Franz Kafka – Max Brod

Franz Kafka. 1923.

Le 23 octobre 1902, Franz Kafka et Max Brod se rencontrèrent pour la première fois. Brod donnait une conférence sur “le destin et l’avenir de la philosophie de Schopenhauer” à la section littéraire de la Lese-und Redehalle der deutschen Studenten in Prag, l’association d’étudiants germanophones d’inspiration libérale. Après la conférence, Kafka raccompagna Max Brod chez lui et tous deux passèrent la soirée à parler de philosophie et de littérature. Ce fut le début d’une longue amitié.

Leur correspondance commence en 1904. Le 20 mai 1924, Kafka écrit sa dernière lettre. Elle est pour Max Brod . Kafka meurt le 3 juin 1924 au sanatorium de Kierling, près de Vienne.

Elias Canetti dans son essai L’autre procès. Lettres de Kafka à Felice. (Gallimard, 1972) appelle cette lettre la “lettre de la taupe”

Lettre à Max Brod. [Prague, ] 28 août [1904)

Il est très facile d’être gai au début de l’été. On a le coeur vif, une démarche passable et assez de goût pour l’avenir. On s’attend à des choses orientales bizarres, ce que l’on nie d’autre part avec une courbette comique et des propos balancés dont le jeu animé vous rend tout aise et tremblant. Assis au milieu du lit en désordre, on regarde la pendule. Elle marque une heure tardive de la matinée. Mais nous, nous nous peignons la soirée avec des teintes convenablement estompées et des perspectives élargies. Et comme notre ombre s’allonge et prend un air si joliment vespéral, nous nous frottons les mains de plaisir jusqu’à les faire rougir. Nous nous parons avec l’espoir secret que la parure se changera en nature. Et quand, au printemps, on nous questionne sur nos projets, nous adoptons en guise de réponse un geste large de la main, qui tombe au bout d’un moment, comme s’il était ridiculement inutile de conjurer des choses sûres.
Si nous devions être entièrement déçus, ce serait évidemment affligeant pour nous, mais d’un autre côté, ce serait la preuve que notre prière quotidienne est entendue, dans laquelle nous demandons en grâce que la logique de notre vie nous soit conservée conformément à ses dehors.
Mais nous ne serons pas déçus; cette saison, qui n’a qu’un commencement, et pas de fin, nous plonge dans un état si étranger et si naturel qu’il pourrait nous assassiner.
Nous sommes littéralement portés par un air qui souffle où il veut, et rien ne nous empêche de plaisanter un peu quand, en plein courant d’air, nous nous prenons le front ou tâchons de nous calmer par des paroles prononcées, les bouts de nos doigts minces pressés contre nos genoux. Tandis que d’ordinaire nous sommes relativement assez polis pour ne pas chercher à nous éclairer sur nous, il nous arrive maintenant de rechercher la clarté avec une certaine faiblesse, un peu comme on fait semblant de se donner beaucoup de mal pour attraper des petits enfants qui trottinent lentement devant nous. Nous nous frayons notre chemin comme une taupe, et nous sortons des galeries effondrées que nous avions creusées dans le sable le poil tout noirci et velouté, tendant nos pauvre petites pattes rouges en l’air pour implorer une douce pitié.
Pendant une promenade, mon chien a surpris une taupe qui voulait traverser la route. Sans cesse il sautait sur elle et la relâchait aussitôt, car il est encore jeune et craintif. D’abord, cela m’a amusé, je trouvais surtout agréable l’agitation de la taupe, qui, désespérément et en vain, cherchait un trou dans le sol dur de la route. Mais comme le chien abattait de nouveau sa patte sur elle, elle s’est mise à crier. Ks, kss, a-t-elle fait. Et alors il m’a semblé…Non, il ne m’a rien semblé du tout. Ce n’était qu’une illusion, parce que ce jour-là ma tête tombait si lourdement que, je le constatai le soir avec surprise, mon menton s’était enfoncé dans ma poitrine. Mais le lendemain je redressai bravement la tête. Le lendemain, une jeune fille mit une robe blanche, puis tomba amoureuse de moi. Elle en fut très malheureuse et je n’ai pas réussi à la consoler, il est vrai que c’est une chose difficile. Le lendemain, comme j’ouvrais les yeux après une courte sieste, peu sûr encore de mon existence, j’entendis ma mère me demander du balcon sur un ton naturel: «Que faites-vous»? Une femme répondit du jardin: «Je goûte sur l’herbe.» Alors je m’étonnai de la fermeté avec laquelle les gens savent porter la vie. Une autre fois, je pris un plaisir douloureusement impatient à l’agitation d’une journée pleine de nuages. Ensuite une semaine fut chassée par le vent, ou deux, ou plus. Puis je tombai amoureux d’une femme. Puis on a dansé à l’auberge et je n’y suis pas allé. Puis je fus nostalgique et très bête, si bien que je trébuchai sur les chemins de terre, qui ici sont très escarpés. Ensuite j’ai lu dans le Journal de Byron ce passage (que je transcris approximativement parce que le livre est déjà dans ma valise): «Depuis une semaine je n’ai pas quitté ma maison. Depuis trois jours, je boxe trois heures par jour avec un maître d’escrime, dans la bibliothèque, toutes fenêtres ouvertes, pour m’apaiser l’esprit.» Et puis, et puis l’été a pris fin, et je trouve qu’il fait frais, qu’il est temps de répondre aux lettres de vacances, que ma plume a quelque peu glissé et que pour cette raison je pourrais bien la poser.

