Francis Ponge

Francis Ponge.

Je me souviens de Francis Ponge, d’une conférence de ce poète (ou anti-poète comme Nicanor Parra), peut-être en 1969. Sa poésie était bien loin de notre goût d’alors pour le surréalisme.

J’aimerais pouvoir aller à Paris chez Gibert et acheter la Correspondance Albert Camus- Francis Ponge (1941-1957), publiée en 2013 chez Gallimard. Albert Camus et Francis Ponge se sont rencontrés pour la première fois à Lyon le 17 janvier 1943, en compagnie de leur ami commun, le journaliste résistant, Pascal Pia. Le Parti pris des choses a paru en 1942, tiré à 1 300 exemplaires dans la collection «Métamorphoses» de la NRF, en même temps que L’Étranger (19 mai 1942). Les deux hommes s’écrivent beaucoup entre 1943 et 1945. Ils s’éloignent après 1944 à cause de divergences politiques (l’engagement communiste de Ponge) et/ou personnelles (par exemple, l’amitié entre Camus et Char).

Francis Ponge demande à Albert Camus début mars 1943 s’il connaît l’Ode à Salvador Dalí de Federico García Lorca. Il la décrit comme «un exemple de camaraderie dans l’offensive intellectuelle». Francis Ponge a lu avec grand intérêt le manuscrit du Mythe de Sisyphe dès août 1941. Ce texte sera publié en octobre 1942 par Gallimard. Il taquine Camus et propose même d’ «imaginer Sisyphe paresseux»! Camus s’est inspiré de ses conversations avec Ponge pour développer les arguments des incroyants dans La Peste.

J’ai retrouvé un texte de Ponge que j’aime particulièrement La robe des choses

La robe des choses

Une fois, si les objets perdent pour vous leur goût, observez alors, de parti pris, les insidieuses modifications apportées à leur surface par les sensationnels événements de la lumière et du vent selon la fuite des nuages, selon que tel ou tel groupe des ampoules du jour s’éteint ou s’allume, ces continuels frémissements de nappes, ces vibrations, ces buées, ces haleines, ces jeux de souffles, de pets légers.
Aimez ces compagnies de moustiques à l’abri des oiseaux sous des arbres proportionnés à votre taille, et leurs évolutions à votre hauteur.
Soyez émus de ces grandioses quoique délicats, de ces extraordinairement dramatiques quoique ordinairement inaperçus événements sensationnels, et changements à vue.
Mais l’explication par le soleil et le vent, constamment présente à votre esprit, vous prive de surprises et de merveilles. Sous-bois, aucun de ces événements ne vous fait arrêter votre marche, ne vous plonge dans la stupéfaction de l’attention dramatique, tandis que l’apparition de la plus banale forme aussitôt vous saisit, l’irruption d’un oiseau par exemple.
Apprenez donc à considérer simplement le jour, c’est-à-dire, au-dessus des terres et de leurs objets, ces milliers d’ampoules ou fioles suspendues à un firmament, mais à toutes hauteurs et à toutes places, de sorte qu’au lieu de le montrer elles le dissimulent. Et suivant les volontés ou caprices de quelque puissant souffleur en scène, ou peut-être les coups de vent, ceux que l’on sent aux joues et ceux que l’on ne sent pas, elles s’éteignent ou se rallument, et revêtent le spectateur en même temps que le spectacle de robes changeant selon l’heure et le lieu.

Pièces, Éditions Gallimard, 1961. Poésie/Gallimard n°73, 1995.

(Merci à N. de C. qui a parlé ces derniers jours sur son blog http://patte-de-mouette.fr/ du poème de Francis Ponge, Le savon (Gallimard 1967).

Jean Fautrier Matière et Lumière

Du 26 janvier au 20 mai 2018, le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris rend hommage à Jean Fautrier (1898-1964), à travers une grande rétrospective.

Exposition vue mardi 6 février avec mes amis de toujours E. et P.

Biographie
Jean Fautrier est né à Paris en 1898. A la mort de son père, il part à Londres avec sa mère d’origine irlandaise.  Il fera ses études d’art à la Royal Academy of Arts de Londres à partir de 1912. Il est mobilisé dans l’armée française et est gazé.  Il revient à Paris en 1920. Influencé par la peinture expressionniste, il peint alors des tableaux de facture réaliste. Jean Fautrier peint et dessine des portraits, des nus, des bêtes écorchées. Sa première exposition personnelle sera organisée en 1924. Il intéresse des galeristes connus comme Jeanne Castel, Paul Guillaume et Léopold Zborowski.

Dès 1925, Jean Fautrier devient le véritable précurseur de l’art informel (Jean Dubuffet 1901-1985, Wols 1913-1951). Il traverse une période de recherche qu’il qualifiera de « saison en enfer » et réalise une œuvre lyrique, des séries de paysages, de nus noirs dont Jean Paulhan dira qu’ils sont « plus nus que nature ».

Ses quelques succès en peinture ne lui suffisent pas. La crise l’oblige à devenir moniteur de ski à Tignes. En 1934, il crée la une boite de jazz dont il gardera la gestion jusqu’en 1939. De temps en temps, il continue cependant de peindre.

il noue des liens d’amitié avec André Malraux,  Francis Ponge, Paul Eluard, Georges Bataille, Jean Paulhan et André Dubuffet.

Pendant la seconde guerre mondiale, Jean Fautrier revient à Paris. Il se cache à partir de 1943 et habite la maison de Chateaubriand dans la Vallée aux Loups. Il entreprend une série de collages matiéristes, de dessins peints à l’huile sur papier. Ces travaux constituent « Otages » et « Massacres », un ensemble de portraits où l’artiste se veut témoin de la mémoire des victimes. L’historien d’art Michel Ragon les décrit ainsi: ” Chaque tableau était peint de la même manière. Sur un fond vert d’eau, une flaque de blanc épais s’étalait. Un coup de pinceau indiquait la forme du visage. Et c’était tout.” Il renoue avec le succès à partir de son exposition d’ octobre-novembre 1945 à la galerie de René Drouin, place Vendôme à Paris.

Dans les années 50, il reprend des séries de paysages sombres, de sanguines, de sculptures, de lithographies et de gravures. L’artiste,  solitaire, à la marge, travaille ses oeuvres comme une chair vivante. Il reçoit le grand prix de la Biennale de Venise en 1960.

Jean Fautrier meurt en 1964 à Châtenay-Malabry (France).

La peinture de Fautrier repose sur la matière, souvenir du sujet et réalité.

cf. Jean Paulhan “Fautrier l’enragé” (Gallimard, 1962)

Le poète Francis Ponge, un de ses grands admirateurs, écrivait à son propos : « Chacun de ses tableaux s’ajoute à la réalité avec vivacité, résolution, naturel. »

«Cela tient du pétale de rose et de la tartine de camembert»

“Le fusillé remplacé le crucifié. L’homme anonyme remplace le Christ des tableaux.”

Les Otages de Jean Fautrier (4 février 1962). Le peintre est interviewé par l’historien d’art et écrivain Michel Ragon.

https://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu06407/les-otages-de-jean-fautrier.html