Paul Claudel (1868-1955)

Paul Claudel enlaçant le Buste de Camille Claudel aux cheveux courts par Rodin.

Le 28 novembre 1943, lors d’un dîner avec Brassaï, Henri Michaux livre une opinion sur Paul Claudel: “Il a écrit une ode au Maréchal, mais n’a-t-il pas aussi adressé une lettre au grand rabbin, pour défendre les Juifs? Qui a osé le faire?”

(Henri Michaux, Oeuvres complètes I Gallimard NRF Bibliothèque de la Pléiade. 1998. Chronologie)

10 mai 1941:  Il publie dans le Figaro Paroles au Maréchal (désignées couramment comme l’Ode à Pétain)

24 décembre 1941: Lettre au grand-rabbin de France Isaïe Schwartz pour protester contre la législation anti-juive.

23 décembre 1944, il publie dans le Figaro Un poème au général de Gaulle.

Henri Michaux 1943-45 à sa table de travail (Brassaï).

Henri Michaux (1899-1984) lu par Delphine Seyrig

Delphine Seyrig. L’Année dernière à Marienbad (1961), Alain Resnais.

Les Nuits de France Culture. Les chemins de la connaissance. Hécube (1 ère diffusion).

Delphine Seyrig lit Henri Michaux : “Je vous écris d’un pays lointain” (1ère diffusion : 17/08/1985) 16/06/1989) PODCAST.

https://goo.gl/52P2jf

Delphine Seyrig (1932-1990) joue le rôle Fabienne Tabard dans Baisers volés (1968) de François Truffaut. Elle est à la fois l’incarnation de la femme romantique et inaccessible, mais aussi la représentation de la femme réaliste et maîtresse de son destin. Antoine Doinel, dans Baisers volés, dit du personnage interprété par Delphine Seyrig: «Madame Tabard est une femme exceptionnelle, Madame Tabard, c’est… c’est une apparition!».

Elle est morte en 1990, à 58 ans, des suites d’un cancer des poumons. Sa tombe se trouve au cimetière du Montparnasse à Paris.

Je vous écris d’un pays lointain 
I
Nous n’avons ici, dit-elle, qu’un soleil par mois, et pour peu de temps. On se frotte les yeux des jours en avance. Mais en vain. Temps inexorable. Soleil n’arrive qu’en son heure.
Ensuite on a un monde de choses à faire, tant qu’il y a de la clarté, si bien qu’on a à peine le temps de se regarder un peu.
La contrariété, pour nous, dans la nuit, c’est quand il faut travailler, et il le faut : il naît des nains continuellement.

II

Quand on marche dans la campagne, lui confie-t-elle encore, il arrive que l’on rencontre sur son chemin des masses considérables. Ce sont des montagnes, et il faut tôt ou tard se mettre à plier les genoux. Rien ne sert de résister, on ne pourrait plus avancer, même en se faisant du mal.

Ce n’est pas pour blesser que je le dis. Je pourrais dire d’autres choses, si je voulais vraiment blesser.

III
L’aurore est grise ici, lui dit-elle encore. Il n’en fut pas toujours ainsi. Nous ne savons qui accuser.

Dans la nuit le bétail pousse de grands mugissements, longs et flûtes pour finir. On a de la compassion, mais que faire?

L’odeur des eucalyptus nous entoure : bienfait, sérénité, mais elle ne peut préserver de tout, ou bien pensez-vous qu’elle puisse réellement préserver de tout?

IV
Je vous ajoute encore un mot, une question plutôt.
Est-ce que l’eau coule aussi dans votre pays? (je ne me souviens pas si vous me l’avez dit) et elle donne aussi des frissons, si c’est bien elle.
Est-ce que je l’aime? Je ne sais. On se sent si seule dedans, quand elle est froide. C’est tout autre chose quand elle est chaude. Alors? Comment juger? Comment jugez-vous, vous autres, dites-moi, quand vous parlez d’elle sans déguisement, à cœur ouvert?

V
Je vous écris du bout du monde. Il faut que vous le sachiez. Souvent les arbres tremblent. On recueille les feuilles. Elles ont un nombre fou de nervures. Mais à quoi bon ? Plus rien entre elles et l’arbre, et nous nous dispersons, gênées.
Est-ce que la vie sur terre ne pourrait pas se poursuivre sans vent? Ou faut-il que tout tremble, toujours, toujours?
Il y a aussi des remuements souterrains, et dans la maison comme des colères qui viendraient au-devant de vous, comme des êtres sévères qui voudraient arracher des confessions.
On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble. Pourquoi?

