Raymond Carver

Raymond Carver est né Le 25 mai 1938 à Clatskanie (Oregon). Il est mort le 2 août 1888 à Port Angeles (état de Washington) d’un cancer du poumon. « Je souhaite que, sur ma tombe, on grave les mots “Poète, nouvelliste, essayiste”, dans cet ordre précis », a-t-il dit. La poésie occupe une place fondamentale dans son œuvre.

Rain

Woke up this morning with
a terrific urge to lie in bed all day
And read. Fought against it for a minute.

Then looked out the window at the rain.
And gave over. Put myself entirely
in the keep of this rainy morning.

Would I live my life over gain?
Make the same unforgivable mistakes?
Yes, given half a chance. Yes.

Where Water comes Together with Other Water, 1985.

Pluie

Me suis réveillé ce matin avec
un besoin terrible de passer la journée au plumard
à lire. Y ai résisté une minute.

Puis j’ai regardé par la fenêtre la pluie.
Et abandonné. Me suis entièrement confié
à la garde de ce matin pluvieux.

Est-ce que je revivrais ma vie ?
Commettrais-je les mêmes erreurs impardonnables ?
Oui, à la moindre occasion. Oui.

Oeuvres complètes 9. Poésie. Traduction: Jacqueline Huet, Jean-Pierre Carasso et Emmanuel Moses.

Raymond Carver

En 2020

Lequel d’entre nous aura subsisté jusque-là —
vieux, éberlué, confus —
mais voulant parler de nos amis morts?
Parler, parler, comme un vieux robinet qui fuit.
De sorte que les jeunes,
respectueux, d’une curiosité touchante,
se sentiront remués
par ces souvenirs.
Par la seule mention de tel nom
ou tel autre, et de ce que nous faisions ensemble.
(Comme nous étions respectueux, mais curieux
et tout excités, d’entendre quelqu’un parler
des morts illustres qui nous avaient précédés.)
Duquel d’entre nous diront-ils
à leurs amis,
ils connaissaient Untel! Il était copain avec —
et ils ont passé du temps ensemble.
Il était à cette grande soirée.
Il y avait tout le monde. Ils ont fait la fête
et dansé jusqu’à l’aube. Enlacés
dans les bras les uns des autres ils ont dansé
jusqu’à ce que le soleil se lève.
À présent ils sont tous morts.
Duquel d’entre nous dira-t-on —
il les a connus? Leur a serré la main
et les a embrassés, il a passé la nuit
dans leurs foyers chaleureux. Il les aimait!

Oui les amis, je vous aime, c’est vrai.
Et j’espère avoir assez de chance, avoir l’honneur,
de vivre pour témoigner.
Croyez-moi, je dirai seulement les plus
belles choses sur vous et nos vies ici!
Pour celui qui survit il faut qu’il y ait encore
à espérer. En vieillissant,
en perdant toute chose, et tout le monde.

Oeuvres complètes 9. Poésie. Traduction: Jacqueline Huet, Jean-Pierre Carasso et Emmanuel Moses.

In the year 2020

Which of us will be left then–
old, dazed, unclear–
but willing to talk about our dead friends?
Talk and talk, like an old faucet leaking.
So that the young ones,
respectful, touchingly curious,
will find themselves stirred
by the recollections.
By the very mention of this name
or that name, or what we did together.
(As we were respectful, but curious
and excited, to hear someone tell
about the illustrious dead ahead of us.)
Of which of us will they say
to their friends,
he knew so and so! He was friends with
and they spent time together.
He was at that big party.
Everyone was there. They celebrated
and danced until dawn. They put their arms
around each other and danced
until the sun came up.
Now they’re all gone.
Of which of us will it be said–
he knew them? Shook hands with them
and embraced them, stayed overnight
in their warm houses. Loved them!

Friends, I do love you, it’s true.
And I hope I’m lucky enough, privileged enough,
to live on and bear witness.
Believe me, I’ll say only the most
glorious things about you and our time here!
For the survivor there has to be something
to look forward to. Growing old,
losing everything and everybody.

Raymond Carver – Antonio Machado

Raymond Carver.

Raymond Carver est né le 25 mai 1938 à Clatskanie (Oregon). Il est mort le 2 août 1988 à Port Angeles (État de Washington). C’était un excellent nouvelliste, mais aussi un bon poète…

Les ondes radio (Raymond Carver)

      Pour Antonio Machado

Voilà que la pluie s’est arrêtée, et la lune se montre.
Je ne comprends presque rien aux ondes
radio. Mais je crois qu’elles se déplacent mieux juste après
la pluie, dans l’air humide. Bref, je n’ai qu’à étendre le bras
à présent pour capter Ottawa, si ça me chante, ou Toronto.
Depuis peu, le soir, je me suis découvert
un vague intérêt pour la politique et les affaires intérieures
du Canada. C’est vrai. Mais c’étaient surtout ses
radios musicales que je cherchais. Assis ici dans le fauteuil
je pouvais écouter, sans avoir rien à faire, ni à penser.
Je n’ai pas la télé, et je ne lisais plus
les journaux. Le soir j’allumais la radio.

