Franscisco de Zurbarán – Paul Valéry

Montpeller. Musée Fabre.

Le tableau Sainte Agathe de Francisco de Zurbarán (1598-1664) n’est pas visible au Musée Fabre de Montpellier. Pourquoi ? Personne n’a su nous répondre.

Sainte Agathe. Vers 1634. Montpellier, Musée Fabre.

Cette huile sur toile (129 x 61 cm ) a été réalisée vers 1634. Elle a été achetée par la ville de Montpellier en 1852 pour 1 540 francs lors de la vente d’une série de dix tableaux du maréchal Soult, duc de Dalmatie. Ces oeuvres provenaient des couvents de Séville et étaient gardées à l’Alcazar pendant l’invasion française.

On trouve la version la plus connue de l’histoire de Sainte Agathe dans La Légende dorée de Jacques de Voragine, (Sainte Agathe, vierge et martyre), rédigée en latin entre 1261 et 1266. Le dominicain et archevêque de Gênes raconte la vie d’environ 150 saints ou groupes de saints, saintes et martyrs chrétiens.

Les Espagnols à Montpellier. 13 œuvres du musée Fabre : description, acquisition, attribution. Flore Delatouche. Université Paul Valéry-Montpellier III. Juin 2006.

« Agathe vivait dans une famille noble de Catane (Sicile), au pied de l’Etna, sous le règne du troisième consulat de l’empereur Dèce et ses persécutions contre les chrétiens. Le gouverneur romain de Sicile, Quintien, qui avait remarqué sa beauté et son rang, désira la prendre pour femme. Il ne supporta pas d’être éconduit par la jeune femme qui souhaitait garder sa virginité et consacrer son existence à honorer Dieu. Non autorisé par la loi romaine à exécuter une vierge, il l’envoya dans la maison close d’Aphrodisie, qui eut pour mission de lui faire accepter ce mariage, mais dont elle sortit sans séquelle physique, sexuellement intacte. Le consul Quintien entreprit de lui faire endurer quelques tortures, pour mener à bien sa vengeance, décida de la jeter au cachot et de lui faire écraser puis arracher les seins à la tenaille, tourments qu’elle vit avec joie comme un combat pour l’accession au Paradis et à la palme du martyre. De retour dans sa prison, la jeune sicilienne fut visitée par saint Pierre qui guérit ses plaies miraculeusement. Elle est ensuite roulée nue sur des tessons de pots cassés et des charbons ardents, calvaire interrompu par un important tremblement de terre. Ramenée dans son cachot, elle y mourut dans un grand cri. Un an plus tard, une éruption de l’Etna menaça Catane ; les habitants déposèrent sur le chemin du flot de lave le voile qui recouvrait la tombe de la sainte et permirent ainsi de dévier la coulée magmatique et de sauver leur ville.
Fêtée le 5 février, Agathe est la protectrice de la Sicile, de Catane, de Palerme et de l’île de Malte. Elle est la patronne des femmes atteintes d’un cancer de la poitrine et amputées d’un sein, des fondeurs de cloches, des bijoutiers, des nourrices (symbole de celle qui peur apporter la subsistance aux plus faibles et démunis). On la prie contre des catastrophes naturelles : les éruptions volcaniques, la foudre, les incendies et tremblements de terre. Elle est en général représentée avec ses seins arrachés posés sur un plateau et des tenailles, quelquefois un bâtiment en flammes ; elle peut également porter la palme des martyres (elle est alors la figure de la vierge victorieuse), ou encore une torche, un bâton enflammé, ou encore son voile avec lequel elle essaie d’éteindre un feu, dans le thème de la sainte protectrice ignifuge. Ses reliques reposent dans une chapelle qui lui est dédiée dans la cathédrale de sa ville natale.
Sur un fond neutre noir, le jeu de clair-obscur détache, avec une diagonale lumineuse partant du haut à droite vers le centre, sainte Agathe qui se tient debout, légèrement penchée vers l’avant, et regarde le spectateur. Seuls les mains, le cou et le visage ressortent des amas de tissus dont elle est vêtue. Sa douceur est mise en contraste avec les étoffes imposantes et largement plissées qui inondent la toile et absorbent l’espace, revêtant sa sérénité sanctifiée. La qualité chromatique, très variée, va de la blancheur de la peau à la robe couleur mûre, au corsage bleu-vert canard, aux « manches citrines » et au manteau vermillon éclatant, jusqu’aux joues rosées de la sainte. La chevelure n’avait pas été peinte ainsi dans une première version, tel que l’ a révélé le passage aux rayons X. Un collier de fines perles orne le cou d’Agathe, symbole sans doute d’une féminité bafouée – rappelée durement par le plateau qu’offre à notre regard la jeune femme avec le malheureux trophée de ses deux seins mutilés, l’offrande modeste et digne de sa féminité sanctifiée pour avoir été sacrifiée. On pourrait penser qu’elle nous présente sa poitrine déchiquetée sur un plateau tout en la protégeant timidement et humblement de la main droite, comme pour rappeler assez pudiquement le caractère généralement tabou de ces deux morceaux charnels estropiés. Outre sa grande tranquillité, la jeune femme semble exprimer un message de haute sainteté. Les yeux de la sainte directement tournés vers l’observateur du tableau. Il s’agit d’un inter-regard qui permet la discussion de la figure peinte avec l’observateur de la toile. Cette représentation propose une intertextualité au message de cette œuvre : au-delà de la démonstration de sainte martyrisée, se dégage la sérénité tout à fait exemplaire de la sainte, le moment éternel après le supplice des martyres, celui où ne reste que le calme. Le regard de sainte Agathe n’exprime ni peur ni souffrance ; son martyre l’a délivrée et fait passer au-delà des préoccupations charnelles, dans une attitude emplie de grâce et de délicatesse. Peut-être peut-on y distinguer une fine touche de mélancolie pour avoir vu sa vie écourtée ou son amour pour sa foi malmené ; mais la richesse sage et dévote prime.