VI
Nous vivons toutes ici la gorge serrée. Savez-vous que, quoique très jeune, autrefois j’étais plus jeune encore, et mes compagnes pareillement. Qu’est-ce que cela signifie? Il y a là, sûrement, quelque chose d’affreux.
Et autrefois quand, comme je vous l’ai déjà dit, nous étions encore plus jeunes, nous avions peur.
On eût profité de notre confusion. On nous eût dit : « Voilà, on vous enterre. Le moment est arrivé. » Nous pensions, c’est vrai, nous pourrions aussi bien être enterrées ce soir, s’il est avéré que c’est le moment.
Et nous n’osions pas trop courir : essoufflées, au bout d’une course, arriver devant une fosse toute prête, et pas le temps de dire mot, pas le souffle.
Dites-moi, quel est donc le secret à ce propos ?

VII
Il y a constamment, lui dit-elle encore, des lions dans le village, qui se promènent sans gêne aucune.
Moyennant qu’on ne fera pas attention à eux, ils ne font pas attention à nous.
Mais s’ils voient courir devant eux une jeune fille, ils ne veulent pas excuser son émoi. Non! aussitôt ils la dévorent.
C’est pourquoi ils se promènent constamment dans le village où ils n’ont rien à faire, car ils bâilleraient aussi bien ailleurs, n’est-ce pas évident?

VIII
Depuis longtemps, longtemps, lui confie-t-elle, nous sommes en débat avec la mer.
De très rares fois, bleue, douce, on la croirait contente. Mais cela ne saurait durer. Son odeur du reste le dit, une odeur de pourri (si ce n’était son amertume).
Ici, je devrais expliquer l’affaire des vagues. C’est follement compliqué, et la mer… Je vous prie, ayez confiance en moi. Est-ce que je voudrais vous tromper? Elle n’est pas qu’un mot.
Elle n’est pas qu’une peur. Elle existe, je vous le jure; on la voit constamment.
Qui? mais nous, nous la voyons. Elle vient de très loin pour nous chicaner et nous effrayer.
Quand vous viendrez, vous la verrez vous-même, vous serez tout étonné. « Tiens ! » direz-vous, car elle stupéfie.
Nous la regarderons ensemble. Je suis sûre que je n’aurai plus peur. Dites-moi, cela n’arrivera-t-il jamais ?

IX
Je ne veux pas vous laisser sur un doute, continue-t-elle, sur un manque de confiance. Je voudrais vous reparler de la mer. Mais il reste l’embarras. Les ruisseaux avancent; mais elle, non. Écoutez, ne vous fâchez pas, je vous le jure, je ne songe pas à vous tromper. Elle est comme ça. Pour fort qu’elle s’agite, elle s’arrête devant un peu de sable. C’est une grande embarrassée. Elle voudrait sûrement avancer, mais le fait est là.

Plus tard peut-être, un jour elle avancera.

X

«Nous sommes plus que jamais entourées de fourmis», dit sa lettre. Inquiètes, ventre à terre elles poussent des poussières. Elles ne s’intéressent pas à nous.»
Pas une ne lève la tête.
C’est la société la plus fermée qui soit, quoiqu’elles se répandent constamment au dehors. N’importe, leurs projets à réaliser, leurs préoccupations…elles sont entre elles…partout.
Et jusqu’à présent pas une n’a levé la tête sur nous. Elle se ferait plutôt écraser.

XI

Elle lui écrit encore:
«Vous n’imaginez pas tout ce qu’il y a dans le ciel, il faut l’avoir vu pour le croire. Ainsi, tenez les…mais je ne vais pas vous dire leur nom tout de suite.»
Malgré des airs de peser très lourd et d’occuper presque tout le ciel, ils ne pèsent pas, tout grands qu’ils sont, autant qu’un enfant nouveau né.
Nous les appelons des nuages.
Il est vrai qu’il en sort de l’eau, mais pas en les comprimant, ni en les triturant. Ce serait inutile, tant ils ont en peu.
Mais, à condition d’occuper des longueurs et des longueurs, des largeurs et des largeurs, des profondeurs aussi et des profondeurs et de faire les enflés, ils arrivent à la longue à laisser tomber quelques gouttelettes d’eau, oui, d’eau. Et on est bel et bien mouillé. On s’enfuit, furieuses d’avoir été attrapées; car personne ne sait le moment où ils vont lâcher leurs gouttes; parfois ils restent des jours sans les lâcher. Et on resterait en vain chez soi à attendre.