Quand je suis venu ici, j’essayais d’échapper
à tout. Particulièrement à la littérature.
Ce que ça entraîne, et ce qui s’ensuit.
Il y a dans l’âme le désir de ne pas penser.
D’être au repos. Cela couplé avec
le désir d’être strict, oui, et rigoureux.
Mais l’âme est aussi une rusée salope,
pas toujours fiable. Et ça je l’avais oublié.
Je l’écoutais quand elle disait, Mieux vaut changer ce qui
n’est plus
et ne reviendra pas que ce qui est encore
avec nous et sera avec nous demain. Ou pas.
Et si c’est «ou pas», ce n’est pas grave, non plus.
Peu importait, disait-elle, pourvu que l’homme chante.
Voilà la voix que j’écoutais.
Imagine-t-on que quelqu’un puisse penser ainsi?
Qu’en réalité tout ça c’est pareil.
Quelle ineptie!
Mais je pensais ces pensées idiotes le soir
assis dans le fauteuil écoutant la radio.

Puis Machado, ta poésie!
Ce fut un peu comme un quinquagénaire qui retombe
amoureux. Quelque chose de remarquable à observer,
et de gênant, aussi.
Des sottises, comme d’accrocher ton portrait au mur.
Et j’emportais ton livre quand j’allais me coucher
et dormais avec lui à portée de main. Un train passa
dans mes rêves une nuit et me réveilla.
Et la première chose que j’ai pensée, le coeur au galop
là dans l’obscurité de la chambre, fut ceci –
Tout va bien, Machado est là.
Alors j’ai pu me rendormir.

Aujourd’hui j’ai emporté ton livre quand je suis allé
me promener. «Etre attentif!» disais-tu,
chaque fois que quelqu’un te demandait que faire de sa vie.
J’ai donc regardé autour de moi et pris note de toute chose.
Puis je me suis assis avec au soleil, à ma place
au bord de la rivière d’où je voyais les montagnes
Et j’ai fermé les yeux pour écouter le bruit
de l’eau. Puis je les ai ouverts et me suis mis à lire.
«Les dernières lamentations d’Abel Martin».
Ce matin j’ai pensé à toi de toutes mes forces, Machado.
Et j’espère, même au regard de ce que je sais de la mort,
que tu as reçu le message que je te destinais.
Et sinon ce n’est rien. Dors bien. Repose-toi.
Tôt ou tard j’espère que nous nous rencontrerons.
Alors je pourrai te dire ces choses en personne

Poésie, Editions de l’Olivier, 2015.

Radio Waves
      for Antonio Machado

This rain has stopped, and the moon has come out.
I don’t understand the first thing about radio
waves. But I think they travel better just after
a rain, when the air is damp. Anyway, I can reach out
now and pick up Ottawa, if I want, or Toronto.
Lately, at night, I’ve found myself
becoming slightly interested in Canadian politics
and domestic affairs. But mostly it was their music
stations I was after. I could sit here in the chair
and listen, without having to do anything, or think.
I don’t have a TV, and I’d quit reading
newspapers. At night I turned on the radio.

When I came out here I was trying to absent myself
from everything. Especially literature.
What that entails, and what comes after.
There is in the soul a desire for not thinking.
For being still. Coupled with this
a desire to be strict, yes, and rigorous.
But the soul is also a smooth son of a bitch,
not always to be trusted. And I forgot that.
I listened when it said. Better to sing that which is gone
and will not return than that which is still
with us and will be with us tomorrow. Or not.
And if not, that’s all right too.
It didn’t much matter, it said, even if a man sang.
That’s the voice I listened to.
Can you imagine somebody thinking like this?
That it’s really all one and the same?
What nonsense!
But I’d think these stupid thoughts at night
as I sat in the chair and listened to my radio.

Then, Machado, the advent of your poetry in my life!
It was a little like a middle-aged man falling
in love again. A remarkable thing to witness, perhaps,
but embarrassing, too.
Silly things like putting your picture up.
And I took your book to bed with me
and slept with it near at hand. A train went by
in my dreams one night and woke me up.
And the first thing I thought, heart racing
there in the dark bedroom, was this—
It’s all right, Machado is here.
Then I could fall back to sleep again.

Today I took your book with me when I went
for my walk. “Pay attention!” you said,
when anyone asked what to do with their lives.
So I looked around and made note of everything.
Then sat dowii with your book in the sun, in my place
beside the river where I could see the mountains.
And I closed my eyes and listened to the sound
of the water. Then I opened them and began to read
“Abel Martin’s Last Lamentations.”
This morning I thought about you hard, Machado.
And I hope, even in the face of what I know about death,
that you got the message I intended.
But it’s okay even if you didn’t. Sleep well. Rest.
Sooner or later I hope we’ll meet.
And then I can tell you these things myself.

Madrid, Biblioteca Nacional. Estatua de Antonio Machado (Pablo Serrano 1908-1985).