Ton Franz K.

Traduction de Marthe Robert. Kafka, Oeuvres complètes. III. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. Gallimard. 1984.

Max Brod.

José Hierro 1922 – 2002

José Hierro.

Réquiem

Manuel del Río, natural
de España, ha fallecido el sábado
11 de mayo, a consecuencia
de un accidente. Su cadáver
está tendido en D’Agostino
Funeral Home. Haskell. New Jersey.
Se dirá una misa cantada
a las 9.30 en St. Francis.

Es una historia que comienza
con sol y piedra, y que termina
sobre una mesa, en D’Agostino,
con flores y cirios eléctricos.
Es una historia que comienza
en una orilla del Atlántico.
Continúa en un camarote
de tercera, sobre las olas
—sobre las nubes— de las tierras
sumergidas ante Platón.
Halla en América su término
con una grúa y una clínica,
con una esquela y una misa
cantada, en la iglesia St. Francis.

Al fin y al cabo, cualquier sitio
da lo mismo para morir:
el que se aroma de romero
el tallado en piedra o en nieve,
el empapado de petróleo.
Da lo mismo que un cuerpo se haga
piedra, petróleo, nieve, aroma.
Lo doloroso no es morir
acá o allá…

Réquiem aetérnam,
Manuel del Río. Sobre el mármol
en D’Agostino, pastan toros
de España, Manuel, y las flores
(funeral de segunda,caja
que huele a abetos del invierno),
cuarenta dólares. Y han puesto
unas flores artificiales
entre las otras que arrancaron
al jardín… Liberame Domine
de morte aeterna… Cuando mueran
James o Jacob verán las flores
que pagaron Giulio o Manuel…

Ahora descienden a tus cumbres
garras de águila. Dies irae.
Lo doloroso no es morir
Dies illa acá o allá,
sino sin gloria…
Tus abuelos
fecundaron la tierra toda,
la empapaban de la aventura.
Cuando caía un español
se mutilaba el universo.
Los velaban no en D’Agostino
Funeral Home, sino entre hogueras,
entre caballos y armas. Héroes
para siempre. Estatuas de rostro
borrado. Vestidos aún
sus colores de papagayo,
de poder y de fantasía.

Él no ha caído así. No ha muerto
por ninguna locura hermosa.
(Hace mucho que el español
muere de anónimo y cordura,
o en locuras desgarradoras
entre hermanos: cuando acuchilla
pellejos de vino derrama
sangre fraterna). Vino un día
porque su tierra es pobre. El mundo
Libera me Domine es patria.
Y ha muerto. No fundó ciudades.
No dio su nombre a un mar. No hizo
más que morir por diecisiete
dólares (él los pensaría
en pesetas) Réquiem aetérnam.
Y en D’Agostino lo visitan
los polacos, los irlandeses,
los españoles, los que mueren
en el week-end.

Requiem aetérnam.
Definitivamente todo
ha terminado. Su cadáver
está tendido en D’Agostino
Funeral Home. Haskell. New Jersey.
Se dirá una misa cantada
por su alma.
Me he limitado
a reflejar aquí una esquela
de un periódico de New York.
Objetivamente. Sin vuelo
en el verso. Objetivamente.
Un español como millones
de españoles. No he dicho a nadie
que estuve a punto de llorar.

Cuanto sé de mí, 1957

José Hierro est né le 3 avril 1922 à Madrid. Il est mort le 21 décembre 2002, à 80 ans, dans la même ville. Ce poète appartient à la littérature espagnole de l’après-guerre, à la génération de 50. Il a obtenu le prix Príncipe de Asturias en 1981 et le Prix Cervantes en 1999. Il a passé une grande partie de sa vie en Cantabrie. Accusé d’avoir appartenu à une organisation d’aide aux prisonniers politiques, il est arrêté à la fin de la Guerre civile et emprisonné cinq ans jusqu’en 1944.