XII

L’éducation des frissons n’est pas bien faite dans ce pays. Nous ignorons les vraies règles et quand l’événement apparaît, nous sommes prises au dépourvu.
C’est le Temps, bien sûr. (Est-il pareil chez vous?) Il faudrait arriver plus tôt que lui; vous voyez, ce que je veux dire, rien qu’un tout petit peu avant. Vous connaissez l’histoire de la puce dans le tiroir? Oui, bien sûr. Et comme c’est vrai, n’est-ce pas! Je ne sais plus que dire. Quand allons-nous nous voir enfin?

Plume précédé de Lointain intérieur, 1938.

Henri Michaux (Claude Cahun), Jersey 1938.

 

Susana Soca (1906-1959) I

Susana Soca devant son portrait réalisé par Picasso. 1943. (André Ostier 1906 – 1994)

Susana Soca est née à Montevideo le 19 juillet 1906. C’est la fille unique de Francisco Soca, un médecin uruguayen très réputé et de Luisa Blanco Acevedo. Son père a soutenu sa thèse à Paris en 1888, sous le patronage de Charcot. Il a occupé jusqu’à sa mort en 1922 la chaire de médecine clinique de la faculté de Médecine de Montevideo.
Henri Michaux la rencontre en Argentine ou en Uruguay lors de son voyage en Amérique du Sud à l’automne 1936. Il en tombe amoureux et en a été sans doute aimé. Il écrit à Jean Paulhan: « Je suis amoureux / tu crois qu’elle m’aimera?? » Susana, catholique fervente, ne se décide pas à se séparer de sa mère. Michaux se lasse et repart vers Paris en janvier 1937. Sa présence est pourtant patente dans ses poèmes La Ralentie et Je vous écris d’un pays lointain.
Cette poétesse, éditrice et mécène uruguayenne s’installe à Paris en 1938 et y restera pendant toute la guerre. De 1938 à 1948, elle vit dans un grand hôtel parisien.
Proche de Paul Éluard, Valentine Hugo, Roger Caillois et d’autres écrivains, elle crée et dirige Les Cahiers de la Licorne (1947-1948).
À Montevideo, elle poursuit la revue sous le nom de Entregas de la Licorne (1953-1959). Elle organise dans sa ville la première grande exposition rétrospective de Nicolas de Staël.
Elle voyage en Russie et au Royaume-Uni pour récupérer des textes manuscrits de Boris Pasternak.
Pablo Picasso fait son portrait en hommage à la générosité qu’elle a déployée vis-à-vis des artistes espagnols réfugiés en France.
Elle publie Maurice Blanchot, Jules Supervielle, Pier Paolo Pasolini, Felisberto Hernández et un grand nombre d’intellectuels de l’époque.
Alors qu’elle rentre en Uruguay, le 11 janvier 1959, le vol de la Lufthansa dans lequel elle voyage glisse sur la piste de l’aéroport de Rio de Janeiro et prend feu. Elle disparaît à 52 ans.
Trois recueils de ses textes sont publiés après sa mort: En un país de la memoria (1959), Noche cerrada (1962) et Prosas de Susana Soca (1966).
Aimant les arts, Susana Soca avait constitué une importante pinacothèque avec des œuvres de Modigliani, Michaux, Chirico, Picasso, Nicolas de Staël, Monet et Soutine. Mais lors de sa mort son projet de fondation culturelle est resté oublié et sa collection dispersée.
Le numéro 16 de sa revue lui est consacré et de nombreux textes lui rendent hommage, dont Elle n’était pas d’ici d’Emil Cioran. Jorge Luis Borges lui a dédié en 1960 le sonnet Susana Soca. Juan Carlos Onetti lui a dédié son roman Juntacadáveres (1964) (Ramasse-Vioques, Gallimard,1986): «Para SUSANA SOCA: Por ser la mas desnuda forma de la piedad que he conocido, por su talento.»
Dans la localité de Soca, à une cinquantaine de kilomètres de Montevideo, se trouve la chapelle de la famille, dessinée par l’architecte catalan Antoni Bonet i Castellana (1913-1989) et construite en 1959-1960.
Depuis, quelques études lui ont été consacrées ainsi qu’une exposition, Susana Soca et sa constellation vues par Gisèle Freund, en 2006, à la Maison de l’Amérique Latine, et en 2007 à la Chapelle Soca.
La romancière uruguayenne Claudia Amengual a publié en 2012 sa biographie: Rara Avis. Vida y obra de Susana Soca, Montevideo, Prisa Ediciones,

Capilla de Soca (Antonio Bonet i Castellana ) 1959-60.

