Un grand poète. Prix Nobel de littérature 2020. Souvenir : je l’ai lue essentiellement pendant le confinement. L’original en anglais, une traduction en français et deux versions en espagnol publiées par Pre-Textos et Visor.
Confession(Louise Glück)
To say I’m without fear— It wouldn’t be true. I’m afraid of sickness, humiliation. Like anyone, I have my dreams. But I’ve learned to hide them, To protect myself From fulfillment: all happiness Attracts the Fates’ anger. They are sisters, savages— In the end they have No emotion but envy.
Ararat.Ecco Press, 1990.
Confession
Dire que je suis sans peur – Ce ne serait pas vrai. J’ai peur de la maladie, de l’humiliation. Comme tout le monde, j’ai mes rêves. Mais j’ai appris à les cacher, A me protéger De l’accomplissement : toute félicité Attire la colère de la destinée. Ce sont des sœurs, des sauvages – En fin de compte, elles n’ont D’autre émotion que la jalousie.
Ararat. Traduction : Stéphane Chabrières.
Confesión
Decir que nada temo sería faltar a la verdad. La enfermedad, la humillación, me atemorizan. Tengo sueños, como cualquiera. Pero aprendí a ocultarlos para protegerme de la plenitud: la felicidad atrae a las Furias. Son hermanas, salvajes, que no tienen sentimientos, sólo envidia.
Ararat. Pre-Textos, 2008. Traduction : Abraham Gragera López.
Confesión
Decir que no tengo miedo… sería faltar a la verdad. Temo a la enfermedad, a la humillación. Tengo sueños, como todos. Pero he aprendido a ocultarlos para protegerme de que se cumplan: la felicidad atrae la ira de las Parcas. Son hermanas, salvajes: en el fondo, no tienen más sentimientos que la envidia.
Ararat. Colección Visor de Poesía. 2021. Traduction Andrés Catalán.
Louise Glück, poétesse américaine et prix Nobel de littérature en 2020, est morte à quatre-vingts ans d’un cancer le 13 octobre 2023 à Cambridge (Massachusetts). Son dernier recueil de poésie, Recueil collectif de recettes d’hiver, est sorti en France le 9 novembre 2023 dans la collection Du Monde entier (Gallimard), en même temps qu’un volume de la collection Poésie/Gallimard : L’iris sauvage – Meadowlands – Averno, avec une préface inédite de sa traductrice Marie Olivier.
Ce livre a été écrit après l’attribution du prix Nobel. Il est composé de quinze poèmes assez longs. Le lyrisme est retenu, la langue simple, les situations quotidiennes et familières. Ils renvoient au silence et à l’obscurité. Le premier texte, magnifique, incite à lire tous les autres dans la foulée.
Poème
Le jour et la nuit arrivent main dans la main comme un garçon et une fille s’arrêtant seulement pour manger des baies sauvages dans un plat décoré de peintures d’oiseaux.
Ils gravissent la haute montagne couverte de glace, puis ils s’envolent au loin. Mais toi et moi ne faisons pas de telles choses –
Nous gravissons la même montagne ; je prie pour que le vent nous soulève mais cela ne fonctionne pas ; tu caches ta tête afin de ne pas voir la fin –
toujours plus bas, toujours plus bas, toujours plus bas, toujours plus bas voilà où le vent nous emmène ;
j’essaie de te réconforter mais les mots ne sont pas la réponse ; je chante pour toi comme mère chantait pour moi –
Tes yeux sont fermés. Nous dépassons le garçon et la fille que nous avons vus au début ; maintenant ils sont sur un pont de bois ; je peux voir leur maison derrière eux ;
comme vous allez vite nous crient-ils, mais non, le vent nous rend sourds, c’est lui que nous entendons –
Et puis, nous tombons tout simplement –
Et le monde passe, tous les mondes, chacun plus beau que le précédent ;
je touche ta joue pour te protéger –
Recueil collectif de recettes d’hiver. Gallimard, 2023. Traduction: Marie Olivier.
Poem
Day and night come hand in hand like a boy and a girl pausing only to eat wild berries out of a dish painted with pictures of birds.
They climb the high ice-covered mountain, then they fly away. But you and I don’t do such things—
We climb the same mountain; I say a prayer for the wind to lift us but it does no good; you hide your head so as not to see the end—
Downward and downward and downward and downward is where the wind is taking us;
I try to comfort you but words are not the answer; I sing to you as mother sang to me—
Your eyes are closed. We pass the boy and girl we saw at the beginning; now they are standing on a wooden bridge; I can see their house behind them;
How fast you go they call to us, but no, the wind is in our ears, that is what we hear—
And then we are simply falling—
And the world goes by, all the worlds, each more beautiful than the last;
I touch your cheek to protect you—
Winter Recipes from the Collective. Farrar, Straus, and Giroux, 2021.