José Hierro vit un faire-part de décès dans un journal de New York publié en espagnol:
“Manuel del Río. Natural de España, a 27 años de edad, falleció el sábado 11 de mayo en el hospital de St. Joseph de Harrison, N. J., a consecuencia de lesiones recibidas en accidente el 28 de abril. Su cadáver está tendido en la D’Agostino Funeral Home, 881 Ringwnd Ave, Haskell, N. J. El sepelio tendrá lugar el miércoles 15, a las 9,30 A. M. Y se dirá una misa cantada en la iglesia de St. Francis.”

Son poème Réquiem est donc quasiment un reportage journalistique. Il conte l’histoire d’un émigré comme beaucoup d’autres. Parti d’un port espagnol, il a pris un bateau pour l’Amérique en troisième classe pour améliorer sa condition et faire fortune. Sa vie s’est terminée bien vite. Le langage simple utilisé dans ce poème, écrit en 1957 sans la moindre rhétorique, s’oppose complètement à la rhétorique nationaliste du régime franquiste.

Je me souviens d’avoir croisé le vieux poète au visage buriné à Madrid, Paseo de Recoletos, vers l’an 2000. Je crois qu’il venait du célèbre café littéraire Gijón.

San Sebastián de los Reyes. Buste de José Hierro.

Gérard de Nerval – Jean Giono

Portrait de Jean Giono (Serge Fiorio), 1934. Laval, Musée Henri Rousseau.

Les dix premières pages d’Un Roi sans divertissement de Jean Giono évoque Pascal, Gérard de Nerval et Chrétien de Troyes (Perceval ou le Roman du Graal). Le descendant de V., l’assassin, jeune homme rêveur, instituteur cultivé, lit Sylvie de Nerval , assis dans son jardin parmi les roses trémières.

Le roman, par toutes ses variations sur l’identité et les limites, renvoie à de nombreux poèmes du grand poète romantique.

El Desdichado

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie:
Ma seule Étoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.

Suis-je Amour ou Phoebus?… Lusignan ou Biron?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la Syrène…

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron:
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

Les Chimères, 1854.

Artémis
La Treizième revient… C’est encor la première;
Et c’est toujours la Seule, – ou c’est le seul moment:
Car es-tu Reine, ô toi! la première ou la dernière?
Es-tu Roi, toi le Seul ou le dernier amant?…

Aimez qui vous aima du berceau dans la bière;
Celle que j’aimai seul m’aime encor tendrement:
C’est la Mort – ou la Morte… Ô délice! ô tourment!
La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière.

Sainte napolitaine aux mains pleines de feux,
Rose au coeur violet, fleur de sainte Gudule:
As-tu trouvé ta Croix dans le désert des cieux?

Roses blanches, tombez! vous insultez nos Dieux:
Tombez fantômes blancs de votre ciel qui brûle:
– La Sainte de l’Abîme est plus sainte à mes yeux!

Les Chimères, 1854.

Le point noir

Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l’air, une tache livide.

Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux,
Sur la gloire un instant j’osai fixer les yeux :
Un point noir est resté dans mon regard avide.

Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s’arrête mon oeil,
Je la vois se poser aussi, la tache noire!

Quoi, toujours? Entre moi sans cesse et le bonheur!
Oh! c’est que l’aigle seul – malheur à nous, malheur!
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.

Odelettes. 1834.

Fantaisie
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets!

Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit…
C’est sous Louis treize; et je crois voir s’étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue… et dont je me souviens!

Odelettes. 1834.

Blaise Pascal – Jean Giono

Folio n°220.

Je relis Un roi sans divertissement de Jean Giono après avoir vu le film tout à fait honorable de François Leterrier (1963). Scénario de jean Giono avec de grandes différences avec le livre. Tournage dans l’Aubrac. Interprètes: Claude Giraud, Colette Renard, Charles Vanel. Photographie excellente: Jean Badal.

Le titre du roman et la dernière phrase sont empruntés aux Pensées de Pascal.

Livre de Poche n°823-824.