Portrait de Paul Valéry (Raoul Dufy). Paris, Centre Georges Pompidou.


Le poète Paul Valéry fut admiratif de cette œuvre qu’il vit à ses vingt ans. Il écrivit Sainte Alexandrine en 1891 et prénomma sa fille Agathe. Le poème a beau porter une autre dénomination, Mme Valéry confirma que le poète n’avait eu aucun doute et qu’il pensait bien à la sainte Agathe exposée au Musée Fabre, lorsqu’il créa cette prose poétique.

Sainte Alexandrine

Quel sommeil n’accorde à nos ténèbres intimes de telles apparitions ?
Une rose ! c’est la première lueur parue sur l’ombre adorable.
Elle se figure doucement en cette martyre silencieuse, penchée.
Puis un vif manteau fuit par derrière – l’étoffe baigne dans l’obscurité pour laisser très beau le geste idéal.
Car, issues des folles manches citrines, les mains pieuses conservent le plat d’argent où pâlissent les seins coupés par le bourreau – les seins inutiles qui se fanent.
Et regarde la courbe de ce corps que les robes allongent, des minces cheveux noirs à la pointe délicieuse du pied, il désigne mollement l’absence de tous fruits à la poitrine.
Mais la joie du supplice est dans ce commencement de la pureté : perdre les plus dangereux ornements de l’incarnation, – les seins, les doux seins, faits à l’image de la terre.

Sur quelques peintures, 1891.

En 1592, le cardinal Gabriel Paleotti recommanda vivement le culte de sept saintes martyres. A cause de la grande pudeur de l’époque, Agathe fut peu représentée au Siècle d’Or. Les Mercédaires et les Hospitaliers en demandèrent toutefois quelques représentations, car Agathe symbolise les vertus indéniables du don de sa vie pour la défense de sa foi et de l’offrande de la subsistance aux plus faibles, en tant que patronne des nourrices. Pour les protestants, le culte aux saint était une superstition païenne, en réponse de quoi l’Église chercha à renouveler les images pieuses. Les catacombes resurgirent tout à fait à propos à cette époque, dévoilant les dévots morts pour leur religion, regroupés dans ces cimetières d’anciens chrétiens persécutés. Les portraits des martyrs, « luttant sous nos yeux, que nous voyions couler leur sang », illustrèrent l’abnégation de la vie des fidèles pour leur foi, « transfigurant la souffrance et la métamorphosant en allégresse », comme sainte Agathe. »

Si le Sainte Agathe de Francisco de Zurbarán n’est pas visible actuellement au Musée Fabre de Montpellier. On peut admirer, en revanche L’ Ange Gabriel (huile sur toile, 145 x 60 cm ). La dévotion aux anges faisait partie des cultes nouveaux qui pouvaient exalter la foi des fidèles de la période post-tridentine.

L’ Archange Gabriel, vers 1631-32. Montpellier, Musée Fabre.