Louise Glück, poétesse américaine et prix Nobel de littérature en 2020, est morte d’un cancer le 13 octobre 2023 à Cambridge (Massachusetts). Elle avait quatre-vingts ans. Elle était née le 22 avril 1943 à New York, au sein d’une famille d’origine hongroise. Elle a été peu traduite en France avant le prix Nobel. Gallimard a publié en 2021 L’iris sauvage (1992) et Nuit de foi et de vertu (2014), puis en 2022 Meadowlands et Averno. J’ai lu ses poèmes à la fin du confinement.
Son dernier recueil, Recueil collectif de recettes d’hiver, sortira le 9 novembre 2023 dans la collection Du Monde entier (Gallimard) en même temps qu’un volume de la collection Poésie/Gallimard : L’iris sauvage – Meadowlands – Averno, avec une préface inédite de sa traductrice Marie Olivier.
« Et le monde passe, tous les mondes, chacun plus beau que le précédent. »
Je retranscris deux poèmes de cette écrivaine majeure de la poésie de langue anglaise.
The Wild Iris
At the end of my suffering there was a door.
Hear me out: that which you call death I remember.
Overhead, noises, branches of the pine shifting. Then nothing. The weak sun flickered over the dry surface.
It is terrible to survive as consciousness buried in the dark earth.
Then it was over: that which you fear, being a soul and unable to speak, ending abruptly, the stiff earth bending a little. And what I took to be birds darting in low shrubs.
You who do not remember passage from the other world I tell you I could speak again: whatever returns from oblivion returns to find a voice:
from the center of my life came a great fountain, deep blue shadows on azure seawater.
The Wild Iris. New York: Ecco Press, 1992.
L’iris sauvage
Au bout de ma douleur il y avait une porte.
Écoute-moi bien : ce que tu appelles la mort, je m’en souviens.
En haut, des bruits, le bruissement des branches de pin. Puis plus rien. Le soleil pâle vacilla sur la surface sèche.
C’est une chose terrible que de survivre comme conscience enterrée dans la terre sombre.
Puis ce fut terminé : ce que tu crains, être une âme et incapable de parler prenant brutalement fin, la terre raide pliant un peu. Et ce que je crus être des oiseaux sautillant dans les petits arbustes.
Toi qui ne te souviens pas du passage depuis l’autre monde je te dis que je pouvais de nouveau parler : tout ce qui revient de l’oubli revient pour trouver une voix :
du centre de ma vie surgit une grande fontaine, ombres bleu foncé sur eau marine azurée.
L’iris sauvage. Gallimard, 2021. Traduction Marie Olivier. Pages 24-25.
Early Darkness
How can you say earth should give me joy? Each thing born is my burden; I cannot succeed with all of you.
And you would like to dictate to me, you would like to tell me who among you is most valuable, who most resembles me. And you hold up as an example the pure life, the detachment you struggle to acheive–
How can you understand me when you cannot understand yourselves? Your memory is not powerful enough, it will not reach back far enough–
Never forget you are my children. You are not suffering because you touched each other but because you were born, because you required life separate from me.
The wild iris. New York: Ecco Press, 1992.
Tombée du jour
Comment peux-tu dire que la terre devrait me procurer de la joie ? Toute chose qui naît est mon fardeau ; je ne peux réussir avec chacun d’entre vous.
Et vous voudriez me tenir tête, vous voudriez me dire lequel d’entre vous a le plus de valeur, lequel me ressemble le plus. Et vous brandissez comme exemple la vie elle-même, le détachement auquel vous vous efforcez de parvenir –
Comment pouvez-vous me comprendre alors que vous ne vous comprenez pas vous-mêmes ? Votre mémoire n’est pas assez puissante, ne remontera pas assez loin –
N’oubliez jamais que vous êtres mes enfants. Ce n’est pas parce que vous vous êtes touchés que vous souffrez, mais parce que vous êtes nés, parce que vous aviez besoin de vivre séparés de moi.
L’iris sauvage. Gallimard, 2021. Traduction Marie Olivier. Pages 112-113.
La Wylie Agency, fondée en 1980, est une des plus puissantes agences du monde puisqu’elle représente plus de 1 100 artistes (entre autres Albert Camus, Salman Rushdie, Martin Amis, Saul Bellow, Philip Roth, Roberto Bolaño, Jorge Luis Borges, Vladimir Nabokov, John Cheever, Raymond Carver).
Le fondateur de cette maison, Andrew Wylie, est surnommé Le Chacal.
Elle représente maintenant aussi Louise Glück, Prix Nobel 2020.
La maison d’édition espagnole indépendante de Valence Pre-Textos, dirigée par Manuel Borras, a publié depuis 2006 sept des onze recueils de poèmes de Louise Glück, Prix Nobel de Littérature 2020, en édition bilingue.
El iris salvaje 2006 (The Wild Iris 1992) Ararat 2008. (Ararat 1990) Las siete edades 2011 (The Seven Ages. 2001) Averno 2011 (Averno 2006) Vita nova 2014 (Vita Nova 1999) Praderas 2017 (Meadowlands 1997) Una vida de pueblo 2020 (A village life 2009)
Traducteurs: Abraham Gragera López, Eduardo Chirinos Arrieta, Mirta Rosenberg, Andrés Catalán, Adalber Salas Hernández, Mariano Peyrou.