Zao Wou-Ki (1920-2013)

Hommage à Henri Matisse 02.02.86 1986 Collection particulière

Visite de l’exposition Zao Wou-Ki L’espace est silence au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris samedi dernier avec J. et E.U.   L’exposition présente une sélection de quarante œuvres de très grandes dimensions dans de bonnes conditions dont certaines, un ensemble d’encres de 2006, n’ont jamais été exposées. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une grande rétrospective, mais pourquoi faudrait-il bouder son plaisir?  C’est la première grande exposition consacrée à Zao Wou-Ki en France depuis quinze ans. Je ne comprends pas très bien l’article mi-figue, mi-raisin de Philippe Dagen dans Le Monde du 07/06/2018  Exposition : Zao Wou-ki, le vide et le plein.

https://abonnes.lemonde.fr/arts/article/2018/06/07/zao-wou-ki-peintre-des-grands-espaces_5310879_1655012.html

L’Hommage à Henri Matisse (02.02.86 1986) reprend la composition structurelle de Porte-fenêtre à Collioure (1914). Zao Wou-Ki admirait beaucoup Matisse et particulièrement ce tableau. “Ce silence est noir” écrit Henri Michaux dans un des poèmes inspirés par Zao Wou-Ki, peintre chinois arrivé en France en 1948. Lecture de huit lithographies de Zao Wou-Ki, ce sont 8 courts textes écrits par Henri Michaux en 1950 pour accompagner les lithographies du jeune peintre chinois qu’il vient de découvrir avec enthousiasme. Le poète et le peintre deviendront amis.

Lecture de huit lithographies de Zao Wou-Ki (Henri Michaux)

II

L’espace est silence
silence comme le frai abondant tombant lentement
dans une eau calme
ce silence est noir
en effet
il n’y a plus rien
les amants se sont soustraits à eux-mêmes
en « arrivant »

Bonheur profond
bonheur profond
bonheur semblable à la lividité
.
La lune a pris toute vie toute grandeur tout effluve
d’avance leur cœur se retire dans l’astre qui reflète

Porte-fenêtre à Collioure. 1914. Paris Centre Georges Pompidou

Henri Michaux-Continuum

Les Masques du vide (Henri Michaux) 1942

Des oeuvres intéressantes à voir  à la galerie Thessa Herold, 7 rue de Thorigny, Paris, 3 ème jusqu’au 21 Avril .  Elles vont des années 30 jusqu’aux années 80

« Plus tard, les signes, certains signes. Les signes me disent quelque chose. J’en ferais bien, mais un signe, c’est aussi un signal d’arrêt. Or en ce temps je garde un autre désir, un par-dessus tous les autres. Je voudrais un continuum. Un continuum comme un murmure, qui ne finit pas, semblable à la vie, qui est ce qui nous continue, plus important que toute qualité.

Impossible de dessiner comme si ce continuum n’existait pas. C’est lui qu’il faut rendre.

Echecs. Echecs. Essais. Echecs. »

(Henri Michaux, Emergences. Résurgences. Genève, Skira, Les Sentiers de la création, 1972.)

“Un jour, j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers. (…) Etre rien et rien que rien (…). vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier. (…) Perdu en un endroit lointan (ou même pas) sans nom, sans identité.”

(Peintures, GLM,  1939)

Henri Michaux

MA VIE (Henri Michaux)

Tu t’en vas sans moi, ma vie.
Tu roules.
Et moi j’attends encore de faire un pas.
Tu portes ailleurs la bataille.
Tu me désertes ainsi.
Je ne t’ai jamais suivie.

Je ne vois pas clair dans tes offres.
Le petit peu que je veux, jamais tu ne l’apportes.
A cause de ce manque, j’aspire à tant.
A tant de choses, à presque l’infini…
A cause de ce peu qui manque, que jamais tu
n’apportes.

1932

Henri Michaux “La Nuit Remue” Gallimard 1935

Je me souviens aussi de ma lecture d’ Ecuador en 2015, ce récit de voyage écrit par Henri Michaux, après un voyage de l´auteur, malade, à travers les Andes, l’Équateur, et le Brésil et publié en 1929. Il était accompagné par son ami, le grand poète écuatorien, Alfredo Gangotena (1904-1944).

Alfredo Gangotena.