142. Divertissement.

«La dignité royale n’est-elle pas assez grande d’elle-même, pour celui qui la possède, pour le rendre heureux par la seule vue de ce qu’il est? Faudra-t-il le divertir de cette pensée comme les gens du commun? Je vois bien que c’est rendre un homme heureux de le divertir de la vue de ses misères domestiques pour remplir toute sa pensée du soin de bien danser. Mais en sera-t-il de même d’un roi, et sera-t-il plus heureux en s’attachant à ces vains amusements qu’à la vue de sa grandeur? Et quel objet plus satisfaisant pourrait-on donner à son esprit? Ne serait-ce donc pas faire tort à sa joie, d’occuper son âme à penser à ajuster ses pas à la cadence d’un air, ou à placer adroitement une [balle], au lieu de le laisser jouir en repos de la contemplation de la gloire majestueuse qui l’environne? Qu’on en fasse l’épreuve: qu’on laisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l’esprit, sans compagnie, penser à lui tout à loisir, et l’on verra qu’un roi sans divertissement est un homme plein de misères. Aussi on évite cela soigneusement et il ne manque jamais d’y avoir auprès des personnes des rois un grand nombre de gens qui veillent à faire succéder le divertissement à leurs affaires, et qui observent tout le temps de leur loisir pour leur fournir des plaisirs et des jeux, en sorte qu’il n’y ait point de vide; c’est-à-dire qu’ils sont environnés de personnes qui ont un soin merveilleux de prendre garde que le roi ne soit seul et en état de penser à soi, sachant bien qu’il sera misérable, tout roi qu’il est, s’il y pense.
Je ne parle point en tout cela des rois chrétiens comme chrétiens, mais seulement comme rois.»

Pensées. Édition Léon Brunschvig. Hachette, Collection des Grands écrivains de la France 1904 et 1914.

Jean Giono ne s’intéresse ni à Dieu, ni au problème de la foi et du pari, ni aux libertins. Il détourne le texte de Pascal à ses fins personnelles. Le romancier est tout-puissant.

Julio Cortázar

Julio Cortázar. Madrid, 1980.

Dans cette lourde période de confinement, quelques textes légers du “grand” Julio Cortázar.

Historias de Cronopios y de Famas. 1962. Editorial Minotauro.

Flor y Cronopio

Un cronopio encuentra una flor solitaria en medio de los campos. Primero la va a arrancar,
pero piensa que es una crueldad inútil
y se pone de rodillas a su lado y juega alegremente con la flor, a saber: le acaricia los pétalos, la sopla para que baile, zumba como una abeja, huele su perfume, y finalmente se acuesta debajo de la flor y se duerme envuelto en una gran paz.
La flor piensa: «Es como una flor».

Viajes

Cuando los famas salen de viaje, sus costumbres al pernoctar en una ciudad son las siguientes: Un fama va al hotel y averigua cautelosamente los precios, la calidad de las sábanas y el color de las alfombras. El segundo se traslada a la comisaría y labra un acta declarando los muebles e inmuebles de los tres, así como el inventario del contenido de sus valijas. El tercer fama va al hospital y copia las listas de los médicos de guardia y sus especialidades.

Terminadas estas diligencias, los viajeros se reúnen en la plaza mayor de la ciudad, se comunican sus observaciones, y entran en el café a beber un aperitivo. Pero antes se toman de las manos y danzan en ronda. Esta danza recibe el nombre de “Alegría de los famas”.

Cuando los cronopios van de viaje, encuentran los hoteles llenos, los trenes ya se han marchado, llueve a gritos, y los taxis no quieren llevarlos o les cobran precios altísimos. Los cronopios no se desaniman porque creen firmemente que estas cosas les ocurren a todos, y a la hora de dormir se dicen unos a otros: “La hermosa ciudad, la hermosísima ciudad”. Y sueñan toda la noche que en la ciudad hay grandes fiestas y que ellos están invitados. Al otro día se levantan contentísimos, y así es como viajan los cronopios.

Las esperanzas, sedentarias, se dejan viajar por las cosas y los hombres, y son como las estatuas que hay que ir a verlas porque ellas ni se molestan.

El canto de los cronopios

Cuando los cronopios cantan sus canciones preferidas, se entusiasman de tal manera que con frecuencia se dejan atropellar por camiones y ciclistas, se caen por la ventana, y pierden lo que llevaban en los bolsillos y hasta la cuenta de los días.

Cuando un cronopio canta, las esperanzas y los famas acuden a escucharlo aunque no comprenden mucho su arrebato y en general se muestran algo escandalizados. En medio del corro el cronopio levanta sus bracitos como si sostuviera el sol, como si el cielo fuera una bandeja y el sol la cabeza del Bautista, de modo que la canción del cronopio es Salomé desnuda danzando para los famas y las esperanzas que están ahí boquiabiertos y preguntándose si el señor cura, si las conveniencias. Pero como en el fondo son buenos (los famas son buenos y las esperanzas bobas), acaban aplaudiendo al cronopio, que se recobra sobresaltado, mira en torno y se pone también a aplaudir, pobrecito.