre sonríe. De este lado del mar la espuma es oscura. Huele a fiera me dice la pequeña amiga. El mar huele a vida y a muerte le respondo, supongamos que es así. La salud aferrada a la roca. Piedra sensible a la luz. El cazador carece de manos y pies. Es ciego y desea. Y su deseo es el bosque bajo el agua, poblado de sexos en flor o de flores maestras que horadan el silencio con sus grandes picos rojos y lentos.
El libro de barro. Madrid, Ediciones del Tapir, 1993.
J’enfonce la main dans le sable et je trouve la vertèbre perdue. Je l’égare aussitôt. Ombre d’ivoire, exsangue. Mon père sourit. De ce côté-ci de la mer l’écume est noire. Elle sent le fauve me dit la petite amie. La mer sent la vie et la mort je lui réponds. Supposons que ce soit vrai.
La santé aggrippée à la roche. Pierre sensible à la lumière. Mains et pieds font défaut au chasseur. Il est aveugle et en proie au désir. Et son désir c’est la forêt sous l’eau, peuplée de sexes en fleur ou de maîtresses fleurs qui percent le silence de leurs grands becs rouges et lents.
Le livre d’argile. Indigo, 2008. Traduction Claude Couffon.
¿Qué dice ese cuerpo inmóvil en su movimiento? Está solo. Lo otro es aire alrededor de la isla que danza.
Digo isla y pienso en mar. Digo mar y pienso en isla. ¿Son lo mismo?
Se suceden vacío continuo y plenitud sin nombre,
El libro de barro. Madrid, Ediciones del Tapir, 1993.
Que dit le corps immobile dans son mouvement ? Il est seul. L’air environnant l’île qui danse est ce qui est autre.
Je dis l’île et je pense : la mer. Je dis la mer et je pense : l’île. Sont-elles une seule et même chose ?
Vide continuel et plénitude sans nom se succèdent.
Le livre d’argile. Indigo, 2008. Traduction Claude Couffon.