La Wylie Agency a informé Pre-Textos qu’elle devait arrêter la commercialisation des livres publiés, détruire les stocks et éliminer ces titres de son catalogue.
La maison d’édition espagnole indépendante de Valence Pre-Textos, dirigée par Manuel Borras, a publié sept recueils de poèmes de Louise Glück, Prix Nobel de Littérature 2020, en édition bilingue.
El iris salvaje 2006 (The Wild Iris 1992) Ararat 2008. (Ararat 1990) Las siete edades 2011 (The Seven Ages. 2001) Averno 2011 (Averno 2006) Vita nova 2014 (Vita Nova 1999) Praderas 2017 (Meadowlands 1997) Una vida de pueblo 2020 (A village life 2009)
“En français, la traduction de cette poétesse est restée jusqu’ici confidentielle, faute de parution en volume. Elle se limite à des revues spécialisées.” (Le Monde, 8/10/2020)
Poèmes (tirés de Descending Figure), traduction de Linda Orr et Claude Mouchard, Po&sie n° 34, 1985. Huit poèmes (tirés du recueil Vita Nova), traduction de Raymond Farina, Po&sie, n° 90, Paris, 1999. L’iris sauvage (quatre poèmes tirés de The Wild Iris), traduction de Nathalie De Biasi, Europe, n° 1009, mai 2013. L’iris sauvage (The Wild Iris), traduction de Marie Olivier, Po&sie, n° 149-150, 2014 Jeanne d’Arc, Traduction de Marie Clerget pour les éditions Marcomir Le Passé (The Past, tiré de Faithful and Virtuous Night, 2014) Migrations nocturnes (The Night Migrations , tiré de Arverno, 2006)
Louise Glück Proofs and Theories 1994 Educación del poeta.
«La experiencia fundamental del escritor es la impotencia. Con esto no pretendo distinguir entre escribir y estar vivo: tan sólo corregir la fantasía de que el trabajo creativo es un registro continuo del triunfo de la voluntad, de que el escritor es alguien que tiene la buena suerte de hacer aquello que es capaz o desea hacer: imprimir, de forma segura y regular, su ser en una hoja de papel. Pero la escritura no es una decantación de la personalidad. Y la mayor parte de los escritores emplean buena parte de su tiempo en diversos tipos de tormento: queriendo escribir, siendo incapaces de hacerlo; queriendo escribir de un modo distinto, siendo incapaces de hacerlo. En el tiempo de una vida son muchos los años perdidos esperando la llegada de una sola idea. El único ejercicio real de voluntad es negativo: tenemos, hacia aquello que escribimos, derecho de veto».
«Los poemas no perduran como objetos, sino como presencias. Cuando lees algo que merece recordarse, liberas una voz humana: devuelves al mundo un espíritu compañero. Yo leo poemas para escuchar esa voz. Escribo para hablar a aquellos a quienes he escuchado.»
Le coquelicot rouge
Le grand avantage
est de ne pas avoir
d’esprit. Des sentiments?
Oh, ça, j’en ai; ce sont eux
qui me gouvernent. J’ai
un seigneur au paradis
appelé le soleil, et je m’ouvre
à lui, lui montrant
le feu de mon propre cœur, feu
semblable à sa présence.
Que pourrait être une telle gloire
si ce n’est un cœur? Oh, mes frères et sœurs,
avez-vous un jour été comme moi, il y a longtemps,
avant que vous ne soyez humains? Vous êtes-
vous permis
de vous ouvrir une fois seulement, vous qui ne
vous ouvrirez jamais plus? Car en vérité,
je parle là
de la même façon que vous. C’est parce que
je suis détruit que
je parle.
L’iris sauvage. Traduction: Marie Olivier. 2014.
The Red Poppy
The great thing is not having a mind. Feelings: oh, I have those; they govern me. I have a lord in heaven called the sun, and open for him, showing him the fire of my own heart, fire like his presence. What could such glory be if not a heart? Oh my brothers and sisters, were you like me once, long ago, before you were human? Did you permit yourselves to open once, who would never open again? Because in truth I am speaking now the way you do. I speak because I am shattered.
The Wild Iris, 1992.
La amapola roja
Gran cosa
carecer
de mente. Sentimientos:
oh sí; ellos
me gobiernan. Tengo
un señor en el cielo
llamado sol, y me abro
para él, le muestro
el fuego de mi propio corazón, fuego
igual que su presencia.
¿Qué podría ser tal gloria
sino un corazón? Oh hermanos y hermanas,
¿fueron como yo alguna vez, hace tiempo,
antes de ser humanos? ¿Se permitieron
abrirse una sola vez, ustedes
que nunca volverían a hacerlo? Porque en verdad
estoy hablando ahora
como lo hacen ustedes. Hablo
porque estoy destrozada.
El Iris Salvaje. Traduction de Eduardo Chirinos. Editorial Pre-Textos. 2006.